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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 13 février 2019, n° 18-16514

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Union des Groupements de Pharmaciens d'Officine (UDGPO)

Défendeur :

Groupement d'Achat des Centres E. Leclerc (SA), Kervilly (SAS) , Saint Gilles Sud (SAS), Angledis (SAS), Lunadis (SAS), Foch Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy Zenati

Conseillers :

Mmes Dias Da Silva, Grall

Avocats :

Mes Meynard, Beaugendre, Olivier, Ianniello, Parleani de Amadio

T. com. Créteil, du 19 juin 2018

19 juin 2018

L'Union des groupements de pharmaciens d'officine UDGPO est une association dont l'objet est d'assurer la défense des intérêts de ses membres et a vocation à agir sur tous sujets qui intéressent l'exercice de la profession.

La société anonyme coopérative à capital variable Groupement d'achat des centres E. Leclerc - le Galec constitue le groupement des magasins Leclerc et agit dans l'intérêt de ses membres, lesquels exploitent sous cette enseigne, notamment des parapharmacies.

Depuis plusieurs années, ces deux groupements s'opposent sur la vente des médicaments non remboursés en dehors du circuit officinal.

Soupçonnant le Galec de faire croire trompeusement à l'opinion publique, au travers de sa communication, que chacune de ses parapharmacies serait l'égale d'une officine de pharmacie, afin de mieux revendiquer le droit de vendre des médicaments non remboursés, l'UDGPO a sollicité du président du tribunal de commerce de Créteil le 12 décembre 2017 une mesure d'instruction non contradictoire sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, qui a été autorisée par ordonnance du 4 janvier 2018.

Saisi par le Galec et les cinq sociétés exploitant les cinq parapharmacies visées par la mesure, les SAS Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution, le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil a, par ordonnance du 19 juin 2018 rétracté l'ordonnance sur requête du 4 janvier 2018.

L'UDGPO en a interjeté appel par déclaration du 28 juin 2018.

Aux termes de ses conclusions remises et notifiées le 8 janvier 2019 l'appelante demande à la cour de :

- Infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Créteil du 19 juin 2018 ;

Et statuant à nouveau,

- Confirmer l'ordonnance de Mme le président du tribunal de commerce de Créteil du 4 janvier 2018 ;

- Condamner les intimées à restituer aux huissiers commis les pièces que ceux ci leur ont remises lors de la levée de séquestre ;

- Condamner la société Galec à communiquer à Maître Di Peri, dans le délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, les éléments que le Galec avait refusé de communiquer lors de la réalisation des mesures d'instruction le 29 janvier 2018, à savoir les informations relatives au volume horaire journalier et hebdomadaire des docteurs en pharmacie présents le 2 novembre 2017, ce, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard dont la cour se réservera la liquidation ;

- Condamner la société Foch Distribution à remettre à l'huissier commis, la SCP Dumestre Pernin Elleaume Bernard Breuil Chatillon, les éléments qu'elle avait refusé de communiquer ce 29 janvier 2018, à savoir copie du contrat de travail de Madame Sarah G. et le planning de l'intéressée lors de la semaine du 2 novembre 2017, ce, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard

dont la cour se réservera la liquidation ;

- Ordonner que chaque huissier commis dresse procès verbal des pièces à lui remises, en spécifiant toute pièce manquante par rapport aux mesures définies par l'ordonnance du 4 janvier 2018, et transmette à l'UDGPO et aux requises un exemplaire de son constat et pièces ;

- Condamner in solidum les sociétés Galec, Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution aux entiers dépens incluant les frais d'huissiers commis exposés et à payer à l'UDGPO la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'UDGPO expose que la communication publicitaire du Galec insiste que la présence et le conseil de docteurs en pharmacie diplômés au sein de chacune de ses parapharmacies E. Leclerc pour mieux revendiquer le droit de vendre des médicaments non remboursés ; qu'ainsi le Galec y affirme que chacune de ses parapharmacie est prétendument dirigée par un ou deux docteurs en pharmacie, que 70% des pharmaciens diplômés responsables d'une parapharmacie E. Leclerc ont précédemment travaillé en officine, et que chaque client peut donc être conseillé par un personnel diplômé à l'égal du conseil prodigué en officine.

Il soutient qu'il présente un motif légitime de faire procéder à la vérification de l'exactitude des allégations publicitaires du Galec puisqu'il y aurait tromperie >, et donc pratique commerciale déloyale, si ce dernier devait avoir dissimulé que ses parapharmacies ne comptent tantôt aucun pharmacien diplômé, tantôt qu'un pharmacien qui, à lui seul, ne pourrait assurer une présence pendant toute la durée d'ouverture de la parapharmacie, de sorte que le service réel serait moindre que celui prétendu.

Il fait valoir que le risque de dépérissement des preuves dans le contexte d'une < tromperie suspectée justifie le recours à une mesure non contradictoire pour préserver leur sincérité et leur intégrité.

Aux termes de leurs conclusions remises et notifiées le 6 novembre 2018, le Galec et les SAS Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution demandent à la cour de :

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Créteil du 19 juin 2018 ;

En conséquence,

- Rejeter l'ensemble des demandes fins et conclusions de l'UDGPO ;

A titre principal,

Vu l'article 493 du Code de procédure civile,

- Rétracter dans son intégralité l'ordonnance sur requête rendue le 4 janvier 2018 en raison de l'absence de nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

A titre subsidiaire,

Vu l'article 145 du Code de procédure civile,

- Rétracter dans son intégralité l'ordonnance sur requête rendue le 4 janvier 2018 en raison de l'absence de motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile et du caractère disproportionné des mesures d'instruction ordonnées ;

A titre infiniment subsidiaire,

Vu l'article 564 du Code de procédure civile,

- Rétracter dans son intégralité l'ordonnance sur requête rendue le 4 janvier 2018 en raison du caractère manifestement inutile des mesures d'instruction ordonnées ;

En tout état de cause,

Vu l'article 559 du Code de procédure civile,

- Condamner l'UDGPO à payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive à chacune des sociétés Galec, Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution ;

- Condamner l'UDGPO à payer la somme de 15.000 € au Galec ainsi que celle de 10.000 € à chacune des sociétés Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner l'UDGPO aux entiers dépens.

Les intimés font valoir à titre principal qu'usant de sa liberté d'expression, le Galec a, au travers de ses campagnes destinées à promouvoir une modification législative, revendiqué la possibilité pour les parapharmacies E. Leclerc de vendre des médicaments sans ordonnance, position contestée par des groupements de pharmaciens, dont l'UDGPO, mais que pour autant, ses communications sont licites ; que le contentieux entre ces deux mouvements ne suffit pas à étayer les suspicions invoquées à l'encontre du Galec, qui ne fait qu'indiquer que ses parapharmacies sont animées par des docteurs en pharmacie, titulaires du même diplôme que les pharmaciens et qui pour certains ont déjà travaillé auparavant en officine mais n'a jamais affirmé que des pharmaciens, dont la qualité implique d'être inscrit à l'ordre des pharmaciens, exerceraient au sein des parapharmacies.

Ils soutiennent que l'allégation de risque de disparition, dépérissement ou destruction des preuves n'est aucunement étayée par des circonstances et pièces invoquées dans la requête, et que l'effet de surprise recherché, même dans un contexte de pratiques déloyales, ne dispense pas que les circonstances susceptibles de déroger au principe du contradictoire soient caractérisées.

En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

Motifs de la décision

Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou

d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; que l'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du Code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli. Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle ci .

Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire.

Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Il résulte notamment de ce qui précède que l'office du juge de la rétractation est de statuer sur les mérites de la requête, de sorte que les conditions requises par l'article 145 du Code de procédure civile sont dans les débats, et qu'en analysant et retenant le défaut de l'un d'entre eux à l'appui de la rétractation prononcée, le premier juge n'a donc pas failli au respect du contradictoire.

Les mesures requises par l'UDGPO ont pour finalité d'établir 'si les 250 parapharmacies E. Leclerc revendiquées sont ou non (comme légitimement soupçonné) réellement sous la responsabilité d'un ou plusieurs pharmaciens, si, comme allégué, au sein de chaque parapharmacie un pharmacien diplômé accueille la clientèle et lui prodigue des conseils personnalisés, et si 70% des responsables de parapharmacie E. Leclerc ont précédemment travaillé en officine'.

Elles consistent à voir désigner un huissier afin de recueillir au siège du Galec la liste des pharmaciens diplômés employés dans les 250 parapharmacies, l'identité des sociétés adhérentes qui les exploitent, l'amplitude horaire par jour et par semaine d'ouverture de chacune d'elles, le volume hebdomadaire de travail et de présence de chacun des pharmaciens, les 'sources internes Leclerc' qui établiraient que 70% des responsables de parapharmacie ont précédemment travaillé en officine ; et à voir désigner 5 huissiers afin de se rendre dans les locaux de 5 parapharmacies afin de rencontrer le ou les pharmaciens présents, se faire remettre ou rechercher 'si la parapharmacie compte un ou plusieurs pharmacien ( s) diplômé(s), notamment prendre copie du registre unique du personnel et du contrat de travail de toute personne présente, et se faire remettre ou rechercher tous éléments permettant d'établir les jours et heures de présence de tout diplômé en pharmacie au sein de la parapharmacie considérée', les huissiers étant autorisés à mener les recherches sur tous supports informatiques de la société requise.

La requérante expose que ces mesures visent à révéler la situation réelle des parapharmacies E. Leclerc, sciemment cachée par le Galec ; que dans toutes les procédures aux fins de mesures d'instruction in futurum destinées à dévoiler des pratiques déloyales (fraude, concurrence déloyale, publicité trompeuse ou autre) l'efficacité même de la mesure suppose un effet de surprise qui justifie qu'il soit dérogé au principe du contradictoire et que si le Galec et/ou les société membres de cette coopérative étaient à l'avance informés de la venue d'un huissier commis ayant pour mission de

constater le nombre et la présence ou l'absence de pharmacien ( s) diplômé(s), il leur serait aisé de s'organiser pour effacer toute preuve de faute, surtout si les éléments sont informatisés.

La cour relève que la preuve de la présence de pharmaciens au sein des parapharmacies visées par la requête, s'administre par la production de leur contrat et réside dans les documents sociaux et comptables dont la tenue est obligatoire et dont la disparition ne peut être redoutée, même s'ils sont établis sur support informatique. Le stratagème selon lequel les requis avisés seraient tentés de s'organiser pour assurer leur présence constante dans les parapharmacies à l'occasion des constats, ne serait pas de nature à fausser la preuve de leur présence effective organisée par leur contrat et leur planning de travail.

En outre, l'éviction du contradictoire, principe directeur du procès, nécessite que le requérant justifie de manière concrète, quelle que soit l'action envisagée au fond, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Or, les considérations figurant dans la requête, comme dans l'ordonnance, sont d'ordre général. L'effet de surprise recherché, sans démonstration ni prise en compte d'éléments propres au cas d'espèce caractérisant des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire, que ne constitue pas le seul fait que les documents recherchés se trouveraient sur support informatique, est insuffisant pour satisfaire aux exigences posées par l'article 493 du Code de procédure civile.

Faute de motivation contenue dans la requête et l'ordonnance de circonstances particulières de nature à autoriser une dérogation au principe du contradictoire, l'ordonnance sur requête du 4 janvier 2018 doit être rétractée. Il en résulte que l'ordonnance doit être confirmée.

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice. En l'espèce, un tel comportement de la part de l'appelante n'est pas manifestement caractérisé, de sorte que la demande des intimés est rejetée.

Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.

A hauteur de cour, il convient d'accorder aux sociétés intimées, contraintes d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci après.

Partie perdante, l'UDGPO ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel.

Par ces motifs Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant Déboute le Galec et les SAS Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution de leur demande de dommages intérêts, Condamne l'UDGPO à verser au Galec et aux SAS Kervilly, Saint Gilles Sud, Angledis, Lunadis et Foch Distribution, ensemble, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne l'UDGPO aux dépens.