Livv
Décisions

CA Dijon, 2e ch. civ., 14 février 2019, n° 17-00946

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Next Auto R (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vautrain

Conseillers :

M. Wachter, Mme Dumurgier

Avocats :

Mes Merger, Cuvex Micholin, Aidan

TGI Chaumont, du 15 juin 2017

15 juin 2017

Faits et procédure :

Madame Anaïs C. acquiert le 3 janvier 2015 un véhicule d'occasion de marque BMW X 1 auprès de la Sarl Next Auto R moyennant le prix de 21.300,00 € à la suite d'une annonce présentant ce véhicule avec un kilométrage de 57.500 km. Une déclaration de cession est signée le 3 janvier 2015, et une facture établie à la même date pour un montant de 21.656,50 €, incluant le prix d'une garantie, ainsi que de la carte grise.

Madame Anaïs C. effectue un contrôle technique le 27 octobre 2015. Des anomalies ayant été constatées, elle fait procéder le 23 novembre 2015 à une expertise contradictoire réalisée par l'expert de sa compagnie de protection juridique, en présence de Monsieur Arnaud R. représentant le vendeur et de l'expert automobile de ce dernier. Cette expertise révèle l'existence d'importants problèmes et de réparations consécutives à deux accidents survenus en 2013.

Par acte d'huissier en date du 8 février 2016, Madame Anaïs C. assigne la Sarl Next Auto R devant le tribunal de grande instance de Chaumont aux fins de résolution de la vente intervenue le 3 janvier 2015.

Au terme de ses dernières conclusions, elle demande, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa de l'article L. 111-1 du Code de la consommation, ainsi que sur le fondement du dol, de voir prononcer :

'la résolution de la vente intervenue le 3 janvier 2015,

'la condamnation de la SARL Next Auto R au paiement des sommes suivantes :

' 21.656,50 € - prix du véhicule et de la carte grise

' 244,12 €, facture en date du 28 janvier 2015

' 284,26 €, facture en date du 28 janvier 2015

' 93,83 €, facture en date du 4 avril 2015

' 321,91 € facture en date du 13 mai 2015

' 139,01 € facture en date du 13 juin 2015

' 65,00 € au titre des frais du contrôle technique

' 94,80 € au titre des frais d'expertise

' 2 000,00 € au titre de dommages et intérêts pour la perte de véhicule

' 3 000,00 € au titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral

' 5 000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure

civile, ainsi qu'aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, Madame Anaïs C. soutient que, pour la convaincre de ce qu'elle faisait une bonne affaire, le garage lui a remis les originaux des factures d'entretien du précédent propriétaire et la liste des travaux qui avaient été effectués sur le véhicule se limitant aux remplacement et fourniture d'huile et de filtre, fourniture et remplacement d'un filtre à gasoil, fourniture et remplacement d'un filtre à air.

Elle ajoute que, depuis l'acquisition, elle a procédé à de nombreuses réparations.

Elle fait valoir le rapport de l'expert qui constate, selon elle, que le véhicule a fait l'objet d'un accident, qu'il a de nombreux problèmes et qu'il a été gravement accidenté.

Elle précise que le garage Next Auto R reconnaît ne pas lui avoir signalé ce fait.

Elle prétend que le véhicule a pris l'eau en 2014, qu'il a fait également l'objet, d'un accident important ayant donné lieu à une expertise et que l'expert lui a indiqué qu'il lui était déconseillé d'utiliser le véhicule compte tenu de l'usure très prononcée de ses pneumatiques.

Elle fait valoir au visa de l'article L.111-1 du Code de la consommation que le vendeur de l'automobile est un vendeur professionnel et qu'à ce titre il lui incombe de prouver qu'il a indiqué à son client que le véhicule vendu d'occasion avait été accidenté.

Elle reproche au vendeur de ne pas avoir rempli son obligation d'information et d'avoir commis un dol en ne présentant pas l'état véritable du véhicule qu'il vendait.

La Sarl Next Auto R conclut pour sa part au débouté de Madame Anaïs C. de l'intégralité de ses demandes et à sa condamnation à lui verser les sommes de 5 000,00 € pour procédure abusive et 5 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle explique que préalablement à la vente du véhicule, elle a fourni à Madame Anaïs C. tous les documents et informations dont elle disposait, notamment les factures d'entretien fournies par ses précédents propriétaires.

Elle souligne que, lors du contrôle technique du véhicule effectué par Madame Anaïs C., le seul et unique défaut portait sur le pneu arrière, qui était usé.

Elle prétend que les conséquences de l'accident étaient imperceptibles pour la Sarl Next Auto R et indique que l'accident est survenu au moment où le véhicule appartenait aux consorts A. et que rien dans les documents fournis par ces derniers ne laissait imaginer l'existence d'un accident.

Elle prétend que les conditions du dol ne sont pas réunies dans la mesure où elle n'était pas au courant de l'accident, Madame Anaïs C. ne démontrant pas le caractère intentionnel des déclarations ni sa

réticence. Elle ajoute que la demanderesse ne peut lui reprocher une quelconque négligence ou légèreté dans la recherche d'informations antérieures et cachées sur le véhicule, et qu'on ne peut pas lui reprocher un quelconque dol sur un éventuel manquement à son devoir d'information pré contractuelle.

A titre reconventionnel, elle sollicite la somme de 10 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive soutenant que Madame Anaïs C. lui a fait délivrer une assignation en nullité de la vente pour dol alors qu'elle savait pertinemment, au regard des pièces qu'elle communique qu'elle n'était pas au fait de la nature de l'accident survenu et qu'elle n'a pas cherché à l'induire en erreur.

Par jugement du 15 juin 2017, le tribunal de grande instance de Chaumont :

- Prononce l'annulation du contrat de vente intervenue le 3 janvier 2015 entre Madame Anaïs C. et la société Next Auto R,

- Condamne la société Next Auto R à restituer à Madame Anaïs C. le prix de vente du véhicule incluant les frais de carte grise, soit la somme de 21.656,50 €,

- Dit que Madame Anaïs C. devra restituer à la société Next Auto R le véhicule dans le délai de huit jours à compter de la restitution du prix de vente,

- Condamne la société Next Auto R à payer à Madame Anaïs C. les sommes suivantes :

' 244,12 € en remboursement de la facture en date du 28 janvier 2015,

' 284,26 € en remboursement de la facture en date du 28 janvier 2015,

' 93,83 € en remboursement de la facture en date du 4 avril 2015,

' 321,91 € en remboursement de la facture en date du 13 mai 2015,

' 139,01 € en remboursement de la facture en date du 13 juin 2015,

' 65,00 € au titre des frais du contrôle technique,

' 94,80 € au titre des frais d'expertise,

- Condamne la société Next Auto R à payer à Madame Anaïs C. la somme de 2 000,00 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- Rejette la demande de dommages et intérêts au titre de la perte du véhicule,

- Condamne la société Next Auto R à payer à Madame Anaïs C. la somme de 3 000,00 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Rejette les demandes des parties plus amples ou contraires,

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamne la société Next Auto R aux entiers dépens.

******

La Sarl Next Auto R fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 23 juin 2017.

Par conclusions déposées le 28 juillet 2017, elle demande à la cour d'appel de :

' Vu l'article 1116 du Code civil,

Vu la jurisprudence,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Chaumont le 15 juin 2017,

- Débouter Madame Anaïs C. de l'intégralité de ses demandes,

- Condamner Madame Anaïs C. à verser à la société Next Auto R la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,

- Condamner Madame Anaïs C. à verser à la société Next Auto R la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile'.

Par conclusions déposées le 26 septembre 2017, Madame Anaïs C. demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner l'appelante à lui verser 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles pour l'instance d'appel et aux dépens.

L'ordonnance de clôture est rendue le 27 novembre 2018.

En application des articles 455 et 634 du Code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus visées.

Motivation :

Il est établi par les pièces produites et par les explications des parties que le véhicule litigieux a été vendu le 3 janvier 2015 à Madame Anaïs C. par le garage Next Auto R, lequel a déclaré aux services préfectoraux l'avoir acquis le même jour de Monsieur Christophe M. ; qu'à cette occasion, il a été remis par le garage Next Auto R à Madame C. un document intitulé 'liste des travaux sur véhicule' mentionnant que cette voiture, qui présentait un kilométrage de 57 434 km, avait subi un remplacement et une fourniture d'huile + filtre 5w30, la fourniture et le remplacement du filtre gasoil, et la fourniture et le remplacement du filtre à air (sans aucune précision concernant les dates de ces interventions).

Il est également établi par l'expertise contradictoire réalisée entre les parties dont les conclusions ne sont pas contestées, que l'historique de ce véhicule révèle qu'il a subi deux sinistres successivement en janvier puis février 2013 qui ont donné lieu au déclenchement de la procédure VGE ; qu'après réparation, il a fait l'objet d'un rapport de conformité le 31 mai 2013 ; que toutefois le 2 mai 2014, cette voiture a de nouveau été confiée au garage HP MOTORS suite à une inondation du moteur ; que le garage a procédé à diverses réparations, mais a restitué au propriétaire le véhicule dès lors que celui ci refusait de faire procéder à la dépose de la culasse ; que la facture établie par ce garage devenu Savy Chaumont a été remise au garage Next Auto R lors de l'acquisition du 3 janvier 2015.

La Sarl Next Auto R conteste avoir commis un dol, affirmant qu'elle a été elle même tenue dans l'ignorance de l'existence des deux accidents précédemment subis par le véhicule qui lui auraient été tus par Monsieur M.; que c'est elle qui est victime d'un dol, et qu'il est évident que, si elle avait connu l'historique réel de cette voiture, elle ne l'aurait jamais acquise.

La cour relève que, selon les écritures de la Sarl Next Auto R, le véhicule litigieux était en réparation ' (ses conclusions page 2) ou en dépôt vente ' (ses conclusions page 6) chez BMW Chaumont HP MOTORS pour un souci d'injecteur à remplacer 'comme le précise le devis'; qu'elle a décidé de l'acquérir et d'effectuer les réparations mentionnées ; qu' 'en réglant ce devis (elle) a récupéré un véhicule qu'elle pensait en excellent état et jamais avoir été accidenté' ; que dans le cadre de son activité d'achat vente, elle a fait paraître une

annonce sur le site le Boncoin, et que c'est au vu de cette annonce que Madame C. a pris contact avec son vendeur.

Or il ressort des pièces produites que ce que l'appelante présente comme un devis est en réalité une facture de la SAS HP MOTORS en date du 23 mai 2014 concernant des travaux réalisés après que le véhicule a pris l'eau début mai 2014, facture mentionnant que cette voiture qui présentait alors un kilométrage de 52 847 km a été récupérée en l'état par le client, en l'espèce Monsieur Christophe M., lequel avait refusé la dépose de la culasse préconisée pour diagnostic alors que l'injecteur était HS.

Par ailleurs, la mise en vente du véhicule sur le site du Boncoin a été réalisée dès décembre 2014 par un nommé Yoann et non pas par la société Next Auto R . Or à cette date le kilométrage annoncé était de 57 500 km , kilométrage correspondant à celui finalement retenu dans la facture de revente à Madame C. le 3 janvier 2015. Il s'en déduit qu'entre la réparation facturée le 23 mai 2014 et fin décembre 2014 la voiture, présentée comme 'non roulante', avait parcouru 4 653 km...

Il sera également relevé que l'appelante n'établit pas avoir informé Madame C. de la réparation de l'injecteur à laquelle elle dit avoir procédé préalablement à la revente.

Enfin, la société Next Auto R n'a pas acquis cette voiture avant, selon elle, de la réparer, mais le jour même de la revente au profit de Madame C..

Il résulte de l'ensemble de ces observations que les explications de l'appelante sur les conditions dans lesquelles elle est entrée en possession de ce véhicule puis l'a vendu à Madame C. telles qu'elle les relate ne correspondent pas à la réalité.

Madame C. indique qu'il ne lui a été remis lors de la vente que l'original de la facture d'acquisition du véhicule neuf par Monsieur M. le 28 octobre 2011 et un duplicata d'une facture d' intervention de la société Feu Vert de novembre 2012 qu'elle produit au dossier ainsi que la liste des travaux établie par le garage Next Auto R. Aucune contestation n'est émise sur ce point par l'appelante.

Il s'en déduit que cette dernière, qui détenait pourtant la facture concernant les réparations effectuées en mai 2014 suite à l'inondation du moteur, ne l'a pas non plus communiquée à l'intimée et qu'elle ne lui a pas plus fait part de la nature de cette avarie dont elle avait parfaitement connaissance puisque cette facture mentionne notamment une dépose du collecteur d'admission, de l'intercooleur, du filtre à air et des conduites 'pour nettoyage eau (moteur inondé)'.

Ainsi que l'a retenu le tribunal, il pèse sur le vendeur professionnel une obligation d'information qui doit permettre d'apporter à l'acheteur les éléments nécessaires à un consentement éclairé. L'article L 111.1 du Code de la consommation dispose que 'tout professionnel vendeur de biens doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien'.

S'agissant de la vente d'un véhicule d'occasion, l'historique de ce bien fait partie de ces caractéristiques, et il appartient au vendeur professionnel non seulement de se faire remettre par celui auprès duquel il l'a acquis tous les documents en sa possession concernant cet historique, mais également de procéder à un examen de son état afin d'informer le client sur son état réel et de porter à la connaissance de ce dernier les réparations auxquelles il a procédé.

Dès lors que, selon la société Next Auto R Monsieur M. ne lui a remis que 3 factures correspondant à un simple entretien courant pour un véhicule ayant parcouru plus de 57 000 km et âgé de trois ans, il lui appartenait de procéder à quelques investigations, lesquelles étaient d'autant plus aisées qu'elle connaissait le garage ayant procédé à la dernière intervention de mai 2014, garage auprès duquel cette voiture avait été acquise neuve et qui dépend du réseau BMW, ce qui permettait de retrouver très rapidement les éléments nécessaires. La facilité avec laquelle l'expert amiable a pu reconstituer cet historique le démontre.

Il est ainsi établi que l'appelante a à tout le moins manqué à son obligation d'information pré contractuelle.

Le manquement par le professionnel à son obligation d'information et de conseil peut constituer le silence constitutif d'un dol s'il s'avère qu'il a connu une information qui, si elle avait été portée à la connaissance de l'acheteur, l'aurait amené à ne pas acquérir le bien.

En l'espèce, si la Sarl Next Auto R persiste à affirmer qu'elle ignorait que le véhicule avait été gravement accidenté, sa version erronée des conditions dans lesquelles elle est entrée en possession de ce bien avant de le revendre à Madame C., son silence sur la réparation à laquelle elle dit avoir elle même procédé, et son silence également sur l'intervention effectuée sur cette voiture en mai 2014 après qu'elle avait été dans l'eau (élément de nature à s'interroger sur la conduite de son ancien propriétaire...) démontrent une intention de cacher à sa cliente des éléments déterminants pour son consentement, étant relevé que l'appelante dit elle même que l'existence de cet accident antérieur l'aurait amenée à ne pas acheter cette voiture.

Le jugement ne peut dans ces conditions qu'être confirmé en toutes ses dispositions.

Par ces motifs : Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Chaumont en date du 15 juin 2017 en toutes ses dispositions, Condamne la Sarl Next Auto R aux dépens de la procédure d'appel dont distraction au profit de Maître Roland AIDAN, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la Sarl Next Auto R à verser à Madame Anaïs C. 2 000 € pour ses frais liés à la procédure d'appel.