CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 février 2019, n° 16-19708
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bienvenue Airport Services (SARL)
Défendeur :
Chabe (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Etevenard, Caron, Taze Bernard, Perard
Faits et procédure,
La société Bienvenue Airport Services, ci-après la société BAS, exerce une activité d'assistance en escale pour le compte de transporteurs aériens et fournit des prestations d'accueil et de services aux voyageurs.
La société Chabe, ayant pour nom commercial Chabe Limousines, exerce une activité de transport en VTC.
Par convention à durée indéterminée du 1er juin 2007, la société Chabe a confié à la société BAS une mission d'accueil de ses clients dans les gares et aéroports.
Par convention du 7 janvier 2010, à effet rétroactif au 21 décembre 2009, les sociétés Chabe et BAS ont défini les nouveaux contours de leur partenariat pour une durée de 2 ans, renouvelable ensuite annuellement.
Le contrat du 7 janvier 2010 a été tacitement renouvelé le 21 décembre 2011.
Par courrier du 31 juillet 2012, la société Chabe a informé la société BAS de son intention de procéder à un appel d'offre et a résilié, à titre conservatoire, le contrat à son terme contractuel du 21 décembre 2012.
Le 19 septembre 2012, la société BAS a reçu de la société Chabe le dossier de candidature, une date limite de réponse étant alors fixée au 22 novembre 2012.
Le 16 octobre 2012, la société BAS a renvoyé son dossier complété.
Le 17 décembre 2012, la société Chabe a fait savoir à la société BAS que sa candidature n'avait pas été retenue.
Considérant que la société Chabe avait mis fin au contrat sans respecter de préavis, la mettant dans une situation économique et financière extrêmement préoccupante au regard du poids déterminant de la société Chabe dans son activité, la société BAS a mis demeure la société Chabe le 20 janvier 2013 de lui régler la somme de 145 000 euros à titre de réparation de ses préjudices.
Par acte du 26 février 2013, la société BAS a assigné la société Chabe devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par jugement du 19 juin 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a soulevé d'office son incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 19 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Bienvenue Airport Services de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Bienvenue Airport Services à verser à la société Chabe la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,
- condamné la société Bienvenue Airport Services aux dépens.
La société BAS a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 3 octobre 2016.
La procédure devant la cour a été clôturée le 4 décembre 2018.
Vu les conclusions du 20 novembre 2018 par lesquelles la société BAS, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1147 ancien du Code civil, à :
- infirmer le jugement du 19 septembre 2016 en toutes ses dispositions,
et, statuant à nouveau,
- constater que la société Chabe a rompu de manière brutale les relations commerciales établies,
- dire qu'un préavis d'une année aurait dû être appliqué,
et en conséquence,
- condamner la société Chabe à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de préavis avant la rupture brutale des relations commerciales,
- condamner la société Chabe à lui payer la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice commercial et d'image subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales,
- condamner la société Chabe à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Chabe aux entiers dépens ;
Vu les conclusions du 3 décembre 2018 par lesquelles la société Chabe, intimée, demande à la cour, de :
- confirmer le jugement entrepris,
- déclarer la société BAS irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes,
- l'en débouter,
- la condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Me Laurence Taze Bernard conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société BAS fait valoir que la relation commerciale entre les deux sociétés était établie depuis le 1er juin 2007, c'est-à-dire d'une ancienneté de 5 années au jour de la rupture. Elle explique que le lancement de la procédure d'appel d'offres n'a fait courir aucun préavis puisqu'elle a été maintenue dans la croyance légitime de la poursuite de la relation jusqu'à l'issue de ladite procédure d'ouverture à la concurrence. Elle conclut qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'un an, compte tenu de l'ancienneté de la relation de cinq années et de son état de dépendance économique vis-à-vis de la société Chabe.
En réplique, la société Chabe soutient que la relation commerciale présentait un caractère établi uniquement depuis l'année 2010, arguant du fait que les prestations réalisées antérieurement confiées à la société BAS ne l'étaient qu'au coup par coup. Elle fait valoir qu'elle a parfaitement respecté les dispositions du contrat et l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en accordant à la société BAS un préavis de 6 mois. Elle précise qu'il lui était impossible de poursuivre cette relation commerciale dans la mesure où la société BAS avait révélé son incompétence.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Sur l'ancienneté de la relation commerciale établie
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
Le premier contrat liant les parties a commencé à être exécuté à compter du 1er juin 2007. Si la société Chabe justifie avoir envoyé un courrier à la société BAS du 6 août 2007 par lequel elle résilie ledit contrat, en reprochant des dysfonctionnements de service constatés au mois de juillet, toutefois, par courriel du 31 août 2007, il apparaît que seules les relations correspondant aux commandes afférentes à l'hôtel Four Seasons étaient en réalité supprimées de l'exécution du contrat. En outre, les extraits du Grand Livre comptable clients pour les années 2007 à 2010 de la société BAS, non contestés par la société Chabe, démontrent que le flux d'affaires entre les parties a perduré sans s'arrêter jusqu'à la signature du nouveau contrat du 7 janvier 2010 prenant effet rétroactivement au 21 décembre 2009.
Ainsi, il est établi que le flux d'affaires entre les parties a été continu depuis le 1er juin 2007, jusqu'à la date de la rupture, qui sera fixée au 31 juillet 2012, comme expliqué infra.
Dès lors, la relation commerciale a été établie entre les parties pendant plus de 5 ans.
Sur la date de la rupture
La rupture se caractérise par la manifestation de la volonté du partenaire de ne pas poursuivre la relation commerciale et la fixation d'un délai de préavis.
En l'espèce, la société Chabe a écrit à la société BAS le 31 juillet 2012 : " Nous allons prochainement faire un nouvel appel d'offres pour les services d'accueil aux aéroports, que nous vous ferons parvenir. C'est pourquoi, conformément aux clauses de l'article 6 du contrat qui nous lie, nous résilions celui-ci à titre conservatoire avec effet au terme de la période contractuelle en cours, c'est-à-dire du 21 décembre 2012 ".
Par cette lettre, la société Chabe a manifesté sans ambiguïté sa volonté de cesser les relations commerciales avec la société BAS au 21 décembre 2012. La mise en place d'un appel d'offres et l'autorisation de la société BAS de participer à cet appel d'offres ne peut pas laisser penser la société BAS que les relations commerciales vont nécessairement se poursuivre avec la société Chabe ni qu'elle sera de manière certaine retenue à l'issue de l'appel d'offres, le principe du recours à une telle procédure impliquant la mise en compétition de plusieurs candidats potentiels et l'incertitude quant à l'attribution du futur contrat.
Enfin, la précision de ce que cette résiliation du contrat est faite à titre conservatoire par la société Chabe ne peut pas raisonnablement laisser la société BAS anticiper une continuité de la relation commerciale pour l'avenir, cette mention évoquant simplement la possibilité de ce que la société BAS pourrait être retenue, mais sans certitude.
Il y a donc lieu de fixer la date de la rupture au 31 juillet 2012.
Sur la brutalité de la rupture
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.
La relation commerciale établie entre les parties a été de 5 années à la date de la rupture et la société BAS a disposé d'un préavis de plus de 4 mois et demi.
Le chiffre d'affaires réalisé par la société BAS avec la société Chabe s'est élevé en 2011 à la somme de 209 000 euros HT.
Eu égard à ces seuls éléments soumis à la cour, du secteur d'activité et du temps nécessaire pour que la société BAS puisse se ré organiser et re déployer son activité, le délai de 4 mois et demi apparaît suffisant, de sorte que la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés BAS et Chabe n'est pas brutale.
Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des demandes formées par la société BAS.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société BAS doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Chabe la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société BAS.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement ; y ajoutant ; condamne la société BAS aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Chabe la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; rejette toute autre demande.