CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 février 2019, n° 17-14911
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lidl (SNC)
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS), CSF (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Toreau, Clément, Guerre, de Lammerville
Faits et procédure
La société Lidl est une enseigne de la grande distribution à prédominance alimentaire qui exploite sur tout le territoire français une chaîne d'environ 1 500 supermarchés.
Les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF (ci-après les sociétés Carrefour) font partie du groupe Carrefour qui exerce une activité de commerce de grande distribution en France et à l'étranger, au travers de magasins de différents formats (hypermarchés, supermarchés, ...) exploités sous différentes enseignes (Carrefour, Market, Contact, City, Express...). La société Carrefour Hypermarchés est spécialisée dans les hypermarchés sous enseigne " Carrefour ", et la société CSF exploite en majorité des supermarchés sous enseigne " Market ".
En février 2016, la société Lidl contrôlait 5,2 % du marché de la grande distribution de produits alimentaires et de grande consommation et contrôle aujourd'hui 5,4 % du marché.
Parallèlement, en février 2016, le groupe Carrefour contrôlait 20,8 % du marché, à travers deux entités :
- la société Carrefour Hypermarchés avec 10,6 % du marché,
- la société CSF avec 10,2 % du marché,
Enfin, le groupe ITM contrôlait de son côté 13,3 % du marché.
Estimant contraires à l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 prohibant les publicités télévisuelles pour des ventes promotionnelles et constitutives de concurrence déloyale les publicités télévisées effectuées par la société Lidl de septembre à novembre 2015, les sociétés Carrefour ont requis, début décembre 2015, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, la désignation de plusieurs huissiers aux fins de se rendre dans des magasins Lidl pour vérifier la présence des produits objets des publicités télévisées et de prendre copie de l'état des stocks.
Le 8 décembre 2015, sur la base des ordonnances rendues par ces juridictions, des constats ont été réalisés dans 22 magasins Lidl répartis dans toute la France :
- PV de constat réalisé le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl du Calvados (pièce n° 14 de Carrefour) ;
- PV de constat réalisé le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl de l'Essonne (pièce n° 15) ;
- PV de constat réalisés le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl du Rhône (pièce n° 16) ;
- PV de constat réalisés le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl de Toulouse (pièce n° 17) ;
- PV de constat réalisé le 8 décembre 2015 dans les magasins Lidl du Nord et avenant du 20 janvier 2016 (pièce n° 18).
Au vu des constats, les sociétés Carrefour prétendent que, très rapidement après le début annoncé de la mise en rayon des produits ayant fait l'objet des publicités télévisées litigieuses, la quasi totalité d'entre eux était indisponible dans les rayons des magasins Lidl.
Ces opérations de " ventes éphémères " constituent, selon les sociétés Carrefour, des opérations promotionnelles qui, d'une part, ne peuvent donner lieu à une publicité télévisée conformément à la réglementation en vigueur et, d'autre part, sont constitutives de pratiques commerciales déloyales.
C'est dans ce contexte que, le 23 mars 2016, après avoir été autorisées par le président du tribunal de commerce d'Evry par ordonnance du 22 mars 2016, et considérant d'une part que la société Lidl ne respectait pas la réglementation en vigueur concernant la publicité à la télévision et d'autre part qu'elle usait de pratiques commerciales trompeuses, les sociétés Carrefour ont assigné à bref délai la société Lidl devant le tribunal de commerce d'Evry, aux fins d'obtenir la suspension de la diffusion de publicités télévisées en violation de la réglementation applicable ainsi que la réparation du préjudice subi.
La société Lidl ayant soulevé trois exceptions, à savoir la nullité de l'assignation, la nullité de la signification et l'incompétence territoriale, le tribunal a rendu un jugement le 20 avril 2016, se déclarant en particulier compétent pour connaître de l'affaire, instance enrôlée sous le numéro 2016F2l2.
La société Lidl a formé contredit le 3 mai 2016 et par un arrêt du 20 octobre 2016, la cour d'appel de Paris l'a rejeté, le disant recevable mais mal fondé, confirmant la compétence du tribunal de commerce d'Evry ; l'affaire est revenue le 15 novembre 2016 au rôle du tribunal de commerce d'Evry.
Parallèlement, le 19 mai 2016, le président du tribunal de commerce d'Evry a autorisé Carrefour à assigner Lidl en référé d'heure à heure pour l'audience du 1er juin 2016 en vue d'obtenir la suspension des publicités illicites.
Par ordonnance de référé du 8 juin 2016, le Président du tribunal de commerce d'Evry a considéré que les opérations commerciales prétendument " éphémères " réalisées par Lidl créeraient chez le consommateur un sentiment " d'urgence à acheter " et seraient donc des opérations de promotion commerciale dont la publicité télévisée est interdite par les textes applicables en la matière.
Ces pratiques commerciales étant constitutives d'un trouble manifestement illicite, le Président a ordonné à Lidl de suspendre la diffusion de " spots télévisés pour les produits qui ne sont pas mis en vente pendant toute la période de référence ", cette mise en vente résultant " de la mise à disposition de la clientèle, en magasin, des produits objets de la publicité, pendant toute la période de référence de 15 semaines " (la " Période de référence ").
Afin de permettre aux sociétés Carrefour de s'assurer du bon respect de cette mesure d'interdiction, le président a octroyé aux sociétés Carrefour la possibilité de désigner tout huissier aux fins de " vérifier la présence, dans les rayons et dans les réserves des magasins Lidl, des produits faisant l'objet de messages publicitaires télévisés " et de prendre des photos des éléments en rapport avec cette mission. Le Président du tribunal de commerce d'Evry n'a pas assorti cette mesure d'une astreinte.
L'ordonnance précitée a fait l'objet d'un appel (RG n° 16/22635) qui a toutefois été retiré du rôle à la demande des parties.
Le 4 octobre 2016, la société ITM a assigné la société Lidl pour des faits de même nature, instance enrôlée sous le numéro 2016F674.
Le 25 novembre 2016, la société Lidl a, à son tour, assigné à bref délai les sociétés Carrefour pour des faits de même nature, instance enrôlée sous le numéro 20l6F834.
Par courrier du 26 janvier 2017, la société ITM a souhaité intervenir volontairement dans la présente instance. La société Lidl ayant régularisé le 22 février 2017 des conclusions d'incident notamment sur la recevabilité de la demande de la société ITM le tribunal a rejeté la demande de la société ITM pour cause de litispendance, par jugement du 22 février 2017.
Par jugement du 5 juillet 2017, le tribunal de commerce d'Evry a :
- déclaré irrecevable la demande de nullité de l'assignation formée par la société Lidl,
- débouté la société Lidl de sa demande de sursis à statuer,
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Lidl quant à l'intérêt à agir né et actuel,
- écarté les procès-verbaux rédigés par la SCP Delval Masuyer concernant le site de Waziers et par Maître Laurent Thouard concernant les sites de Lyon et Villefranche sur Saône,
- débouté la société Lidl de sa demande d'écart des autres éléments contenus dans les pièces n° 35, 39, 40 et 51 versées par la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF,
- débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de leur demande de jonction des instances 2016F212 et 2016F834,
- dit que la société Lidl s'est rendue coupable de concurrence déloyale,
- ordonné à la société Lidl de cesser dans les 24 h du prononcé du présent jugement, toute diffusion de publicité télévisée pour des produits dont elle ne dispose pas de stocks en vente dans les magasins concernés, soit dans les rayons, soit dans une réserve du magasin, ceci pendant 15 semaines suivant la diffusion de la publicité,
- autorisé les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à désigner, pendant 6 mois à compter de la date de prononcé du présent jugement, à leurs frais tout huissier aux fins de :
* se rendre dans l'ensemble des magasins Lidl situés sur le territoire français,
* vérifier la présence dans les rayons et dans les stocks des magasins des produits ayant fait l'objet de messages publicitaires à la télévision,
* prendre des photos et/ou des copies sur support papier ou informatique des éléments en rapport avec la mission confiée,
- condamné la société Lidl à diffuser à ses frais le dispositif du présent jugement, accessible en un seul clic sur un lien de taille minimum 100 X 20 pixels figurant sur la page d'accueil du site www.Lidl.fr, dans le délai de deux mois à compter de la signification dudit jugement et pendant une durée d'un mois,
- autorisé les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à désigner à leurs frais tout huissier de leur choix aux fins de contrôler la diffusion ordonnée ci-dessus,
- condamné la société Lidl à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 4.960.800 euros à titre de dommages intérêts pour concurrence déloyale,
- condamné la société Lidl à payer à la société CSF la somme de 4 773 600 euros à titre de dommages intérêts pour concurrence déloyale,
- condamné la société Lidl à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour usage de moyens dilatoires,
- condamné la société Lidl à payer à la société CSF la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour usage de moyens dilatoires,
- condamné la société Lidl à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 132.582 euros par parties égales sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné la société Lidl aux dépens de l'instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 514,80 euros TTC.
Par déclaration du 21 juillet 2017, la société Lidl a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce d'Evry du 20 mars 2017.
La procédure devant la cour a été clôturée le 4 décembre 2018.
Vu les dernières conclusions de la société Lidl, appelante, déposées et notifiées le 26 novembre 2018 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 12 et 502 du Code de procédure civile, du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 tel que modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003, de la note de l'ARPP prise en application, de la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, du TFUE, des articles L. 121-4, 5° et L. 121-2, 2° nouveaux du Code de la consommation et 1240 du Code civil, de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Lidl,
- déclarer mal fondé l'appel incident formé par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF,
à titre principal,
- dire que le tribunal, en tranchant le litige sur le fondement de " Règles de comportement " qu'il a établies à partir de textes aux régimes juridiques et sanctions différents, a violé l'article 12 du Code de procédure civile,
- dire qu'aucune pratique commerciale trompeuse ne saurait être caractérisée que ce soit sur le fondement des dispositions de l'article L. 121-4, 5° du Code de la consommation ou sur celui des dispositions de l'article L. 121-2, 2° du même Code, en l'absence de démonstration de l'altération ou de la possible altération du comportement économique du consommateur du fait de la pratique litigieuse,
- dire qu'aucune faute ne saurait être caractérisée sur le fondement de la concurrence déloyale,
à titre subsidiaire,
- poser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice :
" Les articles 3 paragraphe 1, et 5 paragraphe 5 de la directive PCD (ou d'autres dispositions de cette directive) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale aux termes de laquelle la diffusion d'opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution est interdite de manière générale, sans obligation de vérifier au cas par cas le caractère trompeur, agressif ou déloyal d'une telle pratique commerciale ? ",
en tout état de cause :
- dire que le tribunal n'a pas caractérisé le préjudice prétendument subi par les sociétés Carrefour et CSF et l'éventuel lien de causalité avec la faute alléguée,
en conséquence :
- recevoir la société Lidl en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* écarté des débats les procès-verbaux rédigés par la SCP Delval Masuyer concernant le site de Waziers et par Maitre Laurent Thouard concernant les sites de Lyon et Villefranche sur Saône,
* écarté des débats les relevés effectués par les propres employés de Carrefour et le rapport de visites effectuées en février 2017 par la société Mobeye,
- infirmer ledit jugement en ce que :
* il a débouté Lidl de sa demande d'écart de l'ensemble des procès-verbaux des 9 octobre et 10 novembre 2016, soit les pièces adverses n° 35, 39, 40, 51,
* il a déclaré que Lidl a commis des actes de concurrence déloyale, l'a condamnée à ce titre à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 4 960 800 euros et à la société CSF la somme de 4 773 600 euros,
* il a ordonné à Lidl de cesser, dans les 24 heures du prononcé du jugement, toute diffusion de publicité télévisée pour des produits dont elle ne dispose pas de stocks en vente dans les magasins concernés, soit dans les rayons, soit dans une réserve du magasin, ceci pendant quinze semaines suivant la diffusion de la publicité,
* il a autorisé les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à désigner, pendant 6 mois à compter de la date de prononcé du jugement, à leurs frais tout huissier aux fins de (i) se rendre dans l'ensemble des magasins Lidl situés sur le territoire français, (ii) vérifier la présence dans les rayons et dans les stocks des magasins des produits ayant fait l'objet de messages publicitaires à la télévision, (iii) prendre des photos et/ou des copies sur support papier ou informatique des éléments en rapport avec la mission confiée,
* il a condamné Lidl à diffuser à ses frais le dispositif du jugement, accessible en un seul clic sur un lien de taille minimum 100x20 pixels figurant sur la page d'accueil du site www.Lidl.fr, dans le délai de deux mois à compter de la signification dudit jugement et pendant une durée d'un mois,
* il a autorisé les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à désigner tout huissier de leur choix aux fins de contrôler la diffusion ordonnée ci-dessus (à leurs frais),
* il a condamné Lidl à payer à chacune des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour usage de moyens dilatoires,
* il a condamné Lidl à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 132 582 euros par parties égales sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
* il a condamné Lidl aux dépens,
- condamner les sociétés Carrefour et CSF à payer à la société Lidl la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- dire que les dépens d'appel pourront directement être distraits par la Selarl Lexavoué Paris Versailles ;
Vu les dernières conclusions des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF, intimées, déposées et notifiées le 30 novembre 2018 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003, des articles L. 121-2 et L. 121-4 du Code de la consommation, 1382 ancien du Code civil, 858 du Code de procédure civile et du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry du 5 juillet 2012 en ce qu'il :
* a débouté Lidl de sa demande tendant à voir écarté des débats l'ensemble des procès-verbaux des 3 octobre et 10 novembre 2016 (pièces communiquées sous les numéros 35, 39, 40, 51),
* n'a pas écarté des débats les relevés effectués par les salariés Carrefour et le rapport de visites effectuées en février 2017 par la société Mobeye,
* a rejeté la demande de question préjudicielle de Lidl,
* a débouté Lidl de sa demande tendant à voir déclarer le décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003 et la recommandation de l'ARPP de 2006 contraires au droit européen,
* a jugé que Lidl s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses,
* a ordonné à Lidl de cesser, " dans les 24 heures du prononcé du présent jugement, toute diffusion de publicité télévisée pour des produits dont elle ne dispose pas de stocks en vente dans les magasins concernés, soit dans les rayons, soit dans une réserve du magasin, ceci pendant 15 semaines suivant la diffusion de la publicité ",
* a autorisé les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à désigner, pendant 6 mois à compter du prononcé du jugement, tout huissier aux fins de se rendre dans les magasins et vérifier la présence en rayon ou dans les stocks des produits,
* a condamné Lidl à publier le dispositif du jugement sur son site internet pendant un mois,
* a condamné Lidl au paiement de 10 000 euros de dommages et intérêts à la société Carrefour Hypermarchés et 10 000 euros à la société CSF pour usage de moyens dilatoires,
* a condamné Lidl à verser 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et 32 582 euros au titre des frais de constats d'huissiers,
- l'infirmer en ce qu'il a :
* écarté des débats les procès-verbaux de constat dressés par la SCP Delval Masuyer dans le magasin Lidl de Waziers et par Maître Laurent Thouard dans les magasins Lidl de Lyon et Villefranche sur Saône,
* débouté les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF de leur demande tendant à voir déclarer irrecevable la demande de Lidl au titre de la prétendue contrariété du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003 et de la recommandation de l'ARPP de 2006 avec le droit européen,
* débouté les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF de leur demande tendant à ce que la mesure de suspension soit assortie d'une astreinte,
* condamné Lidl à payer la somme de 4 960 800 euros à Carrefour Hypermarchés et 4 773 600 euros à CSF à titre de dommages intérêts,
* rejeté les demandes de publications judiciaires sur les chaînes télévisées, sur la chaîne YouTube de Lidl, sur les catalogues et dans les magasins Lidl,
et, statuant à nouveau :
- juger que Lidl diffuse des publicités télévisées en violation de la réglementation en vigueur,
- juger que la diffusion des publicités télévisées par Lidl en violation de la réglementation en vigueur constitue un acte de concurrence déloyale et des pratiques commerciales trompeuses,
- juger que les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont subi un préjudice du fait des pratiques déloyales et trompeuses de Lidl,
en conséquence,
sur la prétendue contrariété du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003, et de la recommandation de l'ARPP de 2006 avec le droit européen :
- déclarer irrecevable Lidl en sa demande tendant à voir déclarer le décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003, et la recommandation de l'ARPP de 2006 contraires au droit européen,
- à titre subsidiaire, dire n'y avoir lieu à question préjudicielle,
sur les mesures sollicités par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF :
- faire injonction à la société Lidl, sous astreinte de 30 000 euros par infraction constatée, de s'abstenir de toute diffusion de publicité télévisée pour des produits pour lesquels elle ne dispose pas de stocks mis en vente suffisants pour assurer leur disponibilité en magasin pendant 15 semaines, conformément au Décret et à la recommandation de l'ARPP, étant précisé que l'infraction sera constituée par l'indisponibilité desdits produits dans les rayons des magasins et que l'indisponibilité dans chaque magasin constituera une infraction distincte,
- condamner la société Lidl à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 15,4 millions d'euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi,
- à titre principal, ordonner la diffusion, dans le cadre de spots TV autonomes, du communiqué suivant :
" A la demande des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF, par jugement du [à compléter par le tribunal], le tribunal de commerce d'Evry a condamné la société Lidl pour avoir diffusé des publicités télévisées illicites constitutives d'actes de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses. "
Cette diffusion interviendra à la diligence des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF et aux frais de Lidl, dans la limite d'un montant de 10 millions d'euros, dans les conditions suivantes :
* période de diffusion : 10 jours,
* chaînes télévisées :
M6 avec un nombre de GRP de 1250,
TF1 avec un nombre de GRP de 206,
au choix, France 2 ou W9/6TER Puissance TNT avec un nombre de GRP compris entre 210 et 244,
au choix, NRJ12, D8 ou RMC Découverte, avec un nombre de GRP compris entre 88 et 152,
* caractéristiques de la diffusion : le communiqué apparaîtra intégralement à l'écran sur un fond noir, en police blanche de taille 48 pendant 15 secondes et sera lu par une voix off sans musique de fond, 190241-4-7249- v2.1 - 99 - 36-40615264
* délai de la diffusion : le communiqué sera diffusé sur les chaînes télévisées au plus tard 60 jours suivant la signification du jugement à intervenir,
- à titre subsidiaire, ordonner, à la société Lidl de diffuser, à ses frais, dans un bandeau défilant sous les spots télévisés Lidl (ne portant pas sur une opération de promotion commerciale) le communiqué suivant :
" A la demande des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF, par jugement du [à compléter par le tribunal], le tribunal de commerce d'Evry a condamné la société Lidl pour avoir diffusé des publicités télévisées illicites constitutives d'actes de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses. "
Cette diffusion interviendra dans les conditions suivantes :
* chaînes télévisées :
M6 avec un nombre de GRP de 1250,
TF1 avec un nombre de GRP de 206,
au choix, France 2 ou W9/6TER Puissance TNT avec un nombre de GRP compris entre 210 et 244,
au choix, NRJ12, D8 ou RMC Découverte, avec un nombre de GRP compris entre 88 et 152,
* caractéristiques de la diffusion : le communiqué défilera intégralement à l'écran sur un fond noir, en police blanche de taille 30, pendant toute la durée du spot télévisé Lidl,
* modalités de la diffusion : le bandeau défilant devra être affiché sur les 732 spots télévisés Lidl diffusés à compter du 8 ème jour suivant la signification du jugement, sous astreinte de 20 000 euros par infraction constatée c'est-à-dire pour chaque spot Lidl ne comportant pas le bandeau. Ces spots télévisés seront diffusés à parts égales sur chacune des 4 chaînes visées ci-dessus.
- en tout état de cause, ordonner la diffusion du communiqué suivant :
" A la demande des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF, par jugement du [à compléter par le tribunal], le tribunal de commerce d'Evry a condamné la société Lidl pour avoir diffusé des publicités télévisées illicites constitutives d'actes de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses. " :
* sur la chaîne YouTube de Lidl :
caractéristiques de la diffusion : la diffusion sera faite sous la forme d'une vidéo de 15 secondes démarrant dès consultation de la page et ne pouvant être arrêtée,
délai de diffusion : la diffusion sera réalisée pendant une durée continue de 30 jours, à compter du 8e jour suivant la signification du jugement à intervenir, sous astreinte définitive de 30 000 euros par jour de retard.
Cette diffusion sera contrôlée par tout huissier au choix des sociétés Carrefour et aux frais de Lidl,
* sur la page de couverture de quatre catalogues Lidl dont la diffusion interviendra dans les mêmes conditions que les autres catalogues diffusés par Lidl c'est-à-dire en magasin, sur le site Internet Lidl.fr et, le cas échéant, par envoi postal et distribution en boîte aux lettres.
La diffusion interviendra dans quatre catalogues hebdomadaires consécutifs ; la première publication interviendra au plus tard deux mois après la signification du jugement à intervenir, sous astreinte définitive de 30 000 euros par jour de retard.
Cette diffusion sera contrôlée par tout huissier au choix des sociétés Carrefour et aux frais de Lidl,
* à l'entrée de l'ensemble des magasins Lidl, sur une affiche de format A3 dans des conditions qui assurent sa visibilité de la part des clients entrant dans le magasin,
Cette diffusion devra intervenir pendant 1 mois à compter du 8e jour suivant la signification du jugement à intervenir, sous astreinte définitive de 10 000 euros par infraction constatée, étant précisé que l'absence d'affichage dans chaque magasin constituera une infraction distincte,
Cette diffusion sera contrôlée par tout huissier au choix des sociétés Carrefour et aux frais de Lidl,
en tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de Lidl,
- se réserver la faculté de liquider les astreintes,
- condamner la société Lidl à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile concernant l'appel,
- condamner la société Lidl aux entiers dépens d'appel ;
SUR CE, LA COUR,
Sur les demandes relatives aux procès-verbaux d'huissier produits par la société Carrefour
Sollicitant la confirmation du jugement, la société Lidl demande que soit prononcée la nullité de plusieurs procès-verbaux, réalisés par les sociétés Carrefour dans le cadre de l'ordonnance de référé du 8 juin 2016, afin de vérifier la présence, dans les rayons et dans les réserves des magasins Lidl, des produits faisant l'objet de messages publicitaires télévisés.
Elle invoque des anomalies spécifiques entachant de nullité les procès-verbaux de constat rédigés par la SCP Delval Masuyer concernant le site de Waziers et par Maître Laurent Thouard concernant les sites de Lyon et Villefranche sur Saône, à savoir :
- la violation des principes de loyauté et du contradictoire, Me Pascal Masuyer s'étant rendu dans le magasin Lidl de Waziers, dont il a examiné les rayons sans jamais se présenter auprès du personnel, sans décliner son identité, présenter l'ordonnance et faire part de sa mission,
- la violation du principe d'indépendance statutaire des huissiers de justice, Maître Laurent Thouard ayant soumis pour validation à Carrefour son projet de procès-verbal, pour le faire agréer par son commettant, invoquant à ce titre un arrêt de la 1re chambre civile du 1er juin 2016 (Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-11.417).
En revanche, sollicitant l'infirmation du jugement, la société Lidl demande à ce que les pièces 35 (PV du 3 octobre 2016), 39 (PV du 10 novembre 2016), 40 (PV du 10 novembre 2016) et 51 (PV du 9 novembre 2016) produites par la société Carrefour soient écartées des débats. Elle soutient que les huissiers, ayant procédé aux constats dans le cadre de l'ordonnance de référé du 8 juin 2016, ont violé l'article 502 du Code de procédure civile disposant que " Nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n'en dispose autrement " ; en effet, elle expose que les huissiers ont procédé aux constats en n'étant porteurs que d'une copie de l'ordonnance de référé et non d'une expédition revêtue de la formule exécutoire ; d'ailleurs, elle rappelle que les procès-verbaux des 9 octobre et 10 novembre 2016 (établis sur la base de l'ordonnance précitée) ont été considérés comme nuls par le JEX près le tribunal d'instance de Strasbourg dans sa décision du 17 janvier 2018 alors qu'il était saisi d'une demande de nullité de l'ensemble de ces documents et de paiement de dommages et intérêts.
Les sociétés Carrefour répondent que :
- la procédure d'appel/d'interprétation de l'ordonnance de référé est désormais dénuée d'objet dans la mesure où une décision au fond a été rendue le 5 juillet dernier (Lidl n'a d'ailleurs pas demandé la réinscription de l'affaire au rôle de la cour),
- le jugement du juge de l'exécution de Strasbourg a été infirmé par la cour d'appel de Colmar, celle-ci l'estimant effectivement incompétent, alors qu'aucune instance n'a été réintroduite par Lidl devant le juge compétent pour connaître de la nullité desdits constats.
De plus, concernant le procès-verbal dressé par la SCP Delval Masuyer dans le magasin de Waziers, elles soutiennent que l'huissier n'a pas décliné sa qualité à son arrivée dans le magasin Lidl de Waziers car, comme le précise l'huissier dans l'acte, une fois à l'intérieur du magasin, l'huissier a constaté la présence des produits en rayon. Il n'a donc pas eu besoin de solliciter un employé pour se rendre dans les réserves du magasin.
Enfin, concernant le procès-verbal dressé par Maître Laurent Thouard dans les magasins de Lyon et Villefranche sur Saône, elles soutiennent que la version communiquée portant la mention " projet " n'est que la version électronique du constat, l'huissier n'ayant apposé sa signature que sur la version papier du constat, adressée par la poste, et que ceci ne préjuge en rien un défaut d'impartialité et d'indépendance.
Il résulte du jugement rendu le 17 janvier 2018 par le juge de l'exécution de Strasbourg, infirmé sur la question de la compétence par la cour d'appel de Colmar, que le constat du 3 octobre 2016 (pièce 35 de Carrefour) et les deux réalisés le 10 novembre 2016 (pièces 39 et 40) ont été effectués sur la présentation d'une expédition exécutoire d'une ordonnance de référé du 8 juin 2016. Le jugement fait état de la circonstance que deux constats ne peuvent avoir été valablement réalisés au même moment, le 10 novembre 2016 à 9 heures, l'huissier ne disposant que d'une expédition exécutoire en l'espèce et la présentation d'une tel document étant nécessaire pour obtenir une exécution forcée conformément à l'article 502 du Code de procédure civile. Il a donc ordonné la réouverture des débats pour savoir quel huissier était, le 10 novembre 2016, détenteur de ce document, l'autre ne pouvant être que le détenteur d'une copie non revêtue de cette formule et donc dépourvue de force exécutoire.
Mais la société Lidl, sur laquelle pèse la charge de la preuve, n'ayant pas versé aux débats l'ordonnance du 8 juin 2016, la cour ne peut vérifier qu'une seule expédition aurait été délivrée à la société Carrefour, de sorte que ce moyen sera rejeté et les pièces 35, 39, 40 et 51 maintenues aux débats.
S'agissant du procès-verbal dressé par la SCP Delval Masuyer dans le magasin de Waziers, si l'huissier n'a pas décliné sa qualité à son arrivée dans le magasin Lidl de Waziers, la société Carrefour souligne à bon droit que l'huissier a constaté la présence des produits en rayon en magasin, dans un lieu ouvert au public, de sorte qu'il n'a pas eu à décliner son identité et solliciter un employé pour se rendre dans les réserves du magasin.
Enfin, concernant le procès-verbal dressé par Maître Laurent Thouard dans les magasins de Lyon et Villefranche sur Saône, la société Carrefour justifie par la production des deux versions totalement identiques (version papier et version email ; pièces 67-1 et 67-2) que la version communiquée portant la mention " projet " n'est que la version électronique du constat et n'est pas signée et que l'huissier n'a apposé sa signature que sur la version papier du constat, adressée par la poste ; aucune modification n'a été apportée à la version électronique, de sorte qu'aucun défaut d'impartialité et d'indépendance ne peut être imputé à l'huissier instrumentaire.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a écarté ces deux pièces et confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à obtenir le rejet des constats des 3 et 10 novembre 2016.
Sur la concurrence déloyale
La société Carrefour prétend que les publicités télévisées effectuées par Lidl, constatées par voie d'huissier, sont des publicités illicites, contraires à l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, ainsi qu'aux articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la consommation.
L'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 dispose : " Est interdite la publicité concernant, d'une part, les produits dont la publicité télévisée fait l'objet d'une interdiction législative et, d'autre part, les produits et secteurs économiques suivants : (...) distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national (...). Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d'événements qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts " (la cour souligne).
Cet article prohibe les opérations commerciales de promotion télévisuelle dans le secteur de la distribution.
L'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a édicté en juin 2006 une note de doctrine explicitant cet article (pièce 5 de la société Lidl). Il y est notamment précisé que : " Pour pouvoir communiquer en publicité télévisée sur le prix des produits et services, le distributeur doit déclarer au BVP que le prix pratiqué et la disponibilité du produit (stock) ne sont pas promotionnels, à savoir que le prix est normal, stable, qu'il s'inscrit, avec la disponibilité du produit ou du service correspondant, dans la durée. Ainsi pourra constituer une période de référence, une durée de 15 semaines de maintien du prix annoncé et des stocks disponibles. Toutefois, cette durée pourra être appréciée après examen par le BVP en tenant compte de la nature des produits ou services " (la cour souligne).
Sur le non-respect du délai de 15 jours édicté par le Code de l'ARPP
La société Lidl soutient en premier lieu qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait être fondée sur le non-respect du délai de 15 semaines édicté par l'ARPP en l'absence de force contraignante des avis de l'ARPP.
Les sociétés intimées soulèvent l'irrecevabilité des demandes de Lidl tendant à voir infirmer le jugement en ce qu'il s'est fondé sur les recommandations de l'ARPP de 2006 et 2008. Elles soutiennent, à ce titre, que la société Lidl a manqué au principe de loyauté, principe procédural essentiel, qui se concrétise par l'application de l'adage selon lequel " nul ne peut se contredire au détriment d'autrui " car ce n'est qu'en appel que la société Lidl a invoqué pour la première fois que le délai de 15 semaines de l'ARPP n'aurait aucun caractère contraignant alors que dans ses assignations contre les sociétés Carrefour du 25 novembre 2016 et du 19 juin 2017, elle fondait ses demandes sur le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié par le décret du 7 octobre 2003 et sur la note de l'ARPP, en prétendant avoir respecté le délai de 15 semaines.
Mais, la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
En l'espèce, la circonstance que la société Lidl ait assigné Carrefour sur le même fondement que celui qu'elle conteste aujourd'hui dans la présente instance (normes ARPP) est sans effet, s'agissant d'instances distinctes.
Cette fin de non-recevoir sera donc rejetée.
Il y a lieu au demeurant de relever que l'action de la société Carrefour n'est pas fondée sur les règles de l'ARPP, mais sur celles du décret de 1992, les normes édictées par l'ARPP n'ayant aucune force contraignante, mais donnant un aperçu des usages en la matière.
Sur l'application de la directive PCD
La société Lidl prétend qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait être fondée sur le non-respect de l'article 8 dudit décret, du fait de sa non-conformité à la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales (ou " directive PCD ").
Les sociétés intimées soulèvent l'irrecevabilité de la demande formulée à titre principal par Lidl tendant à voir rejeter les demandes des sociétés Carrefour au motif que le décret et la recommandation de l'ARPP de 2006 seraient contraires au droit européen, et de la demande formulée à titre subsidiaire par la société Lidl portant sur la question préjudicielle à la Cour de justice. Elles soutiennent, à ce titre, que la société Lidl a violé le principe selon lequel " nul ne peut se contredire au détriment d'autrui " car jusqu'au 22 mars 2017, Lidl a toujours soutenu que le décret (et les recommandations de l'ARPP) était applicable au litige et reconnu qu'il s'imposait à l'ensemble des acteurs de la distribution, que ce soit dans le cadre de la procédure en référé, ses conclusions au fond du 18 janvier 2017, dans son assignation du 25 novembre 2016 et celle du 19 juin 2017.
La société Lidl réplique qu'elle ne se contredit pas au détriment d'autrui mais ne fait que tirer les conséquences de ce que soutenait Carrefour dans ses écritures de première instance (selon lesquelles le décret de 1992 tend à encadrer " les ventes éphémères " préjudiciables pour le consommateur) et que le fait que Lidl oppose dans le cadre de la présente procédure la non-conformité de l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 au droit européen ne saurait caractériser un comportement contraire au comportement qu'elle a adopté jusqu'alors.
Sur la recevabilité de la demande
La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
En l'espèce, la circonstance que la société Lidl ait soutenu dans d'autres instances que le décret (et les recommandations de l'ARPP) était applicable au litige et reconnu qu'il s'imposait à l'ensemble des acteurs de la distribution, est sans effet dans le présent litige, s'agissant d'instances distinctes.
Cette fin de non-recevoir sera donc rejetée.
Sur l'application de la directive à l'article 8 du décret et la demande tendant à le voir écarter
A titre principal, la société Lidl soutient que la directive s'applique à l'ensemble des pratiques commerciales déloyales car celle-ci a un champ d'application matériel particulièrement large, s'étendant à toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs (arrêt CJUE Mediaprint Zei tungs- und Zeitschriftenverlag, C-540/08, EU:C:2010:660, point 21).
De plus, elle allègue que, si les dispositions spécifiques des directives particulières à un domaine priment, en revanche, à défaut de règles spécifiques, la directive générale de 2005 retrouve son empire dès lors que ses conditions d'application sont réunies (CJUE, 16 juillet 2015, aff. jtes. C-544/13 et C-545/13, Abcur AB c/ Apoteket Farmaci AB). Or, selon elle, en l'espèce, si la publicité télévisée en général est encadrée au niveau européen par la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 (et codifiée par la directive 2010/13/UE dite " directive SMA "), cette directive ne prévoit pas l'interdiction des opérations commerciales de promotion à la télévision pour le secteur de la distribution ; ainsi, la directive PCD retrouve donc son empire car la publicité à la télévision pour des opérations commerciales de promotion constitue une pratique commerciale devant être appréhendée sous l'angle de cette directive.
Enfin, elle soutient que l'objectif de défense des consommateurs du texte français, dont l'existence est nécessaire pour apprécier sa compatibilité au regard de la directive PCD, est établi en l'espèce, nonobstant le fait que le texte du décret ait pu poursuivre d'autres objectifs tels que la sauvegarde du pluralisme des médias. En effet, elle considère que le texte français, en ce qu'il impacte la publicité aux consommateurs de manière directe, porte nécessairement et substantiellement atteinte à leurs intérêts économiques car la réglementation française leur interdit un accès à des publicités sur des opérations promotionnelles du secteur de la distribution qui pourraient leur permettre de réaliser des économies. L'article 6 du décret français dispose d'ailleurs que " La publicité doit être conçue dans le respect des intérêts des consommateurs ".
La société Lidl invoque que la directive PCD étant fondée sur le principe de l'harmonisation complète, la législation nationale ne peut prévoir de dispositions plus strictes que celles prévues par ladite directive. A cet égard, elle invoque la jurisprudence de la Cour de jusice qui a rappelé que les critères permettant de déterminer les circonstances dans lesquelles une pratique commerciale doit être considérée comme déloyale, et partant, interdite, sont énumérés par l'article 5 de ladite directive ; et en outre, l'annexe 1 de la directive établit une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui sont réputées " déloyales en toutes circonstances ".
Or, selon elle, les opérations commerciales de promotion ne font pas partie de la liste " noire " de l'annexe I et donc ne peuvent être interdites qu'au cas par cas en fonction de leur caractère déloyal.
Ainsi, elle conclut que l'article 8 du décret de 1992 prévoyant dans tous les cas une interdiction générale et préventive de la publicité télévisuelle pour des opérations commerciales de promotion réalisées par les distributeurs est contraire à la directive PCD et doit donc être écarté en l'espèce.
A titre subsidiaire, si la cour doutait de la non-conformité de la réglementation française au droit européen, la société Lidl lui demande, sur le fondement de l'article 267, alinéa 2 du TFUE, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle sur la conformité au droit de l'Union européenne, et notamment à la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, de l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 tel que modifié par le décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003 et de la note de l'ARPP. Elle soutient à cet égard que les conditions de renvoi sont remplies en l'espèce.
Les sociétés Carrefour soutiennent qu'il n'y a pas de contrariété entre le décret et le droit européen (la directive PCD). Elle invoque, à ce titre, l'article 3 de la directive, définissant son champ d'application et les articles 2 d) et 5 de cette directive définissant la notion de " pratique commerciale déloyale " pour soutenir que la directive PCD ne s'applique pas à l'ensemble des pratiques commerciales, mais uniquement aux pratiques commerciales déloyales. Ainsi, selon elle, le champ d'application de la directive se distingue de celui du décret car contrairement à la Directive dont l'objet est de régir les seules pratiques commerciales déloyales (en ce compris les publicités déloyales), le décret s'applique à toutes les publicités et interdit, de façon générale, la diffusion de publicités pour des opérations commerciales de promotion, que celles-ci soient déloyales ou non. Selon elle, la différence de champ d'application de ces textes se justifie par une différence d'objet : si la directive PCD tend à défendre les consommateurs de pratiques commerciales déloyales, le décret a pour objectif de préserver la pluralité des supports médiatiques ; ainsi, les intimées exposent que le décret s'appliquant à l'ensemble des publicités télévisées et non aux seules publicités déloyales, il ne saurait entrer en conflit avec la directive PCD, comme confirmé dans un arrêt de la C. du 9 novembre 2005.
Sollicitant le rejet de cette demande, les sociétés Carrefour rappellent qu'en vertu de l'alinéa 2 de l'article 267 du TFUE, les juridictions ont seulement la faculté d'effectuer ce renvoi et demeurent libres d'en apprécier l'opportunité. De plus, elle soutiennent que la règle du droit de l'UE en vertu de laquelle est estimée la conformité du texte interne doit être dans le champ du litige, ce qui n'est pas, selon elles, le cas en l'espèce, le décret et la directive n'ayant pas le même champ d'application. Enfin, elles indiquent, en tout état de cause, que cette demande n'est qu'un nouvel instrument au service de la stratégie dilatoire déployée par Lidl depuis le début de la procédure, afin de poursuivre, en toute impunité, la diffusion de publicités illicites sur les chaînes télévisées.
Il convient en premier lieu de déterminer si les pratiques interdites par l'article 8 du décret constituent des pratiques commerciales au sens de l'article 2, sous d), de la directive et si celles-ci portent atteinte, même partiellement, aux intérêts des consommateurs.
Or, le décret de 1992 vise de façon générale à régir, ainsi que son nom l'indique, les obligations des éditeurs de services de télévision en matière de publicité, de parrainage et de télé achat.
Selon le rapport au Premier Ministre (pièce J-4 des sociétés intimées), la limitation à la publicité de l'article 8 vise à sauvegarder le pluralisme des médias en évitant que la télévision ne constitue le support essentiel de publicité au détriment des autres supports : " La limitation de la publicité portant sur les promotions permettra de contribuer à la sauvegarde du pluralisme en évitant un impact non maîtrisé de l'ouverture sur les ressources globales des médias à moindre potentiel de collecte publicitaire que la télévision, comme la presse écrite régionale ou locale ou les radios locales et généralistes. Cette évolution maîtrisée permettra d'éviter des transferts brutaux de ressources de la presse et de la radio vers la télévision, contribuant à l'objectif d'intérêt général de réservation du pluralisme et de la diversité des médias (...) ".
La pratique interdite ne constitue donc pas une pratique commerciale déloyale au sens de l'article 4 de la directive. En effet, l'interdiction de ventes promotionnelles de la grande distribution sur les chaînes de télévision ne vise pas directement à protéger le consommateur, celui-ci pouvant en être informé par d'autres médias, mais à préserver l'attractivité des différents médias par rapport à la télévision, au regard de la publicité des annonceurs. Au regard de cet objectif, la publicité de la grande distribution qui constitue une source de revenus publicitaires importante ne doit pas se concentrer sur les régies publicitaires des chaînes de télévision.
La pratique n'entre donc pas dans le champ d'application de l'article 3.
Il n'y a donc pas lieu de vérifier la conformité de l'article 8 à cette directive, ni de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
Sur l'application par les premiers juges de l'article 6 § 2 b) de la directive
La société Lidl critique encore le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que l'article 8 du décret s'appliquait, au motif que la pratique sanctionnée dans cet article constituait une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article 6. 2 b) de la directive PCD, la société Lidl n'ayant pas respecté le Code de conduite de l'ARPP.
La société Lidl relève à juste titre que la directive PCD, sur laquelle se fonde le jugement, prévoit expressément dans son article 6 § 2 b) deux conditions cumulatives pour que le non-respect d'un code de conduite de nature à tromper le consommateur constitue une pratique commerciale trompeuse : a) les engagements du code de conduite sont fermes et vérifiables ; b) le professionnel doit avoir indiqué, dans le cadre d'une pratique commerciale, qu'il est lié par un code de conduite ; or, cette seconde condition n'est pas remplie en l'espèce.
Cet article n'a donc pas lieu de s'appliquer.
Sur les actes de concurrence déloyale
En tout état de cause, la société Lidl soutient qu'aucune action en concurrence déloyale ne saurait prospérer sur le fondement d'une violation des textes susvisés (que ce soit la réglementation de la publicité télévisée ou celles relatives à la publicité déloyale ou trompeuse) compte tenu de l'existence de stocks suffisants et de la disponibilité des produits, objets des publicités.
A cet égard, la société Lidl expose, en premier lieu, que l'importance du stock ou la disponibilité des produits ne saurait être appréciée magasin par magasin que ce soit sur le fondement :
- de la publicité télévisuelle : elle invoque, à ce titre, que l'ARPP n'exige pas qu'il lui soit démontré la disponibilité des produits pendant 15 semaines dans tous les magasins mais uniquement que le volume global ait été défini en cohérence avec une demande globale sur le territoire national ; la disponibilité est appréciée au regard de l'importance du stock mis en vente ; de plus, elle invoque que la note du 15 mai 2006 " Distribution et publicité télévisée ", évoque la notion de " disponibilité dans la durée ", en admettant d'ailleurs un renouvellement du stock (Points 1/3 et 1/4),
- de la prohibition des pratiques commerciales trompeuses (article L. 121-4, 5° nouveau du Code de la consommation) : elle précise en effet que la jurisprudence de la Cour de cassation admet la mobilisation des stocks entre magasins d'une même enseigne, se mettant réciproquement les produits à disposition, exigeant par ailleurs que ce stock global de produits faisant l'objet d'offres publicitaires ait non seulement une taille suffisante, mais encore que chacun de ces produits soit disponible à bref délai dans chacun des magasins concernés,
- elle indique par ailleurs que la condition relative aux stocks disponibles est commune à de nombreux textes (la réglementation des annonces de réductions de prix, la distribution sélective ou encore la réglementation des soldes) et qu'aucun de ces textes ne précise s'il faut considérer le stock disponible établissement par établissement ou de manière plus globale ; de plus, elle invoque la circulaire du 7 juillet 2009 concernant les conditions d'application de l'ancien arrêté du 31 décembre 2008 relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur selon laquelle sont considérés comme disponibles les produits stockés chez le commerçant ou ceux pour lesquels un approvisionnement rapide ou tout du moins dans les délais annoncés, est réalisable : " la disponibilité des produits s'apprécie au regard des stocks détenus par l'annonceur dans l'ensemble de ses locaux et, le cas échéant, des locaux des membres de son réseau et de sa capacité à s'assurer à bref délai la disponibilité dans chacun de ces magasins des produits faisant l'objet d'une publicité. Par conséquent, la disponibilité peut ne pas être immédiate dès lors que l'annonceur détient les produits dans des lieux et conditions permettant de les remettre à l'acheteur dans des délais adéquats eu égard à leur nature " ; elle fait également état de la jurisprudence en matière de soldes, qui considère que le stock disponible doit s'apprécier au niveau d'un groupe de sociétés ou d'un réseau de sociétés indépendantes.
En deuxième lieu, elle soutient que les stocks disponibles à la vente étaient, dans les faits, suffisants. Elle produit, à ce titre, des pièces démontrant que les 20 produits étaient disponibles en stock dans d'autres magasins Lidl ou dans les entrepôts et rappelle qu'il ne faut pas confondre ce cycle particulier de commercialisation de produits faisant l'objet de publicités TV avec le cycle normal de produits vendus par l'intermédiaire de prospectus classiques, lequel a une durée de 4 semaines. De plus, en cas d'absence dans les rayons, les produits pouvaient être acheminés sans délai de leur plateforme de stockage vers tout magasin. De plus, elle invoque que lorsqu'un produit est manquant en magasin, ce produit peut être commandé via son Service Client auquel elle prête un soin particulier puisqu'il s'agit d'un service intégré.
Par ailleurs, elle soutient que sa stratégie ne repose pas sur la pratique de " ventes éphémères " comme tente de le faire croire Carrefour et qu'ainsi, aucun caractère trompeur ne saurait être reproché aux publicités diffusées par elle. A ce titre, elle soutient que, quant bien même il serait démontré que les produits objets des publicités TV n'étaient pas disponibles en rayon pendant le délai de 15 semaines, ils l'étaient 3/4 semaines après la diffusion de la publicité télévisée, ce qui n'est pas caractéristique d'une " vente éphémère ".
En outre, elle invoque que les 11 spots portant sur 14 produits non alimentaires, diffusés par voie télévisuelle ont reçu un avis favorable de l'ARPP.
Les sociétés Carrefour soutiennent que la diffusion par Lidl de spots télévisés, en violation de la réglementation applicable, est constitutive d'un acte de concurrence déloyale.
Elles expliquent que Lidl diffuse des publicités télévisées pour des produits non alimentaires en violation de la réglementation applicable à la publicité télévisée (l'article 8 du décret) au regard de l'importance du stock mis en vente et de la limitation de l'offre commerciale dans la durée car :
- les produits objets des publicités sont indisponibles pendant la période de référence ; elle s'appuie sur des constats d'huissier pour invoquer que bien que les offres de Lidl ne soient pas présentées explicitement comme étant limitées dans le temps, de fait, en raison du très faible stock de produits mis en vente, les produits objets des publicités télévisées sont offerts au public durant une période très courte ; ainsi selon elle, la diffusion de publicités télévisées par Lidl ne constitue pas une opération qui s'inscrit dans la durée (avec des produits destinés à rester en rayon pendant une durée significative, à savoir 15 semaines selon l'ARPP), mais bien une opération commerciale de promotion au sens de l'article 8 du Décret, interdite de publicité télévisée,
- le modèle commercial de Lidl est fondé sur une offre de produits limitée dans le temps, des " ventes éphémères " ; elle expose que Lidl indique dans ses catalogues le caractère temporaire de l'offre des produits faisant pourtant l'objet d'une publicité télévisée par la mention constatée par huissier : " valable dans la limite des stocks disponibles. Modèles et coloris disponibles selon arrivage magasin ".
En réponse à la société Lidl, elles soutiennent que:
- les avis de l'ARPP n'ont aucune valeur juridique et le visionnage du spot publicitaire par l'ARPP ne crée aucune présomption de licéité quant au caractère non promotionnel de l'offre,
- la stratégie de Lidl fondée sur des cycles courts s'applique à l'ensemble de ses produits non alimentaires ; en effet, selon elle, tous les produits objets des publicités télévisées sont systématiquement repris dans les catalogues Lidl ; de plus, en se fondant sur les pièces produites par Lidl, elles invoquent qu'après une phase de déstockage/vente pendant 3/4 semaines, plus aucune vente n'est enregistrée ; or, elles rappellent que la durée limitée de l'offre en magasin est caractéristique d'une opération promotionnelle,
- Lidl ne démontre pas, contrairement à ce qu'exige le décret, que le stock dont elle disposerait est effectivement mis en vente pendant toute la période de référence ; au contraire, elles soulignent que les états de stocks produits par la société Lidl révèlent qu'au bout de 3/4 semaines, le nombre de vente est nul, ce qui démontre que le stock allégué n'a pas été " mis en vente ",
- les produits indisponibles en magasins ne peuvent pas être commandés par les clients via la centrale téléphonique, car cette possibilité de commande, hypothétique, est rarement indiquée aux clients, et, au demeurant, cette possibilité de commander, si elle était avérée, ne serait qu'un phénomène marginal ne concernant que le client le plus motivé.
Ainsi, selon les sociétés Carrefour, la violation de la réglementation applicable en matière de publicité télévisée est constitutive d'un acte de concurrence déloyale. En effet, en faisant de la publicité sur des produits au design soigné, d'un certain standing, dont les prix affichés sont très attractifs, constituant des produits d'appel, Lidl attire une nouvelle clientèle et détourne à son profit la clientèle des autres distributeurs. En s'affranchissant des contraintes légales d'ordre public relatives à la publicité télévisée, Lidl commet donc une faute délictuelle et se place dans une position indûment favorable par rapport aux autres distributeurs respectueux de la réglementation applicable, créant une distorsion de concurrence entre les acteurs du marché de la grande distribution.
Les sociétés Carrefour soutiennent qu'elles ont donc un intérêt légitime, né et actuel à agir et à obtenir réparation du préjudice causé par la violation, par l'un de leurs concurrents, d'une règle de droit.
Les opérations promotionnelles à la télévision sont interdites. Peuvent être qualifiées de promotions les opérations " éphémères ", caractérisées par une exposition à la vente en magasin courte, inférieure à 15 semaines. En effet, pour rappel, l'ARPP considère que n'est pas une opération commerciale de promotion une campagne qui s'inscrit dans la durée, c'est-à-dire dont les produits sont en magasin pendant 15 semaines.
Or, il résulte des constats d'huissier, de la politique commerciale de Lidl et des déclarations de ses salariés que les publicités litigieuses constituaient des opérations promotionnelles, interdites à la télévision.
Les constats
Il résulte des pièces du dossier que la plupart des produits ayant fait l'objet des publicités télévisuelles litigieuses de la société Lidl n'étaient pas disponibles en magasin, dans les rayons ou en stock durant la période de référence de 15 semaines, qu'aucun élément du dossier ne vient utilement contester, et, souvent même très tôt, entre 3 semaines et moins de 12 semaines.
Les procès-verbaux dressés après les visites en magasin révèlent en effet que, le 8 décembre 2015, soit entre 3 semaines et moins de 12 semaines après la diffusion de la publicité télévisée, la majorité des produits " quincaillerie/électroménager " étaient indisponibles dans tous les magasins et dans les réserves des magasins visités.
Il a ainsi été observé que 11 des 16 produits qui avaient fait l'objet d'une publicité télévisée diffusée entre 4 et 14 semaines précédant les constats étaient en rupture dans plus de 90 % des magasins Lidl (pièce n° 13 de Carrefour : dossier suivi Actes Spots TV Lidl - Résultats des contrôles S45).
Des ruptures ont été constatées dès la première semaine suivant la mise en vente des produits, le nombre de produits indisponibles augmentant ensuite rapidement de semaine en semaine (pièce n° 9 de Carrefour : contrôle de présence des produits - Relevé semaine 46).
Toutes les études réalisées sur l'ensemble du territoire national ont également démontré que les produits, objets de publicités télévisées, étaient très rapidement indisponibles à la vente dans les magasins Lidl concernés.
Postérieurement, par constats d'huissiers réalisés le 3 octobre 2016 au sein d'un échantillon de 31 magasins Lidl répartis sur l'ensemble du territoire français, il a été également établi que :
- 39 % des magasins ne proposaient en rayon aucun des produits objets des publicités diffusées,
- 29 % des magasins ne proposaient en rayon qu'un seul produit sur les six,
- au total, dans 84 % des magasins Lidl, moins de la moitié des produits précités était disponible en rayon (Pièce n° 35 : PV de constats réalisés le 3 octobre 2016 ; Pièce n° 36 : Tableau de synthèse des PV de constat du 3 octobre 2016 ).
La politique commerciale de Lidl
Lidl précise elle même dans ses catalogues que l'offre des produits, qui font pourtant l'objet d'une publicité télévisée, est " valable dans la limite des stocks disponibles. Modèles et coloris disponibles selon arrivage magasin ". Cette mention des catalogues pour des produits faisant l'objet de publicités télévisées a été constatée par huissier (pièce n° 76 de Carrefour : PV de constat de Maître Van Kemmel en date du 30 mars 2017).
Le caractère temporaire de l'offre est reconnu par les salariés de Lidl eux-mêmes
Toute la stratégie commerciale de Lidl repose, selon les salariés Lidl eux-mêmes, sur des cycles de commercialisation de courte durée, constitutifs d'opérations promotionnelles.
Cette stratégie vise à assurer une rotation rapide des produits en magasins afin de faire venir régulièrement des clients, publicité télévisée à l'appui.
Il s'agit d'une stratégie fondée sur des cycles courts, ainsi que l'a exposé un responsable de magasin à un huissier, venu constater l'absence des produits :
- " les produits "non food" sont gérés directement par sa Direction Régionale dans le cadre d'opérations commerciales sur lesquels il n'a absolument aucune prise puisqu'il ne sait jamais combien d'articles il va recevoir,
- qu'il ne gère absolument pas le stock de ces produits [...],
- qu'enfin les produits "non food" ont un cycle de 4 semaines en magasin avant retour à la Direction Régionale " (pièce n° 16 de Carrefour : PV de constat réalisés le 8 décembre 2015 dans les magasins du Rhône, voir aussi le PV de constat réalisé dans le magasin Lidl de Saint Fons, p. 17).
Sur les arguments en défense de la société Lidl
La société Lidl ne remet pas en cause les contenus des constats en eux-mêmes, mais en réfute les conclusions tirées par Carrefour.
Les avis préalables de l'ARPP
Au regard de ces constatations, la société Lidl ne peut se retrancher derrière l'avis de diffusion favorable émis par l'ARPP préalablement à la diffusion des publicités télévisées pour les produits non alimentaires, cet avis, dépourvu de force contraignante, ne pouvant exonérer l'annonceur de sa responsabilité.
Le fait que le Jury Déontologique Publicitaire ne se soit pas saisi du présent litige est également indifférent.
Sur la limitation des ventes éphémères en ventes par catalogues
Lidl soutient également que sa stratégie fondée sur des " ventes éphémères " ou des cycles de commercialisation de 4 semaines ne vaudrait pas pour les produits objets de publicités télévisées mais uniquement pour les produits vendus "en prospectus classique ".
Mais Carrefour souligne à juste titre que tous les produits objets des publicités télévisées sont systématiquement repris dans les catalogues Lidl.
Sur les analyses de stock
La société Lidl explique que la simple indisponibilité en rayon ne saurait démontrer la commission de la pratique. Il faut en effet apprécier le stock et la faculté de le mobiliser pour satisfaire la clientèle, au sein du réseau des magasins Lidl. Lidl prétend avoir fait une bonne application du décret au motif qu'elle aurait disposé, au terme de la période de référence, de " dizaine de milliers " de produits en stock démontrant la " suffisance des commandes réalisées en amont par Lidl ".
Mais, l'analyse des courbes de stocks communiquées par Lidl pour démontrer la présence constante des produits litigieux en stock durant la période de référence révèle au contraire sa stratégie commerciale de promotion fondée sur des cycles courts.
En effet, ces graphiques (pièce Lidl n° 6) démontrent qu'après une phase de déstockage/vente pendant 3/4 semaines, plus aucune vente n'est enregistrée, pour ses produits non alimentaires, objets de publicités télévisées.
Contrairement à ce que prétend Lidl, la durée limitée de l'offre en magasin est caractéristique d'une opération promotionnelle.
Lidl ne démontre pas que le prétendu stock dont elle disposerait est effectivement mis en vente. La seule existence d'un stock, sans que l'on sache d'ailleurs où ce stock est localisé, ne suffit pas à satisfaire les exigences du décret. Lidl ne rapporte pas la preuve que les produits stockés soient effectivement " mis en vente " pendant toute la période de référence c'est-à-dire qu'ils puissent être achetés par les clients. Au contraire, les états de stocks qu'elle produit révèlent qu'au bout de 3/4 semaines le nombre de ventes est nul.
Sur les stocks de sécurité
Lidl soutient que les stocks de sécurité, trouvés dans les réserves de certains magasins et présentés sous forme de colis étiquetés " A conserver en réserve ", démontrent la disponibilité des produits.
Mais, loin de constituer des " stocks de sécurité " destinés à assurer la " disponibilité effective " des produits objets des publicités télévisées pendant une période de temps substantielle (15 semaines selon l'ARPP), ces stocks, dont l'importance n'est pas précisée, n'ont pour seul but que d'être présentés aux huissiers lors de leur visite potentielle, la démonstration n'étant pas faite par la société Lidl de l'utilisation de ces stocks pour faire face à la demande des consommateurs.
Sur la faculté de commander les produits
La société Lidl soutient que ses produits pourraient être commandés via une plateforme dédiée. En effet, le 10 novembre dernier, lors de son contrôle dans le magasin de Thionville Beauregard, un salarié Carrefour a été invité par un vendeur Lidl à appeler lui-même la plateforme téléphonique pour commander son produit.
Mais la société Lidl ne démontre pas la mise en place d'un système logistique suffisant pour rendre cette faculté effective, ainsi que le soulignent à juste titre les premiers juges.
Il ressort en outre des visites réalisées en magasin postérieurement à l'ordonnance que la possibilité de commander des produits indisponibles en rayon est très rarement indiquée aux clients manifestant leur souhait d'acquérir un produit et que certains employés de Lidl ne la connaissent même pas.
En outre, il n'est pas démontré que les produits commandés auprès de la plateforme téléphonique sont mis à disposition des clients, à part un cas isolé qui ne saurait suffire à la démonstration.
Au demeurant, cette possibilité de commander, si elle était avérée, ne serait qu'un phénomène marginal ne concernant que le client le plus motivé (qui, bien que ne trouvant en rayon aucune étiquette se référant au produit recherché, trouve un vendeur qui veut bien l'informer de cette possibilité de commander, arrive à joindre un opérateur téléphonique). Cette faculté, purement hypothétique, ne change pas la stratégie commerciale de vente en magasins de Lidl, fondamentalement basée sur une rotation accélérée des produits.
Enfin, ainsi que le notent les premiers juges, il n'est pas établi qu'un emplacement dans les rayons ou une étiquette de prix serait visible, en cas d'indisponibilité des produits en rayon à la suite des publicités litigieuses, qui pourraient suggérer aux consommateurs une éventuelle " disponibilité à la vente ", par suite de stocks disponibles et les inciter à passer commandes.
Conclusion
Lidl met délibérément un nombre limité de produits en rayon afin de créer chez le client ce que le président du tribunal d'Evry a qualifié de " sentiment d'urgence à acheter " : le client, sachant que les produits sont rapidement en rupture dans cette enseigne, se presse d'aller l'acheter, après avoir vu la publicité sur les chaînes télévisées.
La diffusion de publicités télévisées par Lidl constitue, au regard de l'importance du stock mis en vente et de la limitation de l'offre commerciale dans la durée, une opération commerciale de promotion interdite par l'article 8 du Décret.
En réalisant des promotions commerciales par voie télévisuelle en violation de l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié par le décret du 7 octobre 2003, la société Lidl se rend responsable d'une pratique de concurrence déloyale à l'égard de ses concurrents de la grande distribution qui respectent cette disposition, placés de ce fait dans une situation moins favorable.
Les publicités télévisées diffusées par Lidl mettent en valeur des produits qui incitent les téléspectateurs consommateurs à se rendre très vite dans les magasins Lidl, mus par un " sentiment d'urgence à acheter ", ce sentiment étant entretenu par le fait qu'il s'agit de promotions limitées dans le temps et dont les produits mis en vente sont rares et seront très vite indisponibles : moins il y a de produit, plus ce sentiment est fort.
Une fois en magasin, les clients s'étant déjà déplacés, ils se trouvent dans une situation propice à réaliser d'autres achats et, à terme, à se fidéliser à l'enseigne.
Donc, l'altération du comportement du consommateur est démontrée, même si cette démonstration n'est pas nécessaire pour établir la pratique de concurrence déloyale, contrairement à ce qu'allégué par la société Lidl.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a estimé la société Lidl responsable de concurrence déloyale.
Sur les pratiques commerciales trompeuses
La société Lidl soutient qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à son égard sur le fondement d'une pratique déloyale ou trompeuse en l'absence de démonstration de l'altération ou de la possible altération du comportement économique du consommateur du fait de la pratique litigieuse.
La société Lidl rappelle à ce titre qu'il résulte des articles L. 121-1 du Code de la consommation interdisant les pratiques commerciales déloyales et L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la consommation interdisant les pratiques trompeuses, que dès lors qu'elle ne fait pas partie des 31 pratiques visées à l'annexe I de la Directive 2005/29/CE, la pratique litigieuse ne pourra être jugée déloyale que si a minima " elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen (...) ". Or, elle invoque, en l'espèce que Carrefour ne procède pas à une telle démonstration.
Les sociétés Carrefour soutiennent que la diffusion de publicités télévisées pour des produits dont le stock offert au public est manifestement insuffisant pour satisfaire l'offre est constitutive de pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 121-2 et suivants du Code de la consommation. Elles invoquent notamment une violation des articles L. 121-4, 5° et L. 121-4, 6°, L. 121-4, 6° du Code de la consommation. De plus, elles expliquent que la diffusion de publicités télévisées pour des produits vendus uniquement dans certains magasins sans que le client soit à même de déterminer les magasins concernés par l'opération est également constitutive d'une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2 du Code de la consommation. En effet, sur le site Lidl.fr, aucune liste n'est présentée au consommateur sur le site internet de l'enseigne, ce qui conduit le consommateur à se rendre dans un magasin où le produit n'est potentiellement pas mis en vente et une fois en magasin, il achètera des produits autres que ceux pour lesquels il s'était déplacé.
Cette absence délibérée de précision quant au lieu où le produit est mis en vente, est donc, comme les autres pratiques commerciales déloyales énoncées plus haut, susceptible de modifier le comportement économique du consommateur, et ce en violation de l'article L. 121-2 du Code de la consommation.
Selon l'article L. 121-4 du Code de la consommation :
" Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :
(...)
5° De proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué sans révéler les raisons plausibles que pourrait avoir le professionnel de penser qu'il ne pourra fournir lui-même ou faire fournir par un autre professionnel, les produits ou services en question ou des produits ou services équivalents au prix indiqué, pendant une période et dans des quantités qui soient raisonnables compte tenu du produit ou du service, de l'ampleur de la publicité faite pour le produit ou le service et du prix proposé ;
6° De proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué, et ensuite :
a) De refuser de présenter aux consommateurs l'article ayant fait l'objet de la publicité ;
b) Ou de refuser de prendre des commandes concernant ces produits ou ces services ou de les livrer ou de les fournir dans un délai raisonnable ;
c) Ou d'en présenter un échantillon défectueux, dans le but de faire la promotion d'un produit ou d'un service différent ".
L'article L. 121-4 5° du Code de la consommation répute trompeur le fait de proposer l'achat de produits à un prix indiqué " sans révéler les raisons plausibles que pourrait avoir le professionnel de penser qu'il ne pourra fournir lui même ".
Or, en diffusant sur les chaînes télévisées des publicités pour des produits dont les stocks mis à disposition des clients étaient très faibles, la société Lidl avait conscience qu'elle ne pourrait pas fournir lesdits produits pendant une période raisonnable.
L'article L. 121-4 6° du Code de la consommation réputant trompeur le fait de " a) De refuser de présenter aux consommateurs l'article ayant fait l'objet de la publicité; b) Ou de refuser de prendre des commandes concernant ces produits ou ces services ou de les livrer ou de les fournir dans un délai raisonnable ".
Or, il résulte des constats réalisés le 10 novembre 2016 que la société Lidl a refusé de présenter aux consommateurs des articles ayant fait l'objet de publicités télévisées ; elle ne propose pas aux clients de passer commande du produit recherché et ne démontre pas livrer les articles ayant fait l'objet de publicités télévisées dans un délai " raisonnable ".
Les pratiques commerciales déloyales prévues aux articles L. 121-4 5° et L. 121-4 6° du Code de la consommation sont donc bien constituées. Ces pratiques sont de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. En effet, la diffusion des publicités télévisées litigieuses tend à créer un effet de " buzz " auprès du consommateur, afin qu'il se rende dans un magasin Lidl et qu'une fois sur place, même si le produit recherché n'est pas disponible, il pourra percevoir le changement de gamme de Lidl et réaliser d'autres achats.
Ces pratiques constituent également des pratiques de concurrence déloyale, puisqu'elles sont préjudiciables aux concurrents de la société Lidl, dont Carrefour, lesquels, étant privés d'un moyen de publicité particulièrement efficace auprès des consommateurs, ne sont pas à équivalence avec elle dans la concurrence.
En revanche, la société Lidl ne démontre pas en quoi la circonstance qu'aucune liste des magasins Lidl ne soit présentée au consommateur sur le site internet de l'enseigne constituerait la violation de l'article L. 121-2 du Code de la consommation. Ce grief ne sera donc pas retenu.
Sur les demandes des sociétés Carrefour
Sur la demande de cessation des agissements illicites
Les sociétés Carrefour demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la cessation des activités illicites et assorti cette interdiction d'une mesure d'instruction destinée à contrôler le bon respect de la mesure et l'infirmation du jugement en ce qu'il a refusé d'assortir la mesure de suspension d'une astreinte. Elles demandent également à ce que la mesure de suspension soit assortie d'une astreinte de 30 000 euros par infraction constatée, étant précisé que l'infraction sera constituée par l'indisponibilité desdits produits dans les rayons des magasins et que l'indisponibilité dans chaque magasin constituera une infraction distincte.
La société Lidl sollicite le rejet de cette demande, ses agissements n'étant pas illicites. En tout état de cause, elle invoque l'article 5 du Code civil interdisant au juge de fixer des règles en dehors des causes qui lui sont soumises, les arrêts de règlement étant prohibés, pour soutenir qu'en réalité, Carrefour souhaite pouvoir s'arroger un droit de regard, de surveillance et de sanction sur l'ensemble des spots TV de Lidl, en s'affranchissant de tout débat judiciaire préalable.
L'article 1382 du Code civil dans sa version alors en vigueur et le principe de la réparation intégrale permettent à la juridiction saisie d'ordonner à la société fautive, le cas échéant sous astreinte, la cessation de son comportement fautif. Ils n'autorisent pas le juge à ordonner des comportements pour le futur.
En l'espèce, il n'est pas établi que les comportements de la société Lidl seraient encore en cours, les sociétés Carrefour soulignant " l'investissement massif (de la société Lidl) dans les publicités télévisées - 132 millions d'euros sur la période 3 novembre 2015/25 décembre 2016 ", de sorte que la demande de la société Carrefour sera rejetée.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné la cessation des pratiques et autorisé des mesures de surveillance du marché de la part des sociétés Carrefour.
Sur la demande de rétablissement de l'information du consommateur
La société Lidl soutient que les demandes des sociétés Carrefour tendant à la diffusion de communiqués à la télévision, sur son site internet, sa chaîne YouTube et ses catalogues papier, ainsi qu'un affichage à l'entrée des magasins sont disproportionnées. Plus particulièrement, s'agissant de la demande de diffusion sur le site Internet de Lidl à laquelle le tribunal a fait droit tout en la modérant, elle soutient que cette diffusion est inefficace.
Les sociétés Carrefour demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la publication de la décision à intervenir sur le site Internet de Lidl et son infirmation en ce qu'il a rejeté les demandes de publication sur les chaînes télévisées. Elles invoquent, à ce titre, un parallélisme des formes, demandent donc que soit ordonnée la diffusion du dispositif de l'arrêt sur les chaînes télévisées et sollicitent à titre principal la publication judiciaire d'un communiqué dans le cadre d'un spot télévisé autonome et, à titre subsidiaire, la publication judiciaire d'un communiqué diffusé dans un bandeau défilant sous les spots télévisés Lidl. Les sociétés Carrefour demandent en outre des mesures de publication sur le site Internet Lidl, sa chaîne You Tube, ses catalogues et en magasins.
Mais les premiers juges ont eu une juste appréciation de la publicité à donner du présent litige aux termes d'une motivation que la cour adopte et qu'aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause.
Il sera seulement rappelé que les mesures demandées par la société Carrefour, de publication à la télévision d'un communiqué ou d'un spot défilant, sont excessives au regard du comportement de la société Lidl qui sera suffisamment réparé par l'allocation des dommages intérêts et par la publication, dans les formes et selon les modalités prévues par le jugement déféré, sur la page d'accueil du site www.lidl.fr, du dispositif de l'arrêt à intervenir, pendant deux mois.
La cour enjoint donc à la société Lidl de diffuser à ses frais le dispositif du présent arrêt, accessible en un seul clic sur un lien de taille minimum 100 x 20 pixels figurant sur la page d'accueil du site www.lidl.fr dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et pendant une durée de deux mois.
Sur la réparation du préjudice financier des sociétés Carrefour
La société Lidl soutient que ce préjudice, tant dans son existence que dans son quantum, n'est pas démontré. Elle indique que l'exigence première de la réparation d'un préjudice est que ce préjudice soit certain, actuel, et personnel, aux termes de l'article 31 du Code de procédure civile et 1240 du Code civil. Or, elle fait valoir que le préjudice n'est pas individualisé au profit, d'une part, de la société Carrefour Hypermarchés, d'autre part, de CSF, qui sont deux personnes morales différentes, avec une activité distincte et qu'une seule des deux sociétés a un rapport de concurrence avec Lidl. Elle en conclut que les dommages et intérêts alloués par le tribunal à Carrefour s'apparentent à des dommages et intérêts punitifs.
Elle expose ensuite que les méthodes de calcul employées par le cabinet Sorgem dans son 1er avis pour évaluer le préjudice de Carrefour à 15,4 millions d'euros, sont erronées car :
- elles prennent en compte l'ensemble des magasins à enseigne Carrefour (notamment les magasins Carrefour City), alors que devraient uniquement être pris en compte les magasins Carrefour Hypermarchés et Carrefour Market, seuls magasins exploités par les intimées ;
- le taux de croissance de 2,23 % de parts de marché de la société Lidl comme plafond ne pouvant être dépassé en l'absence de publicités illicites est parfaitement arbitraire, puisque fixé en fonction de la seule année 2014, sans tenir compte de la dynamique à long terme créée par la stratégie commerciale mise en œuvre par Lidl ;
- les gains liés à la diffusion des publicités litigieuses sont fixés arbitrairement à 50 % ;
- la marge prétendument perdue par Carrefour n'est pas un préjudice indemnisable, s'agissant d'une marge brute et non d'une marge sur coûts variables.
De plus, elle invoque l'absence de lien de causalité entre le préjudice allégué par Carrefour et la diffusion des publicités litigieuses. Elle prétend que :
- de multiples circonstances expliquent la hausse des parts de marché de Lidl : le plan stratégique de rénovation complète de son parc de magasins et le développement d'un nouveau concept ; le développement d'une nouvelle gamme de produits et le renforcement de la gamme existante ; les efforts humains et financiers mobilisés dans le recrutement et la formation de son personnel ; le renouvellement de la communication publicitaire de Lidl ne se limite ni à la publicité télévisée, ni aux produits non alimentaires, mais est multi supports,
- les publicités litigieuses ont eu une portée résiduelle : elle soutient à cet égard que pour 90 % des investissements, elle utilise d'autres supports : prospectus, presse, radio, digital...,
- Carrefour connaît une décroissance de ses parts de marché depuis 2006, soit 8 ans avant le début de la diffusion des publicités télévisées par Lidl, qui s'explique par le déclin généralisé du format " Hypermarché " et des choix stratégiques propres à Carrefour (des prix plus élevés que l'ensemble de ses concurrents),
- les éventuels gains de parts de marché par Lidl n'ont aucunement pour conséquence directe et automatique une perte de clientèle équivalente par Carrefour.
Les sociétés Carrefour soutiennent en réplique que la causalité entre les agissements mis en cause et le préjudice subi par les sociétés Carrefour est établie.
Elles invoquent que la diffusion des publicités illicites par la société Lidl est en corrélation directe avec l'augmentation de sa part de marché et, de fait, avec la baisse des parts de marché de ses concurrents. Elles se fondent sur :
- une étude réalisée en 2015 par le Syndicat National de la Publicité Télévisée ("SNPTV") qui met en évidence l'efficacité des publicités télévisées sur le recrutement des nouveaux acheteurs (+ 17 % pour les foyers exposés à la publicité),
- une étude menée en décembre 2015 et 2016 par l'institut Kantar Worldpanel qui souligne que " l'enseigne [Lidl] qui a le plus investi en TV en décembre continue de recruter massivement avec 350 000 nouveaux foyers acheteurs par rapport au même mois en 2015 ",
- le rapport du cabinet Sorgem sur l'évaluation du préjudice subi par Carrefour, daté du 29 mars 2017, démontrant que la surcroissance de l'attractivité de la société Lidl est enregistrée à compter de 2015, date à compter de laquelle les publicités ont été diffusées de façon massive ; cette attractivité anormale a eu pour effet une " hausse exceptionnelle de 6,2 % " de la fréquentation des ménages qui s'est traduite par une hausse de parts de marchés de Lidl et une baisse corrélative des parts de marché des autres acteurs du secteur.
De plus, elles exposent que Lidl n'apporte aucune preuve objective du montant de ses investissements publicitaires. Selon elle, ce n'est qu'avec le déploiement de ses campagnes publicitaires télévisuelles promotionnelles que les parts de marché de Lidl ont significativement augmenté, alors même qu'elle avait débuté son repositionnement en 2012 et l'efficacité globale de ses publicités a été décuplée par les publicités illicites.
En outre, et en tout état de cause, elles soutiennent que contrairement à ce que prétend Lidl, l'étude du cabinet Sorgem a pris en compte les investissements réalisés depuis 2012, pour estimer l'impact des publicités illicites sur la part de marché " normale " qu'aurait eue Lidl en l'absence des pratiques litigieuses.
Enfin, elles prétendent que contrairement aux affirmations de Lidl, les sociétés Carrefour étaient en mesure de capter la part de marché supplémentaire, estimée en l'absence de diffusion des publicités illicites, en se fondant sur le rapport du cabinet Sorgem qui a relevé que la part de marché qu'auraient dû capter les sociétés Carrefour en situation " normale " est réelle, bien que très limitée puisqu'elle se situe seulement entre 0,01 et 0,05 points.
Sur le quantum, elles demandent, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, dans sa version alors en vigueur, que la société Lidl soit condamnée à leur verser la somme de 15,4 millions d'euros.
En réponse aux critiques émises par la société Lidl sur le calcul de ce préjudice, elles soutiennent que :
- en diffusant des publicités promotionnelle sur les chaînes télévisées, Lidl se met en avant par rapport à l'ensemble de ses concurrents qui diffusent des publicités télévisées non promotionnelles, et donc le format du magasin est indifférent ; le préjudice est subi par toutes les enseignes concurrentes effectuant de la publicité télévisée,
- le coût des ventes a été pris en compte dans le calcul du gain manqué ; seuls les frais généraux n'ont pas été pris en compte dans le calcul de la marge, ceux-ci ne constituant pas des coûts variables.
Il s'infère nécessairement d'actes constitutifs de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, fût il seulement moral.
En l'espèce, l'impact des publicités télévisuelles est établi, tant par l'étude réalisée en 2015 par le Syndicat National de la Publicité Télévisée ("SNPTV"), qui met en évidence l'efficacité des publicités télévisées sur le recrutement des nouveaux acheteurs, que par l'étude Kantar Worldpanel menée en décembre 2015 et 2016, citée supra. L'absence de corrélation parfaite entre les baisses de chiffres d'affaires de Carrefour et les périodes des campagnes publicitaires illicites de Lidl ne saurait remettre en question le lien de causalité entre elles et le préjudice subi par Carrefour. Les parts de marché de Carrefour ont pu augmenter pendant certaines périodes, pour d'autres causes externes au présent litige, sans pouvoir démontrer l'absence d'effets des publicités illicites sur Carrefour, dont le chiffre d'affaires aurait pu encore croître davantage en l'absence des pratiques.
Ce principe de préjudice ne dispense toutefois pas la victime de démontrer son étendue, pour en demander réparation au titre non pas des publicités télévisuelles dans leur ensemble, mais des publicités télévisuelles illicites.
Le tribunal a évalué les préjudices subis respectivement par la société Carrefour Hypermarchés et CSF aux sommes respectives de 4 960 800 euros et 4 773 600 euros. Il a écarté la méthode basée sur la comparaison entre l'évolution des parts de marché qu'aurait connue Lidl en l'absence des pratiques et celle effectivement constatée, de mai 2014 à fin 2016, ces chiffres ne permettant pas, selon lui, d'évaluer l'impact des publicités contestées : la société Carrefour a connu des difficultés dès 2006 et commençait à se redresser en 2015-2016 ; par ailleurs, la société Lidl a mis en œuvre des actions pour se développer, tels des investissements immobiliers, une montée en gamme des produits et un recrutement de personnel, qui expliquent sa croissance. Dès lors, la baisse de parts de marché de Carrefour corrélative à l'accroissement de celles de Lidl ne serait pas significative de l'effet des pratiques fautives.
Il a adopté sa propre méthode de calcul, exposant que le préjudice concernait tous les acteurs du marché, que les deux sociétés Carrefour avaient subi un préjudice au prorata de leurs parts de marché et que les infractions avaient concerné 18 spots publicitaires et 26 magasins.
Les constats versés aux débats ont permis de mettre en évidence le caractère illicite de certaines publicités télévisuelles mises en œuvre par la société Lidl. Le tribunal a, à juste titre, limité le périmètre de la faute délictuelle à 18 campagnes publicitaires illicites, ce qui n'est pas sérieusement contesté par les parties et résulte de l'exposé des faits par la société Carrefour dans les premières pages de ses conclusions. Il ne saurait en effet s'inférer des constats de publicité illicite versés aux débats que l'intégralité des publicités effectuées par Lidl revêtaient ce caractère de mai 2014 à fin 2016.
Le tribunal a, à bon droit, écarté la méthode de calcul du préjudice basée sur la comparaison entre les parts de marché qu'aurait eues la société Lidl en l'absence de ses pratiques déloyales et celles qu'elles a eues effectivement.
En effet, les calculs du scénario hypothétique reposent sur une évolution linéaire en 2015 et 2016 du chiffre d'affaires de Lidl sur le rythme de celui de 2014, soit 2,23 %. Le différentiel entre les parts de marché réelles et celles reconstituées dans ce scénario hypothétique se voit ensuite appliquer une décote de 50 % pour tenir compte des autres facteurs de croissance du chiffre d'affaires de Lidl. Puis, la société Carrefour présuppose qu'elle aurait capté ce différentiel à hauteur de sa part de marché.
Or, comme l'expose la société Lidl, appuyée par l'étude du cabinet Finexsi (pièce 23 de Lidl), des circonstances autres peuvent expliquer, à côté des publicités litigieuses, la hausse des parts de marché de Lidl :
- un plan stratégique de rénovation complète de son parc de magasins, et le développement d'un nouveau concept,
- des efforts humains et financiers,
- un recentrage sur la commercialisation de produits alimentaires,
- des campagnes de publicité multisupports.
Par ailleurs, les difficultés économiques rencontrées par Carrefour depuis 2006 s'expliquent par d'autres causes que les publicités litigieuses, et, notamment par ses choix stratégiques et le déclin des hypermarchés.
En premier lieu, le rapport Sorgem évalue le préjudice pour 141 campagnes publicitaires menées par Lidl de mai 2014 à fin 2016, alors que seules 18 campagnes sont concernées, comme vu supra.
En second lieu, la méthode de calcul du cabinet Sorgem est affectée d'incertitudes à chaque étape de calcul :
- l'hypothèse d'un taux de croissance annuel linéaire de la part de marché de Lidl de 2,23 % de Lidl en l'absence des pratiques n'est suffisamment étayée, alors que cette stabilité n'est pas évidente en raison du plan d'investissements immobiliers et de réorganisation des magasins de Lidl,
- la décote de 50 % sur le différentiel n'est pas démontrée.
Il est plus justifié de prendre en compte, pour évaluer le préjudice subi par les sociétés Carrefour, le coût de la publicité qu'elles devraient diffuser en réponse à chacune des campagnes illicites de Lidl, pour contrebalancer l'effet de captation de ces campagnes à leur détriment, ainsi que l'indique le cabinet Sorgem dans son avis sur le rapport Finexsi du 25 avril 2017 (pièce 89 de Carrefour) (page 24).
Selon les données figurant en annexe 4 du rapport Sorgem du 29 mars 2017, chaque campagne publicitaire de Lidl a été diffusée en moyenne sur 21 chaînes, pendant 6,2 jours et pour un budget moyen brut de 1 328 000 euros. Rapportée à 18 campagnes, le budget s'élève à 23 904 000 euros. Ces chiffres ne sont pas utilement contestés par la société Lidl, qui se contente de les mettre en cause, sans en rapporter la preuve contraire, ce qu'elle aurait pu aisément faire (page 28 du rapport Finexsi du 5 novembre 2018 ; pièce 32 de Lidl).
Les sociétés Carrefour qui sont victimes, comme les autres enseignes, de ces pratiques, devront réaliser, pour contrebalancer les effets négatifs de ces publicités illicites sur leur propre chiffre d'affaires, une campagne proportionnelle à leur propre part de marché, soit 18,73 %, soit engager une dépense de 4 477 219 euros (18,73 % de 23 904 000 euros).
La moitié de cette somme sera donc allouée à chacune des sociétés Carrefour, sans qu'il puisse être opposé par la société Lidl que le préjudice demandé par les deux sociétés Carrefour n'était pas individualisé, la société Carrefour Hypermarchés, exploitant des hypermarchés sous enseigne " Carrefour ", et la société CSF des supermarchés sous enseigne " Market ", étant toutes deux victimes de la publicité télévisuelle illicite, la circonstance que Lidl ne soit pas directement en concurrence avec CSF, au demeurant non établie, ne pouvant démontrer l'absence de préjudice subi par elle, le format du magasin étant indifférent pour mesurer l'effet des pratiques.
Toutefois, cette somme ne correspond pas à l'intégralité du préjudice économique réel subi par les deux sociétés Carrefour ; en effet, la cour souligne :
- qu'elles ne peuvent utiliser les mêmes armes que la société Lidl, puisqu'elles sont victimes de publicités illicites qui combinent la visibilité de la publicité télévisuelle et l'attractivité de la promotion,
- que ces publicités promotionnelles télévisuelles, conjuguées aux publicités institutionnelles classiques ont un effet fortement fidélisant, de sorte que les campagnes de publicité licites pour les combattre auront un coût nécessairement plus élevé et que l'effort de reconquête sera long.
La cour condamnera donc la société Lidl à payer à chacune des sociétés Carrefour la somme de 3 millions d'euros.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum alloué.
Sur la demande des sociétés Carrefour pour procédure dilatoire
Si les sociétés Carrefour demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Lidl à leur régler chacune la somme de 10 000 euros pour usage de moyens dilatoires, celle-ci réplique qu'aucune intention dilatoire ne peut lui être imputée.
La circonstance d'avoir soulevé tardivement une fin de non-recevoir ou d'avoir développé de nouveaux moyens ne saurait en soi caractériser une action abusive, en l'absence d'intention dolosive démontrée et l'action n'étant pas manifestement dénuée de tout fondement.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Sucombant au principal, la société Lidl sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à chacune des sociétés Carrefour la somme de 100 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a écarté deux pièces des débats, qu'il a ordonné la cessation des pratiques et autorisé des mesures de surveillance, qu'il a évalué le préjudice subi par les sociétés Carrefour aux sommes de 4 960 800 euros et 4 773 600 euros et condamné la société Lidl à payer à chacune la somme de 10 000 euros pour procédure dilatoire ; L'Infirme sur ces points ; et, statuant nouveau, Rejette la demande de la société Lidl tendant à voir écarter les procès-verbaux dressés par la SCP Delval Masuyer et par Maître Laurent Thouard ; Rejette la demande d'injonction de cesser et la demande de surveillance de Lidl ; Enjoint à la société Lidl de diffuser à ses frais le dispositif du présent arrêt, accessible en un seul clic sur un lien de taille minimum 100 x 20 pixels figurant sur la page d'accueil du site www.lidl.fr dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et pendant une durée de deux mois ; Condamne la société Lidl à payer la somme de 3 millions d'euros à chacune des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ; Rejette la demande de la société Lidl pour procédure dilatoire ; Condamne la société Lidl aux dépens de l'instance d'appel ; La Condamne à payer à chacune des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.