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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 14 février 2019, n° 18-03185

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Menatsia (SCI)

Défendeur :

Le Crédit Lyonnais (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bacher

Conseillers :

M. Beauclair, Mme Mazarin Georgin

Avocats :

Mes Dupey, Gil

TGI Albi, du 10 juill. 2018

10 juillet 2018

Exposé du litige.

Vu l'appel interjeté le 17 juillet 2018 par la SCI La Menatsia à l'encontre d'un jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Albi en date du 10 juillet 2018.

Vu les conclusions de la SCI La Menatsia en date du 7 janvier 2019.

Vu les conclusions de la SA LCL Le Crédit Lyonnais en date du 31 décembre 2018.

Vu l'ordonnance de clôture du 7 janvier 2019 pour l'audience de plaidoiries fixée au 14 janvier 2019.

Par acte authentique du 17 avril 2004, LCL Le Crédit Lyonnais a consenti à la SCI La Menatsia un prêt de 300 000 euros au taux de 4,20 % hors assurance sur une durée de 11 ans et 3 mois. Les époux X, co-gérants de la SCI La Menatsia, se sont portés cautions solidaires.

La SCI La Menatsia n'honorant plus les échéances, LCL a, selon courrier recommandé avec avis de réception du 14 décembre 2011, délivré une mise en demeure d'avoir à régulariser sous quinzaine sous peine de voir prononcer la déchéance du terme.

Le 6 novembre 2017, la société LCL, agissant en vertu de l'acte notarié du 17 avril 2004, a fait délivrer à la société La Menatsia un commandement de payer la somme globale de 138 804,86 euros dont 83 521,04 euros en principal ;

Par acte du 24 novembre 2017, LCL, agissant en vertu de l'acte notarié de prêt du 17 avril 2004, a fait signifier à la Caisse fédérale de Crédit mutuel la saisie attribution des sommes qu'elle détient pour le compte de la SCI La Menatsia pour obtenir le paiement de la somme de 139 863,80 euros incluant un principal de 83 521,04 euros.

Par acte d'huissier du 5 décembre 2017, la SCI La Menatsia et Monsieur X ont assigné la société LCL aux fins de voir déclarer prescrite l'action en paiement de la société LCL et par suite, de voir annuler le commandement de payer et la saisie attribution pratiquée.

Ils réclament en outre :

- l'annulation du commandement de payer et de la saisie attribution subséquente,

- l'annulation de la clause d'intérêts du prêt et la substitution du taux légal

- la condamnation de la société LCL à produire un nouveau tableau d'amortissement et à rembourser les intérêts indûment perçus

- subsidiairement, ils poursuivent :

- la nullité du cautionnement de Monsieur X

- la nullité du TEG

- la déchéance du droit aux intérêts de la SA LCL

Et en toute hypothèse, ils réclament la condamnation de la SA LCL à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

En réponse devant le premier juge, la société LCL conclut à l'irrecevabilité de l'action engagée par la société La Menatsia et Monsieur X, à l'absence de qualité à agir de Monsieur X, et au fond au débouté de leurs prétentions et sollicite leur condamnation à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 10 juillet 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'ALBI a :

- déclaré Monsieur X, en sa qualité de caution solidaire de la SCI La Menatsia, irrecevable à agir en contestation de la saisie attribution pratiquée à l'encontre de la SCI La Menatsia selon procès-verbal du 24 novembre 2017 à la requête de la société LCL

- déclaré recevable la contestation émise par la SCI La Menatsia à l 'encontre de la saisie attribution pratiquée à son encontre selon procès-verbal du 24 novembre 2017 à la requête de la société LCL

- débouté la SCI La Menatsia de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement de la société LCL fondée sur l'acte notarié de prêt du 27 avril 2004.

- déclaré irrecevable comme prescrite la contestation par la SCI La Menatsia de la stipulation d'intérêts conventionnels du prêt notarié du 27 avril 2004

- débouté la SCI La Menatsia de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SCI La Menatsia à payer à la société LCL la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamné Monsieur X et la SCI La Menatsia aux dépens de l'instance.

- ordonné l'exécution provisoire de la décision

- rejeté toute demande autre, contraire ou plus ample.

Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d'appel, sauf celui déclarant Monsieur X, en sa qualité de caution solidaire de la SCI La Menatsia, irrecevable à agir en contestation de la saisie attribution pratiquée à l'encontre de la SCI La Menatsia selon procès-verbal du 24 novembre 2017 à la requête de la société LCL et celui déclarant recevable la contestation émise par la SCI La Menatsia à l'encontre de la saisie attribution pratiquée à son encontre selon procès-verbal du 24 novembre 2017 à la requête de la société LCL.

La SCI La Menatsia demande à la cour, le dispositif de ses écritures reprenant ses moyens, de :

- réformer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit recevable sont action.

- dire que la déchéance du terme a été prononcée le 14 décembre 2011 par la société LCL.

- dire forclose l'action de la société LCL à son encontre.

- subsidiairement dire prescrite l'action de la société LCL à son encontre.

- en conséquence annuler le commandement de payer et ordonner la mainlevée de la saisie attribution.

- débouter la société LCL de toutes ses demandes.

- dire que la clause sur le calcul des intérêts contenue dans le contrat de prêt de 300 000 euros est nulle.

- qu'en conséquence le taux légal en vigueur au jour de l'offre de prêt y est substitué.

- subsidiairement prononcer la déchéance du droit aux intérêts pour erreur affectant le taux effectif global du prêt.

- très subsidiairement, annuler le contrat de prêt et prononcer la déchéance du droit aux intérêts.

- condamner LCL à produire un nouveau tableau d'amortissement prenant en compte la substitution du taux légal, les intérêts trop perçus et l'imputation des intérêts trop perçus.

- condamner LCL à lui rembourser les intérêts indûment perçus avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation et dire que ces intérêts porteront intérêt dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil.

- dire que ces sommes se compenseront à due concurrence avec les intérêts au taux légal

- condamner LCL à lui payer la somme 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de Maître Dupey.

Elle fait valoir que :

- la banque est forclose en application des dispositions de l'article L. 311-52 du Code de la consommation et prescrite sur le fondement de l'article L. 218-2 dudit Code ou de l'article 2224 du Code civil, le premier incident de paiement non régularisé étant l'échéance du 20 août 2010 et la déchéance du terme ayant été prononcée le 14 décembre 2011, avec clôture du compte.

- la stipulation d'intérêts est nulle, les intérêts ont été calculés sur 360 jours, ladite clause doit être réputée non écrite.

- une erreur affecte le calcul du taux effectif global, les frais de garantie et le coût de l'hypothèque n'y sont pas intégrés, et la banque est déchue de son droit à intérêt.

- la banque s'est rendue coupable d'une pratique commerciale trompeuse qui l'a conduite à contracter.

La société LCL demande à la cour de :

- déclarer irrecevables les prétentions soutenues pour le compte de Monsieur X ;

- déclarer irrecevables et infondées les demandes de la SCI La Menatsia ;

- la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris

- condamner enfin la SCI La Menatsia à lui payer la somme complémentaire de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- le Code de la consommation n'est pas applicable à un prêt passé en la forme authentique et SCI dont l'objet social est l'acquisition l'administration et l'exploitation de tout immeuble a conclu trois baux commerciaux au profit de tiers, ce qui exclut une qualité de consommateur, l'acte de prêt mentionnant expressément qu'il finance un investissement locatif.

- le délai de prescription a été interrompu par diverses reconnaissances de la dette par le débiteur, par ses engagements d'apurement et ses versements.

- le taux d'intérêts a été calculé sur une année de 365 jours, l'action du débiteur en nullité de la stipulation d'intérêts est prescrite, la seule sanction encourue serait la déchéance du droit aux intérêts et l'application du taux légal qui par nature est variable

- l'emprunteur est défaillant dans la preuve que le taux effectif global serait entaché d'une nullité, elle établit pour sa part qu'il a bien été calculé sur la base d'une année civile de 365 jours, et la seule sanction encourue serait de la même manière la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion que le juge détermine, et non la nullité de la stipulation d'intérêts. Enfin si une mauvaise exécution du prêt était établie, la seule sanction consisterait en l'octroi de dommages intérêts.

- si la banque a commis une "pratique commerciale trompeuse", l'action de l'emprunteur sur ce fondement est prescrite.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

1- Sur la prescription de l'action du prêteur.

La SCI Menatsia ne peut bénéficier de la qualité de consommateur et des dispositions du Code de la consommation.

En effet si la SCI est constituée entre deux particuliers, elle a pour objet social l'acquisition de tous immeubles, l'administration et l'exploitation de ces immeubles ; elle a conclu trois baux commerciaux, au bénéfice des sociétés Sogemo conseil SARL, SIC Farinette et de l'EURL Prune Invest.

En outre le prêt mentionne qu'il est conclu pour financer un investissement locatif.

Au vu de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que cette SCI constituée entre époux, même si elle peut avoir une vocation familiale, ne peut recevoir la qualité de consommateur.

L'action de la banque est donc soumise au régime de la prescription de droit commun et non à celui de la prescription abrégée du Code de la consommation.

La prescription applicable à l'action du prêteur est donc la prescription quinquennale de droit commun.

Le premier juge a rappelé qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité, peu important la nature du prêt.

En l'espèce, la SCI La Menatsia n'a pas régularisé les échéances impayées depuis le 20 août 2010 pour un total de 25.301,10 euros, dans le délai de quinze jours visé dans la mise en demeure du 14 décembre 2011.

Le délai de prescription court donc à compter du 20 août 2010 pour la première échéance impayée et de leur date d'exigibilité pour les suivantes et du 14 décembre 2011 pour le capital restant dû.

Aux termes de l'article 2240 du Code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt la prescription.

Sont constitutifs d'actes interruptifs de prescription l'engagement de payer, la proposition de règlement amiable, des versements partiels, une demande de remise de dette, une demande de remise des intérêts.

En l'espèce sont produits les éléments suivants :

- lettre 30 juillet 2012 portant engagement de la SCI La Menatsia de régler l'ensemble de ses prêts

- lettre 24 août 2012 portant engagement de poursuivre le règlement mensuel pour chacun des prêts

- lettre 29 août 2013 portant arrêté de compte avec engagement de régler.

- lettre 26 septembre 2012 avec versement partiel de 7 032,38 euros dont la somme de 3 360,95 euros à affecter en apurement du prêt litigieux.

- lettre 31 octobre 2012 avec engagement de régler le prêt litigieux par mensualités de 3 360,95 euros ;

- lettre 12 novembre 2012 portant règlement partiel de 14 064,76 euros dont la somme de 3 360,95 euros à affecter au prêt litigieux.

- ces versements se poursuivent de décembre 2012 à juin 2013.

- lettre du 14 août 2013 portant offre de règlement avec prélèvement à opérer sur un contrat d'assurance vie ;

- lettre 3 octobre 2013 avec versement partiel de 14.064,76 euros dont la somme de 3 360,95 euros à affecter au prêt litigieux.

- lettre du 12 décembre 2013 comprenant proposition de règlement avec demande d'un protocole d'accord à régulariser et engagement par la SCI La Menatsia d'apurer ses encours sur la vente de deux appartements l'un à Toulouse et l'autre à Paris

- lettre manuscrite 17 juin 2015 de Madame Andrée G. née C. précisant qu'en raison d'une instance en divorce, la quote part du prix qui devait être affectée en remboursement du prêt doit être bloquée ;

- lettre recommandée avec accusé de réception du 27 mars 2017 portant engagement de régler réitéré par Monsieur X et la SCI La Menatsia ;

- lettre recommandée avec accusé de réception du 14 mai 2017 aux termes de laquelle Monsieur X ès qualités indique : nous vous renouvelons notre volonté de trouver une solution afin de solder les engagements de la SCI La Menatsia, proposition réitérée le 29 mai 2017.

Chacun de ces courriers porte un acte interruptif de prescription, et le premier juge a justement retenu que le versement du 3 octobre 2013 suffisait à valoir reconnaissance de la dette litigieuse entraînant l'interruption de la prescription, en application des dispositions de l'article 2240 du Code civil.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que l'action en paiement de la société LCL mise en œuvre par l'effet du commandement de payer du 6 novembre 2017 n'est pas prescrite.

2- Sur la stipulation d'intérêts.

Le premier juge a justement rappelé que le point de départ du délai de prescription quinquennale de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel se situe au jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur affectant le taux effectif global.

Dès lors, ce point de départ est la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur.

L'erreur invoquée par la SCI La Menatsia consiste en l'application d'un taux d'intérêts calculé sur une année de 360 jours, et en l'omission des frais de garantie et le coût de l'hypothèque et des émoluments du notaire.

L'acte authentique du 17 avril 2004 indique page 26, conditions générales du prêt 2. Modalités et lieux de paiement ajustement du montant de la première échéance : les intérêts courus entre deux échéances seront calculés sur la base de 360 jours, chaque mois étant compté pour 30 jour rapportés à 360 jours l'an. En cas de remboursement anticipé les intérêts courus depuis la dernière échéance seront calculés sur la base du nombre de jours exacts de la période écoulée, rapportés à 360 jours l'an. Nous vous précisons que le taux effectif global des prêts est indiqué sur la base du montant exact des intérêts rapportés à 365 jours l'an.

La simple lecture du tableau d'amortissement a permis à la SCI La Menatsia de constater l'application de l'année lombarde, ainsi qu'elle le conclut.

L'omission des frais de garantie, du coût de l'hypothèque et des émoluments du notaire est de même visible à la simple lecture de l'acte, étant rappelé que les associés de la SCI La Menatsia sont gérants de société spécialisés dans le conseil aux entreprises.

Il en résulte que c'est à bon droit que le premier juge a retenu que la simple lecture de l'acte permet de constater les vices supposés qui affecteraient le taux effectif global.

Le délai de prescription quinquennal de l'action des emprunteurs aux fins de constatation de la nullité de la stipulation d'intérêts a donc couru à compter du 17 avril 2004. La SCI La Menatsia est donc irrecevable comme prescrite à soulever l'irrégularité de la stipulation d'intérêts.

3- Sur l'exercice d'une pratique commerciale trompeuse.

La SCI La Menatsia considère qu'elle a été victime d'une pratique commerciale trompeuse et qu'elle n'aurait pas contracté si elle avait su que le taux effectif global réellement appliqué était calculé sur l'année lombarde et non sur l'année civile.

Il convient de relever que le prêt a été conclu par acte authentique avec le conseil d'un notaire et alors que les associés de la SCI sont des professionnels du conseil aux entreprises.

Une telle action est soumise à la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil - si l'emprunteur estime que son consentement a été vicié - ou de l'article 2224 du même Code.

La pratique trompeuse invoquée consiste à faire figurer dans l'acte la mention de l'année lombarde et de l'année civile dans le même acte ; cette mention est évidente à la simple lecture de l'acte de sorte que le point de départ du délai de prescription est le jour de l'acte.

Le jugement est donc confirmé en toutes ses dispositions.

4- Sur les frais accessoires.

La SCI La Menatsia succombe, elle supportera la charge des dépens augmentée d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et y ajoutant, Condamne la SCI La Menatsia à payer à la SA LCL Le Crédit Lyonnais la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SCI La Menatsia aux entiers dépens d'appel.