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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 7 février 2019, n° 17-01474

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Look Cycle International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulquier

Conseillers :

MM. Sarrazin, Perinetti

Avocats :

Mes Boitard, Provost, Lerasle

TI Bourges, du 7 sept. 2017

7 septembre 2017

M. Xavier D. a acquis le 1er juillet 2010 auprès des établissements Narcy, moyennant le prix de 2 099 euros, un cadre de vélo de marque Look qui a été remplacé par le fabricant le 8 février 2012, au niveau du hauban arrière droit.

Une fissuration étant apparue sur ce hauban en août 2014, M. Xavier D. a sollicité une nouvelle fois le changement du cadre mais la société Look Cycle International a opposé un refus au motif que la fissure associée à un éclat de peinture était due à un choc.

M. Xavier D. a alors assigné la société Look Cycle International devant le tribunal d'instance de Bourges aux fins d'obtenir le paiement d'une somme totale de 8 069 euros et, par deux jugements des 11 septembre 2015 et 20 janvier 2017, cette juridiction a désigné M. Stéphane Vinchon pour effectuer une expertise du vélo puis un complément d'expertise.

Par jugement en date du 7 septembre 2017, le tribunal d'instance de Bourges a :

- condamné la société Look Cycle International à payer à M. Xavier D. la somme de 3 234 euros TTC

correspondant au coût du remplacement du cadre du vélo acquis le 1er juillet 2010,

- condamné la société Look Cycle International à payer à M. Xavier D. la somme de 3 800 euros TTC

toutes causes de préjudice confondues,

- condamné la société Look Cycle International à payer à M. Xavier D. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

- condamné la société Look Cycle International aux dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire.

Par déclaration reçue le 18 octobre 2017, la société Look Cycle International a relevé appel de cette décision.

Par conclusions notifiées le 7 juin 2018 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la société Look Cycle International demande à la cour, infirmant le jugement, de dire qu'une simple fissure ne rend pas le vélo impropre à sa destination et que ce dernier ne présente donc pas de vice caché, de déclarer M. X.

D. irrecevable et mal fondé en toutes ses prétentions, subsidiairement de limiter sa condamnation à la restitution du prix et au remboursement des frais occasionnés par la vente, en tout état de cause de condamner

M. Xavier D. à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts et celle de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Par conclusions notifiées le 29 juin 2018 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, M. Xavier D. demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société Look Cycle International de l'intégralité de ses prétentions et de la condamner à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2018.

Sur ce,

D'une manière quelque peu incohérente sur le plan logique, la société Look Cycle International soutient tout d'abord que la fissure est sans gravité et procède d'une usure normale, ensuite que le rapport d'expertise ne peut lui être opposé en raison de l'incompétence de l'expert, des insuffisances du rapport du laboratoire CRITT et de l'absence de réponse à la mission d'expertise, enfin que la présence d'une rayure sur le cadre du vélo, à quelques millimètres de la fissure, atteste de ce que le cadre a subi un choc à l'origine du délaminage.

Pour restaurer quelque peu de logique à cette présentation qui mélange de surcroît les questions de fond et les questions de forme (absence de réponse à la mission d'expertise), il conviendra d'examiner en premier lieu les moyens tirés de "l'inopposabilité de l'expertise" et en second lieu les moyens de fond tirés de l'existence d'un vice caché.

Sur l'opposabilité du rapport d'expertise de M. Vinchon :

La société Look Cycle International soutient principalement que M. Vinchon, inscrit comme expert automobile, n'a aucune compétence pour se prononcer sur un désordre affectant un vélocipède et qu'au demeurant, il s'est contenté de reprendre textuellement les conclusions du laboratoire CRITT, choisi comme sapiteur, tant dans son rapport initial que dans le complément d'expertise en réponse au dire qu'elle avait présenté. Elle souligne également les insuffisances du rapport du laboratoire CRITT qui, alors qu'il était chargé de déterminer si l'endommagement du cadre provient d'un choc externe ou d'un problème de fabrication, a procédé à l'analyse de la conception et de la mise en œuvre du cadre mais n'a nullement analysé la question d'un éventuel choc ou les conséquences d'une trop grande sollicitation du vélo. Enfin, elle prétend que l'expert ne répond pas à sa mission puisque, s'il invoque l'existence d'une fissure, il ne donne aucune indication quant à sa longueur, sa profondeur ou encore sa gravité, étant ajouté que pour sa part le laboratoire CRITT relève uniquement un endommagement superficiel du carbone.

Cependant, les parties à une instance au cours de laquelle une expertise judiciaire a été ordonnée ne peuvent invoquer une inopposabilité du rapport d'expertise en raison d'irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise, lesquelles sont sanctionnées selon les seules dispositions de l'article 175 du Code de procédure civile, qui renvoient aux règles régissant les nullités des actes de procédure.

Surabondamment, c'est par des motifs pertinents auxquels la cour se réfère que le jugement, pour considérer que l'expert a exécuté personnellement sa mission, retient que, d'une part, l'expert Vinchon, qui tire des dispositions de l'article 278 du Code de procédure civile la faculté de recueillir l'avis d'un autre technicien dans une spécialité distincte de la sienne, a pu demander au laboratoire CRITT de procéder à une analyse du cadre du vélo pour déterminer si la fissuration observée était consécutive à un choc ou à un défaut de conception ou fabrication et, d'autre part, que l'expert ne s'est pas limité à un renvoi pur et simple aux conclusions du laboratoire mais les a analysées et a formulé son avis en répondant précisément aux questions posées.

En outre, l'examen du rapport d'expertise comme du complément de rapport suffit à se convaincre que l'expert Vinchon a exécuté complètement sa mission en répondant à l'ensemble des questions posées par le tribunal, la société Look Cycle International confondant le défaut de réponse aux questions posées avec le caractère pertinent ou non des réponses apportées, lequel est apprécié souverainement par le juge qui a commis l'expert conformément à l'article 246 du Code de procédure civile. Ces considérations sont également valables pour l'avis donné par le technicien choisi comme sapiteur, à supposer même que ce dernier ait l'obligation de répondre à des questions que le juge ne lui a pas posées.

Enfin, il résulte de l'article 232 du Code de procédure civile que toute liberté est laissée au juge pour commettre la personne de son choix pour l'éclairer par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien, de sorte que l'inscription de M. Vinchon à la rubrique "automobiles" de la liste des experts judiciaires ne saurait entraîner ni nullité, au demeurant non demandée, ni inopposabilité, non encourue, et que la seule sanction d'une incompétence qui se ferait jour à l'examen de l'avis de l'expert, ne peut être que la mise à l'écart, au fond, de cet avis.

Sur l'existence d'un vice caché :

La société Look Cycle International soutient, en substance, que le désordre observé sur le hauban ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour compromettre l'usage de la chose vendue, qu'en effet l'expert amiable puis l'expert judiciaire n'ont pas constaté de rupture du hauban mais une simple fissure intérieure en rapport avec la rupture de fibres, que l'expert judiciaire ne donne aucune indication à propos de la longueur et de la profondeur de la fissure et donc de sa gravité, que le laboratoire CRITT chargé par cet expert de procéder à une analyse technique retient un endommagement superficiel du carbone laissant entendre que la fissure n'est pas profonde et n'atteint pas la structure globale du cadre et que le vélo était parfaitement utilisable et que M. Xavier D. a même effectué une course après avoir découvert cette fissure. Relevant que la fissure est apparue deux ans et demi après le remplacement du cadre initial et que M. Xavier D., qui participe régulièrement à des compétitions et doit s'entraîner, reconnaît avoir parcouru 12 000 km avant de s'apercevoir de la fissure, elle prétend que cette dernière provient d'une utilisation et d'une usure normale du vélo, et non d'un vice de conception ou de fabrication. Enfin, elle fait valoir que l'existence, reconnue par M. Xavier D. qui a dans un second temps tenté de la maquiller, d'une rayure sur le cadre du vélo, à quelques millimètres de la fissure, est la démonstration que le cadre du vélo a subi un choc à l'origine du délaminage.

La cour entend se référer, pour caractériser l'existence d'un vice caché, aux motifs du jugement qui, après avoir procédé à une analyse précise, détaillée, complète et pertinente des constatations et conclusions du laboratoire CRITT, choisi par l'expert comme sapiteur, puis des propres constatations et conclusions figurant tant dans le rapport initial que dans le rapport complémentaire de l'expert Vinchon, en déduit que la fissuration du hauban droit dans une zone de fortes sollicitations mécaniques trouve sa cause dans un mauvais placement des tissus de carbone, et non dans un choc, étant observé par la cour que l'expert n'a relevé aucune trace de choc lors de ses premières constatations visuelles et que la rayure visible sur certaines photographies non seulement n'a pas été maquillée par M. Xavier D., puisque précisément visible sur ces photographies, mais encore n'est pas située exactement à l'emplacement de la fissure et ne peut avoir de lien avec cette dernière. C'est également par des motifs pertinents auxquels il est renvoyé que le premier juge a considéré que la participation par M. Xavier D. à une course après la découverte de la fissure n'avait pas eu d'incidence sur l'aggravation de cette dernière, que cette fissuration ne pouvait résulter d'une usure normale d'un vélo de course, étant ajouté que ce type de cadre était garanti pendant cinq ans par le constructeur, et que le vice avait pour effet de diminuer considérablement l'usage du cadre destiné, en raison des qualités avancées et de son prix, à garantir un confort pour un cycliste susceptible de participer notamment à des courses.

Pour répondre plus complètement aux arguments soulevés par la société Look Cycle International, l'endommagement superficiel du carbone résulte des observations macroscopiques opérées dans un premier temps par le laboratoire CRITT qui, à l'issue notamment de ses observations microscopiques, a pu noter, au niveau de la fissure, une zone très endommagée révélant des ruptures de fibres causées par le dépassement de la limite élastique du matériau. La société Look Cycle International ne saurait donc soutenir sérieusement que la fissure ne serait pas profonde et n'atteindrait pas la structure globale du cadre.

Par ailleurs, le travail du laboratoire CRITT, fondé sur des observations macroscopiques, des explications techniques relatives à la conception du vélo Look, une analyse volumique de fibres, une analyse thermique et des observations microscopiques, et ce dans le but de déterminer le plus objectivement possible si la rupture du hauban trouve sa cause dans un problème de conception, un défaut de mise en œuvre (fabrication) ou un choc, a été exécuté avec le plus grand sérieux et la plus grande minutie. En reprenant à son compte les conclusions de ce sapiteur, puis en les développant et explicitant, l'expert Vinchon a lui même rempli avec sérieux et compétence la mission qui lui avait été confiée, sans qu'on puisse lui reprocher d'avoir recouru, pour l'exécution de l'ensemble de ses observations et analyses, à un technicien dans une spécialité différente de la sienne.

Le vice ayant ainsi son origine dans un défaut de fabrication qui est nécessairement antérieur à la vente mais ne s'est révélé à l'acquéreur que deux ans et demi après cette dernière, et qui a diminué tellement l'usage de la chose vendue qu'il ne l'aurait pas acquise s'il l'avait connu, c'est à bon droit que le jugement entrepris a dit que toutes les conditions d'engagement de la garantie des vices cachés, prévues aux articles 1641 et suivants du Code civil, étaient remplies.

Sur les conséquences du vice caché :

Le jugement retient, à bon droit, que le vendeur professionnel comme le fabricant étant censés connaître les vices affectant la chose vendue, ils sont tenus, conformément aux dispositions de l'article 1645 du Code civil, outre la restitution du prix reçu, de tous les dommages intérêts envers l'acheteur.

Le premier juge, par une exacte appréciation des éléments du dossier, a pu considérer que le cadre de vélo litigieux n'étant plus commercialisé, devait être remplacé par le cadre le plus approchant au niveau des caractéristiques techniques et du prix, soit le cadre 695 ZR Pro Team taille S d'une valeur de 2 990 euros, et que l'ensemble de l'opération comprenant le démontage et remontage des anciens équipements sur ce nouveau cadre s'élevait à 3 234 euros, à la charge de la société Look Cycle International.

C'est également par une exacte appréciation des éléments du dossier que le premier juge a mis à la charge du vendeur, à titre de dommages intérêts, une somme de 300 euros correspondant au coût de l'intervention initiale du cabinet Berry Experts Autos (30 euros) et aux frais de déplacement qu'il a nécessairement engagés pour déposer et reprendre le cadre de son vélo à la concession Look de Varennes Vauzelle, la plus proche de son domicile de Bourges (270 euros). En revanche, si M. Xavier D. a pu subir un préjudice de jouissance pour ne pas avoir pu participer, avec un vélo performant, à des courses cyclistes entre le mois d'août 2014 et celui de février 2015, au cours duquel il a fait l'acquisition d'un nouveau vélo, ce préjudice sera plus justement indemnisé au moyen d'une somme 500 euros dès lors qu'il est établi qu'il a participé au moins à trois courses, fût ce avec un vélo moins performant, durant ladite période.

Sur la demande reconventionnelle de la société Look Cycle International :

À l'appui de sa demande reconventionnelle tendant au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts, la société Look Cycle International fait valoir que M. Xavier D., en contactant pas moins de 76 magasins de sport pour leur exposer le litige l'opposant à elle et en maquillant délibérément l'existence d'une rayure, a porté atteinte à son image et à sa réputation.

Cependant, par des motifs pertinents que la cour s'approprie, le premier juge a exactement retenu que l'envoi d'un message à plusieurs distributeurs de vélo Look ne pouvaient porter atteinte à l'image et la réputation de la société Look Cycle International, en raison de la présentation neutre de la difficulté rencontrée avec le vélo endommagé et l'opposant à la société Look Cycle International.

Par ailleurs, il a déjà été précisé ci dessus que M. Xavier D. n'avait pas maquillé une rayure au niveau du hauban endommagé.

En conséquence, aucune faute quasi délictuelle n'étant caractérisée à l'encontre de M. Xavier D., le

jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande de dommages intérêts.

Sur les demandes accessoires :

La société Look Cycle International s'est bornée à reprendre, en cause d'appel, les moyens déjà soulevés en première instance et auxquels le premier juge avait répondu avec pertinence, seule pouvant être critiquée une évaluation quelque peu excessive d'un préjudice de jouissance. Dès lors, il est équitable d'allouer à M. Xavier D., sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, une somme de 1 500 euros en complément de la somme de 1 500 euros allouée au titre des frais de même nature exposés devant le tribunal.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement rendu le 7 septembre 2017 par le tribunal d'instance de Bourges, sauf en ce qu'il a condamné la société Look Cycle International à payer à M. Xavier D. la somme totale de 3 800 euros TTC à titre de dommages intérêts, Statuant à nouveau de ce chef réformé, Condamne la société Look Cycle International à payer à M. Xavier D. la somme de 800 euros à titre de dommages intérêts, Condamne la société Look Cycle International à payer à M. Xavier D. la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens d'appel, Condamne la société Look Cycle International aux dépens d'appel, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.