CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 février 2019, n° 18-26978
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Double D Import (SAS)
Défendeur :
Ippon Shop OHG (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Comte
Avocats :
Mes Fanet, Lorvo, Goldberg
FAITS ET PROCÉDURE
La société Double D Import, ci-après Double D, est spécialisée dans la fabrication et la distribution de matériel de sport de combat : elle détient une licence monde exclusive de la société Adidas, pour la fabrication et la distribution dudit matériel.
La société Double D et la société Ippon Shop ont conclu le 25 janvier 2016 un contrat de distribution au terme duquel la société Double D a accordé à la société Ippon Shop l'exclusivité de distribution de ses produits marqués Adidas pour les pays mentionnés dans ce contrat, notamment l'Allemagne.
Des différends entre les parties sont nés à compter du mois de juin 2017.
C'est dans ces conditions que par courrier du 30 septembre 2017, la société Double D a fait savoir à la société Ippon Shop qu'elle résiliait à effet immédiat le contrat les liant, ce que contestait cette dernière par courrier du 4 octobre 2017.
Par acte du 9 janvier 2018, la société Double D a assigné la société Ippon Shop devant le tribunal de commerce de Meaux en constatation de la résiliation pour faute de la société Ippon Shop du contrat de distribution du 25 janvier 2016 par le courrier du 30 septembre 2017 et en réparation de son préjudice.
La société Ippon Shop a soulevé une exception d'incompétence du tribunal de commerce de Meaux au profit des tribunaux du Landgericht de Ratisbonne.
Par jugement du 13 novembre 2018, le tribunal de commerce de Meaux a :
- reçu la société Ippon Shop en son exception d'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Meaux au profit du Landgericht de Ratisbonne, Allemagne, la dit bien fondée,
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le Landgericht de Ratisbonne, Allemagne,
- débouté la société Double D Import de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Double D Import à payer à la société Ippon Shop la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Double D Import a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 28 novembre 2018 et a été autorisée à assigner à jour fixe la société Ippon Shop.
Vu les conclusions du 21 décembre 2018 par lesquelles la société Double D Import, appelante, invite la cour, au visa du titre XI du Livre I du Code de procédure civile, du Règlement communautaire 1215/2012 (" Bruxelles I bis "), des articles 57 et 267 du traité 2016/C 202/01 sur le fonctionnement de l'Union, à :
- infirmer le jugement rendu le 13 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Meaux,
et par conséquent,
- déclarer le tribunal de commerce de Meaux compétent pour connaître du présent litige,
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la société Ippon Shop,
- rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Ippon Shop,
à titre subsidiaire,
- surseoir à statuer et renvoyer le dossier devant la Cour de justice de l'Union européenne pour qu'elle statue dans le cadre de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sur la question préjudicielle de droit européen suivante :
" L'article 7, paragraphe 1, b), deuxième tiret, du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-il être interprété en ce sens qu'un contrat de distribution exclusive doit être qualifié de contrat de prestation de services, même lorsque le contrat (i) repose sur des obligations réciproques, dont le lieu d'exécution diffère, de sorte qu'il n'y a pas de prestation contractuelle caractéristique rendue par l'une seule des parties et (ii) ne prévoit aucune rémunération en contrepartie des activités effectuées par le distributeur exclusif ?"
en tout état de cause,
- rejeter la demande de la société Ippon Shop sur la loi applicable au contrat, celle-ci relevant du fond,
- condamner la société Ippon Shop à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Ippon Shop aux entiers dépens ;
Vu les conclusions du 4 janvier 2019 par lesquelles la société Ippon Shop, intimée, demande à la cour, au visa des articles 73, 74, 75 et suivants du Code de procédure civile, 4 (1) et 7 (1) du Règlement (UE) n° 1215/2012 de :
- lui donner acte de ses demandes d'incident in limine litis, pour l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Meaux pour connaître du litige et la réserve de droits qu'elle a faite quant à sa demande d'incident concernant l'inapplicabilité de la loi française à la solution du litige,
par conséquent,
sur l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Meaux,
- confirmer le jugement du 13 novembre 2018 du tribunal de commerce de Meaux dont appel et :
- se déclarer incompétent au profit du Landgericht de Ratisbonne (" Regensburg " en allemand) (République Fédérale d'Allemagne),
- dire que cette demande relève de la compétence du Landgericht de Ratisbonne (" Regensburg " en allemand) (République Fédérale d'Allemagne),
- rejeter la demande à titre subsidiaire de l'appelant de présenter une question préjudicielle à la CJUE et de surseoir à statuer en attendant la réponse de la CJUE,
dans tous les cas,
- confirmer la condamnation de la société Double D à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance,
- condamner la société Double D à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la présente instance d'appel,
- condamner la société Double D aux entiers dépens afférents à la procédure ;
Sur ce, LA COUR,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
La société Double D explique que :
- l'article 57 (ex-article 50 TCE) du traité 2016/C 202/01 définit la prestation de services et précise qu'il s'agit de la fourniture d'un service contre rémunération,
- l'existence d'un avantage quelconque ne suffit pas à être considéré comme une rémunération, auquel cas le traité aurait indiqué un terme plus large comme " bénéfice " ou " avantage " au lieu de rémunération,
- le contrat de distribution exclusive s'apparente à un contrat de partenariat et non à un contrat de prestation de service, le contrat de prestation de services étant un contrat spécial,
- en l'espèce, la prestation caractéristique du contrat ne se situe pas en Allemagne, la société Ippon Shop ne supportant pas seule le marketing et la promotion des produits en Allemagne et le contrat reposant sur des obligations réciproques de chacune des parties, dont le lieu d'exécution diffère, de sorte qu'il n'y a pas de prestation contractuelle caractéristique,
- le droit à la distribution était basé sur la licence Adidas dont elle est titulaire en France, étant domiciliée en France,
- les juridictions françaises sont également compétentes sur le fondement délictuel ;
La société Ippon Shop fait valoir que :
- en application des articles 73, 74, 75 et suivants du Code de procédure civile, 4 (1) et 7 (1) du Règlement " Bruxelles 1bis ", le tribunal de commerce de Meaux est incompétent pour statuer le litige les opposant au profit du Landgericht de Ratisbonne (en allemand : " Regensburg "), en Allemagne,
- le Règlement Bruxelles 1bis, qui définit les compétences juridictionnelles au sein de l'espace judiciaire européen, est applicable en vertu de son article 81 pour des actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015,
- en présence d'un litige ayant un caractère européen du fait de la nationalité et de la résidence des parties dans deux Etats membres distincts de l'Union européenne et en l'absence d'une clause dans le contrat de distribution stipulant le choix par les parties d'une juridiction pour résoudre leurs éventuels litiges, il convient de déterminer la juridiction compétente en application des règles de droit prévues par le Règlement européen Bruxelles 1 bis,
- dans le cadre d'une prestation de services, le lieu unique d'exécution de l'obligation est fixé comme étant le lieu de la prestation caractérisée dans le contrat,
- la société Ippon Shop est notamment le distributeur exclusif de la société Double D moyennant une rémunération prévue aux articles 1.1 à 1.3 du contrat les liant,
- le contrat de distribution exclusif est assimilé à un contrat de prestation de service pour la question de choix du for et d'option ouverte au justiciable,
- il n'y a pas lieu à question préjudicielle, la question étant déjà tranchée par la CJUE ;
Sur les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de la société Ippon Shop
L'application du droit de l'Union et notamment du Règlement (UE) n° 1215/2012 dit Bruxelles 1 bis n'est pas contestée par les parties.
La société Double D soutient que les juridictions françaises peuvent être compétentes, en vertu du choix qu'il lui revient de faire au regard de l'application conjuguée des articles 4 (1) et 7 (1a) dudit Règlement. La société défenderesse étant domiciliée en Allemagne, il y a lieu de déterminer si au regard des règles spéciales définies aux points a) et b) les juridictions françaises peuvent être compétentes.
Il est constant que le contrat liant les parties ne contient aucune clause attributive de compétence dans l'hypothèse d'un conflit entre elles dans l'exécution dudit contrat.
Aux termes de l'article 7 1) du Règlement précité :
" Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande,
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis,
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ".
Sur la qualification du contrat du 25 janvier 2016
Les parties s'opposent pour qualifier le contrat qui les lie, la société Ippon Shop considérant qu'il s'agit d'un contrat de prestation de services impliquant l'application du b) second tiret alors que la société Double D, contestant cette qualification, explique que le a) seul trouve à s'appliquer.
L'article 57 (ancien 50 TCE) du traité 2016/C 202/01 sur le fonctionnement de l'Union européenne est rédigé comme suit :
" Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Les services comprennent notamment:
a) des activités de caractère industriel,
b) des activités de caractère commercial,
c) des activités artisanales,
d) les activités des professions libérales ".
Par ailleurs, pour qualifier un contrat de contrat de prestation de services, la CJUE impose au juge national de rechercher " l'obligation caractéristique du contrat en cause " ainsi que les services fournis par la partie en contrepartie d'une rémunération.
En l'espèce, le contrat liant les parties est intitulé " contrat de distribution " et stipule notamment que, s'agissant de la Roumanie, des Pays Baltes, de la Biélorussie, de l'Ukraine et de la Russie " Double D reprendra toutes les responsabilités marketing (...). Ippon Shop soutiendra autant que possible Double D pour toutes les questions de marketing et promouvra la marque Adidas auprès des Fédérations par le biais de ses contacts ", et que " Ippon Shop reçoit une commission de 7 % sur toutes les commandes ", " un paiement annuel garanti de 31 000 UDS déductible de toutes les factures Ippon Shop payable au cours du premier semestre de l'année ", que s'agissant de l'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie " Ippon Shop reste entièrement responsable et distributeur exclusif d'Adidas pour l'Allemagne et l'Autriche en judo, karaté et Jiu Jitsu Brésilien " et " pour la Hongrie en judo et Jiu Jitsu Brésilien ", " Ippon Shop et Double D doivent se mettre d'accord sur des objectifs réalistes et discutés chaque année ", que de manière générale, s'agissant du " soutien pour le sponsoring ", " Double D subventionne Ippon Shop annuellement avec le nombre d'articles gratuits " tels que défini au contrat, et que " après les Jeux Olympiques de 2016, Double D sera en contact direct avec toutes les fédérations, à l'exception de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Hongrie ".
L'ensemble de ces dispositions contractuelles démontrent que la société Ippon Shop réalisait des services pour le compte de la promotion de la marque Adidas, notamment sur la zone pour laquelle il était distributeur exclusif, s'assurant de la promotion de la marque sur les territoires concédés, participant au développement de la marque et à sa diffusion.
En outre, il ressort également des termes du contrat que la société Ippon Shop percevait une rémunération spécifique pour ses prestations sur les territoires concédés sans exclusivité. De même, l'exclusivité accordée sur les autres territoires concédés peut être considérée comme étant une rémunération, en ce qu'elle donne un avantage concurrentiel important à la société Ippon Shop qui est seule en mesure de diffuser sur cette zone les produits Adidas dont la grande renommée n'est pas contestée. Enfin, la société Ippon Shop est aidée par la fourniture de produits gratuits, constitutifs également d'éléments de rémunération.
Dès lors, la société Double D ne peut utilement invoquer l'existence de prestations réciproques dans le contrat querellé, les obligations mises à sa charge étant la livraison des produits et le marketing principal dans la zone concédée sans exclusivité, alors que l'essence même de ce contrat porte principalement sur les services de commercialisation, de mise en avant et de promotion des produits sur la zone concédée avec exclusivité mises à la charge de la société Ippon Shop, ces obligations étant essentiellement mises à la charge de la société Ippon Shop et non pas de la société Double D.
Dès lors, le contrat du 25 janvier 2016 signé par les sociétés Ippon Shop et Double D doit être qualifié de contrat de distribution au sens de l'article 7 (1 b) second tiret. Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer et de saisir la CJUE d'une question préjudicielle, les points soulevés par la société Double D ayant déjà été tranchés.
Sur le lieu où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis
Le contrat du 25 janvier 2016 signé par les sociétés Ippon Shop et Double D étant qualifié de contrat de distribution, il y a lieu de faire application de l'article 7 (1 b) second tiret. Il convient donc de déterminer le lieu où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.
En l'espèce, il incombe à la société Ippon Shop domiciliée en Allemagne et plus précisément à Abensberg de procéder aux opérations de promotion, de commercialisation et de distribution des produits Adidas, objets du contrat. Ces services ne peuvent être réalisés qu'au domicile de la société Ippon Shop. Abensberg, située sur le ressort de Ratisbonne en Allemagne est donc le lieu où les services ont été fournis par la société Ippon Shop.
Dans ces conditions, les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de la société Ippon Shop par la société Double D sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Sur les demandes fondées sur la responsabilité quasi délictuelle de la société Ippon Shop
La société Double D explique qu'après la résiliation du contrat, le comportement de la société Ippon Shop envers elle est demeuré inchangé et que celle-ci a continué à lui porter préjudice. Toutefois, force est de constater avec la société Ippon Shop que les demandes formées à son encontre par la société Double D ne sont fondées que sur les articles 1104, 1217 et 1224 du Code civil et que donc elle ne peut invoquer les dispositions relatives aux règles de compétences relatives aux litiges fondés sur la responsabilité quasi délictuelle.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Double D doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Ippon Shop la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Double D.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Dit n'y avoir lieu à sursis à statuer et à question préjudicielle ; Y ajoutant ; Condamne la société Double D aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Ippon Shop la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; rejette toute autre demande.