CA Toulouse, 3e ch., 7 février 2019, n° 17-06189
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Laboratoires Servier (SAS), Les Laboratoires Servier Industrie (SAS)
Défendeur :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne , MSA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bacher
Conseillers :
Mm. Mazarin Georgin, Blanque Jean
Avocats :
Mes Lecomte, Carrere, Belkacem Gonzalez De Canales, Morand
Faits
Mme M. qui souffrait de diabète non insulinodépendant (type 2), a suivi un traitement par Mediator entre les années 2004 et 2009. Elle a développé par la suite une valvulopathie diagnostiquée en 2010 caractérisée par une fuite aortique associée à une fuite mitrale assortie d'un épaississement de la grande valve mitrale.
Suivant ordonnance en date du 25 Juin 2013 le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse a désigné le Pr B. en qualité d'expert, lequel a rendu son rapport le 9 juillet 2014.
Par actes des 8 et 9 juillet 2015 elle a saisi le tribunal de grande instance de Toulouse sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil (devenu 1245 et suivants) d'une action en responsabilité à l'encontre de la SAS Laboratoires Servier et de la SAS Laboratoires Servier Industrie. Elle a mis en cause la CPAM de la Haute Garonne et la MSA.
Par jugement du 30 novembre 2017 le tribunal a':
- dit que la responsabilité des sociétés Servier est engagée au titre de la réparation du préjudice d'anxiété subi par Mme M. ;
- condamné la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industrie à payer à Mme M. la somme de 1400 ;
- les a condamnées aux dépens et à lui payer la somme de 2000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit que les dépens en cas d'exécution forcée comprendront les sommes prévues à l'article 10 du décret du 8 mars 2011 ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- débouté la MSA de ses demandes :
- déclaré le jugement commun à la CPAM de la Haute Garonne.
La SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industrie ont relevé appel suivant déclaration du 28 décembre 2017.
Par ordonnance du 18 juillet 2018 le président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée a déclaré irrecevables les conclusions des Laboratoires Servier en date du 22 mai 2018 en réponse à l'appel incident de Mme M. notifié le 29 mars 2018.
Par arrêt du 24 octobre 2018 la cour d'appel saisie sur déféré, a infirmé l'ordonnance et déclaré recevables les conclusions de la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industries en date du 22 mai 2018.
Moyens et prétentions des parties
La SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industrie dans leurs dernières écritures en date du 19 novembre 2018 demandent à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la preuve de l'imputabilité des atteintes valvulaires au traitement par Médiator(r) n'était pas rapportée ;
- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau.
A titre principal,
- dire et juger que la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'un dommage certain, en lien avec l'exposition au Médiator(r) ;
A titre subsidiaire,
- dire et juger que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut, de sorte qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 1245-10° du Code civil.
En conséquence,
- dire et juger que les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la société Le Laboratoires Servier ne sont pas réunies ;
- débouter Mme M. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En tout état de cause,
- dire et juger la MSA irrecevable et mal fondée en ses demandes ;
- l'en débouter.
Elles concluent à':
-1- la confirmation du jugement sur l'absence d'imputabilité de l'atteinte valvulaire au médicament'en ce que :
* en vertu des articles 1245 et suivants du Code civil, le demandeur a l'obligation de démontrer la réalité du dommage, son imputabilité à la prise du médicament, le défaut du produit et le lien de causalité direct et certain entre le défaut allégué et le dommage. La charge de la preuve repose sur le demandeur ;
* en l'espèce, l'atteinte valvulaire n'est pas imputable au médicament : l'expert indique que Mme M. souffre d'une valvulopathie aortique et d'une altération de la valve mitrale qui, au vu de l'échocardiographie, ne sont pas dues à une atteinte médicamenteuse mais, en l'absence de restriction, de diminution de la mobilité des cuspides aortiques ou d'atteinte de l'appareil sous valvulaire mitral, sont dues à l'état antérieur de la patiente représenté par une hypertension artérielle ancienne et un
diabète de type 2 ; ainsi la double valvulopathie est plutôt d'origine dégénérative ;
* Mme M. n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause ces conclusions ; son appel incident relatif à l'indemnisation des déficits temporaires et permanents sera donc rejeté.
-2- L'infirmation de la décision sur l'existence d'un dommage indemnisable (préjudices liés à l'exposition au médicament et à la crainte de développer une maladie grave c'est à dire un préjudice d'angoisse) en ce que:
* Mme M. ne rapporte pas la preuve cumulative de l'existence d'un risque avéré et d'un dommage certain (l'anxiété) imputable directement et certainement à l'exposition au médicament au regard de la faible gravité de l'atteinte valvulaire, de son absence d'évolution (fuite aortique minime (1/4) et fuite mitrale qui ne progresse pas puisqu'elle est toujours de grade 2/4)) ; le risque de développer une maladie grave n'est donc pas avéré de sorte que le préjudice invoqué est un préjudice chimérique non indemnisable ;
* la réalité de l'anxiété alléguée n'est pas avérée dès lors que d'une part, il n'y a pas de reconnaissance automatique du préjudice d'anxiété résultant de la seule exposition à un agent pathogène, et que, d'autre part, l'anxiété qui est une pathologie médicalement reconnue répondant à des critères diagnostiques précis n'est pas en l'espèce objectivée (cf le guide de la Haute Autorité de la Santé) ; la preuve d'un risque inéluctable de déclaration d'une pathologie et d'une anxiété particulière pour le sujet concerné n'étant pas rapportée Mme M. ne fait état que d'un préjudice hypothétique (simple inquiétude non objectivée) ;
* l'expert s'est fondé sur les seules doléances de la patiente pour retenir l'existence de l'anxiété alléguée (aucune prise en charge thérapeutique au titre d'une symptomatologie anxieuse, aucun contrôle régulier) d'autant qu'il précise que le préjudice est lié à la médiatisation de l'affaire ;
* il n'est pas justifié d'un lien causal direct entre le risque et le sentiment d'anxiété puisqu'il est la conséquence de la médiatisation de l'affaire qui n'est pas le fait des Laboratoires Servier.
-3 - Subsidiairement, l'infirmation quant à la responsabilité des sociétés Les Laboratoires Servier (1245-10 du Code civil) en ce que :
* le risque a été identifié tardivement en 2009 : ni les enquêtes de pharmacovigilance des CRPV et CNPV ni la littérature scientifique, ni les rapports de l'AFSSAP ne retenaient de lien formel entre le médicament et les développements de pathologie cardiaque ; ce n'est qu'en 2009 que des cas ont été plus nombreux ainsi qu'il est reconnu dans la motivation de la décision de retrait du 24 novembre 2009 ;
* la connaissance du risque n'a été que progressive de sorte que l'avocat général près la Cour de Cassation a affirmé qu'avant 2009 les Laboratoires Servier pouvaient prétendre bénéficier de l'exonération de responsabilité prévue à l'article 1386-11 4° du Code civil ;
* l'avis défavorable à l'extension de l'indication du Médiator, traitement du diabète de type 2 en 1996 était exclusivement motivé par l'absence d'efficacité démontrée ; le retrait du médicament en Espagne en 2003 a été à l'initiative des laboratoires et pour des questions exclusivement économiques de même qu'en Italie (en 2003) ;
* l'arrêt de la Cour de Cassation du 20 septembre 2017 n'est pas déterminant puisqu'elle ne juge qu'en droit ; elle n'est pas revenue sur les éléments de fait exposés par la cour d'appel de Versailles qui pourtant étaient erronés (la Haute Cour ne s'est pas prononcée sur le caractère indécelable du défaut) alors que :
- la similitude du médiator (benfluorex) avec d'autres médicaments ayant une parenté chimique et un métabolite commun jugé dangereux dès 1997 (Isomérides et Pondéral) n'implique pas que leurs molécules sont identiques'; leurs effets et mode d'action sont différents ;
- l'étude internationale épidémiologique (IPPHS) portait sur le lien possible entre la prise
d'anorexigènes et la survenue d'hypertension artérielle pulmonaire mais cette étude ne portait pas sur le Médiator parce qu'il ne fait pas partie de cette classe de médicaments.
-4- Sur les demandes de la MSA.
La demande par courrier du 6 mars 2018 est irrecevable en application de l'article 546 du Code de procédure civile dès lors que bien que partie au procès de première instance elle était défaillante et n'a donc développé aucune prétention.
Subsidiairement, ses demandes sont mal fondées : les frais médicaux et pharmaceutiques ne sont pas détaillés et l'imputabilité des actes dont le remboursement est demandé aux faits dommageables, n'est pas justifié.
Mme M. dans ses dernières écritures en date du 29 Mars 2018 demande à la cour au visa des articles 1386-4 et suivants du Code Civil, résultant de la loi du 9 décembre 2004, de':
- rejeter les demandes des Laboratoires Servier ;
- recevoir son appel incident et en conséquence,
- dire et juger que les Laboratoires Servier ont incontestablement engagé leur responsabilité en commercialisant et en maintenant sur le marché un médicament dont ils ne pouvaient ignorer les conséquences néfastes du fait de la production d'un métabolite commun avec les fenfluramines, la norfenfluramine, identifié en 2000 comme responsable des effets toxiques de l'Isoméride (retiré en 1997) sur les valves cardiaques ;
- dire et juger que les Laboratoires Servier sont responsables de la valvulopathie grade 2 dont est atteinte Mme M. et dont l'origine a été mise en exergue par le rapport du Docteur B. qui précise responsable (sic) des valvulopathies aortique et mitrale.
En conséquence,
- s'entendre condamner à payer à la concluante les sommes suivantes au titre des postes de préjudices (sic) :
- au titre du Déficit Fonctionnel Temporaire la somme totale de 10 000 ;
- au titre du Déficit Fonctionnel Permanent la somme de 5000 ;
- outre du préjudice d'angoisse (sic) la somme de 10 000 ;
- condamner les Laboratoires Servier au paiement d'une somme de 4000 sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner les Laboratoires Servier aux entiers dépens qui comprendront les dépens de l'instance en référé et le coût de l'expertise judiciaire ;
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution ;
- dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, l'exécution forcée pourra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier chargé de l'exécution forcée en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 (portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96-1080 sur le tarif des huissiers) sera supporté par tout succombant, en sus des frais irrépétibles et des dépens.
Elle expose que':
- médicalement suivie pour un diabète non insulino dépendant, elle a reçu un traitement par Médiator de 2004 à 2009 et, lors d'un examen cardiovasculaire réalisé le 10 décembre 2010 dans le cadre de la
surveillance de son diabète, il a été constaté une fuite aortique associée à une fuite mitrale avec épaississement de la grande valve mitrale ;
- elle a fait réaliser une première expertise amiable par le Dr J. le 27 février 2012 et l'expert judiciaire le Dr B. a conclu aux termes de son rapport du 8 juillet 2014 que l'atteinte valvulaire, aortique et mitrale dont Mme M. souffre n'est pas en lien avec la prise du Mediator mais vraisemblablement en lien avec son état antérieur soit un diabète et une hypertension artérielle'; en revanche, elle présente une angoisse en rapport avec les conséquences potentielles de l'exposition au Médiator dans un contexte de médiatisation des révélations des conséquences d'éventuelles expositions au Mediator ;
- l'expert a fixé la date de consolidation au 4 janvier 2012 et il fixe ainsi les préjudices':
* il n'y a pas eu de déficit temporaire total ;
* mais un déficit fonctionnel temporaire partiel'à 3 % pour l'atteinte valvulaire et à 7 % pour l'angoisse ;
*'un déficit fonctionnel séquellaire permanent partiel, pour l'atteinte valvulaire probablement pas en rapport avec l'exposition au Mediator': 3 % (atteinte physiologique sans limitation fonctionnelle, sans contrainte thérapeutique, avec nécessité d'une surveillance)'et, 5'% pour le préjudice d'angoisse';
- la responsabilité des Laboratoires Servier a été reconnue par les tribunaux depuis 2015 et la Cour de Cassation dans son arrêt du 20 septembre 2017 : il est admis que l'exposition au risque, même faible, de développer une valvulopathie ou de l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) peut générer une angoisse constitutive d'un préjudice réparable chez les patients ayant pris du Médiator';
- le préjudice d'anxiété a été consacré par la Cour de Cassation 2010 pour les victimes de l'amiante puis dans un arrêt du 20 septembre 2017 qui exclut toute exonération de responsabilité pour risque de développement ; d'autant que ce médicament a été retiré du marché dans d'autres pays européens bien avant 2009 en France, alors qu'il avait des caractéristiques chimiques très proches d'un autre médicament ayant provoqué des effets connus d'atteinte valvulaire ;
- l'indemnisation doit être à la hauteur du scandale et de la tromperie ;
- Mme M. maintient donc l'intégralité de ses demandes et forme appel incident'; elle précise qu' elle est retraitée depuis 2007 :
* DFT': 3 % pour l'atteinte valvulaire, 7 % pour l'angoisse : 10'000 ;
* DFP': 5 % (atteinte physiologique sans limitation fonctionnelle, sans contrainte thérapeutique, avec nécessité d'une surveillance) 5000 ;
* préjudice d'angoisse : 5 % : 10'000 (appel incident).
La CPAM de la Haute Garonne et la MSA bien que régulièrement citées par actes des 19 février 2018 et 14 mars 2018 n'ont pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2018.
MOTIVATION
La responsabilité de la SAS Les Laboratoires Servier et de la SAS Les Laboratoires Servier Industrie est recherchée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil qui autorisent la victime à agir contre le producteur chaque fois qu'un dommage qui résulte d'une atteinte à la personne a été causé par le défaut d'un produit, ce qui inclut les médicaments.
Selon l'article 1386-4 devenu 1245-3 du même Code, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qui s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Selon l'article 1386-9 devenu 1245-8 du Code susvisé, il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, cette preuve pouvant être apportée par des présomptions graves, précises et concordantes.
En l'espèce, Mme M. retient la responsabilité des Laboratoires Servier dans l'apparition de sa pathologie cardiaque et en conséquence, de son préjudice d'angoisse en raison de la prise du traitement par Médiator durant 5 ans.
Il lui appartient donc de rapporter la preuve du dommage, de l'imputabilité du dommage à l'exposition au produit, du défaut du produit au moment de son administration, son imputabilité directe et certaine au dommage allégué et la nature et l'étendue des préjudices qui en résultent. Elle doit donc rapporter la preuve de la participation du produit au dommage afin de permettre l'exclusion éventuelle d'autres causes possibles de la maladie, sachant que la simple implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens de l'article 1386-4 du Code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
Et la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industries ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité en leur qualité de fabricant qu'en établissant qu'au moment du traitement les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de suspecter le défaut du produit.
Sur le dommage et l'imputabilité au Mediator
A cet égard, il est constant que':
- Mme M. née le 24 février 1947, souffrait de diabète type 2 non insulino dépendant depuis très longtemps suivant ses dires et d'hypertension artérielle traitée depuis l'âge de 30 ou 35 ans ;
- elle a reçu un traitement par Mediator de façon continue entre avril 2004 et novembre 2009 (3 comprimés par jour) prescrit par son médecin le docteur S., dans le cadre de son diabète de type 2 ;
- elle a cessé le traitement dès l'annonce de son retrait en 2010 ;
- peu de temps après la fin de ce traitement, il a été découvert qu'elle présentait une valvulopathie aortique représentée par une régurgitation sur une valve discrètement remaniée, ainsi qu'une altération de la valve mitrale sous forme d'un épaississement calcifié de l'extrémité du feuillet antérieur avec une micro régurgitation ;
- en effet, selon le Dr J. interrogé par Mme M., à l'occasion du bilan cardiologique systématique réalisé le 10 décembre 2010 par le Dr G., il a été révélé une fuite aortique discrète associée à une fuite mitrale également discrète avec constat d'un épaississement de la grande valve mitrale'; une surveillance a été mise en place et un nouvel examen cardiologique et echocardiographique a été réalisé le 5 janvier 2012 au cours duquel il a été constaté la persistance d'une insuffisance aortique de grade 1/4 associée à une insuffisance mitrale avec épaississement de la grande valve mitrale de l'ordre de 2/4'; cet état n'est pas évolutif depuis le 10 décembre 2012, sur le plan clinique il n'existe pas de retentissement évident au niveau de la fonction cardiaque mais Mme M. accuse un certain degré de dyspnée d'effort à la marche rapide. Par ailleurs il a existé un stress suite à l'annonce des complications du Mediator à l'origine d'un syndrome anxieux'".
Sur la défectuosité du produit
Le défaut du produit peut être lié à sa conception ou sa fabrication notamment sa substance ou son conditionnement et être à l'origine de dommages individuels ou sériels. Mais le seul fait que le produit soit à l'origine du dommage ne suffit pas à présumer ou caractériser l'existence d'un défaut, un produit de santé comportant nécessairement des risques pour les patients. Le rapport bénéfice/ risque doit être examiné notamment au vu de la gravité des effets nocifs constatés. Le défaut peut également être lié à une information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par l'utilisateur du produit.
Le Médiator dont le principe actif est le Benfluorex, était initialement prescrit dans le traitement de l'hypercholestérolémie et l'hypertriglycéridémie et comme adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale ; il a également été prescrit dans un but d'amaigrissement.
Le Mediator (Benfluorex) a une structure chimique apparentée à celle des fenfluraminiques, anorexigènes de type Isoméride (dexfenfluramine) et Pondéral (fenfluramine) mais avec des propriétés pharmacologiques différentes. Le Benfluorex présente un métabolite commun avec ces anorexigènes, la Norfenfluramine.
Il a fait l'objet d'une AMM en 1974, d'une mise sur le marché français par les Laboratoires Servier en septembre 1976 (puis en Espagne, Italie, Portugal, Suisse et Luxembourg), d'une AMM renouvelée en 1979 puis révisée en 2007 (restriction à la seule indication d'adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale).
A la suite de plusieurs publications d'études d'efficacité du produit (Del Prato en 1997, Moulin en 2006, Regulate en 2010) et de lien entre le produit et la valvulopathie (groupe HTAP de Bretagne occidentale sur les patients hospitalisés de 2003 à 2009, Tribouilloy et autres en 2010, Weill basées sur les données de l'assurance maladie et du PMSI au cours de l'année 2006), il a fait l'objet d'une suspension en novembre 2009 puis d'un retrait par l'AFSSAPS par décision du 20 juillet 2010 en raison de sa toxicité cardio vasculaire caractérisée par un risque d' hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et de valvulopathie.
Dans ces conditions, la défectuosité du produit est avérée en ce qu'il comporte des risques cardiaques liés à son exposition que ne justifie pas le bénéfice escompté, les dits risques n'ayant pas été révélés aux praticiens prescripteurs ni aux patients en l'absence totale d'information figurant sur les notices accompagnant le produit tel que distribué au patient et même au Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) disponible au dictionnaire Vidal pour 2009, année de son retrait, sur le risque, même présenté comme exceptionnel, d'apparition d'une hypertensionartérielle pulmonaire (HTAP) ou d'une valvulopathie.
Il n'offre donc pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Sur l'imputabilité du dommage au produit défectueux
Il ressort du rapport de l'expert, le Dr B. que':
- la prescription du Mediator à Mme M. dès 2004 était conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science au moment des faits notamment au regard de la pathologie de la patiente (diabète type 2) mais encore de l'autorisation de mise sur le marché du produit ;
- Mme M. présente':
* d'une part, une atteinte valvulaire aortique et mitrale dont l'aspect n'est plutôt pas en faveur d'une atteinte médicamenteuse mais vraisemblablement en rapport avec l'état antérieur de la patiente caractérisé par un diabète et une hypertension artérielle, en ce qu'il n'a pas été objectivé de restriction, diminution de la mobilité des cuspides aortiques ou d'atteinte de l'appareil sous valvulaire mitral'; par ailleurs, l'atteinte valvulaire est très peu importante et n'a aucun retentissement sur le fonctionnement myocardique ;
* d'autre part, une angoisse pathologique en rapport avec les conséquences potentielles de l'exposition au Mediator dans un contexte de médiatisation'; ce préjudice est en relation directe avec l'exposition au Mediator même si les conséquences ont été amplifiées par la révélation de ces conséquences éventuelles'; cette angoisse pathologique qui persiste au travers des doléances de la patiente est sans rapport avec l'évolution de la maladie ;
- il n'a pas été retrouvé de manquement, imprudence, négligence, maladresse ou erreur, les soins donnés ayant été consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science ;
- il n'a pas été donné de soins spécifiques en rapport avec les lésions ou affections ;
- l'état antérieur (diabète et hypertension artérielle) exposent à la survenue d'une insuffisance valvulaire de faible importance ;
- la date de consolidation est fixée au 4 janvier 2012 ;
- pas de déficit temporaire total mais partiel à hauteur de 3'% pour l'atteinte valvulaire et 7% pour l'angoisse ;
- un déficit fonctionnel permanent de 3'% pour l'atteinte valvulaire et 5'% pour l'angoisse ;
- pas de souffrances endurées pendant la maladie, par de préjudice esthétique temporaire ou définitif ni préjudice d'agrément et préjudice sexuel.
En réponse aux dires des parties sur l'anxiété ressentie, l'expert qui a rapporté les doléances de Mme M. et son sentiment que son espérance de vie a été diminuée, ne retient pas le guide d'évaluation de la Haute Autorité de la Santé (HAS) parce qu'il est destiné à la prise en charge des troubles anxieux dans le cadre de l'assurance maladie ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Après avoir précisé dans le corps de son rapport que cette angoisse est profondément ancrée par la présentation qui a été faite des conséquences de l'exposition au Mediator, il insiste en précisant': "'ce préjudice nous semble établi et suffisamment caractérisé': il est difficile d'accès au raisonnement rationnel et l'étude 'Regulate' (opposée par les Laboratoires Servier) n'est pas de nature à rassurer Mme M.'".
Ainsi, il résulte du rapport de l'expert judiciaire comme de l'attestation du Dr J., que la pathologie cardiaque dont Mme M. souffre n'est pas en lien avec le traitement par Mediator administré de 2004 à 2009. Et Mme M. n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause ces conclusions. Son appel incident relatif à l'indemnisation des déficits temporaires et permanents liés à cette pathologie doit donc être rejeté. La décision est confirmée sur ce point.
En revanche, le 'préjudice d'anxiété qui résulte pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique) qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital' est en l'espèce objectivé.
En effet, le dommage résultant de l'angoisse de vivre avec la crainte de voir réduite son espérance de vie en raison de l'exposition au médicament défectueux et de la crainte de développer une maladie grave est démontré en ce que, dès la suspension par l'AFSSAP de la mise sur le marché le 24 novembre 2009 diffusée dans la presse le 26 novembre 2009 et l'information des patients traités par Mediator en décembre, sur les risques de cardiotoxicité (maladies cardio vasculaires) liés au Médiator et son retrait d'AMM en juillet 2010, Mme M. a consulté un spécialiste, le Dr G. qui a instauré un suivi régulier "'dans le cadre d'une surveillance d'un traitement par Mediator pris durant de nombreuses années'", les 9 décembre 2010, 5 janvier 2012, 25 mars 2013 avec deux échocardiographies en 2012 et 2013. Et ce n'est qu'au résultat de l'expertise judiciaire qui, d'une part, exclut tout lien de cause à effet entre les pathologies cardiaques dont souffre Mme M. et la prise du Médiator, et d'autre part, confirme l'absence d'évolution de ces pathologies voire la possibilité d'une évolution favorable après l'arrêt du traitement, qu'il peut être considéré que Mme M. pouvait être rassurée sur l'absence de risque de développer une maladie cardiaque en lien avec le Mediator.
L'ensemble de ces éléments constituent des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir que l'anxiété ressentie est imputable à la prise de Médator durant 5 ans. Ce préjudice d'inquiétude ou d'anxiété est donc objectivé depuis la connaissance du risque jusqu'au dépôt du rapport qui lève le doute sur ce risque.
Mme M. justifie ainsi d'un préjudice indemnisable durant cette période constitué par le risque d'altération de son état de santé lié à la contamination, justifiant la réparation d'un tel préjudice temporaire.
En revanche, elle ne justifie d'aucun élément de nature à objectiver la persévérance d'un préjudice d'anxiété en lien avec la prise du médicament postérieurement à l'expertise éclairante sur l'origine de sa pathologie : aucune prise en charge thérapeutique au titre d'une symptomatologie anxieuse, aucun contrôle régulier. Ses seules doléances rapportées devant l'expert sont insuffisantes. Le préjudice invoqué n'est donc pas actuel.
Sur la responsabilité de la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industries et l'exonération pour risque de développement
En vertu de l'article 1245-10 du Code civil le producteur dont le produit est considéré comme défectueux à la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité de plein droit dans certains cas dont la preuve lui incombe, notamment si l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.
La date de mise en circulation du produit qui a causé le dommage s'entend, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il faisait partie.
En l'espèce, la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industries doivent établir qu'au moment du traitement, les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de suspecter le défaut du produit.
Or, les données scientifiques concordantes disponibles depuis 1995 et en tout cas entre 2004 et 2009, période durant laquelle le Mediator a été administré à Mme M., permettaient aux Laboratoires Servier de déceler le défaut du produit voire, bien avant. En effet':
- en 1997 aux Etats Unis des anorexigènes (dexflenfluramine) ont été retirés du marché à la suite de la publication d'une série de 12 observations de valvulopathie ;
- le Benfluorex a un effet anoréxigène, sa filiation aux flenfluramines est révélée en 1997 par une étude du Pr L. ;
- les AMM de l'Isoméride et du Pondéral qui sont des anorexigènes qui présentent des métabolites communs avec le Benfluorex ont été retirées en France en 1997 à la suite de la démonstration d'une augmentation du risque d' HTAP ;
- la présence de métabolites communs au Benfluorex et à ces anorexigènes avait conduit l'Agence du médicament à interdire dès 1995 le Benfluorex dans les préparations magistrales en même temps que les anorexigènes ;
- en 1997 l'autorité suisse de contrôle des médicaments a exprimé des craintes liées à la parenté chimique entre ces substances (cf Communiqué Swissmedic pièce 36 des appelantes) et les Laboratoires Servier ont retiré le Mediaxal (Mediator en Suisse) du marché Suisse en 1998, les motifs de ce retrait n'ayant pas été précisés ;
- la commission d'AMM du 9 décembre 1999 précise "'la tolérance du Benfluorex est remise en question en raison de la notification récente d'une hypertension artérielle pulmonaire d'allure primitive chez un patient de 51 ans traité par Benfluorex depuis quatre à cinq ans'" ;
- en 1999 une première observation de valvulopathie aortique chez un patient exposé au Benfluorex est signalée à Marseille et une seconde à Toulouse en 2002 ;
- le retrait spontané et volontaire du marché Espagnol en mars 2003 et du marché Italien en mai 2003 est motivé par des considérations économiques non objectivées, alors qu'il avait été publié peu avant en Espagne, dans la revue espagnole de cardiologie, un article qui met en évidence un cas de valvulopathie associé au Benfluorex ;
- des études sur le Benfluorex ont précisé le lien entre le Benfluorex et les valvulopathies (Etude Del Prato en 1997, étude Moulin en 2006 confirmées en 2010 par l'Etude Regulate) ;
- de nombreux cas ont été analysés (Etude de cas témoin rétrospective menée par le CHU de Brest depuis 2003, Etude rétrospective Tribouilloy, Etude rétrospective Weill) qui ont révélé un risque important d'insuffisances mitrales ou valvulopathies en cas d'exposition au Benfluorex ;
- le compte rendu de la commission nationale de pharmacovigilance du 27 mars 2007 révèle que l'enquête diligentée sur les effets secondaires du Benfluorex est étendue aux HTAP depuis la notification d'un cas d'HTAP en 2005 et ce, afin d'apprécier la balance bénéfice/risque';
- le CR de la même commission en date du 7 juillet 2009 mentionne expressément en page 17 "'concernant les valvulopathies, nous disposons d'une trentaine de cas entre 1998 et 2009 sous Mediator ce qui constitue un signal qu'il convient d'explorer'".
Ainsi, au regard de la communauté de métabolites entre le Benfluorex et les anorexigènes interdits dès 1997 et malgré leurs différences de classe thérapeutique, les laboratoires Servier devaient s'interroger sur les effets néfastes du produit, procéder au moins à des investigations sur la réalité du risque signalé depuis 1997 et à tout le moins en informer les médecins prescripteurs et les patients ce qui n'a pas été le cas en France dès cette date. Ils ne peuvent se retrancher derrière l'attentisme en la matière de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) ou de l'Agence du médicament (laquelle au demeurant a mis en place un suivi de pharmacovigilance dès 1998 confiée au CRPV de Besançon).
Dans ces conditions, au regard du risque cardiaque lié à l'exposition au Mediator durant la période où Mme M. a reçu ce traitement, la responsabilité de plein droit de la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industrie qui avaient connaissance du risque depuis 1997 et n'a pas conduit des investigations sur la réalité du risque signalé, ni n'a informé les patients et les professionnels de santé, est engagée dans l'apparition du dommage constitué par un préjudice d'anxiété sans cause possible d'exonération légale pour risque de développement.
Sur l'indemnisation du préjudice
Mme M. ne peut se prévaloir que d'un préjudice d'inquiétude ou d'anxiété tel qu'objectivé plus haut, constitué par le risque d'altération de l'état de santé lié à la prise d'un produit défectueux, depuis la connaissance du risque fin 2009 jusqu'au dépôt du rapport du 9 juillet 2014 qui lève le doute sur ce risque.
L'indemnisation de ce préjudice temporaire qui a été sous estimé par le premier juge doit être évalué à 1400.
La décision du premier juge sera réformée en ce qu'elle intègre l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété définitif alors que Mme M. était rassurée sur l'origine non médicamenteuse de sa maladie cardiaque et qu'elle ne justifie d'aucun élément objectivant la persistance d'un tel trouble.
Le jugement doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions sauf à préciser l'étendue du préjudice indemnisé.
Par ces motifs LA COUR - Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 30 novembre 2017 en toutes ses dispositions sauf à préciser que l'indemnisation à hauteur de 1400 ne concerne que le préjudice d'anxiété temporaire. - Condamne la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industries à verser à Mme M. la somme de 2000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. - Condamne la SAS Laboratoires Servier et la SAS Laboratoires Servier Industries aux dépens d'appel.