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Décisions

Cass. crim., 29 janvier 2019, n° 17-86.876

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Ingall-Montagnier

Avocat général :

M. Desportes

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Balat

Versailles, 9e ch., du 20 sept. 2017

20 septembre 2017

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par M. Y, la société X, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 20 septembre 2017, qui pour pratique commerciale trompeuse a condamné le premier à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et la seconde à 20 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits, en demande, commun aux demandeurs, et en défense ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme partiellement et des pièces de procédure que la direction départementale de la protection des populations des Hauts-de-Seine a reçu, entre mars et juillet 2011, de nombreuses plaintes de consommateurs concernant des problèmes de livraisons de commandes passées auprès de la société X via son site internet "www.xxx.com" et des difficultés de remboursement ; que la société et son dirigeant M. Y ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de pratiques commerciales trompeuses pour avoir, en ne respectant pas leurs engagements de livraison et de remboursement, en proposant aux clients un service après-vente par téléphone, courrier ou mail mais en ne répondant pas, commis une pratique commerciale trompeuse reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la disponibilité du bien, les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien, la portée des engagements de l'annonceur, le traitement des réclamations et les droits du consommateur ; que les juges du premier degré ont déclaré M. Y et la société X coupables des faits reprochés ; que les prévenus, le procureur de la République et des parties civiles ont relevé appel de cette décision ;

En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 34 de la Constitution, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, 121-3 du Code pénal, L. 121-1 I du Code de la consommation, devenu L. 121-2 depuis l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y et la société X coupables de pratiques commerciales trompeuses, a condamné M. Y à la peine d'emprisonnement de dix-huit mois avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans avec obligation de rembourser les victimes, à la publication de la décision, et la société X à une peine d'amende de 20 000 euros, et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que l'infraction reprochée à M. Y est suffisamment caractérisée ; que le nombre des litiges, s'il apparaît minime au regard du volume global des commandes est très élevé ; que le prévenu n'a pas nié la réalité et le bien fondé des requêtes des clients ; qu'il a commis des négligences manifestes de gestion ; qu'il n'a pas proportionné le nombre de ses salariés à l'importance des litiges ; qu'il n'a pas informé sa clientèle des difficultés rencontrées, notamment à partir de septembre 2011 ; qu'il n'a pas contesté qu'il aurait dû le faire ; que les remboursements et les régularisations, lorsqu'ils sont intervenus, ont été tardifs, alors même que les règlements étaient immédiatement encaissés ; qu'il n'a pas corrigé totalement, comme il aurait dû le faire, les irrégularités relevées par l'Administration quant à ses lignes téléphoniques ; que les litiges, au nombre de 1630, sont intervenus alors que la situation financière de son entreprise était satisfaisante, que son chiffre d'affaires avait progressé de 40 % entre 2011 et 2012, et que cette tendance à la hausse s'était confirmée au début de l'année suivante ; que ces négligences de gestion, qui ont d'ailleurs été relevées par la comptable de l'entreprise Mme Z, constituent, émanant d'un professionnel, l'élément intentionnel de l'infraction ; que le jugement sera confirmé sur la culpabilité ; que sur la sanction, M. Y n'a pas été condamné au cours des cinq années précédant les faits pour un crime ou un délit de droit commun aux peines prévues par les articles 132-30, 132-31 et 132-33 du Code pénal ; qu'il peut bénéficier d'une peine d'emprisonnement assortie du sursis simple dans les conditions prévues par les articles 132-29 à 132-34 de ce même Code ; que la nature des faits, la nécessité de réparer le grand nombre des préjudices occasionnés, la personnalité de leur auteur justifient néanmoins une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve ; que les premiers juges, en prononçant à l'encontre du prévenu une peine de dix-huit mois assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant une durée de trois ans, tendant principalement à l'indemnisation des parties civiles déclarées recevables, ont fait à son encontre une exacte appréciation de la sanction susceptible de lui être infligée ; que cette décision sera confirmée ; qu'elle sera cependant réformée en ce que cette mesure de mise à l'épreuve a également imposé au prévenu de ne pas se livrer à l'activité professionnelle ayant servi à commettre l'infraction ; qu'il n'y a pas lieu, la réparation des dommages devant être privilégiée, de prononcer une peine d'amende ; que le jugement sera réformée à cet égard ; qu'il convient en revanche à l'égard de la société X, de prononcer une peine d'amende de 20 000 euros ; que le jugement sera confirmé sur la mesure de publication dans le Monde et Télé 7 jours ; que cette mesure dont le coût ne devra pas excéder 3 000 euros à la charge des condamnés comportera les libellés succincts des infractions et les sanctions de la cour ;

"alors que l'article L. 121-1 du Code de la consommation devenu L. 121-2 de ce même Code depuis l'ordonnance du 14 mars 2016, tel qu'interprété par la Cour de cassation, est contraire aux principes de légalité des délits et des peines et à la présomption d'innocence et aux droits de la défense résultant des articles 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il érige l'infraction en délit non intentionnel et établit la culpabilité sur la seule imputabilité matérielle des actes ; que l'annulation de cette disposition par le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité en application de l'article 61-1 de la Constitution, privera de base légale l'arrêt attaqué ; qu'il le sera également à l'égard de la société X, pour laquelle les faits ont été commis" ;

Attendu que, par arrêt en date du 11 juillet 2018, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ; d'où il suit que le moyen est devenu sans objet ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 121-2 et 121-3 du Code pénal, L. 121-1, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation (devenus L. 121-2 et L. 132-2 du Code de la consommation depuis l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016), préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y et la société X coupables de pratiques commerciales trompeuses, a condamné M. Y à la peine d'emprisonnement de dix-huit mois avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans avec obligation de rembourser les victimes, à la publication de la décision, et la société X à une peine d'amende de 20 000 euros, et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que l'infraction reprochée à M. Y est suffisamment caractérisée ; que le nombre des litiges, s'il apparaît minime au regard du volume global des commandes est très élevé ; que le prévenu n'a pas nié la réalité et le bien fondé des requêtes des clients ; qu'il a commis des négligences manifestes de gestion ; qu'il n'a pas proportionné le nombre de ses salariés à l'importance des litiges ; qu'il n'a pas informé sa clientèle des difficultés rencontrées, notamment à partir de septembre 2011 ; qu'il n'a pas contesté qu'il aurait dû le faire ; que les remboursements et les régularisations, lorsqu'ils sont intervenus, ont été tardifs, alors même que les règlements étaient immédiatement encaissés ; qu'il n'a pas corrigé totalement, comme il aurait dû le faire, les irrégularités relevées par l'Administration quant à ses lignes téléphoniques ; que les litiges, au nombre de 1630, sont intervenus alors que la situation financière de son entreprise était satisfaisante, que son chiffre d'affaire avait progressé de 40 % entre 2011 et 2012, et que cette tendance à la hausse s'était confirmée au début de l'année suivante ; que ces négligences de gestion, qui ont d'ailleurs été relevées par la comptable de l'entreprise Mme Z, constituent, émanant d'un professionnel, l'élément intentionnel de l'infraction ; que le jugement sera confirmé sur la culpabilité ; qu'il le sera également à l'égard de la société X, pour laquelle les faits ont été commis ;

"1) alors que l'article L. 121-1 I réprime la pratique commerciale trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un des éléments limitativement énumérés ; que doit être caractérisé le caractère faux d'une mention expressément portée sur le moyen de communication utilisé ; qu'en énonçant, pour entrer en voie de condamnation, que les prévenus ont commis des " négligences de gestion ", la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants ;

"2) alors que les énonciations selon lesquelles le nombre des litiges est élevé et sont intervenus alors que la situation financière de la société était satisfaisante, ne permettent pas davantage de caractériser des éléments constitutifs d'une pratique commerciale trompeuse ;

"3) alors que la seule imputabilité matérielle et la présomption de culpabilité qui en découle méconnaît les droits de la défense et le droit à un procès équitable ; que l'article 121-3 du Code pénal impose que les délits ne peuvent être réprimés que s'il est établi un élément intentionnel ; que le délit de pratique commerciale trompeuse impose l'intention de tromper le cocontractant ; qu'en déduisant l'infraction en raison de la commission par les prévenus de " négligences ", la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les dispositions susvisées" ;

Attendu que, pour confirmer le jugement déclarant M. Y et la société X coupables de pratiques commerciales trompeuses, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'il ressort du procès-verbal de constat de la direction départementale de la protection des populations que, contrairement aux annonces de la société, les clients n'étaient ni livrés, ni remboursés dans les délais mentionnés et que, de plus, elle ne répondait ni au téléphone, ni aux mails, ni aux courriers ; que les juges énoncent que le prévenu n'a pas nié la réalité et le bien fondé des plaintes des clients ; que les juges ajoutent que les litiges, au nombre de 1 630, sont intervenus, alors que la situation financière de l'entreprise était satisfaisante avec un chiffre d'affaires en progression de 40 % entre 2011 et 2012, tendance à la hausse confirmée au début de l'année suivante ; que la cour d'appel retient que l'annonce par la société de délais très courts de livraison et de remboursement était la base de son fonctionnement commercial et que le prévenu, averti des difficultés de ces pratiques commerciales, a laissé perdurer la situation et n'a même pas cherché à y remédier, notamment quant aux irrégularités relevées par l'Administration quant à ses lignes téléphoniques ; que la cour d'appel en conclut que c'est tout à fait intentionnellement, s'agissant d'un professionnel, que ces pratiques commerciales trompeuses ont été mises en place et ont perduré ;

Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de pratiques commerciales trompeuses, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 112-2, 121-2, 121-3, 130-1, 131-38, 132-1 et 132-20 du Code pénal, L. 121-1, L. 121-4, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation (devenus L. 121-2 et L. 132-2 du Code de la consommation depuis l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016), 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y et la société X coupables de pratiques commerciales trompeuses, a condamné M. Y à la peine d'emprisonnement de dix-huit mois avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans avec obligation de rembourser les victimes, à la publication de la décision, et la société X à une peine d'amende de 20 000 euros, et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que sur la sanction, M. Y n'a pas été condamné au cours des cinq années précédant les faits pour un crime ou un délit de droit commun aux peines prévues par les articles 132-30, 132-31 et 132-33 du Code pénal ; qu'il peut bénéficier d'une peine d'emprisonnement assortie du sursis simple dans les conditions prévues par les articles 132-29 à 132-34 de ce même Code ; que la nature des faits, la nécessité de réparer le grand nombre des préjudices occasionnés, la personnalité de leur auteur justifient néanmoins une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve ; que les premiers juges, en prononçant à l'encontre du prévenu une peine de dix-huit mois assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant une durée de trois ans, tendant principalement à l'indemnisation des parties civiles déclarées recevables, ont fait à son encontre une exacte appréciation de la sanction susceptible de lui être infligée ; que cette décision sera confirmée ; qu'elle sera cependant réformée en ce que cette mesure de mise à l'épreuve a également imposé au prévenu de ne pas se livrer à l'activité professionnelle ayant servi à commettre l'infraction ; qu'il n'y a pas lieu, la réparation des dommages devant être privilégiée, de prononcer une peine d'amende ; que le jugement sera réformée à cet égard ; qu'il convient en revanche à l'égard de la société X, de prononcer une peine d'amende de 20 000 euros ; que le jugement sera confirmé sur la mesure de publication dans Le Monde et Télé 7 jours ; que cette mesure dont le coût ne devra pas excéder 3 000 euros à la charge des condamnés comportera les libellés succincts des infractions et les sanctions de la cour ;

"1) alors que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; que le tribunal a prononcé la peine complémentaire de publication à l'encontre de la seule société X ; que la cour d'appel a dans son dispositif, " confirmé le jugement " sur la peine de publication prononcée " à l'égard de M. Y " ; qu'elle a également énoncé dans ses motifs, que la mesure de publication sera confirmée et que le coût sera mis " à la charge des condamnés " ; qu'en l'état de ses énonciations contradictoires, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

"2) alors que de même la cour d'appel ne peut sans se contredire, énoncer qu'il n'y a pas lieu, la réparation des dommages devant être privilégiée, de prononcer une peine d'amende " tout en énonçant qu'il convient en revanche, à l'égard de la société X, de prononcer une peine d'amende ;

"3) alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu'une peine d'amende doit en outre être motivée en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; que cette motivation doit tenir compte des éléments concrets et de la situation précise de chacun des prévenus et ne peut résulter d'une motivation générale ; qu'en prononçant la peine d'amende à l'encontre de la société sans aucune référence à sa situation particulière et concrète ni à ses ressources et ses charges, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées" ;

Attendu que la cour d'appel, qui a fait ressortir la situation financière satisfaisante et le chiffre d'affaires en hausse de la société X pour diminuer le montant de la peine d'amende prononcée à son encontre en première instance et pour la réduire à 20 000 euros et qui a entendu, nonobstant une erreur matérielle, prononcer une mesure de publication à l'encontre des deux prévenus, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.