CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 février 2019, n° 16-21778
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Flunch (SAS)
Défendeur :
MC Services (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Lallement, Régnier
Faits et procédure
La société Flunch exploite des restaurants en libre service, appartenant au groupe Agapes.
La société MC Services était spécialisée dans le nettoyage courant des bâtiments.
Le 1er février 2013, la société MC Services et la société Flunch ont régularisé un contrat de maintenance de nettoyage pour l'établissement situé dans le centre commercial Auchan à Englos (59). L'article 11 du contrat disposait notamment: " Le contrat établi pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction et résiliable par l'une des deux parties par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis de deux mois date AR. " Cependant, la société Flunch conteste le caractère contractuel de cette clause pour avoir été rayée de manière manuscrite dans ledit contrat.
Par courrier du 20 décembre 2013, l'établissement Flunch d'Englos a notifié à la société MC Services la résiliation du contrat au 31 janvier 2014.
Par lettre du 20 janvier 2014, la société MC Services a contesté la résiliation du contrat au motif que le préavis de deux mois prévu au contrat n'avait pas été respecté et a soutenu que le contrat était renouvelé jusqu'au 31 janvier 2015.
Par lettre du 22 janvier 2014, la société Flunch a indiqué que le contrat prendra fin le 27 février 2014 après le préavis de deux mois calculé à compter du 27 décembre 2013.
En réponse, par courrier du 18 février 2014, la société MC Services a contesté la résiliation du contrat, au motif que le contrat aurait été reconduit jusqu'au 31 janvier 2015, date d'anniversaire du contrat.
Par lettre du 20 février 2014, la société Flunch a nié l'existence d'une clause de renouvellement par tacite reconduction et a maintenu sa volonté de résilier le contrat au 27 février 2014.
Le 6 mars 2014, la société MC Services a fait établir un procès-verbal de constat par lequel il est constaté que ses salariés ont été empêchés d'exercer leur travail au sein du restaurant Flunch du centre commercial Auchan Englos.
Par courrier du 5 mai 2014, la société Flunch a retourné des factures émises par la société MC Services pour les mois de mars et avril 2014.
Le 26 mai 2014, la société MC Services a mis en demeure la société Flunch - Etablissement du centre commercial Auchan Englos, de payer la somme de 66 152,88 euros TT, en vain.
Par acte du 30 octobre 2014, la société MC Services a assigné la société Flunch devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, en paiement de la somme de 66 152,88 euros TTC au principal, correspondant aux " montants fixés par le contrat liant les parties jusqu'à son terme ", outre la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales.
Par jugement du 6 octobre 2015, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- dit que la société Flunch n'a pas respecté ses obligations contractuelles et qu'elle se trouve tenue d'avoir à régler les montant fixés par le contrat liant les parties jusqu'au terme de ce contrat, soit jusqu'au 31 janvier 2015,
- condamné la société Flunch à payer, à titre de dommages et intérêts, à la société MC Services la somme de 49 885 euros au titre du contrat signé le 1er février 2013 à effet jusqu'au 31 janvier 2015 avec intérêts légaux à compter du jugement,
- débouté la société MC Services de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales,
- condamné la société Flunch à payer à la société MC Services la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Flunch aux dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de greffe,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.
La société Flunch a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 6 octobre 2015 devant la cour d'appel de Douai et du 31 octobre 2016 devant la cour d'appel de Paris.
Par ordonnance du 23 mars 2017, le conseiller de la mise état de la cour d'appel de Douai a refusé la demande de disjonction.
La société MC Services a fait l'objet d'une liquidation amiable qui a été clôturée le 30 octobre 2017 et la société a été radiée le 6 décembre 2017.
C'est dans ces circonstances que, par ordonnance du 2 octobre 2018, Mme X a été désignée ès qualités de mandataire ad hoc aux fins de suivre les procédures d'appel.
Par conclusions du 5 octobre 2018, Mme X est intervenue à la procédure ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services.
La procédure devant la cour a été clôturée le 20 novembre 2018.
Vu les conclusions du 6 novembre 2018 par lesquelles la société Flunch, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134 et suivants, 1650 du Code civil, et L 442-6, I, 5° du Code de commerce, à :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 6 octobre 2015 en ce qu'il a accueilli les demandes de la société MC Services à son encontre,
en conséquence :
- constater et dire irrecevables et mal fondées les demandes de la société MC Services,
- débouter la société MC Services de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société MC Services au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers frais et dépens d'instance, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la Selarl BDL Avocats ;
Vu les conclusions du 5 octobre 2018 par lesquelles Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1193, 1231 et 1231-1 du Code civil, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 700 du Code de procédure civile, de :
- la recevoir en son intervention volontaire,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 6 octobre 2015 en ce qu'il a dit et jugé que la société Flunch n'a pas respecté ses obligations contractuelles et qu'elle se trouve tenue d'avoir à régler les montants fixés par le contrat liant les parties jusqu'au terme de ce contrat, soit jusqu'au 31 janvier 2015,
- débouter la société Flunch de touts ses moyens, fins et conclusions d'appel,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 6 octobre 2015 en ce qu'il a limité la condamnation de la société Flunch à payer la somme de 49 885 euros HT,
en conséquence, statuant à nouveau,
- condamner la société Flunch à lui payer la somme de 66 152,88 euros TTC au titre du contrat signé le 1er février 2013 à effet jusqu'au 31 janvier 2015 avec intérêts légaux à compter du jugement,
- en toute hypothèse, condamner la société Flunch à lui payer la somme de 66 152,88 euros correspondant à la résiliation fautive du contrat de prestation de nettoyage,
- assortir la condamnation de 66 152,88 euros TTC d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du jugement rendu par le tribunal de commerce le 6 octobre 2015,
- condamner la société Flunch à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la résistance abusive,
- condamner la société Flunch à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales,
- dire qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles de la présente procédure qu'elle se trouve contrainte d'engager,
- en conséquence, condamner la société Flunch à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel,
- à titre subsidiaire, si par impossible, la cour d'appel estimait infondée le quantum des demandes présentées par elle, il lui est demandé de confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a retenu la condamnation de la société Flunch à payer la somme de 49 885 euros HT soit 58 862 euros TTC,
- condamner la société Flunch aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût du constat d'huissiers de justice du 6 mars 2014 ;
SUR CE, LA COUR,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la résiliation abusive du contrat
La société MC Services explique que :
- le contrat prévoit une clause de tacite reconduction,
- elle n'a pas renoncé à cette clause, le terme " renouvelable par tacite reconduction " ayant été barré unilatéralement par la société Flunch postérieurement à la signature du contrat,
- il n'y avait pas de formules impératives et de paraphes en marge, marquant l'accord des deux parties sur les termes rayés du contrat en précisant le nombre de mots rayés, contrairement à l'usage existant en matière contractuelle,
- la société Flunch a procédé à une résiliation unilatérale fautive du contrat de prestation de nettoyage qui se renouvelait par tacite reconduction,
- il existe une pratique commerciale, selon laquelle, en matière de prestation de services de nettoyage, les contrats sont systématiquement conclus sous bénéfice de la tacite reconduction ; elle produit un contrat identique de prestation de nettoyage conclu avec un autre établissement Flunch et qui précise la tacite reconduction dans des termes identiques.
La société Flunch soutient que ce n'est pas à elle d'établir la preuve que son cocontractant, la société MC Services, a renoncé à la clause de reconduction tacite mais que c'est à cette dernière de prouver que la société Flunch a accepté le principe d'une reconduction tacite. Elle relève qu'avant de signer le contrat, elle a rayé la mention " renouvelable par tacite reconduction ", contenue dans le projet de contrat de la société MC Services qui lui était adressé pour acceptation et n'a donc pas accepté l'offre de la société MC Services consistant en une possibilité de reconduction tacite du contrat de maintenance et que la société MC Services a ensuite renvoyé ce contrat à la société MC Services, qui l'a, à son tour, signé. Elle explique aussi que la tacite reconduction d'un contrat de durée déterminée, dont le terme extinctif a produit ses effets, donne naissance à un nouveau contrat, de durée indéterminée, et dont les autres éléments ne sont pas forcément identiques. Elle soutient alors que la clause litigieuse ne prévoyant pas que le contrat n'était résiliable qu'à la date d'anniversaire, ou même qu'il se renouvellerait pour une durée d'un an, après le terme, les parties étaient libres de résilier le contrat à tout moment, moyennant un préavis de deux mois, ce qu'elle a fait en résiliant le contrat de maintenance du 1er février 2013 à effet du 27 février 2014.
Aux termes de l'article 1134 ancien, applicable en l'espèce, " Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ".
Le contrat communiqué par la société MC Services, signé par les deux parties daté du 1er février 2013, (pièce n° 1) porte la mention " renouvelable par tacite reconduction " rayée. Si les parties n'ont pas paraphé cette suppression, il n'en demeure pas moins que cette rature apparaît sur la page signée par les deux parties et qu'aucune autre version du contrat signé par les deux parties n'est communiquée. Il apparaît donc que les parties se sont accordées sur la suppression de cette mention, la version rayée étant d'ailleurs communiquée par la société MC Services, démontrant ainsi son acceptation à la suppression de cette clause.
C'est donc vainement que la société MC Services fait état d'autres contrats signés à la même époque et invoque une pratique commerciale dans le secteur d'activité des prestations de services de nettoyage, au demeurant non établie.
Dans ces conditions, il apparaît que le contrat dont il est question est un contrat à durée déterminée, signé pour une durée d'une année, dont le terme est le 31 janvier 2014, résiliable pendant la durée d'exécution du contrat avec un préavis de deux mois, la société Flunch ayant manifestée clairement son intention de ne pas prévoir de tacite reconduction de ce contrat.
Par courrier du 20 décembre 2013, la société Flunch a rappelé à la société MC Services la fin du contrat les liant à effet au 31 janvier 2014.
La société MC Services ne peut donc prétendre à la reconduction automatique dudit contrat et au paiement de douze mois de prestations entre le 1er février 2014 et le 31 janvier 2015.
Dès lors, la société Flunch n'a commis aucune faute contractuelle, le contrat étant à durée déterminée et le terme du contrat étant connu par la société MC Services dès l'origine à savoir le 31 janvier 2014.
Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, doit donc être déboutée de sa demande de ce chef.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a :
- dit que la société Flunch n'a pas respecté ses obligations contractuelles et qu'elle se trouve tenue d'avoir à régler les montant fixés par le contrat liant les parties jusqu'au terme de ce contrat, soit jusqu'au 31 janvier 2015,
- condamné la société Flunch à payer, à titre de dommages et intérêts, à la société MC Services la somme de 49 885 euros au titre du contrat signé le 1er février 2013 à effet jusqu'au 31 janvier 2015 avec intérêts légaux à compter du jugement.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société Flunch soulève, tout d'abord, en se fondant sur le principe de non-cumul des responsabilités, l'irrecevabilité des demandes de la société MC Services fondées sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce car en première instance, la société MC Services n'invoquait que des fondements de responsabilité contractuelle alors que la rupture brutale des relations commerciales établies n'engage que la responsabilité délictuelle de son auteur.
Par ailleurs, elle soutient que :
- ses relations commerciales avec la société MC Services, n'ayant duré qu'un an, ne peuvent être considérées comme établies,
- la rupture n'est pas brutale car elle a octroyé un préavis suffisant compte tenu de la durée de la relation commerciale.
La société MC Services reproche à la société Flunch d'avoir rompu brutalement leurs relations commerciales alors que :
- sa prestation n'a jamais fait l'objet de critiques de la part de la société Flunch,
- elle subit un préjudice supplémentaire, lié à cette rupture, résultant du fait qu'elle a dû soit reclasser soit licencier pour motif économique les salariés affectés sur le site d'Englos, et du fait qu'elle a commandé un stock important de produits d'entretiens en vue de la reconduction du contrat.
Aux termes de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.
La société MC Services sollicite la réparation de la brutalité de la rupture. Or ce grief est différent de celui relatif à une faute contractuelle commise dans les conditions de la résiliation du contrat.
La demande formée par la société MC Services est donc recevable à ce titre.
En revanche, il apparaît que le contrat conclu entre les parties est un contrat à durée déterminée pour une durée d'un an. Ce seul contrat ne peut à lui seul caractériser une relation commerciale établie, s'agissant d'un premier contrat à durée déterminée d'un an non renouvelable tacitement. Dès lors, cette relation doit être qualifiée de précaire entre les parties, la société MC Services ne pouvant raisonnablement anticiper dans ces conditions la poursuite de la relation commerciale.
Il y a lieu de débouter Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, de sa demande de ce chef. Le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts formées pour résistance abusive par Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services
Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, ne démontre pas que la société Flunch a commis une faute consistant à résister abusivement à ses demandes, et ce d'autant qu'elle en est intégralement déboutée.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement déféré sur le sort des dépens et des frais irrépétibles.
Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Flunch la somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société MC Services de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales ; Le Confirme sur ce point ; Statuant à nouveau ; Déboute Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, de ses demandes au titre de la rupture abusive du contrat ; Y ajoutant ; Condamne Mme X, ès qualités de mandataire ad hoc de la société MC Services, aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer la somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Flunch ; Rejette toute autre demande.