Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 février 2019, n° 18-21919

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mobilead (SAS)

Défendeur :

France Brevets (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Grappotte Benetreau, Bourdu, de La Taille, Gougé

T. com. Paris, du 10 juill. 2018

10 juillet 2018

Faits et procédure,

La société Mobilead a développé une plateforme de gestion en réseau de marqueurs d'information Near Field Communication (NFC) et QR Code, technologie permettant de lier des objets manufacturés individualisés, des emballages, des documents imprimés, à des services en ligne.

La société France Brevets, SAS dont le capital social est détenu par l'État et la Caisse des dépôts et consignations, est une structure d'investissement spécialisée dans le domaine des brevets qui accompagne les entreprises dans la valorisation de leurs innovations par la structuration de leurs droits de propriété intellectuelle.

Le 18 avril 2014, les deux sociétés ont signé un contrat dit " licence de brevets et de partenariat de licensing " (" Patent Licence Agreement / Licensing partnership agreement ").

Ce contrat avait deux objectifs (article 2.1), d'une part, de renforcer et développer le portefeuille de brevets de la société Mobilead autour de sa technologie et, d'autre part, de développer également un programme de licence (" licensing program ").

1) En vue d'atteindre le premier " objectif " de développement d'un portefeuille de brevets, la société France Brevets, par l'intermédiaire d'un conseil en propriété industrielle, s'est engagée à prendre en charge et à coordonner la gestion du traitement des demandes de brevets et à en supporter les coûts (article 2.2),

2) S'agissant de la recherche de " licences " (" licensing "), la société Mobilead a accordé à la société France Brevets le droit exclusif de concéder des licences non exclusives à des tiers sur les brevets objets du contrat (article 3.1).

Le contrat a été conclu pour une durée courant jusqu'à l'expiration de la protection du dernier brevet soumis au dit contrat, sauf résiliation anticipée, conformément au formalisme prévu à l'article 7.1.

Plusieurs demandes européennes de brevets ont été déposées postérieurement à la signature du contrat, en 2015, 2016 et 2017.

Par courrier du 31 août 2017, la société France Brevets a dénoncé le contrat, à effet au 30 novembre 2017.

Après plusieurs mises en demeure infructueuses, considérant que cette résiliation avait été faite au mépris de ses droits, la société Mobilead a introduit la présente instance.

Par ordonnance du 16 mars 2016, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé la société Mobilead à assigner la société France Brevets à bref délai.

Par exploit du 19 mars 2018, la société Mobilead a assigné à bref délai la société France Brevets devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à payer des dommages et intérêts au titre, d'une part, d'une prétendue résiliation fautive du contrat et, d'autre part, de prétendus manquements contractuels de la société France Brevets dans l'exécution de ses obligations contractuelles.

Par jugement du 10 juillet 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Mobilead de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Mobilead à payer à la société France Brevets la somme de 1 euro au titre du dénigrement,

- débouté la société France Brevets de sa demande d'interdiction de dénigrement,

- condamné la société Mobilead à payer à la société France Brevets la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,

- condamné la société Mobilead aux dépens.

Le tribunal a estimé que l'article 7.3 du contrat régissant la résiliation anticipée du contrat par la société France Brevet, était licite, que la mise en œuvre de la résiliation était régulière et que la société Mobilead ne démontrait pas d'inexécution fautive du contrat par la société France Brevet.

Par déclaration du 9 octobre 2018, la société Mobilead a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance du 12 octobre 2018, la société Mobilead a été autorisée à assigner à jour fixe la société France Brevets.

Par exploit du 19 octobre 2018, la société Mobilead a assigné à jour fixe la société France Brevets.

Vu les dernières conclusions de la société Mobilead, appelante, déposées et notifiées le 6 décembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 1134, 1147, 1174 anciens du Code civil, 1304-1 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce,

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- dire que la clause de résiliation définie à l'article 7.3 du contrat est potestative,

- à titre surabondant, dire que la clause de résiliation définie à l'article 7.3 du contrat engendre un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce au préjudice de la société Mobilead,

- déclarer la clause définie à l'article 7.3 non écrite,

- en tout état de cause, dire que le formalisme défini à l'article 7.3 du contrat n'a pas été respecté par la société France Brevets,

en conséquence,

- condamner la société France Brevets à régler à la société Mobilead la somme de 117 190 euros hors taxes, à parfaire, au titre des frais induits par les brevets couverts par le contrat,

- condamner la société France Brevets à régler à la société Mobilead la somme de 200 000 euros au titre du préjudice subi du fait de l'abandon forcé des démarches de dépôt de demandes de brevets engagées par la société Mobilead aux États Unis et en Chine et du monopole d'exploitation associé à ces demandes, ainsi que du préjudice résultant de l'impossibilité à l'avenir pour la société Mobilead de protéger dans ces pays les inventions, désormais divulguées, qui faisaient l'objet de ces demandes, outre le préjudice résultant de l'interruption par la société Mobilead du développement de sa technologie,

- condamner la société France Brevets à régler à la société Mobilead la somme de 50 000 euros en considération des conditions particulièrement vexatoires et abusives dans lesquelles la société France Brevets a cru pouvoir mettre un terme au contrat,

- dire que la société France Brevets a manqué à ses engagements contractuels,

en conséquence,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société France Brevets,

- condamner la société France Brevets à régler à la société Mobilead la somme de 300 000 euros en considération du manque à gagner directement lié à l'inertie dont a fait preuve la société France Brevets dans le cadre de l'exécution du contrat,

- condamner la société France Brevets à régler à la société Mobilead la somme de 100 000 euros en considération du temps passé par la société Mobilead à des tâches relevant des engagements de la société France Brevets, au lieu de se consacrer à ses activités d'invention et de développement,

en tout état de cause,

- débouter la société France Brevets de l'intégralité de ses prétentions et demandes,

- ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de la société France Brevets sur son site internet pendant une durée de six (6) mois minimum,

- ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de la société France Brevets dans trois publications au choix de l'appelante, dans la limite de 3 000 euros par publication,

- condamner la société France Brevets à verser à la société Mobilead la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens lesquels seront directement recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société France Brevets, intimée, déposées et notifiées le 10 décembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1147, 1149 anciens, 1240 anciens du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, de :

- déclarer irrecevables les pièces communiquées le 6 décembre 2018 par la société Mobilead, plus précisément les pièces n° 54 ter, 54 quater, 64, 64 bis, 65, 65 bis, 65 ter, 66, 66 bis, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 73 bis, 73 ter, 74, 75, 76, 77 et, en conséquence, les écarter des débats,

- dire la société France Brevets recevable et bien fondée en ses demandes,

- débouter la société Mobilead de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

en conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 10 juillet 2018 en toutes ses dispositions, en ce qu'il a :

* dit que l'article 7.3. du contrat de licence de brevets et de partenariat de licensing conclu le 18 avril 2014 entre les sociétés France Brevets et Mobilead, prévoyant un droit à la résiliation unilatérale sans motif au profit de la société France Brevets est valide et ne porte pas atteinte à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

* dit que le contrat de licence de brevets et de partenariat de licensing conclu le 18 avril 2014 entre les sociétés France Brevets et Mobilead a été valablement résilié par lettre de résiliation du 31 août 2017 et prise d'effet au 30 novembre 2017,

* dit que la société France Brevets n'a commis aucune faute contractuelle dans l'exécution du contrat de licence de brevets et de partenariat de licensing conclu le 18 avril 2014 entre les sociétés France Brevets et Mobilead,

* dit que la société Mobilead a commis une faute en dénigrant la société France Brevets,

* condamné la société Mobilead à payer à la société France Brevets la somme d'un euro (1 euros) au titre du préjudice subi du fait du dénigrement de la société France Brevets,

* condamné la société Mobilead à payer à la société France Brevets la somme de trois mille euros (3 000 euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

à titre subsidiaire, si la cour jugeait que la société France Brevets a commis les fautes alléguées (résiliation aux torts exclusifs de la société France Brevets ou manquements contractuels de la société France Brevets) :

- dire que la société Mobilead ne rapporte pas la preuve d'un préjudice en lien avec les fautes alléguées,

en conséquence,

- débouter la société Mobilead de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,

à titre infiniment subsidiaire, si la cour venait à entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société France Brevets :

- dire que les demandes indemnitaires de la société Mobilead sont exorbitantes,

en conséquence,

- condamner la société France Brevets à payer à la société Mobilead un euro symbolique à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi,

en tout état de cause :

- débouter la société Mobilead de sa demande de publication de la décision à intervenir,

- pour le surplus et au titre de l'appel, condamner la société Mobilead à payer à la société France Brevets la somme de vingt mille euros (20 000 euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Mobilead aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Véronique de la Taille ;

SUR CE, LA COUR,

Sur l'irrecevabilité des nouvelles pièces communiquées par la société Mobilead postérieurement à sa requête

La société France Brevets sollicite, à titre liminaire, l'irrecevabilité de l'ensemble des nouvelles pièces communiquées par la société Mobilead postérieurement à sa requête aux fins d'assigner à jour fixe, à l'exception de la pièce n° 63.

En vertu de l'article 918 du Code de procédure civile régissant les requêtes à jour fixe, " La requête doit exposer la nature du péril, contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives. Une expédition de la décision ou une copie certifiée conforme par l'avocat doit y être jointe. Copie de la requête et des pièces doit être remise au premier président pour être versée au dossier de la cour ".

L'appelant ne peut, après le dépôt de sa requête à jour fixe, produire de nouvelles pièces, sauf à démontrer que ces pièces n'ont pour objet que de répondre aux nouveaux arguments de l'intimé en appel.

Or, en l'espèce, le 6 décembre 2018, la société Mobilead a versé aux débats vingt-deux nouvelles pièces, non communiquées au soutien de sa requête à jour fixe, dont elle n'établit pas qu'elles répondent à de nouveaux arguments de la société France Brevets, dont les demandes et moyens sont identiques à ceux exposés devant les premiers juges.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de la société France Brevets et de déclarer irrecevables et retirer des débats les pièces communiquées le 6 décembre 2018 par la société Mobilead, sous les n° 54 ter, 54 quater, 64, 64 bis, 65, 65 bis, 65 ter, 66, 66 bis, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 73 bis, 73 ter, 74, 75, 76 et 77.

Sur la licéité de la résiliation unilatérale du contrat par la société France Brevets

La société Mobilead fait valoir que la société France Brevets a, par courrier du 31 août 2017, irrégulièrement et abusivement résilié le contrat liant les parties en se fondant sur l'article 7.2 dudit contrat, puisqu'aucun manquement contractuel de la société Mobilead ne justifiait une résiliation pour inexécution contractuelle.

Quant à la possibilité pour la société France Brevets de se prévaloir de la clause de résiliation sans motif stipulée à l'article 7.3 du contrat, la société Mobilead estime que ladite clause doit être déclarée non écrite à double titre, d'une part, arguant de son caractère purement potestatif et, d'autre part, soutenant qu'elle crée un déséquilibre significatif dans les conditions de résiliation offertes à chacune des parties.

La société Mobilead soutient enfin que le formalisme de la dénonciation du contrat n'a pas été appliqué par la société France Brevets, la tenue d'une réunion trimestrielle, telle que définie à l'article 2.3.1 du contrat et exigée comme condition de la résiliation unilatérale de l'article 7.3, n'ayant pas été respectée.

En réplique, la société France Brevets soutient que la résiliation sans motif intervenue le 30 novembre 2017 à son initiative était uniquement fondée sur l'application des dispositions de l'article 7.3. Du contrat, et non sur celles de l'article 7.2.

Dans ces conditions, elle considère que la résiliation est valable puisque la clause de résiliation unilatérale sans motif de l'article 7.3. du contrat est parfaitement valide tant au regard du droit des contrats que de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, se prévalant à ce titre du caractère négocié et équilibré du contrat et du fait que la faculté de résiliation sans motif était offerte, dans les mêmes conditions, tant à la société Mobilead qu'à la société France Brevets.

Par ailleurs, l'intimée fait valoir que le formalisme précisé à l'article 7.3. du contrat a été respecté et qu'aucune atteinte n'a été portée aux droits de la société Mobilead.

Partant, la société France Brevets conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré valide la résiliation du contrat par la société France Brevets.

Le 31 août 2017, la société France Brevets a notifié à la société Mobilead la résiliation du contrat en ces termes : " Depuis, le 18 avril 2014, le niveau d'inventivité du programme de Patent Factory MobiLead n'a malheureusement pas été à la hauteur de nos attentes. En effet, en quatre ans, sur les 21 idées d'invention issues de la Patent Factory Mobilead, seules trois d'entre elles ont pu faire l'objet de demandes de brevet et être déposées en 2015 et 2016. Or, le programme requiert un nombre plus important d'idées d'invention et de dépôts de brevets pour fonctionner. En conséquence, nous considérons qu'il est à la fois dans l'intérêt de France Brevets et dans celui de Mobilead de mettre un terme à ce programme de Patent Factory. Aussi nous vous informons de notre volonté de résilier le contrat cité en référence à compter du 30 novembre 2017. A compter de cette date, les frais et obligations afférents aux brevets ne seront plus supportés par France Brevet. (...) ".

La résiliation, même si elle contient un reproche de défaut d'inventivité, n'a pas été mise en œuvre pour faute de la société Mobilead, mais sur le fondement de l'article 7.3 du contrat prévoyant la résiliation pour convenance personnelle (sans motif) de la " licensing entity " (France Brevets) : " [France Brevets] dispose du droit de mettre fin au Contrat après chaque Réunion Trimestrielle en notifiant sa décision par écrit à [MobiLead] dans les 30 jours suivant chaque Réunion Trimestrielle ".

La société Mobilead ne peut qualifier la clause en question d'" obligation contractée sous une condition potestative ", car il s'agit d'une faculté de mettre un terme au contrat sans condition : l'exécution du contrat ne dépend donc pas d'un événement qu'une seule partie a le pouvoir de faire survenir ou d'empêcher. En conséquence, l'article 1174 ancien du Code civil, invoqué par la société appelante, aux termes duquel " toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige " ne trouve pas à s'appliquer.

S'agissant de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, réprimant le déséquilibre significatif, il prévoit qu'est interdit "le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de : (...) soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties".

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.

La mise en œuvre de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce suppose l'existence d'un rapport de force entre les cocontractants ayant permis à l'un d'eux de soumettre ou de tenter de soumettre son partenaire commercial, lors de la conclusion du contrat, à des obligations manifestement déséquilibrées ; si les contrats d'adhésion ne permettent pas a priori de négociations entre les parties, il incombe néanmoins à la partie qui invoque l'existence d'un déséquilibre significatif de rapporter la preuve qu'elle a été soumise, du fait du rapport de force existant, à des obligations injustifiées et non réciproques.

Or, en l'espèce, il résulte de la relation des faits par la société France Brevets, étayée par des échanges de courriels entre les parties, que les termes du contrat ont été négociés par les deux sociétés.

Les négociations entre les sociétés France Brevets et Mobilead ont duré plus de trois mois, de janvier à avril 2014, au cours desquels le projet de contrat a été amendé à plusieurs reprises à la demande de chacune des parties (pièce 3.3, 3.4, 3.6, 3.7, 3.8, 3.10), les dernières modifications ayant été apportées au projet de contrat après un déjeuner du 3 avril 2014, réunissant les deux parties, à la suite de quoi le contrat a été signé le 18 avril 2014 (pièces FB 3.9, 3.11. et 3.12).

La société Mobilead a d'ailleurs elle-même reconnu "être en phase" avec le projet négocié (pièce 3.6 de FB) et a relancé plusieurs fois la société France Brevets pour procéder à sa signature (pièce 3.8 de FB).

La rédaction du contrat en anglais n'était pas de nature à empêcher M. X, de la société Mobilead, de comprendre la portée des clauses, celui-ci s'exprimant lui-même dans cette langue. La dissymétrie entre les parties ne démontre pas en soi l'absence de négociations effectives.

Au surplus, la portée de la clause litigieuse doit être appréciée dans son contexte. Or, la société France Brevets relève à juste titre que la faculté de résiliation pour convenance était également ouverte à la société Mobilead, selon les dispositions de l'article 9.3 du contrat.

En vertu de cet article : "9.3 [Mobilead] a le droit de résilier le Contrat moyennant l'envoi d'une notification écrite à [France Brevets]. En tout état de cause, [France Brevets] a le droit de percevoir une compensation raisonnable pour une telle résiliation. Les Parties discuteront de bonne foi d'une indemnité raisonnable versée à [France Brevets] dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de la notification de résiliation susmentionnée. Pour déterminer cette compensation, les Parties examineront, entre autres, le degré de réalisation par [France Brevets] des objectifs (Annexe 3) à la date de cette résiliation, les coûts effectivement encourus par [France Brevets] en vertu du Contrat, les Revenus de Licence collectés par [France Brevets] à la date de la résiliation, la perte de chance pour [France Brevets] de tirer des revenus de licence futurs du Contrat. Pour plus de clarté, les Parties prendront en considération les paramètres susmentionnés pour déterminer une rémunération équitable dans les circonstances, mais rien dans les présentes ne doit être interprété de façon à conclure que l'incidence financière cumulative de ces paramètres servira de base à une telle détermination. Si les Parties ne parviennent pas à s'entendre sur une indemnité raisonnable dans les soixante (60) jours précités à compter de la date de la notification de la résiliation par [Mobilead], la détermination de cette compensation doit être soumise par la Partie la plus diligente à Ernst & Young, sous réserve que, toutefois, si (i) Ernst & Young a un conflit d'intérêts, n'accepte pas une telle nomination ou est autrement incapable de remplir ses obligations en vertu des présentes et (ii) [Mobilead] et [France Brevets] ne peuvent s'entendre sur la nomination d'un cabinet comptable indépendant reconnu pour remplacer Ernst & Young cinq (5) jours après la fin du délai de soixante (60) jours fixé ci-dessus, ce cabinet comptable indépendant soit nommé par le Président du Tribunal de Commerce de Paris par voie de référé à la demande de [Mobilead] ou de [France Brevets]. En tout état de cause, le cabinet comptable désigné devra (i) limiter son examen à la détermination d'une indemnité raisonnable d'après les circonstances, ii) se conformer au principe du contradictoire, et (iii) dans les trente (30) jours de la présentation de ce différend, rendra une décision finale et contraignante quant au(x) sujet(s) en litige. Les honoraires et les débours du cabinet comptable susmentionné seront supportés à parts égales par [Mobilead] et [France Brevets].".

La société Mobilead rappelle qu'elle ne pouvait exercer ce droit qu'à la condition d'indemniser la société France Brevets, rendant ainsi les deux facultés de résiliation non symétriques.

Mais la société France Brevets démontre que cette asymétrie résulte de l'économie générale du contrat, imposant en premier lieu un investissement de France Brevet. En effet, selon le contrat, la société France Brevets avançait l'intégralité des frais liés à la création, la gestion, la défense et la valorisation du portefeuille de brevets de la société Mobilead pour les besoins du programme, en contrepartie d'une rémunération future sur les redevances à payer par les potentiels licenciés de la technologie développée dans le cadre du contrat. Mais cette rémunération, destinée à rembourser la société France Brevets des frais précités, n'était susceptible d'intervenir que dans un second temps, si le portefeuille de brevets produisait de telles redevances, donc si les brevets présentaient pour le marché un intérêt industriel.

Aussi, compte tenu du risque encouru par la société France Brevets d'investir dans le portefeuille de brevets de son contractant, il était impératif de prévoir expressément le paiement d'une " compensation raisonnable ", si la résiliation du contrat venait à intervenir unilatéralement et à la discrétion de la société Mobilead, avant tout paiement au titre des licences du portefeuille de brevets. C'est ainsi que l'article précité prévoit que " Pour déterminer cette compensation, les Parties examineront, entre autres, le degré de réalisation par [France Brevets des objectifs (Annexe 3) à la date de cette résiliation, les coûts effectivement encourus par [France Brevets] en vertu du Contrat, les Revenus de Licence collectés par [France Brevets] à la date de la résiliation, la perte de chance pour [France Brevets] de tirer des revenus de licence futurs du Contrat ".

Aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties ne résulte donc de la clause litigieuse.

Dès lors, il y a lieu d'approuver le tribunal en ce qu'il a considéré que les clauses 7.3 et 9.3 du contrat étaient " la conséquence de la caractéristique particulièrement aléatoire et incertaine des activités d'innovation " et en ce qu'il a jugé que la clause 7.3 était régulière au regard de l'article L. 442-6, I, 2 ° du Code de commerce.

S'agissant enfin du formalisme de la clause qui n'a pas été respecté par la société France Brevets, aucune réunion trimestrielle n'ayant précédé l'envoi de la lettre de résiliation, la cour adopte la motivation des Premiers Juges, en ce qu'ils ont souligné que la société Mobilead n'avait pas été pénalisée par la procédure mise en œuvre. Il sera seulement rappelé que :

- aucune des deux parties n'avait demandé la tenue de telles réunions,

- celles-ci n'avaient pour objet que de discuter des coûts et des progrès stratégiques et des révisions éventuelles, selon l'article 2.3.1 du contrat,

- elles pouvaient ainsi avertir les entreprises des griefs des autres et pouvaient servir de point de départ du préavis,

- l'application de la clause ouvrait une période de deux mois pendant laquelle aucune résiliation ne pouvait être effectuée (passé le délai de trente jours à compter d'une réunion trimestrielle et jusqu'à la prochaine deux mois plus tard),

- le préavis octroyé a été d'une durée de trois mois, soit une durée satisfaisante au regard de l'ancienneté des relations.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a estimé que le non-respect des règles de forme ne constituait pas une violation substantielle du contrat et n'invalidait pas la résiliation intervenue.

Sur la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société France Brevets

La société Mobilead sollicite le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société France Brevets en ce qu'elle a manqué à ses engagements contractuels, soit notamment, d'une part, le développement d'un portefeuille de brevets et, d'autre part, la mise en œuvre d'un programme de licensing. Elle reproche à la société France Brevets de :

- ne pas avoir formé une seule grappe technologique (article 2.2 du contrat),

- n'avoir offert aucune licence (article 3.4)

En réplique, sollicitant également la confirmation du jugement entrepris sur ce point, la société France Brevets fait valoir qu'elle a parfaitement exécuté ses obligations contractuelles s'agissant tant du développement d'un portefeuille de brevets que de la mise en œuvre d'un programme de licensing.

Sur le développement du portefeuille

Selon la société Mobilead, la société France Brevets aurait failli dans sa mission d'identification d'inventions prometteuses. Elle n'aurait notamment pas demandé de brevet pour une invention de Mobilead combinant l'identifiant produit GTIN avec un lien URL, permettant d'identifier chaque produit de manière unique.

Mais elle ne communique aucune pièce de nature à corroborer ces assertions.

En toute hypothèse, elle ne démontre pas avoir communiqué d'idée d'invention brevetable à ce sujet ; en outre, la société France Brevet n'avait aucune obligation de déposer toute idée qui lui était soumise (article 2.2.1), et enfin, la société Mobilead pouvait déposer seule toute idée d'invention relativement à la technologie objet du contrat (article 2.2.4).

Sur le programme de licensing

Il est reproché à la société France Brevets de n'avoir identifié aucun contrefacteur potentiel ni engagé d'actions de " Licensing strategy " visant à apprécier l'opportunité d'actions judiciaires pour faire cesser des faits de contrefaçon.

Mais il résulte des pièces versées aux débats par France Brevets qu'elle a mis en œuvre tous les moyens utiles et nécessaires destinés à valoriser le portefeuille de brevets de la société Mobilead dans le cadre de programmes de licences. Il sera souligné que :

- selon l'article 3.3.1. du contrat, France Brevets n'était tenue que de "faire ses efforts commerciaux raisonnables",

- de nombreux documents de l'intimée attestent de ses efforts entre juillet 2015 et mars 2016 pour valoriser les brevets Mobilead auprès de la société Unitag (pièces n° 4.11 a) à m) de France Brevets) et auprès de la société Visualead (pièces n° 4.12 a) à o) de l'intimée), entre février et mars 2016 auprès de la société Lynkware (pièces n° 4.13 a) à f), de novembre 2015 à janvier 2016, Denso (pièces n° 4.15 a) à c), et, enfin, en 2016 et 2017, PopimsCode (pièces n° 4.16 a) à d)),

- la première extension chinoise de la première famille de brevets de la société Mobilead n'a été publiée en Chine que le 12 octobre 2016, de sorte qu'avant cette date, la société Mobilead n'était pas propriétaire d'aucun brevet sur ce territoire et n'aurait pas pu opposer ses inventions à la société Alibaba (pièce n° 4.6).

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a jugé qu'aucune inexécution contractuelle n'était imputable à la société France Brevets.

Sur le dénigrement de la société France Brevets par le président de la société Mobilead

La société Mobilead fait valoir que les propos litigieux sont intervenus dans le cadre d'échanges privés, étant précisé que les sociétés Mobilead et France Brevets ne sont pas concurrentes. En conséquence, elle conclut que la qualification de dénigrement retenue par le tribunal de commerce de Paris ne saurait prospérer en l'espèce pour caractériser les propos de M. X à destination de ses contacts.

En réplique, la société France Brevets sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Mobilead au paiement de la somme d'un euro symbolique au titre des actes de dénigrement auxquels elle s'est livrée à son égard de manière répétée.

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.

Les messages adressés au responsable du pôle économie de la connaissance de la Caisse des dépôts et consignations le 19 octobre 1017 (pièce 6-1 de France Brevets) et au directeur général de l'INPI le 19 octobre 2017 (pièce 6-2) ne comportent pas de termes dénigrants.

Le message du 26 octobre 2017 envoyé à la directrice adjointe du Programme d'Investissements d'Avenir, au sein de la Caisse des dépôts et des consignations, comportant le terme de "pompier pyromane" pour qualifier France Brevets est diffusé en privé (pièce 6-3).

Les courriels envoyés le 28 mars 2018 à la Caisse des dépôts et des consignations et à la Direction Générale des Entreprises, toutes deux étant des organismes publics régulateurs, pour leur indiquer avoir assigné la société France Brevets (pièces n° 6.4 et 6.5) ne sont pas davantage dénigrants : "Face à la violence et à l'urgence de la situation, sans aucun dialogue possible, et afin de préserver son patrimoine intellectuel, la société Mobilead se voit contrainte de saisir le tribunal de commerce de Paris d'un litige qui l'oppose à la société France Brevets, à propos de la rupture parfaitement abusive du contrat de licence de brevets signé entre ces deux sociétés le 18 avril 2014". Cette annonce, purement descriptive, ne peut être qualifiée de dénigrante.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a qualifié ces pratiques de dénigrantes.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Mobilead, succombant au principal, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société France Brevets la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, déclare irrecevables et retire des débats les pièces communiquées le 6 décembre 2018 par la société Mobilead, sous les n° 54 ter, 54 quater, 64, 64 bis, 65, 65 bis, 65 ter, 66, 66 bis, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 73 bis, 73 ter, 74, 75, 76 et 77 ; confirme le jugement entrepris, sauf sur la pratique de dénigrement ; l'infirme sur ce point ; et statuant à nouveau, rejette la demande de la société France Brevets fondée sur le dénigrement, rejette le surplus des demandes ; condamne la société Mobilead aux dépens d'appel ; condamne la société Mobilead à payer à la société France Brevets la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site