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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 7 février 2019

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Servier (SAS)

Défendeur :

CPAM de la Haute Garonne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bacher

Conseillers :

MM. Mazarin Georgin, Blanque Jean

Avocats :

Mes Rives, Sintes, Leguevaques, Thevenot, SCP Simmons, Simmons LLP

TGI Toulouse, du 28 sept. 2017

28 septembre 2017

Faits

Mme R. qui souffrait d'une hypercholestérolémie modérée et d'une hypertriglycéridémie et d'un diabète de type 2 avec surcharge pondérale, a suivi un traitement par B. ou Mediator de mars 2000 à février 2003 (certificat du Dr G.) et de juin 2006 à septembre 2009 (certificat du Dr Le G. du 19/01/2011) et elle a développé par la suite une valvulopathie (compte rendu d'échocardiographie du 4 juin 2004).

Le 12 septembre 2011, elle a saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation amiable, et suivant avis du 7 mars 2013 le collège d'expert a conclu à l'existence d'un lien entre la prise de ce médicament et la pathologie cardiaque.

Le 8 Juillet 2013 la SAS Les Laboratoires Servier a proposé une indemnisation transactionnelle à hauteur de 5 300€ dans le cadre du dispositif légal d'indemnisation adopté par la loi de 2011. Cette proposition a été refusée par Mme R..

Par actes des 22 et 23 janvier 2014, elle a saisi le Tribunal de Grande Instance de Toulouse au visa de l'article 1382 du Code civil, au contradictoire de la CPAM de la Haute Garonne pour voir condamner solidairement les Laboratoires Servier et l'ONIAM à réparer son préjudice.

Par jugement du 28 septembre 2017, le tribunal a':

- dit que la SAS Laboratoires Servier est tenue de réparer la totalité des dommages subis par Mme R. suite à la défectuosité du Médiator(r) ;

- condamné la SAS Laboratoires Servier à verser à :

* Mme R. les sommes de :

- 13 101,44 euros en réparation de ses préjudices ;

- 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

*à la CPAM de la Haute Garonne les sommes de :

- 2 877,87 euros au titre de ses débours ;

- 959,29 euros à titre d'indemnité de gestion ;

- 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rappelé que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

- rejeté les demandes présentées contre l'ONIAM ;

- dit n'y avoir lieu à mettre l'ONIAM hors de cause ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la SAS Laboratoires Servier aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL Thevenot Mays Bosson, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

La SAS Laboratoires Servier a interjeté appel suivant déclaration du 7 décembre 2017.

L'ensemble des dispositions de la décision est contesté.

Moyens et prétentions des parties

La SAS Laboratoires Servier dans ses dernières écritures en date du 11 novembre 2018 demande à la cour au visa des articles 1240 et 1245 et suivants du Code civil :

- d'infirmer le jugement rendu le 28 septembre 2017 par le Tribunal de grande instance de Toulouse, et, statuant de nouveau :

* A titre principal,

- dire et juger que les conditions légales de la responsabilité de l'appelante ne sont pas réunies ;

- rejeter les demandes de Madame R. et de la CPAM de la Haute Garonne.

* A titre subsidiaire,

- désigner tel cardiologue qu'il plaira, choisi hors le département de la Haute Garonne et des départements limitrophes ;

- dire et juger que l'expert ainsi désigné pourra s'adjoindre tout sapiteur ;

- dire et juger que l'expert ainsi désigné devra se faire remettre, préalablement à la convocation des parties, par la requérante ou tout tiers, avec l'accord de celle ci, l'ensemble des dossiers et documents médicaux et notamment les dossiers suivants :

* Dossier complet du Docteur C. ;

* Dossier complet du Docteur Le G. ;

* Dossier complet du Docteur G. ;

* Dossier complet du Docteur V. ;

* Dossier complet du Docteur C. ;

* Dossier complet du Docteur F. ;

* Dossier complet de l'Hôpital Purpan ;

- dire et juger que ces pièces devront être numérotées et communiquées aux parties dans le cadre des opérations d'expertise, selon bordereau, préalablement à toute convocation, de manière qu'elles puissent faire l'objet d'un examen et d'un débat contradictoire ;

- dire que l'expert devra, après avoir recueilli et communiqué les dites pièces :

* convoquer les parties aux fins de les entendre contradictoirement ;

* recueillir les doléances de la requérante, décrire son état antérieurement au traitement incriminé, ses antécédents et les facteurs de risque qu'elle présentait ;

* préciser, au vu des éléments recueillis, les dates, durée et posologie du traitement incriminé, ainsi que de tous traitements dont elle a pu bénéficier antérieurement ou concomitamment au traitement litigieux, en indiquant pour chacun de ces traitements le nom du prescripteur ;

* dire si le traitement litigieux était adapté à l'état de santé de la requérante, notamment au regard de l'autorisation de mise sur le marché du produit ;

* déterminer la pathologie dont est atteinte Madame R. au jour de l'examen ;

* en décrire l'étiologie et préciser, en l'état de la science, s'il est possible de circonscrire les facteurs pouvant être à l'origine de cette maladie ;

* en donner si possible la liste exhaustive ;

* donner son avis sur le lien causal éventuel du traitement par Médiator ;

* dire s'il a été la cause directe et certaine de la survenue de la pathologie ;

* dire s'il en a été la cause exclusive ou si des cofacteurs ont pu en favoriser le déclenchement, et dans l'affirmative, lesquels ;

* déterminer de manière précise et circonstanciée l'état de Madame R. antérieurement au traitement critiqué ; préciser si elle était, ou non, déjà atteinte de la pathologie dont elle souffre ;

* plus généralement, donner son avis sur les soins dispensés, dire s'ils ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science et sur les éventuelles fautes commises et responsabilités encourues ;

* distinguer, le cas échéant, la part des troubles qui sont consécutifs à la pathologie cardiaque de celle qui sont en lien avec toute autre affection que pourrait présenter Madame R. ;

* dire que l'expert devra établir un pré rapport à l'issue des opérations diligentées et le soumettre aux parties en leur impartissant un délai suffisant pour formuler toutes observations ou demandes d'investigations complémentaires ;

* dire que l'expertise sera réalisée aux frais avancés de Madame R. ;

En tout état de cause :

- rejeter la demande de Madame R. au titre de la " procédure abusive et dilatoire " ;

- rejeter la demande de Madame R. relative au paiement sous astreinte ;

- rejeter les demandes de Madame R. et de la CPAM de la Haute Garonne fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Madame R. et la CPAM de la Haute Garonne aux entiers dépens.

Elle soutient qu'en vertu de l'article 1245-3 du Code civil la seule implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut'; or en l'espèce les conditions de la responsabilité ne sont pas réunies'en ce que :

-1- La preuve n'est pas rapportée de l'imputabilité des troubles au traitement par Mediator':

* l'offre proposée dans un cadre amiable n'a pas été acceptée de sorte qu'elle ne constitue pas un aveu de responsabilité mais l'exacte application de l'obligation légale';

* l'expertise diligentée par l'ONIAM ne constitue pas une expertise judiciaire réalisée sous le contrôle d'un juge et instruite sur pièces sans examen de la patiente, sa valeur probante est réduite ;

* or, le CR d'échocardiographie du 4 juin 2004 démontre l'absence d'anomalie morphologique ou cinétique valvulaire (absence de restriction valvulaire qui est pourtant le signe le plus caractéristique de l'atteinte médicamenteuse valvulaire)';

* par ailleurs, l'état antérieur de Mme R. n'est pas suffisamment connu et l'absence d'autres causes ne permet pas d'affirmer l'imputabilité au Médiator'; et il n'appartient pas à la SAS Laboratoires Servier de rapporter la preuve de l'état antérieur.

-2- L'absence de preuve du défaut du produit':

* le défaut du produit ne se déduit pas de sa dangerosité, de l'absence d'innocuité ou de la simple survenue du dommage ;

* le rapport de l'IGAS rédigé précipitamment en 2011, sur lequel le tribunal s'est fondé, n'est pas complet ni contradictoire et ne permet pas de rapporter la preuve du caractère défectueux du Mediator ;

* la parenté chimique du Médiator avec les fenfluramines en raison d'un métabolite commun ne signifie pas que leurs molécules sont identiques, leur concentration et donc leurs effets sont différents ;

* il est à noter qu'il a été reconnu de graves défaillances du système de pharmacovigilance (ce n'est que fin 2008 début 2009 que les alertes ont débuté de la part du comité national de pharmacovigilance et ce n'est qu'en novembre 2009 que le B. a été retiré du marché'; ce n'est donc qu'à cette date qu'il a été connu que le rapport bénéfice /risque était défavorable'; jusque là le risque n'était qu'hypothétique et non connu de sorte qu'il ne peut être reproché le défaut d'information sur un risque hypothétique non avéré'(ce que confirment différents auteurs) ;

-3- En tout état de cause, le laboratoire doit être exonéré de toute responsabilité pour risque de développement (art 1386-11 4°)' en raison de sa méconnaissance du défaut du produit au moment de sa mise en circulation au regard de l'état des connaissances scientifiques et techniques de l'époque.

-4- L'absence de préjudice objectivé concernant le DFT, le DFP, l'IP et même les frais divers :

* DFT Partiel du 4 mars 2004 au 3 décembre 2009': le point de départ doit être fixé à la date de l'écho Doppler cardiaque du 4 juin 2004 date à laquelle la fuite valvulaire a été objectivée et non pas trois mois auparavant';

* DFP': le collège d'experts ne vise qu'une " surveillance " médicale et non pas une incidence sur les fonctions du corps humain ou une atteinte aux fonctions physiologiques de la personne ; et il n'a pas été distingué la part du déficit fonctionnel imputable à la pathologie valvulaire des autres pathologies présentées par la plaignante'; en outre, Mme R. ne justifie pas de sa demande d'augmentation du taux à 13 % ;

* l'incidence professionnelle': le collège d'experts a exclu ce poste de préjudice et Mme R. ne produit toujours aucun justificatif de sa réclamation de ce chef ;

* l'indemnisation au titre des frais divers : aucun justificatif n'est produit.

-5- Les demandes de la CPAM doivent être rejetées en raison de la partialité des documents justificatifs, de l'incohérence de l'indemnisation à 100'% pour une ALD au regard du faible taux du DFP.

-6- Sur la demande de désignation d'un expert judiciaire à la suite de l'infirmation sollicitée du jugement de première instance :

* aucune expertise physique n'a été réalisée mais seulement un examen sur pièces effectuées par le collectif d'experts de l'ONIAM ; or une échocardiographie permettrait de trancher la question de l'imputabilité et de l'insuffisance aortique présentée au traitement par Médiator. Ainsi devront être précisés : les dates et les conditions de prescription et de prise du Médiator, la conformité de la prescription aux indications de l'AMM et du fabricant, les antécédents de la plaignante, ses facteurs de risque cardio vasculaire les traitements concomitants ;

* une expertise judiciaire présente des garanties d'impartialité, de neutralité et d'objectivité ; il conviendra de désigner un cardiologue.

Mme R. dans ses dernières écritures en date du 4 juin 2018 demande à la cour au visa des articles 1245 et suivants du Code civil, de':

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf celles relatives à la fixation du taux de déficit fonctionnel permanent à 3%.

Statuant à nouveau uniquement sur le déficit fonctionnel permanent':

- fixer le taux de déficit fonctionnel permanent à 13% correspondant à une indemnisation de 14826€ ;

- condamner à régler la somme de 3000 € à Mme R. pour procédure abusive et dilatoire ;

- dire et juger que la totalité des sommes dues devront être versées dans le mois suivant la signification de l'arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 500 € par jour de retard ;

- condamner la SAS Laboratoires Servier à régler à Mme R. la somme 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et constater que Mme R. renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

- condamner la SAS Laboratoires Servier aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL RS Avocat.

Mme R. soutient avoir été exposée au Médiator entre 2006 et 2009 et conclut à la responsabilité de la SAS Les Laboratoires Servier en raison de la défectuosité du produit, du lien de causalité entre son dommage et l'exposition au produit défectueux, l'impossibilité d'invoquer le risque de développement comme cause dérogatoire de responsabilité.

-1- La défectuosité du produit est rapportée au vu :

* du rapport de l'IGAS de janvier 2011, qui démontre que le fabricant connaissait la défectuosité du médicament depuis le début sa commercialisation en 1976 ;

* des études sur le sujet et de la jurisprudence actuelle et particulièrement l'arrêt de la Cour de Cassation du 20 septembre 2017 ;

* du retrait du Médiator en Suisse en 1998 puis à sa mise sur sous surveillance dans d'autres pays européens et à son retrait en 2003 en Espagne puis en Italie ;

* il en résulte que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit administré à Mme R. entre 2006 et 2009 permettait de déceler l'existence du défaut du Médiator.

-2- Sur le lien de causalité :

* le rapport de l'ONIAM est établi par un collège d'experts spécialisés qui a mis en évidence l'imputabilité des problèmes graves de santé de la plaignante à la défectuosité du produit ;

* l'expertise était contradictoire et les parties ont pu formuler des dires'; les termes en sont parfaitement clairs et précis, les experts établissent le lien de causalité de façon certaine, l'état antérieur (lymphome osseux) a été évoqué devant les experts qui ont rejeté une mesure d'instruction complémentaire considérant qu'ils étaient suffisamment éclairés, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire ;

* la victime d'un produit défectueux n'a plus l'obligation de prouver scientifiquement l'imputabilité du produit à son dommage ; cette preuve peut résulter d'une information insuffisante sur les conditions d'utilisation et les risques encourus ; le retrait du Médiator en 2009 est tardif ; Mme R. a développé une valvulopathie à la suite de la prise de ce médicament défectueux.

-3- Les laboratoire ne peuvent s'exonérer en invoquant le risque de développement au vu des connaissances scientifiques et techniques au moment de la prise médicamenteuse par la victime ; le jugement déféré est donc conforme avec la jurisprudence actuelle sur ce dossier d'ampleur.

-4- Les préjudices :

* DFP': 3 % selon les experts en tenant compte des séquelles cardiologiques avec surveillance, ses contraintes thérapeutiques en lien direct avec la pathologie valvulaire, Mme R. souffrant d'une insuffisance aortique de grade 2 et de gêne à l'effort. Selon le barème issu du guide méthodologique du collège d'expert B. qui seul doit être pris pour référence s'agissant d'un barème spécifique, le déficit serait compris entre 8 et 15'% ; et au vu des barèmes produits le juge est parfaitement en capacité d'apprécier à nouveau le déficit fonctionnel permanent ;

* l'incidence professionnelle : la valvulopathie ne permet pas à Mme R. d'exercer certaines contraintes professionnelles notamment porter du poids ;

* frais divers : frais liés à la communication des pièces de son dossier médical (11,10 euros) et frais d'avocat en première instance justifiés par l'obligation d'ester en justice ;

* DFT de classe 1 soit 10 % selon les recommandations de la commission nationale des accidents médicaux durant cinq ans et neuf mois sur la base de 500 € par mois.

La CPAM de la Haute Garonne dans ses dernières écritures en date du 8 novembre 2018 demande à la cour de':

- confirmer le jugement dont appel et actualiser le recours de la CPAM, ce faisant :

* condamner la SAS Laboratoires Servier à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 4321,20 euros au titre de sa créance définitive représentant les prestations servies pour le compte de Mme R. (frais médicaux, pharmaceutiques, franchise, frais futurs) avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ou à compter du jour du paiement des prestations à la victime si celui ci est postérieur à celui là ;

* condamner la SAS Laboratoires Servier à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion qu'elle est en droit de recouvrer et dont le montant en application des dispositions des alinéas 9 et 10 de l'article L.376-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale, est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu dans les limites d'un montant maximum de 1066€ et d'un montant minimum de 106€, soit en l'espèce la somme de 1066€ ;

* condamner la SAS Laboratoires Servier à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 500€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- très subsidiairement, dans l'hypothèse où une nouvelle mesure d'expertise serait ordonnée, condamner la SAS Les Laboratoires Servier à allouer à la CPAM de la Haute Garonne une indemnité provisionnelle de 4321,20 €, réserver ses droits pour le surplus de son recours.

- En tout état de cause,

* condamner la partie succombante en appel à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

* ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL Thevenot Mays Bosson sur affirmation de son droit conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Elle soutient que l'âge à retenir pour la capitalisation est celui de la victime au jour de la liquidation de son préjudice en vertu de l'arrêté du 27 décembre 2011 actualisé le 19 décembre 2016.

Sa créance définitive correspond en application de la nomenclature Dintilhac au poste de dépenses de santé futures et doit s'imputer exclusivement sur le montant de l'indemnisation susceptible d'être allouée au même titre à Madame R..

Le Docteur R., médecin conseil et personne extérieure aux services de la CPAM, a établi une attestation d'imputabilité.

MOTIVATION

Sur le rapport d'expertise du collège d'expert désigné par l'ONIAM fondement des demandes de Mme R..

La SAS Les Laboratoires Servier sollicite à titre principal la réformation de la décision qui a reconnu sa responsabilité de plein droit dans l'apparition du dommage subi par Mme R. au motif que la preuve était rapportée du dommage, du caractère défectueux du Mediator de son imputabilité dans l'apparition du dommage. Et, subsidiairement, elle sollicite une expertise médicale pour vérifier les conditions de la responsabilité de plein droit du fabricant (défectuosité du produit, imputabilité du dommage à l'exposition au produit).

Cependant, ces demandes révèlent une certaine incohérence puisque, s'il est fait droit à la demande de Mme R. c'est qu'il aura été tranché cette question, de sorte qu'une expertise ne pourrait alors avoir d'intérêt que pour évaluer les préjudices et chiffrer le montant des indemnisations.

Cependant, dès lors que le rapport du collège d'experts de l'ONIAM du 7 mars 2013 constitue le fondement de l'action indemnitaire de Mme R. et qu'au décours de son opposition au jugement, la SAS Les Laboratoires Servier, qui ne conclut pas à sa nullité mais en conteste la valeur en tant que moyen de preuve, il convient dès à présent d'arbitrer sur ce point qui n'apparaît donc pas subsidiaire.

La SAS Les Laboratoires Servier soutient en effet que':

- il ne s'agit pas d'une expertise judiciaire effectuée sous le contrôle d'un juge et qu'elle est instruite sur pièces sans examen de la patiente ;

- cette expertise a été réalisée dans le cadre d'une procédure extra judiciaire qui a pour but de rechercher le règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, de faciliter et accélérer l'indemnisation des victimes de tels accidents ;

- ce n'est donc qu'une expertise amiable, un simple avis technique qui ne lie pas le juge' et qui apparaît totalement insuffisant pour considérer qu'il existe la preuve de l'imputabilité des troubles subis par Mme R. à la prise du Mediator.

L'expertise amiable " est une expertise extrajudiciaire diligentée, à la demande conjointe des parties concernées, en vertu d'une clause contractuelle ou d'un accord, soit par un expert désigné d'un choix commun, soit par deux experts choisis respectivement par chaque partie".

Une telle expertise ne peut pas être écartée d'emblée au seul motif qu'elle n'a pas été ordonnée par une juridiction, dès lors qu'elle répond au principe du contradictoire et qu'elle présente toutes les garanties de sérieux, de loyauté, de compétence et d'impartialité. Elle peut alors, valablement servir de fondement à la solution d'un litige.

Par ailleurs, les articles 146 et 147 du Code de procédure civile favorisent le recours à ce type d'expertise.

Et particulièrement, en matière de dommages imputables au B., le législateur a instauré un nouveau dispositif d'indemnisation des victimes sous les articles L 1142-24-1 et suivants du Code de la santé publique issus de la loi du 29 juillet 2011, permettant à l' ONIAM de faciliter et, s'il y a lieu, de procéder au règlement amiable des litiges'; ainsi, chargé d'instruire les demandes il a la faculté de recourir à des expertises amiables confiées à un collège d'experts, devant œuvrer dans le respect du principe du contradictoire (article L 1142-24-4 al1er) et dont la composition et le mode de fonctionnement garantissent l'indépendance et l'impartialité (article L1142-24-4 al3).

En l'espèce, il apparaît que l'avis du collège d'experts désigné dans le cas de Mme R. est conforme aux dispositions légales en ce que':

- la mission a été correctement déterminée ;

- il a été répondu aux questions posées dans des termes suffisamment clairs et précis ;

- le principe du contradictoire a été respecté dès lors que les parties ont été invitées à faire connaître leurs observations et qu'il y a été répondu.

De sorte que les critiques d'ordre général formées par la SAS Les Laboratoires Servier à l'encontre des travaux de ce collège d'experts, ne sont pas fondées. Cette expertise amiable apparaît utile et suffisante à la solution du litige au sens de l'article 147 du Code de procédure civile et, la SAS Les Laboratoires Servier dispose d'éléments suffisants pour faire juger ou exclure sa responsabilité de sorte qu'en application de l'article 146, la demande d'expertise judiciaire ne se justifie pas.

Ainsi seules seront recevables les critiques de fond portant sur les éléments factuels du cas particulier de Mme R. relatifs à la recherche des conditions de la responsabilité de plein droit du laboratoire dans la survenance de son dommage.

Ayant refusé la proposition amiable de la SAS Les Laboratoires Servier, qu'elle avait mise en cause devant l'ONIAM, il appartient à Mme R. de rapporter la preuve de la mise en œuvre de cette responsabilité.

Sur la responsabilité de la SAS Les Laboratoires Servier.

La responsabilité de la SAS Les Laboratoires Servier est recherchée à titre principal, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil qui autorisent la victime à agir contre le producteur chaque fois qu'un dommage qui résulte d'une atteinte à la personne a été causé par le défaut d'un produit, ce qui inclut les médicaments.

Selon l'article 1386-4 devenu 1245-3 du même Code, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qui s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Selon l'article 1386-9 devenu l'article 1245-8 du Code susvisé, il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage, la preuve pouvant être apportée par des présomptions graves, précises et concordantes.

En vertu de l'article 1245-10 du Code civil, le producteur dont le produit est considéré comme défectueux a la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité de plein droit dans certains cas dont la preuve lui incombe, notamment si l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.

En l'espèce, Mme R. retient la responsabilité des Laboratoires Servier dans l'apparition de sa pathologie cardiaque et en conséquence, de ses préjudices corporels en raison de la prise du traitement par Médiator durant 3 ans, de juin 2006 à septembre 2009.

Il lui appartient donc de rapporter la preuve du dommage, de l'imputabilité du dommage à l'exposition au produit, du défaut du produit au moment de son administration, son imputabilité directe et certaine au dommage allégué et la nature et l'étendue des préjudices qui en résultent.

Elle doit donc rapporter la preuve de la participation du produit au dommage afin de permettre l'exclusion éventuelle d'autres causes possibles de la maladie, sachant que la simple implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens de l'article 1386-4 du Code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Et la SAS Laboratoires Servier ne peut s'exonérer de sa responsabilité en sa qualité de fabricant qu'en établissant qu'au moment du traitement, les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de suspecter le défaut du produit.

Sur le dommage et l'imputabilité au Mediator.

A cet égard il ressort de l'avis du collège d'experts du 7 mars 2013 fondé sur son rapport d'expertise définitif du 16 janvier 2013 que :

- Mme R. née le 2 novembre 1956 a été atteinte d'un nodule thyroïdien et d'un lymphome osseux (lymphome du tiers inférieur du fémur droit) traité en 2003 notamment par chimiothérapie et radiothérapie, en rémission complète constatée le 20 décembre 2007';

- elle présentait également un hyperinsulinisme, une hypercholestérolémie'modérée et un diabète de type 2 ; elle a reçu un traitement par Médiator':

* en 1997 (sans autre précision de date) ainsi qu'il résulte du bilan sanguin réalisé le 14 janvier 1997 analysé par le Docteur C. qui atteste d'un tel traitement repris du 7 mai 1999 à mars 2001 ;

* du 7 mars 2000 au 3 février 2003 (certificats médicaux du Docteur G. des 15 février 2011 et 11 avril 2012) sans qu'il soit précisé la régularité du traitement ;

* puis de façon continue de juin 2006 à septembre 2009 (certificat médical du docteur L. du 19 janvier 2011) ;

- Mme R. comme le collège d'experts ne retiennent que la période de juin 2006 à septembre 2009, considérant qu'il s'agit d'une exposition continue certaine au Mediator,

- Mme R. présente une insuffisance aortique de grade 2 mise en évidence par échocardographie le 4 juin 2004 réalisée par le docteur V. cardiologue'; en effet, la ventriculographie isotypique du 25 août 2003 n'avait révélé aucune anomalie cardiaque';

- sa situation cardiaque est apparue stabilisée le 3 décembre 2009 en ce que :

* dans son CR de consultation de ce jour le Dr F. écrit': " la principale anomalie se situe au niveau du ventricule gauche. La cavité est modérément dilatée. On retrouve un aspect d'hypokinésie diffuse. Les parois ne sont pas hypertrophiques ". Il est également mis en évidence "'une fuite aortique modérée et une insuffisance mitrale minime'" ;

* le Dr F. confirme dans son attestation du 6 décembre 2009 la présence d'une altération de la fonction systolique ventriculaire gauche et de l'insuffisance aortique ;

* et, dans le compte rendu de consultation du 15 février 2011, ce médecin confirme au résultat de la scintigraphie myocardique : " l'insuffisance aortique avec une racine non dilatée, une fuite modérée et des sigmoïdes non calcifiés " et précise que "'la fuite aortique est excentrée ce qui rend difficile son évaluation'" ;

* enfin dans son compte rendu d'échographie cardiaque du 19 octobre 2011, il indique que la fuite, bien que toujours difficile à évaluer, n'a pas progressé.

La SAS Les Laboratoires Servier conteste l'imputabilité de la pathologie au médicament au vu du CR d'échocardiographie du 4 juin 2004 et des certificats des 3 décembre 2009 et 15 février 2011 sus visés qui démontrent l'absence d'anomalie morphologique ou cinétique valvulaire et tout particulièrement l'absence de restriction valvulaire qui est pourtant le signe le plus caractéristique de l'atteinte médicamenteuse valvulaire. Et elle conteste les conclusions du collège d'experts qui s'est fondé sur l'âge de la victime, la normalité de l'aorte et l'absence d'autres causes possibles que la cause médicamenteuse et ce, alors même que l'état antérieur est insuffisamment démontré.

Or, les experts écartent ces critiques en indiquant que les justificatifs produits devant eux n'ont mis en évidence aucune autre prescription d'un traitement potentiellement inducteur de valvulopathie ou d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Plus particulièrement, il n'a pas été retrouvé trace d'antécédent de rhumatisme articulaire aigu. Ils justifient avoir usé de leur pouvoir d'investigation et d'enquête visé aux articles L 1142-24-4 al1 et R 1142-63-9 du Code de la santé publique pour recueillir les renseignements médicaux dont ils font état. L'étendue de l'état antérieur de Mme R. apparaît donc suffisamment démontré et attesté et la SAS Les Laboratoires Servier n'en rapporte pas la preuve contraire bien qu'il pèse sur elle la charge de la preuve des critiques qu'elle émet sur ce point.

Ils en concluent que l'atteinte valvulaire est en lien direct et certain avec la prise de B. (Mediator).

Le collège d'expert n'a certes pas clairement répondu sur "'l'absence de restriction valvulaire qui est pourtant le signe le plus caractéristique de l'atteinte médicamenteuse valvulaire'", argument

développé par la SAS Les Laboratoires Servier. Et il a procédé par déduction, en l'absence d'autres causes possibles.

Cependant, cette analyse et cette conclusion doivent être adoptées considérant que l'ensemble des éléments retenus par le collège d'experts constitue des présomptions suffisamment graves et concordantes de l'origine médicamenteuse et de l'imputabilité au Médiator de la pathologie cardiaque soufferte par Mme R., considérée comme la seule cause possible au vu de':

- l'absence d'état antérieur cardiaque et notamment de rhumatisme articulaire aigu ;

- l'âge de Mme R. à la date du diagnostic de l'atteinte valvulaire (52 ans) ;

- la dimension de l'aorte qualifiée de normale ;

- l'absence d'autre prescription d'un traitement potentiellement inducteur de valvulopathie ou d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) ;

- la dilatation ventriculaire gauche qui ne peut entraîner d'insuffisance aortique ;

- le traitement du lymphome osseux, au niveau du fémur qui n'est pas une zone concernée par le traitement au B. qui concerne le coeur.

Sur la défectuosité du produit.

Le défaut du produit peut être lié à sa conception ou sa fabrication notamment sa substance ou son conditionnement et être à l'origine de dommages individuels ou sériels. Mais le seul fait que le produit soit à l'origine du dommage ne suffit pas à présumer ou caractériser l'existence d'un défaut, un produit de santé comportant nécessairement des risques pour les patients. Le rapport bénéfice/ risque doit être examiné notamment au vu de la gravité des effets nocifs constatés. Le défaut peut également être lié à une information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par l'utilisateur du produit.

Mme R. produit l'enquête de l'IGAS sur le Médiator en date de janvier 2011 qui fait la synthèse de l'histoire du médicament et de sa commercialisation tout en pointant le rôle et les défaillances du contrôle des autorités sanitaires en France.

Le Mediator dont le principe actif est le B., était initialement prescrit dans le traitement de l'hypercholestérolémie et l'hypertriglycéridémie et comme adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale ; il a également été prescrit dans un but d'amaigrissement.

Le Mediator (B.) a une structure chimique apparentée à celle des fenfluraminiques, anorexigènes de type Isoméride (dexfenfluramine) et Pondéral (fenfluramine) mais avec des propriétés pharmacologiques différentes. Le B. présente un métabolite commun avec ces anorexigènes, la Norfenfluramine.

Il a fait l'objet d'une AMM en 1974, d'une mise sur le marché français par les Laboratoires Servier en septembre 1976 (puis en Espagne, Italie, Portugal, Suisse et Luxembourg), d'une AMM renouvelée en 1979 puis révisée en 2007 (restriction à la seule indication d'adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale),

A la suite de plusieurs publications d'études d'efficacité du produit (étude internationale IPPHS 1995, Del Prato en 1997, Moulin 2006, Regulate 2010) et faisant le lien entre le produit et la valvulopathie (Revue prescrire, Dr I. F., étude W., Dr B.), il a fait l'objet d'une suspension en novembre 2009 puis d'un retrait par l'AFSSAPS par décision du 20 juillet 2010 en raison de sa toxicité cardio vasculaire caractérisée par un risque d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et de valvulopathie.

Dans ces conditions, la défectuosité du produit est avérée en ce qu'il comporte des risques cardiaques liés à son exposition que ne justifie pas le bénéfice escompté, les dits risques n'ayant pas été révélés aux praticiens prescripteurs ni aux patients en l'absence totale d'information figurant sur les notices

accompagnant le produit tel que distribué au patient et même au Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) disponible en 2009, année de son retrait, sur le risque, même présenté comme exceptionnel, d'apparition d'une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) ou d'une valvulopathie. Il n'offre donc pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Sur l'imputabilité du dommage au produit défectueux.

L'apparition chez Mme R. d'une insuffisance aortique de grade 2 est donc en lien direct et certain avec la prise continue entre 2006 et 2009 de B. considéré comme produit défectueux.

Cette pathologie lui a causé un dommage corporel certain puisque son état, consolidé au 3 décembre 2009, nécessite dorénavant une surveillance et des contraintes thérapeutiques.

Le collège d'experts qui a noté l'absence de tout état antérieur médicalement constaté, a procédé à l'évaluation du préjudice en retenant les seules incidences de la pathologie liées à l'exposition au Médiator et en écartant celles issues de toute autre pathologie (page 7 de l'avis).

Sur la responsabilité de la SAS Les Laboratoires Servier et l'exonération pour risque de développement.

En vertu de l'article 1245-10 du Code civil le producteur dont le produit est considéré comme défectueux a la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité de plein droit dans certains cas dont la preuve lui incombe, notamment si l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.

La date de mise en circulation du produit qui a causé le dommage s'entend, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il faisait partie.

En l'espèce, la SAS Les Laboratoires Servier doit établir qu'au moment du traitement, les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de suspecter le défaut du produit.

Elle indique n'avoir eu connaissance du défaut du produit que de façon progressive et ce en 2009':

- en effet, seulement deux cas étaient connus l'un en 2006, l'autre en 2008 et ce n'est qu'en 2009 que de plus nombreux cas ont été révélés ce qui a justifié le retrait du Médiator'; donc jusque là il n'y avait que des cas isolés, des études faisant état de simples hypothèses non vérifiées'; il ne s'agissait donc pas de signaux forts en matière de cardiopathie'; et c'est d'ailleurs, la position de l'avocat général de la Cour de Cassation dans l'affaire Servier/Doumbe Djongo';

- l'étude internationale a mis en évidence la dangerosité des fenfluramines (Isoméride et Pondéral retirés du marché en 1997) et leur lien avec les valvulopathies mais il ne peut être fait un amalgame avec le Médiator qui est un médicament qui n'a seulement qu'une parenté chimique et un métabolite commun avec ces médicaments'; le retrait du Médiator en Suisse (1998), en Italie (2003) et en Espagne (2003) l'a été à l'initiative du laboratoire et pour des raisons exclusivement commerciales.

Pourtant, les données scientifiques concordantes disponibles depuis 1995 et en tout cas entre 2006 et 2009, période durant laquelle le Mediator a été administré à Mme R., permettaient aux Laboratoires Servier de déceler le défaut du produit.

En effet, il ressort du rapport de l'IGASS produit par la plaignante que :

- en 1993 l'étude de l'équipe du Pr D. met en évidence les liens entre les cas d' HTAP et l'exposition aux flenfuramines ;

- la filiation du Benfluore (dont l'effet anoréxigène est connu) aux flenfluramine est révélée dès 1997 ;

- ... de l'Isoméride et du Pondéral qui sont des anorexigènes qui présentent des métabolites communs avec le B., ont été retirées en France en 1997 à la suite de la démonstration d'une

augmentation du risque d' HTAP ;

- la présence d'un métabolite commun au B. et à ces anorexigènes avait déjà conduit l'Agence du médicament à interdire dès 1995 le B. dans les préparations magistrales en même temps que les anorexigènes ;

- les Laboratoires Servier ont retiré le Mediator du marché Suisse en 1998, les motifs de ce retrait n'ayant pas été précisés ;

- en 1999 un cas de valvulopathie aortique chez un patient exposé au B. est signalé ainsi qu'un cas d'HTAP ;

- le retrait spontané et volontaire du marché Espagnol en mars 2003 et du marché Italien en mai 2003 est motivé par des considérations économiques non objectivées ;

- des études sur le B. ont précisé le lien entre le B. et les valvulopathies (Etude Del Prato en 1997, étude Moulin en 2006 confirmées en 2010 par l'Etude Regulate) ;

- de nombreux cas ont été analysés (Etude de Mme F., Etude W.) qui ont révélé un risque important de valvulopathies en cas d'exposition au B. ;

- le compte rendu de la commission nationale de pharmacovigilance de 2007 conclut majoritairement à un bénéfice/ risque négatif pour l'usage du Médiator dans le traitement du diabète avec surcharge pondérale compte tenu de l'importance des signaux de sécurité ;

- ... écrit en page 9 de la synthèse de son rapport de janvier 2011, qu'au regard de l'existence du métabolite commun (la Norfenfluramine), entre le B. et les fenfluramines et de la toxicité connue des fenfluramines (notamment valvulopathies et HTAP) ainsi que de la place clairement contestée du médicament dans la stratégie thérapeutique du diabète, le retrait du Mediator aurait dû être décidé dès 1999.

Ainsi, au regard de la communauté de métabolites entre le B. et les anorexigènes interdits dès 1997 et malgré leurs différences de classe thérapeutique, les laboratoires Servier devaient s'interroger sur les effets néfastes du produit, procéder au moins à des investigations sur la réalité du risque signalé depuis 1997 et à tout le moins, en informer les médecins prescripteurs et les patients ce qui n'a pas été le cas en France dès cette date.

Ils ne peuvent se retrancher derrière l'attentisme en la matière de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) ou de l'Agence du médicament.

Dans ces conditions, au regard du risque cardiaque lié à l'exposition au Mediator durant la période où Mme R. a reçu ce traitement, la responsabilité de plein droit de la SAS Les Laboratoires Servier qui avait connaissance du risque depuis 1997 et n'a pas conduit des investigations sur la réalité du risque signalé, ni n'a informé les patients et les professionnels de santé, est engagée et cette société doit supporter la charge de l'intégralité des préjudices subis par cette victime, consécutifs à l'insuffisance aortique de grade 2, sans pouvoir utilement invoquer la faculté d'exonération légale pour risque de développement.

Sur l'indemnisation des préjudices.

Le collège d'expert a conclu qu'en suite de cette pathologie les préjudices de Mme R., dont la consolidation est fixée au 3 décembre 2009, sont les suivants':

- dépenses actuelles de santé sur justificatifs ;

- déficit fonctionnel temporaire partiel de classe 1 du 4 mars 2004 (soit 3 mois avant l'écho doppler cardiaque du 4 juin 2004 ayant permis de constater l'existence de l'insuffisance aortique) au 3 décembre 2009 ;

- dépenses de santé futures sur justificatifs ;

- déficit fonctionnel permanent': 3'% au vu des séquelles cardiologiques avec surveillance et contraintes thérapeutiques en lien direct avec la pathologie valvulaire.

Mme R. sollicite l'indemnisation de ses préjudices ainsi qu'il suit':

- déficit fonctionnel temporaire de classe 1 soit 10 % selon les recommandations de la commission nationale des accidents médicaux durant cinq ans et neuf mois sur la base de 500 € par mois ;

- déficit fonctionnel permanent : il doit être évalué à 13'% en raison de la gêne à l'effort qui n'a pas été prise en compte par les experts et en prenant pour base de calcul le barème issu du guide méthodologique du collège d'expert B. qui seul doit être pris pour référence et qui fixe le déficit entre 8 et 15'%'; elle explique en effet, qu'il faut se référer aux trois barèmes spécifiques en la matière : le barème d'évaluation médico légale, le barème d'invalidité de l'AMEDOC et le barème issu du guide méthodologique du collège d'expert B. ; selon le premier l'évaluation serait comprise entre 5 et 10'% en raison notamment du traitement médicamenteux ; selon le second, l'évaluation serait supérieure à 10 % compte tenu des gênes à l'effort, de la médication et toutes les gênes en lien avec la pathologie'; selon le troisième le déficit serait compris entre 8 et 15'%. Et c'est ce dernier barème qu'il conviendra d'adopter, s'agissant d'un barème spécifique. Par ailleurs, elle indique qu'elle avait 53 ans au jour de la consolidation et que sur la base du référentiel ONIAM, le déficit fonctionnel permanent de 13 % justifiait une indemnisation à hauteur de 14'826 € ;

- l'incidence professionnelle : la valvulopathie ne permet pas à Mme R. d'exercer certaines contraintes professionnelles notamment porter du poids ; elle était assistante administrative amenée à porter des dossiers volumineux. Elle est donc ralentie dans certaines tâches de manutention'; et son cardiologue le Dr F. mentionne une gêne importante dans sa vie quotidienne et dans son éventuelle activité professionnelle ; la somme demandée de 5000 € est tout à fait mesurée et proportionnée ;

- frais divers : frais liés à la communication des pièces de son dossier médical (11,10 euros) et frais d'avocat en première instance justifiés par l'obligation d'ester en justice.

Au vu des éléments médicaux produits au débat et des explications données par les parties, il convient d'évaluer les préjudices subis par Mme R. ainsi qu'il suit':

- déficit fonctionnel temporaire de classe 1':

le point de départ doit être fixé au jour de la connaissance de la pathologie en lien avec la prise du produit défectueux'; la rétroactivité d'une durée de trois mois avant l'écho dopler proposée par le collège d'expert est totalement justifiée par le fait que l'examen cardiaque faisait forcément suite à une gêne, un essoufflement, une douleur en tout cas un mal être qui avait conduit la patiente à consulter.

Sur la base de 500€ par mois pendant 69 mois, il doit être alloué à ce titre la somme de 3 450 euros.

La décision est confirmée de ce chef.

- déficit fonctionnel permanent':

le collège d'expert s'est fondé comme le sollicite Mme R. sur le barème spécifique qui prévoit une évaluation maximale de 5'% pour les séquelles cardiologiques qui ne présentent pas de limitation fonctionnelle mais une bonne tolérance à l'effort et sans signe de dysfonction myocardique ou d'ischémie à l'effort.

Or, le collège d'expert a conclu que l'insuffisance aortique de grade II ne peut être à l'origine des gênes ressenties par Mme R. (essoufflement et impression d'accélération cardiaque à l'effort) sachant que parallèlement il a été décelé en 2009 (certificat Dr F. du 6 décembre 2009) une altération de la fonction systolique ventriculaire gauche dont les experts ont considéré que s'agissant d'une dilatation ventriculaire gauche, elle était étrangère à l'insuffisance aortique.

Dans ces conditions, le taux de 3'% sera confirmé'au regard des contraintes thérapeutiques (traitement continu de Rampiril) et du suivi cardiologique régulier (consultations et echocardiographies).

La SAS Les Laboratoires Servier s'oppose à la demande au motif qu'une simple surveillance ne signe pas un déficit fonctionnel c'est à dire une incidence sur les fonctions du corps humain ou une atteinte aux fonctions physiologiques de la personne.

Or, elle confond la pathologie et le traitement. En effet, la valvulopathie constitue l'atteinte physique définitive avérée'; elle impose des contraintes qui se manifeste par des soins ou des contrôles certes périodiques mais constants et réguliers.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- l'incidence professionnelle':

Mme R. se fonde sur le certificat du Dr F. du 6 décembre 2009 pour affirmer que 'l'altération de la fonction systolique ventriculaire gauche et l'insuffisance aortique entraînent une gêne importante dans sa vie quotidienne ainsi que dans son éventuelle activité professionnelle'.

Or, d'une part les constatations de ce certificat ancien (2009) ne sont pas actualisées alors que la valvulopathie est décrite comme stabilisée et de faible importance et d'autre part, il n'est fait état que d'une éventuelle activité professionnelle et Mme R. est toujours défaillante dans la preuve qui lui incombe non seulement de cette activité professionnelle mais encore, de l'incidence négative des séquelles cardiologiques dans sa vie professionnelle. Notamment, elle ne justifie pas qu'elle portait des charges lourdes antérieurement aux faits ce qui lui serait interdit actuellement'; elle ne justifie pas d'une augmentation de la fatigabilité, ni d'un changement d'emploi en lien avec sa pathologie ni d'une dévalorisation sur le marché de l'emploi.

La décision sera donc réformée sur ce point.

- les frais divers ne sont pas justifiés et les frais d'avocat sont inclus dans l'indemnité fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

La décision sera donc réformée sur ce point.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a alloué à Mme R. la somme de 13 101,44 euros en réparation de ses préjudices.

La cour condamnera la SAS Les Laboratoires Servier au paiement de la somme de 6296,34€ (3450€ + 2846,34€).

Il n'y pas lieu d'assortir la condamnation à paiement d'une astreinte, la contestation de la décision de la part de la SAS Les Laboratoires Servier ne pouvant être analysée comme un refus systématique d'appliquer les décisions de justice mais seulement comme l'exercice des voies de recours légales.

La SAS Les Laboratoires Servier sera en outre condamnée à verser à Mme R. la somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Mme R. déclarant renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les demandes de la CPAM de la Haute Garonne.

Le tribunal a accordé les sommes suivantes':

- 2 877,87 euros au titre de ses débours ;

- 959,29 euros à titre d'indemnité de gestion ;

- 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La CPAM de la Haute Garonne qui a actualisé sa créance, sollicite en cause d'appel les sommes suivantes':

- 4321,20 euros au titre de sa créance définitive représentant les prestations actualisées servies pour le compte de Mme R. (frais médicaux, pharmaceutiques, franchise, frais futurs) avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ou à compter du jour du paiement des prestations à la victime si celui ci est postérieur à celui là ;

- 1066€ au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion ;

- 1000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Les Laboratoires Servier conclut au rejet des demandes en raison de':

- la partialité des documents justificatifs, les pièces produites ne constituant pas la preuve suffisante de la réalité des prestations versées du fait de la valvulopathie aortique dès lors que tous les documents produits émanent de la caisse elle même et nul ne saurait se constituer de preuve à soi même ;

- de l'incohérence d'une prise en charge à 100'% pour une ALD (affection longue durée) au regard du faible taux du DFP (3 %) et de l'absence de chirurgie valvulaire liée à la prise de Médiator, de sorte que seule une prise en charge des frais médicaux à hauteur de 70 % et des frais de pharmacie à hauteur de 65 % (taux de remboursement appliqué par la sécurité sociale) devrait être appliquée.

L'article L376-1 du Code de la Sécurité Sociale, dispose que les Caisses sont autorisées à agir à l'encontre de l'auteur de dommages corporels causés à l'un de leurs assurés, en remboursement des prestations qu'elles ont servies à ce dernier, et ce quel que soit le fondement de la responsabilité encourue'; ce recours s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices que la Caisse a pris en charge.

En l'espèce, la CPAM de la Haute Garonne justifie d'une créance totale de 4321,20€ au titre des seules dépenses de santé futures soit':

- 991,19€ au titre des frais médicaux du 3 décembre 2009 au 14 novembre 2017 ;

- 1035,08€ au titre des frais pharmaceutiques du 3 décembre 2009 au 29 décembre 2012 ;

- 5€ au titre de la franchise du 3 décembre 2009 ;

- 2299,93€ au titre des frais futurs à échoir correspondant au coût d'une consultation en cardiologie par an, une échocardiographie tous les deux ans, un vaccin annuel contre la grippe et un vaccin pneumo coccique tous les cinq ans, capitalisés sur la base de l'euro de rente viagère à compter du 1er juin 2018.

La valeur probante de l'attestation d'imputabilité établie par un médecin conseil, le Dr R., n'est pas contestable étant lui même une autorité extérieure et indépendante de la caisse primaire d'assurance maladie.

Par ailleurs, la discussion relative au taux de remboursement à 100'% des frais médicaux et pharmaceutiques en raison de la prise en charge au titre de la longue maladie dont par ailleurs le médecin conseil confirme le lien avec l'exposition au Mediator, dans son attestation du 2 octobre 2017, ne relève pas de la compétence de la cour et ce d'autant que cette demande n'a pas été soumise au premier juge.

Enfin, les frais futurs concernant des prestations à venir peuvent être capitalisés. Ils ne seront cependant payés par le responsable au tiers payeur qu'après paiement effectif des prestations à la victime. Le juge ne peut condamner le responsable, sans son accord préalable, à payer le montant du capital représentatif. En l'espèce à défaut d'accord préalable de la SAS Les laboratoires Servier il sera dit que la créance de frais futurs de 2299.93€ qui sera au final à sa charge sera payable au fur et à mesure de leurs échéances à moins qu'elle ne préfère se libérer par le versement immédiat de la dite

somme.

Compte tenu du décompte détaillé qui est fourni par la caisse et de l'attestation d'imputabilité précise et motivée du médecin conseil, il convient donc de confirmer la créance de la caisse qui comprend l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion qu'elle est en droit de recouvrer et dont le montant, en application des dispositions des alinéas 9 et 10 de l'article L376-1 du Code de la Sécurité Sociale, est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu dans les limites d'un montant maximum de 1066 € et d'un montant minimum de 106 € soit en l'espèce 1066 €.

Cette indemnité étant distincte de celle de l'article 700 du Code de procédure civile, il convient en équité de lui allouer en sus, la somme de 1000€.

Sur la demande de dommages et intérêts.

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce. Dans ces conditions, Mme R. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions autres que celles concernant le montant des créances allouées à Mme R. et à la CPAM de la Haute Garonne.

PAR CES MOTIFS

La cour

- Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 28 septembre 2017 à l'exception des dispositions relatives au montant des créances allouées.

Statuant à nouveau de ces chefs':

- Condamne la SAS Les Laboratoires Servier à verser à Mme R. la somme de 6296,34€ en réparation de ses préjudices.

- Condamne la SAS Les Laboratoires Servier à verser à la CPAM de la Haute Garonne les sommes suivantes :

* au titre de ses débours exposés :

- 991,19€ au titre des frais médicaux du 3 décembre 2009 au 14 novembre 2017 ;

- 1035,08€ au titre des frais pharmaceutiques du 3 décembre 2009 au 29 décembre 2012 ;

- 5€ au titre de la franchise du 3 décembre 2009 ;

* au titre des frais futurs capitalisés, la somme de 2299,93€ payable au fur et à mesure de leurs échéances à moins qu'elle ne préfère se libérer par le versement immédiat de la dite somme ;

* au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion la somme de 1066€.

Y ajoutant':

- Déboute Mme R. de sa demande d'astreinte.

- Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la SAS Les Laboratoires Servier à verser à Mme R. la somme de 5000€ et à la CPAM de la Haute Garonne la somme de 1000€, étant précisé que Mme R. renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

- Condamne la SAS Les Laboratoires Servier aux dépens d'appel.

- Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.