CA Riom, 3e ch. civ. et com., 13 février 2019, n° 17-01410
RIOM
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Omega Industrie (SARL)
Défendeur :
Epsiilon (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Riffaud
Conseillers :
M. Kheitmi, Mme Theuil Dif
Avocats :
SCP Collet de Rocquigny Chantelot Brodiez & Associés, Selarl Truno & Associés
Exposé du litige :
En 2010 la société Omega Industrie a été créée avec pour objet diverses activités dont " l'étude, la réalisation, la conception, la commercialisation de produits divers en métal dont la fabrication d'accessoires ou de sous ensembles, de portes fenêtres ou de toutes autres fermetures ", et la commercialisation de matériel pyrotechnique et électromagnétique.
En mars 2014, les parts de cette société étaient détenues pour moitié par la société RDS, possédée intégralement par M. S., et par M. Jean Noël D., antérieurement investi dès janvier 2014 d'un mandat d'agent commercial par celle ci pour vendre les produits de la gamme suivante : " hublots, décors pour portes, portes de garage et portails ".
La société Omega a décidé de déposer un brevet concernant l'optimisation de la fabrication des hublots : le 2 juin 2014, l'INPI a attesté de la recevabilité du brevet par envoi de la date de dépôt et ce brevet a été accepté le 3 juin 2016 sous le numéro 14 01267.
Le 8 septembre 2014, le frère de M. D., M. Frédéric D., a été embauché par la société Omega en contrat à durée indéterminée en qualité de cadre, responsable technique. Il devait par la suite démissionner, le 3 septembre 2015, sans préavis.
Le 28 juillet 2015, le dépôt des statuts de la société Epsilon, ayant un objet social comportant une activité d' " étude, réalisation, commercialisation de produits divers en métal, plastique, verre dont l'assemblage d'accessoires ou de sous ensembles de portes, fenêtres ou de toute autres fermetures " et comprenant deux associés : M. P. (disposant de 120 actions) et M. Frédéric D. (disposant de 380 actions) a été enregistré au greffe du tribunal de commerce de Montluçon.
Par acte authentique du 6 août 2015, M. Jean Noël D. a cédé la totalité des parts qu'il détenait dans la société Omega à la société RDS pour le prix de 40 000 euros. Il a néanmoins conservé sa fonction d'agent commercial de la société RDS.
Le 17 août 2015, M. Jean Noël D. a demandé de mettre fin à son contrat d'agent commercial, ce qui a été accepté par la société Omega, le dispensant, à sa demande, de son préavis.
Postérieurement au décès de Frédéric D., M. Jean Noël D. a acquis ses parts que son frère détenait dans la société Epsilon.
Invoquant l'existence d'un détournement de clientèle imputable à la société Epsilon, la société Omega a obtenu sur requête, et par ordonnances du président du tribunal de commerce de Montluçon rendues les 4 janvier et 15 février 2016, l'organisation d'investigations confiées à un huissier de justice.
C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier de justice délivré le 6 juillet 2016, la société Omega Industrie a fait assigner la société Epsilon devant le tribunal de commerce de Montluçon, pour obtenir sous le bénéfice de l'exécution provisoire, et au visa de l'article 1382 du Code civil, sa condamnation à lui payer la somme de 650 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 10 000 euros au titre de ses frais de procès.
Suivant un jugement rendu le 5 mai 2017, le tribunal de commerce de Montluçon a :
- déclaré son incompétence pour prononcer la nullité du brevet demandée par la société Epsilon et prendre en compte les dires de la société Omega sur les éléments revendiqués dans ce même brevet, et renvoyé les parties à mieux se pouvoir auprès du seul tribunal compétent, le tribunal de grande instance de Paris ;
- déclaré la clause de non concurrence comme étant nulle et dit que M. Jean Noël D. n'était tenu vis à vis de la société Omega à une obligation de non concurrence ;
- débouté la société Omega de sa demande indemnitaire ;
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamnées les mêmes, chacune pour moitié, aux dépens.
Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour le 13 juin 2017, la société Omega Industrie a interjeté appel général de cette décision.
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Aux termes de ses dernières écritures notifiées et remises au greffe le 10 octobre 2018 au moyen de la communication électronique, la société Omega Industrie demande à la cour, au visa de l'article 1382 (ancien) devenu 1240 du Code civil, de la recevoir en son appel et de :
- dire que la société Epsilon s'est rendue coupable de faits caractéristiques d'une concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société Omega ;
- condamner la société Epsilon à lui payer la somme de 650 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la même aux dépens et à lui verser une indemnité de 10 000 euros au titre de ses frais de procès.
Elle soutient que la société Epsilon, et en particulier M. Jean Noël D., se sont livrés à des agissements déloyaux afin de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle et de s'approprier son résultat.
Elle expose que ce n'est pas par hasard que la société adverse a choisi une dénomination sociale à consonance grecque mais que cela participe de la confusion qu'elle entretient.
Elle reproche aux premiers juges de s'être, à tort, focalisés sur un engagement de non concurrence alors même qu'elle n'entend pas se prévaloir qu'une clause de non concurrence de M. D. à son égard. Mais, elle soutient que l'absence de clause de non concurrence n'exclut pas que le cédant, M. D., soit tenu à l'égard du cessionnaire des garanties légales et contractuelles.
Elle fait grief à M. D. d'être l'auteur de manœuvres déloyales en vue de la captation de clientèle et elle soutient que la société Epsilon, via M. D., a usurpé des techniques par elle mises au point afin de mettre sur le marché des produits identiques et dont elle n'a pu avoir connaissance qu'en raison des liens entre la famille D. et elle même. Elle dénonce, ainsi, une concurrence déloyale portant atteinte à son savoir faire qui constitue un actif incorporel. La société Omega Industrie ajoute que les mesures d'instruction autorisées sur requête ont établi les manœuvres déloyales telles que le détournement de fichiers clientèle, d'usinage et de nomenclature des produits ; obtenus par M. D. à l'occasion de son mandat d'agent commercial et utilisés par la suite par la société Epsilon, pour la création de laquelle il a œuvré avant la cession de ses parts dans la société Omega.
Sur l'utilisation de sa codification, elle soutient qu'elle n'a jamais contesté le droit de la société Epsilon à utiliser le logiciel CODIAL mais qu'elle a mis au point des codifications spécifiques par article, lesquelles ont été utilisées à l'identique par la société Epsilon, entretenant la confusion.
Sur le détournement effectif de la clientèle, elle soutient que les seuls clients perdus ont été détournés par la société Epsilon en raison des agissements de M. D. tels que le détournement de commandes. Et elle signale que la société Epsilon a réalisé un résultat positif de 67 673,13 euros après un seul exercice, exceptionnel pour une société nouvellement créée dans un secteur où la clientèle est captive, cette société atteignant, en quinze mois d'activité, le résultat qu'elle même avait mis quatre ans à développer, démontrant ainsi le détournement de clientèle.
Elle ajoute que le site internet de la société Epsilon mentionnait au bas de chaque page le mot " Omega ", incitant alors les clients à ne visualiser que son site internet, et que la société Epsilon a également détourné des fournisseurs en régularisant avec eux des accords d'exclusivité.
Sur le préjudice, elle reproche à la société Epsilon de s'être délibérément soustraite à la décision de justice ayant ordonné les mesures d'instruction qui auraient pu permettre d'obtenir la preuve de l'étendue de son dommage. Se fondant sur une attestation de son expert comptable elle estime que le chiffre d'affaires réalisé avec les clients qui ont été détournés par Epsilon s'élevait à 809 786,68 euros, ce qui conduit, en se fondant sur un taux de marge moyen de 47,90 %, à une évaluation de son dommage à hauteur de 650 000 euros.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 6 août 2018 au moyen de la communication électronique, la société Epsilon, demande à la cour, au visa de l'article 1382 (ancien) devenu 1240 du Code civil, des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 613-25 du Code de la propriété intellectuelle de :
- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il n'a pas reconnu l'inopposabilité du brevet déposé par la société Omega Industrie ;
- réformer en conséquence le jugement en ce qu'il a retenu son incompétence quant au prononcé de la nullité du brevet ;
- dire que les conditions de la mise en œuvre de sa responsabilité civile ne sont pas réunies dans la mesure où elle n'a commis aucun acte fautif et intentionnel de parasitisme commercial et où la société Omega Industrie ne démontre nullement subir un préjudice par elle causé ;
- débouter en conséquence la société Omega Industrie de sa demande indemnitaire injustifiée et disproportionnée ;
- dire que le brevet déposé par la société Omega Industrie est inopposable en raison du non respect de la condition d'antériorité ;
- écarter les pièces n° 48 à 51 signifiées le 6 mars 2018 par la société Omega Industrie ;
- débouter la société Omega Industrie de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner la société Omega Industrie aux dépens et à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre de ses frais de procès.
La société Epsilon conteste s'être livrée à un quelconque agissement parasitaire et soutient qu'il n'existe aucune confusion entre les deux dénominations sociales, le simple fait qu'il s'agisse de deux des 24 lettres de l'alphabet grec ne saurait suffire. Elle ajoute qu'en tout état de cause, l'apposition du terme " I. "à la suite de " Omega " marque une différence avec sa propre dénomination sociale.
La société Epsilon soutient également qu'il n'existe pas de détournement de clientèle. Elle fait valoir que le départ des consorts D. de la société Omega Industrie ne s'est accompagné d'aucun engagement contractuel de non concurrence. Ainsi, ils pouvaient exercer l'activité de leur choix dans le respect d'une concurrence loyale.
Elle indique que M. Jean Noël D. ne s'est pas associé avec son frère au sein de la société puisqu'il avait décidé de collaborer avec son autre frère au sein de la société HAUTE MARNE FERMETURES établie à Chaumont et que ce n'est qu'à la suite du décès de Fabrice D. que Jean Noël D. a acquis des actions de la société Epsilon, sans aucune ambition dirigeante, la direction étant laissée à M. P..
Elle prétend que le détournement de clients et de fournisseurs n'est pas prouvé puisque la cessation des relations commerciales avec certains clients procède de motifs objectifs et que le logiciel CODIAL n'est pas propre à la société Omega mais utilisé par les entreprises du secteur.
La société Epsilon, conteste s'être livrée à une exploitation du savoir faire de la société adverse. Et elle fait valoir qu'elle n'utilise aucunement la codification de la société Omega Industrie et qu'une telle utilisation pourtant invoquée par la partie adverse n'a jamais été constatée par les huissiers de justice : elle a conçu ses propres moules de fabrication sans usurpation de savoir faire et entend préciser que le brevet déposé l'avait déjà été en 2010 pour le même procédé.
La société Epsilon conteste, en outre, le préjudice invoqué par la société appelante qu'elle n'estime pas démontré.
Elle lui fait, en outre, grief de modifier la nature de son dommage comme se référant d'abord à une perte de chiffre d'affaires pour ensuite invoquer un préjudice moral alors même qu'il ne saurait y avoir un tel préjudice en l'absence d'actes de concurrence déloyale.
Elle sollicite, par ailleurs, le rejet des pièces adverses n° 48 à 51 comme ayant été versées tardivement la veille de la clôture, n'ayant aucune valeur probante ou résultant d'un procédé déloyal.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2018.
Motifs de la décision :
Sur la demande tendant au rejet de pièces
La clôture de l'instruction, initialement prévue le 25 janvier 2018, a été repoussée à trois reprises, pour intervenir finalement le 18 octobre suivant, afin de permettre d'ultimes échanges entre les parties, la date des plaidoiries, d'abord prévue le 22 mars 2018, ayant été déplacée au 19 décembre de la même année. Et la clôture a été prononcée à l'audience de mise en état, après que l'avocat de la société Epsilon avait indiqué par un message électronique du 17 octobre 2018, qu'il ne répondrait pas à son contradicteur et que le dossier pouvait être clôturé.
La communication de pièces litigieuses est intervenue le 6 mars 2018, deux jours avant l'audience de mise en état à l'occasion de laquelle la clôture a été une dernière fois repoussée et dans des délais permettant à la société Epsilon d'y répondre.
Par ailleurs, les courriels adressés par M. Jean Noël D. au moyen, certes de son adresse personnelle, mais à l'adresse professionnelle vd@omega industrie. com ne constituent pas une correspondance électronique personnelle mais, au contraire, professionnelle. Et, ils n'ont, de ce fait, pas vocation à être écartés des débats.
En conséquence, la demande tendant au rejet de pièces formée par la société Epsilon sera rejetée.
Sur la demande se rattachant à la réglementation des brevets
En première instance, la société Epsilon a demandé au tribunal de commerce de prononcer l'inopposabilité du brevet déposé par la société adverse en invoquant un défaut d'antériorité.
En cause d'appel, elle demande la réformation de la disposition du jugement par laquelle le tribunal de commerce s'est déclaré " incompétent pour prononcer la nullité du brevet demandée par la société Epsilon et prendre en compte les dires de la société Omega sur les éléments revendiqués dans ce même brevet et renvoie les parties à mieux se pourvoir auprès du seul tribunal compétent, le tribunal de grande instance de Paris. "
Elle fait valoir que le brevet déposé le 2 juin 2014 par la société Omega Industrie est affecté d'une nullité évidente pour ne pas remplir la condition de l'antériorité de l'invention posée par l'article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle, et que si le juge commercial n'est pas compétent pour prononcer la nullité de ce brevet il n'en demeure pas moins qu'il peut le déclarer inopposable.
Néanmoins, il résulte des dispositions de l'article L. 615-17 du Code de la propriété intellectuelle que les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L. 611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative. Et les dispositions des articles D. 631-2 du Code sus visé et D. 211-6 du Code de l'organisation judiciaire réservent cette compétence au tribunal de grande instance de Paris.
Conformément à ces textes, si l'action en concurrence déloyale demeure de la compétence de la juridiction de droit commun lorsqu'elle n'est pas exclusivement fondée sur des actes consistant en une contravention aux règles des brevets d'invention, il n'en reste pas moins que la juridiction spécialisée est seule compétente pour se prononcer sur les questions relatives à l'existence ou de la méconnaissance d'un droit attaché à un brevet et il ne saurait appartenir, contrairement à ce que soutient la société Epsilon, au juge du droit commun de prononcer l'inopposabilité d'un brevet.
Il résulte, au surplus, des mêmes textes, que lorsque l'auteur de l'action a entendu agir en se fondant sur le droit commun, la juridiction consulaire ne saurait pas davantage prononcer une condamnation au titre de la concurrence déloyale ou du parasitisme en motivant sa décision par un manquement aux règles des brevets.
Il convient, en conséquence, d'examiner les réclamations de la société Omega Industrie au regard des règles du droit commun.
Sur les effets de la clause insérée dans l'acte authentique du 6 août 2015
L'acte authentique reçu le 6 août 2015 par Me MAUGARNY, constatant, entre Jean Noël D. et la société RDS, la cession des 450 parts qu'il détenait dans la société Omega Industrie contient une clause libellée comme suit :
" Par le cessionnaire :
Le cessionnaire s'interdit, quant à lui, d'exercer toute activité en dehors de la société qui pourrait se révéler concurrentielle ou déloyale envers ladite société. "
Les premiers juges qui ont justement relevé que la rédaction de cette clause est affectée d'une évidente erreur matérielle, puisque l'obligation contractée ne peut avoir un quelconque sens et efficacité que si elle a été contractée par le cédant, en ont prononcé la nullité aux motifs qu'elle ne précise ni sa durée ni ne comporte de délimitation géographique.
En cause d'appel, la société Omega Industrie ne revendique plus que cette stipulation contractuelle puisse constituer une véritable clause de non concurrence avec les effets qui y sont habituellement attachés mais elle invoque la garantie d'éviction due par le vendeur au cédant au titre des garanties légales et contractuelles qui résulteraient de la commune intention des parties lors de la signature de l'acte de cession (cf. page 11 de ses écritures).
Il est effectif qu'en cas de cession des parts d'une société, la garantie d'éviction interdit au cédant de chercher à capter la clientèle de la société cédée (en ce sens Cass. Civ., 1ère, 24 janvier 2006, Bull. 2006, I, n° 32).
La société Omega Industrie est d'autant plus fondée à rechercher cette garantie que les parties, ont dans l'acte de cession de parts, expressément indiqué que le contrat d'agent commercial conclu le 13 janvier 2014 entre la société Omega Industrie et M. Jean Noël D. se poursuivait. Et quand bien même il a été mis un terme, le 17 août 2015, sans préavis et à la demande de M. D., au contrat d'agence, il n'en demeure pas moins que celui ci restait tenu de la garantie d'éviction contractée à l'occasion de la cession des parts sociales.
Il s'ensuit, que s'il était loisible à M. Jean Noël D. de racheter les parts possédées par son frère décédé dans la société Epsilon, dont ce dernier détenait la majorité du capital social, il doit néanmoins être apprécié si, sous le couvert de cette personne morale, M. D., ne s'est pas livré à des actes anti concurrentiels consistant en une captation de la clientèle de la société Omega Industrie, actes de nature à engager la responsabilité de la société Epsilon si elle a été l'instrument.
Ainsi, c'est de façon erronée que les premiers juges ont considéré que la société Epsilon se trouvait placée dans une situation ordinaire de concurrence avec la société Omega Industrie et il y a lieu de rechercher si, en partie détenue par M. D., la société Epsilon s'est livrée à des agissements anti concurrentiels au détriment de la société appelante.
Sur l'existence d'actes de concurrence déloyale
La concurrence déloyale est constituée de l'ensemble des procédés concurrentiels contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d'une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice aux concurrents.
L'action trouve son fondement dans les dispositions de l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits dénoncés. Son succès suppose la démonstration d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre eux.
Le parasitisme économique, qui constitue un acte de concurrence déloyale, se définit par l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de profiter sans rien dépenser de ses efforts et de son savoir faire. La réalité de ces agissements est appréciée in concreto.
Sont ainsi susceptibles de constituer des manœuvres qualifiées d'actes de parasitisme, la reprise de documents commerciaux ou d'argumentaires de vente à condition que leur spécificité soit établie et qu'elle entretienne dans l'esprit de potentiels clients une confusion.
En l'espèce, la société Omega Industrie, qui précise qu'elle n'entend exercer ni une action en contrefaçon ni invoquer la protection d'un brevet, indique qu'elle fabrique un modèle de hublot pour porte, pan de mur ou portail et qu'elle a développé un savoir faire à cet effet.
Elle reproche à la société adverse d'avoir commercialisé, et à des tarifs plus compétitifs, cinq modèles de hublots aux caractéristiques identiques à ceux qu'elle vend elle même, fabriqués avec de semblables machines et la même nomenclature, après avoir appréhendé son fichier client dont M. D. avait eu connaissance à l'occasion de son mandat d'agent commercial, et en usurpant sa propre codification. Elle reproche également à la société Epsilon d'avoir introduit une confusion dans l'esprit de la clientèle en utilisant, comme elle, une dénomination sociale à consonance grecque. Elle fait, en outre grief, à M. D. d'avoir capté des commandes au bénéfice de la société Epsilon.
Elle verse aux débats un commentaire filmé montrant les différentes pièces nécessaires à la confection d'un hublot, explicitant les procédés industriels choisis, ainsi que les modalités de conception d'une telle pièce en permettant la fabrication automatisée au moyen de machines à commandes numérisées. Et si ce document, établi en la présence d'un huissier de justice qui identifie les deux modèles, est critiqué par la partie adverse, il n'en reste pas moins que la ressemblance entre le modèle de hublot produit par la société Omega Industrie et celui fabriqué par la société Epsilon est confondante : aspect, dimensions identiques de même que les traces laissées à l'occasion de la fabrication, seul un examen attentif permettant de les distinguer.
Sur l'emploi du fichier client de la société Omega Industrie
Il résulte des constatations effectuées le 5 mars 2018, par Me HOSTIER, huissier de justice, assisté d'un technicien informatique, qu'un des ordinateurs de la société Omega Industrie a été utilisé pour transférer des données à l'aide d'un logiciel de transfert de fichiers dénommé SKYDRIVE vers l'adresse de courriel [email protected]
Ce constat montre également que l'auteur de ce transfert de fichiers a essayé de dissimuler cette manœuvre puisque l'essentiel des historiques générés par cet ordinateur a été effacé si ce n'est celui du logiciel anti virus, qui montre que des fichiers comportant les termes oméga et epsiilon ont été " scannés " par ce logiciel, ce qui selon l'informaticien tend à démontrer que des fichiers en provenance de la société Omega Industrie ont été convertis en fichiers comportant le nom Epsilon.
De plus, dûment autorisé par la présidente du tribunal de commerce de Montluçon, un huissier de justice avait pris connaissance le 18 mai 2016 et reproduit le fichier des clients de la société Epsilon.
Or, ce fichier, établi dans le même format et avec la même police de caractères, reproduit strictement les mêmes erreurs que celles contenues dans le fichier clients de la société Omega Industrie :
- la société FUTUROL, en redressement judiciaire, a changé de dénomination et de siège social,
- la société THEANE en liquidation judiciaire depuis le 17 juin 2015, y est mentionnée sous la dénomination erronée THEORE.
S'il était effectivement loisible à la société Epsilon, dans un marché restreint, de démarcher les mêmes clients potentiels que la société Omega Industrie, ces constats constituent la preuve d'un transfert du fichier clients de cette dernière vers sa concurrente, ce qui constitue une manœuvre déloyale.
Curieusement, la société Epsilon, qui dissèque minutieusement les attestations produites par la partie adverse pour les contester, demeure silencieuse sur ces constats.
Sur l'emploi de la dénomination Epsilon et l'utilisation du logiciel CODIAL
La société Omega Industrie reproche, en outre, à la société adverse d'avoir sciemment entretenu une confusion entre les deux sociétés en choisissant également une dénomination sociale à consonance grecque et en ayant diffusé un tarif reprenant les mêmes références à des lettres de l'alphabet grec.
La dénomination sociale, qui sert à individualiser une personne morale dans l'ensemble de ses activités est protégée dans le cadre de l'action en concurrence déloyale (en ce sens Cass. Com, 24 juin 2014 - pourvoi n° 12-20.705).
La faute est susceptible de consister, pour une autre personne morale, en l'adoption d'une dénomination identique ou similaire à une dénomination sociale antérieure pour des activités similaires, destinée à créer une confusion entre les deux entreprises.
L'appréciation de ce risque de confusion dépend du degré de ressemblance entre les dénominations sociales et du degré de similitude entre les activités économiques effectives des entreprises concernées. Contrairement au choix d'une marque, le choix de la dénomination sociale ou du nom commercial n'est pas soumis à des conditions de validité, un signe totalement dépourvu de caractère distinctif peut donc être choisi. C'est toutefois, le caractère distinctif du signe qui lui permet d'exercer sa fonction d'identification d'une activité commerciale et d'être protégé contre l'usage d'un signe identique ou similaire par un tiers. Dès lors, un signe dépourvu de caractère distinctif n'est pas susceptible d'encourir un risque de confusion et, son emploi, de caractériser une faute qui justifierait l'allocation d'une réparation.
En l'espèce, c'est à juste titre que la société Epsilon, qui souligne que la dénomination Omega est employée par de multiples sociétés, indique que cette dénomination ne possède pas, par elle même, de caractère distinctif de l'activité de sa concurrente.
Néanmoins, la société Omega Industrie reproche également à la société Epsilon de s'être emparée de ses références pour les diffuser parmi la clientèle et entretenir une confusion déloyale.
Ainsi que le rappelle justement la société Epsilon, le logiciel de gestion des entreprises développé par la marque CODIAL est employé par des milliers d'entreprises.
Toutefois, ce que lui reproche la société Omega Industrie c'est d'avoir, au moyen de ce logiciel, employé les mêmes références spécifiques à l'alphabet grec (ALPHA, BETA, ZETA, SIGMA, GAMMA) que celles qu'elle avait, elle même, créées dans ce logiciel, et de les avoir diffusées parmi la clientèle pour entretenir la confusion.
A l'appui de ce grief elle produit une pièce n° 16 consistant en la transmission, par un courriel du 28 octobre 2015 envoyé au moyen de l'adresse jnd@epsiilon. fr, que l'on rattache aisément à M. Jean Noël D. d'un tarif.
Ce courriel est rédigé comme suit : "... Voici le tarif demandé, le modèle demandé est le BETA avec double vitrage dépoli..."
Est joint à ce message électronique, une page portant la mention " tarif 2015 " et qui comporte les photographies de cinq modèles de hublots avec les références à l'alphabet grec sus énoncées.
La société Epsilon conteste l'authenticité de cette transmission, en invoquant la forme du courrier électronique pour la comparer à d'autres courriels versés à la procédure, et le fait que celui ci ne porterait pas de mention de pièce jointe. Elle produit également le témoignage d'un ex salarié d'une autre société détenue par M. S. et qui prétend que ce dernier aurait produit un faux document, sans d'ailleurs en préciser la teneur, dans le cadre d'un conflit prud'homal les ayant opposés.
Ce témoignage, outre son imprécision, ne peut constituer la preuve de la fausseté de la pièce communiquée par la société Omega Industrie.
Au contraire, la société Omega Industrie produit le témoignage du destinataire de ce courriel (sa pièce n° 45), M. Hubert C., qui en confirme la teneur de même que celle du tarif joint.
La société Omega Industrie produit encore les constatations effectuées par Me HOSTIER, huissier de justice le 12 février 2018, constatations filmées qui montrent la très grande ressemblance entre un hublot fabriqué par la société appelante et le modèle diffusé par sa concurrente.
Par ailleurs, la cour ne peut que constater que la société Epsilon ne verse pas aux débats ses tarifs pour l'année 2015 ce qui aurait lui permis de lever toute ambiguïté sur cette diffusion si elle en avait eu la capacité.
Il est, ainsi, établi, qu'en possession irrégulière du fichier client de sa concurrente, la société Epsilon s'est livrée à la diffusion dans la clientèle d'un tarif présentant des produits quasiment identiques, avec un référencement renvoyant de même que sa concurrente à l'alphabet grec tout en ayant choisi une dénomination commerciale possédant la même consonance.
Il apparaît encore que, dans ces circonstances, la même clientèle, en nombre limité, a été démarchée par M. D., ex agent commercial de la société adverse, pourtant débiteur, à la suite de la cession de ses parts sociales intervenue un peu plus de deux mois avant ces faits, de l'obligation de ne pas chercher à capter la clientèle de la société cédée.
Et au surplus, la société Omega Industrie démontre, par la production des attestations de ses clients DELTA R'03 FERMETURES ET PROTECTIONS, FERMDORS, LEPINARD et CLODELYS, que ceux ci se sont livrés à une confusion entre les deux sociétés.
Ainsi, c'est à mauvais escient que les premiers juges ont considéré que la preuve d'agissements constitutifs d'une concurrence déloyale n'étaient pas rapportée et qu'ils ont motivé leur décision en indiquant que la société Omega Industrie s'était également livré à des agissements critiquables en publiant des photographies portant la mention Epsilon : un manquement imputable à la société plaignante, à le supposer établi, ne vient pas pour autant exonérer la partie adverse de ses propres fautes.
En conséquence, leur décision doit être infirmée.
Sur la détermination du préjudice
Les actes de concurrence déloyale, qui faussent les conditions d'une saine compétition entre agents économiques, troublent les conditions normales d'exploitation de l'entreprise qui en est la victime et se traduisent nécessairement par un préjudice indemnisable.
En l'espèce, pour réclamer une indemnité de 650 000 euros, la société Omega Industrie, se prévaut d'une attestation de son expert comptable qui évalue le chiffre d'affaires qui étaient réalisé avec ses clients qu'elle reproche à la société adverse d'avoir détournés, à 809 786,68 euros. Et pour parvenir à la somme demandée, elle applique à ce chiffre d'affaires un taux de marge moyen de 47,90 %.
La société Omega Industrie reproche, par ailleurs, à la partie adverse de s'être soustraite à la mesure d'instruction qui aurait permis de caractériser le chiffre d'affaires qui avait effectivement été réalisé par la société Epsilon avec les clients litigieux, car cette entreprise s'est refusé à communiquer les factures correspondantes à l'huissier de justice régulièrement commis pour procéder à ce constat.
La société Epsilon réfute ces modalités de calcul en faisant remarquer que l'indemnité réclamée correspond au montant des dettes de la partie adverse et, que n'ayant été créée qu'en août 2015, elle n'a pas pu concurrencer la société Omega Industrie sur une période de deux années et demi.
La société Omega Industrie, qui en avait tout le loisir du fait de la procédure, n'a pas versé aux débats ses comptes annuels pour les exercices 2014 et 2015 de sorte que l'incidence des agissements qu'elle dénonce sur ses résultats ne peut être sérieusement mesurée. Au cours des années 2011, 2012 et 2013, elle avait réalisé les chiffres d'affaires de : 64 960, 90724 et 410 411 euros et les résultats d'exploitation de 15 854, 13 758 et 88 199 euros.
Pareillement que son adversaire tenue au dépôt de ses comptes annuels au registre du commerce et des sociétés, la société Epsilon ne les a pas davantage produits devant la cour. Son bilan pour l'exercice clos le 30 septembre 2016 versé aux débats par la société adverse, fait état d'un résultat bénéficiaire de 67 673 euros s'agissant d'un premier exercice d'une durée dérogatoire de 15 mois. Le compte de résultat n'étant pas produit, le chiffre d'affaires réalisé au cours de cette même période n'est pas connu.
Les modalités de détermination de son dommage proposées par la société Omega Industrie, sur la base d'une liste de clients qui se retrouvent dans la liste de clients retrouvée au sein de la société adverse et du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec lesdits clients ne peuvent être validées. Cela reviendrait, en effet, à considérer que l'intégralité de ces clients, dans ce marché restreint, ont été détournés par les agissements de M. D. perpétrés au sein de la société Epsilon. Or, la preuve d'un détournement aussi massif de la clientèle n'a pas été rapportée.
En revanche, la société Omega Industrie prouve, qu'outre les faits de concurrence déloyale précédemment décrits, M. D. s'est également livré à des agissements tendant à détourner des commandes au détriment de cette entreprise :
- un courriel adressé par le secrétariat de l'entreprise à son dirigeant (pièce 8.2) montre les interrogations du client THIEBAUD I. se demandant si sa commande avait été effectivement prises en compte à la suite d'un appel de M. D., qui avait alors quitté la société, l'orientant vers une autre entreprise,
- deux commandes de la société Nouvelles Fermetures Alsaciennes transférées par l'adresse électronique de la société Omega Industrie les 7 et 21 juillet 2015 à M. D., encore présent dans l'entreprise et dont il n'a ensuite plus été retrouvé trace.
L'ensemble des faits démontrés à l'encontre la société Epsilon justifient qu'elle soit condamnée à verser à la société adverse une indemnité de 30 000 euros en réparation du dommage causé par ses agissements déloyaux.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé.
Succombant à l'instance, la société Epsilon supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à verser à la société Omega Industrie une indemnité de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ; Déboute la SAS Epsilon de sa demande tendant au rejet de pièces adverses ; Constate que le litige doit être jugé au regard des règles du droit commun de la concurrence déloyale ; Infirmant le jugement déféré et statuant à nouveau, Condamne la SAS Epsilon à verser à la SARL Omega Industrie une indemnité de 30 000 euros ; Condamne la SAS Epsilon aux dépens de première instance et d'appel et à verser à la SARL Omega Industrie une indemnité de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.