CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 20 février 2019, n° 18-19573
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ediciones Assimil (Sté)
Défendeur :
Assimil (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy Zenati
Conseillers :
Mmes Dias Da Silva, Grall
Avocats :
Mes Damay, Guille, Carbasse
La société Assimil est spécialisée dans les méthodes d'apprentissage des langues étrangères et dans la commercialisation des ouvrages d'auto apprentissage. Elle a recours à un réseau de distributeurs exclusifs. Pour l'Espagne, elle a confié la distribution exclusive de ses ouvrages d'apprentissage de langues et ses produits annexes à la société Ediciones Assimil, par un contrat de distribution daté du 1er octobre 2003.
Le contrat prévoit que toutes les livraisons effectuées par Assimil à Ediciones Assimil sont payables à partir de l'envoi du relevé mensuel par Assimil.
Les parties ont également conclu le 1er octobre 2003, un contrat de cession des droits de publication en langues étrangères, aux termes duquel Assimil a concédé à Ediciones Assimil le droit de traduire en langue espagnole, d'éditer et de publier sur le territoire espagnol certains ouvrages spécifiques.
Considérant que la société Ediciones Assimil avait manqué de manière grave et répétée à ses obligations de paiement la société Assimil a prononcé la résiliation du contrat de distribution pour faute grave, par lettre recommandée du 29 novembre 2018.
Suivant exploit délivré le 15 février 2018 la SAS Assimil a fait assigner la société Ediciones Assimil devant le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil, aux fins de la voir condamner à lui verser, à titre de provision, la somme de 46 963,02 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 2017 et une indemnité de procédure, réclamant par ailleurs sa condamnation sous astreinte à lui transférer le nom de domaine www.assimil ainsi que tout autre nom de domaine utilisé par elle contenant la dénomination "Assimil".
Par ordonnance réputée contradictoire du 24 avril 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil a :
- Pris acte de ce que la partie demanderesse réduit sa demande en principal à la somme de 39 511,84 euros au titre du solde restant dû sur les factures et renonce à sa demande tendant à la restitution, sous astreinte, des marchandises en dépôt et à la demande subsidiaire en paiement du prix des marchandises de ce stock qui auraient été vendues,
- Ordonné le paiement par provision par la société Ediciones Assimil à la société Assimil de la somme de 39 511,84 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017,
- Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du jour de l'ordonnance dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil,
- Rejeté la demande tendant au transfert du nom de domaine www.assimil ainsi que tout autre nom contenant la dénomination "Assimil",
- Condamné la société Ediciones Assimil au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 2 août 2018, la société Ediciones Assimil a interjeté appel de cette ordonnance.
Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 21 décembre 2018, elle demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondé son appel,
Statuant à nouveau,
- Infirmer partiellement l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné le paiement, par provision à la société Assimil de la somme de 39 511,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017 et celle de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Constater les nombreux manquements contractuels de la société Assimil à son encontre,
- Juger que ces manquements ont contribué à l'incapacité dans laquelle elle s'est trouvée pour régler à échéance les factures émises par la société Assimil,
- Constater que suite à la restitution des marchandises, elle est créancière vis-à-vis de la société Assimil de la somme de 64 412,42 euros,
En conséquence :
- Constater l'existence d'une contestation sérieuse,
- Débouter la société Assimil de toutes ses demandes, dont notamment sa demande sur appel incident,
- Condamner la société Assimil à lui payer la somme de 64 412,42 euros ou subsidiairement la somme de 33 198,41 euros après compensation (64 412,42 euros - 31 214,01 euros),
En toutes hypothèses,
- Confirmer la décision en toutes ses autres dispositions,
- Condamner la société Assimil à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Elle a fait valoir :
- Que la demande de provision de la société Assimil se heurte à des contestations sérieuses dans la mesure où cette dernière a manqué à ses obligations contractuelles à plusieurs reprises en ne l'aidant pas lors de la crise économique qui nécessitait une réorganisation du réseau de distribution en Espagne, en ne donnant pas de suite aux demandes répétées de l'appelante d'une meilleure adaptation aux nouvelles exigences du marché, en refusant toute coopération avec elle et en rompant brusquement leurs relations commerciales en l'absence de tout préavis après 30 ans.
- Que les manquements de la société Assimil ont fortement contribué aux difficultés financières de l'appelante et justifient qu'elle puisse se prévaloir d'une exception d'inexécution.
- Qu'à la suite du renvoi des marchandises elle est créancière de la société Assimil de la somme de 70 796,53 euros ou à tout le moins de celle de 31 284,69 euros après compensation avec la somme de 39 511,84 euros ; que les marchandises retournées doivent lui être remboursées au prix de vente conformément aux engagements contractuels des parties.
- Que la demande de transfert du nom de domaine est prématurée dès lors qu'elle s'apprête à engager une action au fond contre la société Assimil pour manquements de cette dernière à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat de distribution exclusive.
La société Assimil, par conclusions transmises par voie électronique le 8 janvier 2019, demande à la cour de :
- Juger que la dette de la société Ediciones Assimil à l'égard de la société Assimil n'est pas sérieusement contestable à hauteur d'un montant de 31 214,01 euros ;
En conséquence :
- Confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu le caractère non sérieusement contestable de la créance d'Assimil vis-à-vis d'Ediciones Assimil ;
- Condamner la société Ediciones Assimil à lui verser la somme de 31 214,01 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017 et la capitalisation des intérêts;
- Débouter la société Ediciones Assimil de l'intégralité de ses demandes ;
- Infirmer pour le surplus l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau :
- Condamner la société Ediciones Assimil à lui transférer le nom de domaine www. assimil. es ainsi que tout autre nom de domaine utilisé par Ediciones Assimil contenant la dénomination "Assimil", en lui communiquant les codes d'identification et d'administration utiles ainsi que les noms des sociétés registres desdits noms de domaine, et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;
- Se réserver le droit de liquider l'astreinte ;
En tout état de cause,
- Condamner la société Ediciones Assimil à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Elle fait valoir :
- Que sa créance n'est pas sérieusement contestable puisqu'elle est afférente aux factures échues au titre des ouvrages placés en dépôt et non retournés, la somme réclamée tenant compte des marchandises qui lui ont été rendues alors qu'aucune réclamation ne lui a jamais été adressée sur sa facturation.
- Qu'il n'y a eu aucun manquement de sa part à ses obligations pas plus qu'une rupture brutale des relations commerciales ; qu'en ne s'acquittant pas des factures émises, malgré les nombreuses relances et l'échéancier accordé, la société appelante a incontestablement commis une faute grave justifiant la résiliation du contrat liant les parties.
- Que l'appelante ne peut se prévaloir d'aucune créance envers elle et les retours de marchandises dont elle se prévaut ont été réalisés en dehors du cadre de la fin du contrat et avant la résiliation effective, la société Assimil lui notifiant son indignation sur ces retours.
- Que sa demande de transfert du nom de domaine est bien fondée conformément à l'article 16 du contrat qui précise qu'en cas de résiliation pour manquement de la société Ediciones Assimil cette dernière est tenue de cesser d'utiliser la marque Assimil.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application de l'article 873 du Code de procédure civile le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Pour justifier du bien fondé de sa demande de provision la société Assimil verse aux débats les 16 factures éditées du 12 janvier au 13 novembre 2017 pour un montant total de 46 963,02 euros correspondant aux ouvrages livrés à la société Ediciones Assimil ainsi que la facture du 12 février 2018 d'un montant de 10 106,17 euros afférente aux ouvrages placés en dépôt chez Ediciones Assimil et non retournés se prévalant ainsi d'une créance totale initiale de 57.069,19 euros de laquelle elle indique qu'il y a lieu de déduire les avoirs correspondant aux marchandises qui lui ont par la suite été retournées.
L'appelante ne conteste pas le bien fondé de ces factures ni leur montant mais soutient que la société Assimil a manqué à ses obligations contractuelles en ne l'aidant pas à surmonter les difficultés économiques rencontrées du fait de l'absence de prise en compte de la nécessité de s'adapter aux nouvelles exigences du marché et en rompant brutalement leurs relations commerciales, ces éléments constituant selon elle des contestations sérieuses s'opposant à la demande de provision.
L'article L. 442-6 5° du Code de commerce invoqué par l'appelante prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce. Ce texte précise que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
En l'espèce, il est constant que la société appelante n'a pas réglé les factures qui lui avaient été adressées par la société Assimil malgré les relances et mises en demeure qui lui ont été adressées et n'a pas non plus adressé la moindre contestation sur leur bien fondé. Elle ne peut donc valablement contester le non respect de ses obligations contractuelles vis à vis de la société Assimil. La cour observe de plus que le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil, dans son ordonnance du 22 juillet 2009, après avoir ordonné la poursuite des relations commerciales entre les parties a dit que la marchandise livrée par la société Asimil devait être réglée à 30 jours, fin de mois, à compter de la date de livraison et qu'en cas de non respect par la société Ediciones Assimil des dates prévues par l'ordonnance la société Assimil serait autorisée à conditionner la livraison des commandes à leur paiement d'avance à la condition d'avoir notifié préalablement à la société Ediciones Assimil sa défaillance par courrier recommandé avec accusé de réception.
La société Assimil prouve avoir notifié à plusieurs reprises à la société Ediciones Assimil le non respect de ses obligations. La mise en demeure du 8 novembre 2017 est versée aux débats en pièce 11 et il est encore justifié des mails adressées par l'intimée à l'appelante sur le non respect des obligations contractuelles de cette dernière conduisant la société Assimil à prononcer la résiliation du contrat de distribution par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 29 novembre 2017 (pièce 13 de l'intimée).
Par ailleurs la société Ediciones Assimil ne verse aucune pièce à l'appui de ses affirmations selon lesquelles la société Assimil ne l'aurait pas aidée lors de la crise économique et n'apporte aucun élément permettant au juge des référés d'en déduire que l'intimée avait commis des manquements contractuels, alors par ailleurs que la société Assimil justifie au contraire avoir consenti à la société appelante des facilités de paiement notamment en lui permettant de régler ses factures à 90 jours alors que l'ordonnance du 22 juillet 2009 précitée prévoyait qu'elle devait les acquitter à 30 jours.
Il s'ensuit que les contestations opposées par la société Ediciones Assimil au prononcé de la résiliation du contrat la liant à la société Assimil ne sont pas sérieuses, celle ci ayant manifestement manqué à son obligation contractuelle principale de régler les factures échues et ne justifiant pas devant le juge de l'évidence d'un quelconque manquement contractuel commis par la société Assimil.
S'agissant du montant dû par la société Ediciones Assimil, les pièces produites permettent d'en déduire que la dernière déclaration de vente adressée par cette dernière à la société Assimil date du 31 octobre 2017 (pièce 23 de l'appelante qui contient le tableau des ventes en dépôt et la facture établie par la société Assimil correspondante d'un montant de 2 266,81 euros).
Par ailleurs il n'est pas contesté que la société appelante a retourné à la société Assimil des marchandises invendues qu'elle détenait au titre du contrat de distribution ou à titre de dépôt. La société Assimil a établi des avoirs pour un montant total de 25 855,18 euros et a par ailleurs adressé à l'appelante une facture datée du 12 février 2018 d'un montant de 10 106,17 euros correspondant aux ouvrages placés en dépôt et non restitués après l'avoir mise en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception du 5 février 2018 de lui restituer les marchandises placées en dépôt non vendues. (pièces 17 et 19 de l'intimée).
L'appelante conteste le montant des avoirs tel que chiffré par la société Assimil et soutient être créancière de la somme de la somme de 64 412,42 euros correspondant à la valeur des marchandises qu'elle lui a retournées en application de l'article 16-3 du contrat de distribution au titre de 4 bons de retour 596, 598, 603 et 604.
L'article 16 relatif aux effets de fin de contrat stipule à son alinéa 3 'Assimil aura, à cette date (la date de fin de contrat), le choix entre la possibilité de reprendre ou de faire reprendre par tout tiers de son choix le stock existant des produits au prix de vente facturé par Assimil au concessionnaire ou de donner l'autorisation au concessionnaire d'écouler ledit stock dans un délai n'excédant pas les trois mois suivant la fin du contrat.'
Le bon de retour de marchandises n° 596 du 18 octobre 2017 d'un montant de 16 150,08 euros correspondant à des produits retournés à la société Assimil en dehors du cadre de la fin du contrat qui n'est intervenue que le 29 novembre 2017 ne peut manifestement pas venir en déduction des factures échues, faute pour l'appelante d'établir avec l'évidence requise en référé du bien fondé de ces retours avant la fin du contrat de distribution.
Le bon de retour n° 598 du 23 mars 2018 d'un montant de 14 677,96 euros n'est pas valablement contesté par la société Assimil qui considère qu'il doit être déduit des sommes dues par l'appelante ne produisant aucun élément permettant avec l'évidence requise en référé de réduire sa valeur à la seule somme de 11 407,18 euros qu'elle a imputée sur la somme réclamée à l'appelante.
L'appelante se prévaut encore des bons de retour 603 du 18 avril 2018 d'un montant de 23 516,43 euros et 604 du 23 avril 2018 d'un montant de 10 067,95 euros. La société Assimil reconnaît avoir reçu les marchandises y afférentes et indique qu'ils ont fait l'objet de plusieurs avoirs notifiés à la société Ediciones Assimil après avoir établi une décote pour certains produits ou refusé de prendre en compte certains ouvrages qu'elle considère comme obsolètes. Cependant elle ne peut manifestement justifier du bien fondé de la décote effectuée ou du refus de prise en compte de certaines marchandises alors que les stipulations contractuelles prévoient la reprise des marchandises au prix de vente initialement facturé par elle.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'après déduction des bons de retour d'un montant total non contestable de 48 262,34 euros 14 677,96 + 23 516,43 + 10 067,95), la société Ediciones Assimil est manifestement débitrice de la société Assimil de la somme de 8 806,85 euros (soit 57 069,19 - 48 262,34). Elle doit donc être condamnée au paiement de cette somme à titre de provision, l'ordonnance entreprise étant infirmée en ce sens.
Le contrat conclu entre les parties ayant été résilié par la société Assimil pour manquement de la société Ediciones Assimil à ses obligations contractuelles, la société Assimil est manifestement bien fondée à obtenir le transfert du nom de domaine www.assimil.es, le contrat prévoyant à son article 16-2 que "le cessionnaire cessera d'avoir le droit d'utiliser la marque Assimil et le logo y afférent sous quelque forme que ce soit à la date de fin due contrat". Il n'y a cependant pas lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte laquelle n'est pas justifiée en l'espèce. L'ordonnance doit donc également être infirmée sur ce point.
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.
À hauteur de cour, il convient d'accorder à la société Assimil, contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci après.
Partie perdante la société Ediciones Assimil ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel.
Par ces motifs : Confirme l'ordonnance sauf du chef de la provision allouée à la société Assimil à la charge de la société Ediciones Assimil et du chef du transfert du nom de domaine www.assimil.es; Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant ; Condamne la société Ediciones Assimil à payer à la société Assimil à titre de provision la somme de 8 806,85 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017; Condamne la société Ediciones Assimil à transférer à la société Assimil le nom de domaine www. assimil. es ainsi que tout autre nom de domaine utilisé par elle contenant la dénomination "Assimil", en lui communiquant les Codes d'identification et d'administration utiles ainsi que les noms des sociétés registres desdits noms de domaine; Dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus des demandes ; Condamne la société Ediciones Assimil à payer à la société Assimil la somme de 2 000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Ediciones Assimil aux dépens d'appel.