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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 février 2019, n° 16-19882

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

KMC Services (SARL)

Défendeur :

Chronopost (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Menzel, Cornuault, Di Vetta

T. com. Paris, du 7 sept. 2016

7 septembre 2016

Faits et procédure

Le 1er octobre 2010 la société anonyme Chronopost International (par abréviation Chronopost) a signé avec la SARL KMC Services (par abréviation KMC) "un contrat de sous-traitance de transport, collecte et ou distribution" d'une durée indéterminée, aux termes duquel la première a confié à la seconde, sous son entière responsabilité, le transport des plis et colis ainsi que des prestations accessoires, dans les villes de Puteaux, Suresnes, Villeneuve La Garenne, Boulogne et Sèvres.

Reprochant à la société Chronopost d'avoir résilié verbalement sans délai et sans motif ce contrat le 15 janvier 2011, la société KMC l'a fait assigner en indemnisation par acte du 9 février 2015 devant le tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement du 7 septembre 2016 a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- dit prescrites toutes les demandes de la société KMC Services,

- débouté cette dernière de toutes ses prétentions,

- débouté la société Chronopost de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- condamné la société KMC Services à payer à la société Chronopost la somme de 800 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit mal fondées les parties en leurs autres demandes,

- condamné la société KMC Services aux dépens.

Selon dernières conclusions notifiées le 26 avril 2017, la société KMC, appelante, sollicite :

- l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Chronopost de sa demande reconventionnelle,

- le rejet de l'appel incident et des demandes de la société Chronopost,

- la non-application de la prescription édictée par l'article L. 133-6 du Code de commerce,

- le bien-fondé de l'ensemble de ses demandes et le rejet des entières prétentions de la société Chronopost,

- la condamnation de la société Chronopost à lui verser les sommes de 21 217 euros TTC à titre d'indemnité de préavis et de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle,

- la condamnation de la société Chronopost à lui payer les sommes de 246 570 euros en réparation du préjudice subi, de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Suivant dernières conclusions notifiées le 27 février 2017, la société Chronopost, intimée, réclame :

- la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a dit prescrites toutes les demandes de la société KMC,

- l'infirmation dudit jugement en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle,

- la condamnation de la société KMC à lui régler la somme de 20 000 euros pour procédure abusive, la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et à payer les entiers dépens.

Sur ce, LA COUR,

Sur la prescription de l'action de la société KMC

La société Chronopost oppose à l'action de la société KMC introduite le 9 février 2015 une fin de non-recevoir tirée de la prescription annale visée à l'article L. 133-6 du Code de commerce ; elle soutient que cette prescription s'applique sans exception à toutes les actions nées du contrat de transport, y compris les actions en responsabilité contractuelle nées de la rupture du contrat de transport. Elle fait valoir que le contrat liant les parties ayant été résilié par courrier du 13 janvier 2011 à compter du 15 janvier 2011, l'action engagée par la société KMC est prescrite depuis le 16 janvier 2012. Elle prétend également que la société KMC ne saurait échapper à cette fin de non-recevoir en invoquant comme fondement juridique à son action l'article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce, dans la mesure où ce texte est inapplicable, d'une part, aux manquements de nature contractuelle puisqu'il ne sanctionne que le préjudice résultant de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, d'autre part, à une relation d'affaires de seulement quatre mois.

La société KMC réplique que les actions fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce qui engage la responsabilité civile délictuelle d'une société ne sont pas soumises à la prescription annale. Elle rétorque également n'avoir jamais été destinataire d'un quelconque courrier de résiliation. Enfin, elle affirme que le prétendu courrier de rupture n'a pas été adressé à son siège social.

Il convient d'observer que la société KMC forme deux demandes distinctes : l'une fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce visant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat de transport, lui ayant occasionné des difficultés financières, pour la réparation duquel elle réclame une somme de 246 570 euros, l'autre en vertu des articles 1134 et 1147 du Code civil relative à une inexécution contractuelle tirée de l'absence de préavis, du non paiement de prestations exécutées, de l'application de pénalités, de l'impossibilité d'établir elle même sa facture, pour laquelle elle sollicite une indemnisation d'un montant de 21 217 euros représentant une indemnité de préavis et de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, tout en expliquant en page 10, paragraphe 6 de ses conclusions que la même somme de 246 570 euros susmentionnée vise également les manquements contractuels.

Sont soumises à la prescription annale édictée par l'article L. 133-6 du Code de commerce, sauf cas de fraude ou d'infidélité, tant les actions pour avaries, pertes ou retards auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport que toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier que contre le commissionnaire.

La société KMC, transporteur, met en cause, dans sa seconde demande au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, la mauvaise exécution du contrat de transport du 1er octobre 2010 conclu entre elle et la société Chronopost, commissionnaire de transport, en se prévalant des manquements contractuels de ce dernier (absence de préavis, non paiement de prestations exécutées et application de pénalités). Cette prétention, qui figure au rang des actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, s'agissant d'une action en responsabilité contractuelle née de la rupture du contrat, ne peut qu'être soumise à la prescription annale, dès lors que le contrat du 1er octobre 2010 a été résilié le 15 janvier 2011 et que la présente instance a été engagée le 9 février 2015.

En effet, la société KMC ne peut sérieusement soutenir n'avoir pas reçu la lettre de résiliation alléguée alors que, d'une part, son représentant a signé le 14 janvier 2011 l'accusé réception de ce courrier recommandé, comme il avait d'ailleurs signé, sans protestation, deux autres accusés de réception de lettres recommandées du 5 janvier 2011 se rapportant à des mises en demeure de respecter les éléments substantiels du contrat et de mise à jour et que, d'autre part, cette correspondance a été envoyée à l'adresse qui figure dans le contrat de transport, à savoir 19 rue des Balkans à Paris 75020.

Ce chef de demande est par conséquent prescrit ; la décision des premiers juges sera confirmée sur ce point.

En revanche à juste titre l'appelante argue que l'article L. 133-6 du Code de commerce ne concerne que les actions auxquelles donne lieu le transport de marchandises, à l'exclusion de celle fondée sur l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, visant le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Ce chef de demande n'est donc pas prescrit ; la décision du tribunal sera infirmée sur ce point.

Sur la demande de la société KMC fondée sur l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce

Au titre du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la société KMC reproche à sa partenaire de lui avoir imposé des conditions de travail difficiles, à savoir une augmentation d'activité extrêmement forte sans aucune contrepartie financière. Elle fait également grief à la société Chronopost d'avoir exigé d'elle le licenciement de deux de ses salariés. Elle invoque encore une clause de résiliation unilatérale permettant la rupture à tout moment, une clause de résiliation pour appel d'offres l'autorisant à rompre de façon brutale les relations ainsi qu'une clause de non-règlement de la prestation en cas de retard lors de la collecte alors qu'il n'affecte pas, selon elle, la livraison au destinataire du colis. Enfin elle prétend que sa partenaire lui impose des conditions tarifaires qui asphyxient le sous-traitant.

La société Chronopost rétorque que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce vise un déséquilibre juridique et non économique. Elle réplique que la clause de résiliation alléguée est conforme au droit de chacun de mettre fin à un contrat à durée indéterminée, qui est protégé en tant que liberté fondamentale. Elle soutient encore que la clause contractuelle 8.2 sur le retard juridiquement qualifiée d'obligation de résultat ne saurait être constitutive d'un déséquilibre significatif et que les prix proposés relèvent de l'unique responsabilité du sous-traitant.

Aux termes du contrat du 1er octobre 2010, il est précisé à l'article 1 que la livraison dans les délais convenus et le transfert des informations relatives au suivi des colis constituent des éléments substantiels de l'accord, à l'article 8 que le transporteur est engagé à une obligation de résultat, à l'article 8.2 que le transporteur reconnaît que, compte tenu de l'importance du respect des délais dans l'activité de Chronopost, l'exécution de la prestation dans les délais définis en annexe d'exploitation constitue une condition substantielle de sa sélection et de la relation commerciale et l'engage à une obligation de résultat.

Dans sa correspondance du 10 novembre 2010, la société Chronopost a informé la société KMC de la future croissance du trafic de fin d'année, lui a rappelé ses obligations de ponctualité réelle, de priorisation du produit, de mise à disposition dans les délais aux clients de l'information de traçabilité fiable, de qualité formelle de la preuve de la distribution papier et surtout lui a demandé de lui faire connaître les moyens mis en place par secteur afin de pouvoir tenir ses engagements face au trafic actuel et en prévision de la montée en charge en décembre.

Ainsi, la société KMC a été informée dès novembre 2010 d'une augmentation de la future activité et il lui appartenait alors de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour y faire face. Elle n'est pas fondée à se plaindre d'une croissance d'activité qui entraîne nécessairement une augmentation de son chiffre d'affaires et donc une contrepartie financière.

Par ailleurs, elle ne justifie aucunement que la société Chronopost ait exigé le licenciement de deux de ses employés ; la circonstance que le sous-directeur de l'agence Chronopost de Villeneuve la Garenne ne veuille plus voir M. X, selon la lettre de ce dernier du 6 janvier 2011, n'empêchait pas la société KMC de faire travailler cet employé sur un autre secteur. Par ailleurs, aucune pièce n'est versée aux débats pour démontrer l'exigence du commissionnaire de transport pour le second employé.

Aucun déséquilibre des droits des parties ne saurait résulter de la clause de résiliation invoquée par la société KMC, dès lors qu'elle confère à chaque partie le même droit de mettre fin au contrat dans les mêmes conditions, de sorte qu'est établie une réciprocité des droits des parties. La clause 11 selon laquelle le transporteur pourra être invité à participer à tout appel d'offres organisé par Chronopost qui pourra décider de résilier la relation commerciale d'une durée indéterminée a pour contrepartie le respect par cette dernière des dispositions de l'article 12 se rapportant au respect d'un préavis d'un mois si l'accord a été conclu dans les 6 mois, de 2 mois si l'accord a été conclu entre 6 mois et un an, de trois mois si l'accord a été conclu depuis plus d'un an.

Selon la société KMC, la clause 8.2 du contrat serait manifestement abusive, en ce qu'elle prévoit qu'un seul retard lors de la collecte ou de la livraison, imputable au transporteur, engage la responsabilité de ce dernier et qu'il sera redevable du paiement d'une somme forfaitaire égale au prix de la prestation effectuée.

Or, la ponctualité dans ce contrat de transport constitue une obligation de résultat contractuellement prévue puisque la tarification des prestations de la société Chronopost varie en fonction des heures limites de livraison qu'elle s'engage à assurer auprès de ses clients et qu'elle est responsable de la même obligation de résultat à l'égard de son client. Par ailleurs, le fait que le retard, lors de la collecte ou de la livraison, doit être imputable au transporteur ne saurait en soi entraîner un déséquilibre dans les droits et obligations des parties puisque la sanction se justifie par l'imputabilité du retard.

Enfin, la société KMC invoque des conditions tarifaires qui lui seraient imposées du fait de sa dépendance économique.

Or, aux termes du contrat article 10.1.1, " le transporteur calcule ses coûts et détermine lui même ses tarifs qu'il porte à la connaissance de Chronopost. Le transporteur certifie qu'il n'offre pas ou ne pratique pas de prix inférieurs au coût de revient de sa prestation, conformément aux dispositions des lois du 31 décembre 1992, du 1er février 1995 et 5 juillet 1996 " ; pour le mode de rémunération " le transporteur fixe librement son prix en tenant compte du volume des prestations et de ses modalités décrites dans l'appel d'offres ", selon l'article 10.1.2.1 du contrat.

L'appelante ne peut apporter la preuve de ses allégations en ne produisant aux débats que des tracts généraux émanant de syndicats ou des articles de presse qui, au surplus, ne concernent pas la société KMC mais un autre sous-traitant.

Ce chef de demande visant le déséquilibre dans les droits et obligations des parties sera, en conséquence, rejeté.

Sur la demande reconventionnelle de la société Chronopost

La demande reconventionnelle de la société Chronopost d'un montant de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ne saurait être accueillie, dès lors qu'une action non fondée ne suffit pas à caractériser l'abus du droit d'ester en justice.

Ce chef de demande ne peut en conséquence prospérer et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce point.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Chronopost les frais engagés à ce titre que la cour évalue à la somme de 5 000 euros ainsi que les dépens ; la décision du tribunal sera également confirmée sur les dépens de première instance et l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme la décision rendue le 7 septembre 2016 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a déclaré prescrite la demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ; L'Infirme sur ce point ; Et, statuant à nouveau de ce seul chef, Rejette la demande de la société KMC fondée sur l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ; Y ajoutant, Condamne la société KMC à payer à la société Chronopost la somme complémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société KMC aux dépens d'appel.