Cass. 1re civ., 20 février 2019, n° 17-19.495
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Carassou Maillan (Epoux)
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Avel
Avocat général :
M. Sudre
Avocats :
SCP Le Bret-Desaché, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 2017), que, suivant offre de prêt acceptée le 27 décembre 2008, la société BNP Paribas invest immo, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance (la banque), a consenti à M. et Mme Carassou Maillan (les emprunteurs) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet immo ; qu'invoquant l'irrégularité du prêt ainsi qu'un manquement de la banque à ses obligations, les emprunteurs ont assigné celle-ci en annulation de la clause litigieuse, ainsi qu'en responsabilité et indemnisation ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant à l'annulation des clauses monétaires du prêt, alors, selon le moyen, que la distinction artificiellement opérée, dans une opération purement interne comportant une indexation sur le franc suisse, entre monnaie de compte et monnaie de paiement, dans le seul but de satisfaire aux prescriptions légales et alors que la véritable monnaie de paiement est la monnaie étrangère, doit être examinée par les juges du fond ; qu'en ayant jugé que le contrat de prêt " Helvet Immo " en cause ne contrevenait pas aux règles d'ordre public, car il comportait une monnaie de compte en francs suisses et une monnaie de paiement en euros, sans rechercher si cette distinction n'était pas purement artificielle et de façade, la véritable monnaie de paiement libératoire étant le franc suisse et non l'euro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 111-1 du Code monétaire et financier ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le principe selon lequel le remboursement des échéances du prêt en francs suisses s'effectue en euros pour un remboursement de francs suisses est, à plusieurs reprises, rappelé dans l'offre de prêt ; qu'il énonce que l'opération de financement constitue une opération purement interne et que les parties sont convenues que le règlement des échéances par l'emprunteur devait être effectué en euros avant d'être converti en francs suisses et permettre le remboursement du capital emprunté en francs suisses ; qu'il ajoute que le mécanisme substantiel du contrat prévoit que les emprunteurs sont libérés chaque mois de leurs obligations contractuelles par le paiement des échéances en euros, peu important les évolutions du taux de change, et que le paiement libératoire de l'échéance ne saurait être confondu avec l'amortissement du prêt qui peut être soumis à des modalités particulières ; qu'il retient que la qualification donnée par les parties dans le contrat s'agissant des monnaies de paiement ou de compte est juridiquement exacte et que les mécanismes d'option pour un changement de monnaie de compte ne peuvent, en eux mêmes, démontrer un changement de monnaie de paiement dès lors que, dans tous les cas, l'échéance est versée en euros ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes fondées sur le déséquilibre significatif et tendant à dire abusives les clauses du prêt, alors, selon le moyen : 1°) que la clause de monnaie de compte d'un prêt stipulée en francs suisses ne constitue pas l'objet principal du contrat ; qu'en ayant jugé le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 2°) que les clauses monétaires d'un contrat de prêt libellé en francs suisses sont complexes pour un profane de la banque ; qu'en ayant jugé le contraire, quand la clause de monnaie de compte en cause, qui s'inscrivait dans des clauses monétaires opérant un montage complexe de prêt libellé en francs suisses, mais remboursable en euros, impliquant des opérations de change et l'ouverture de deux comptes internes dans les deux monnaies de règlement et de compte, était difficilement compréhensible par des emprunteurs profanes et ne les avertissait pas de manière évidente du risque de change qu'elle emportait, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 3°) que le déséquilibre significatif engendré par une clause abusive s'apprécie indépendamment de l'information qui a été donnée au consommateur ; qu'en ayant jugé que la clause de monnaie de compte souscrite par les demandeurs ne créait pas de déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs, au prétexte qu'ils auraient été correctement informés quant au fonctionnement de leur prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 4°) que les juges du fond doivent rechercher, au besoin d'office, si les clauses monétaires d'un prêt libellé en francs suisses ne créent pas de déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs ; qu'en ayant écarté le déséquilibre significatif, sans rechercher si la clause de monnaie de compte du prêt n'avait pas pour effet, en cas d'évolution défavorable de l'euro par rapport au franc suisse, d'entraîner l'ouverture d'une période d'amortissement supplémentaire du prêt de cinq ans, pendant laquelle les mensualités n'étaient pas plafonnées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 5°) que les juges du fond doivent rechercher, au besoin d'office, si les clauses monétaires d'un prêt libellé en francs suisses ne créent pas de déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs ; qu'en ayant écarté le déséquilibre significatif, quand la clause de monnaie de compte litigieuse avait notamment pour effet, en cas d'évolution défavorable de l'euro par rapport au franc suisse, d'allonger la durée d'amortissement du prêt, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 6°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer les clauses d'un prêt libellé en francs suisses ; qu'en ayant énoncé que, dans l'hypothèse de change défavorable aux emprunteurs, l'amortissement de la durée du prêt était simplement allongée, sans changement du montant des mensualités, quand celles-ci étaient susceptibles d'augmenter sans plafond pendant la période supplémentaire de cinq ans permettant d'apurer le prêt, la cour d'appel a dénaturé la clause " remboursement de votre crédit " de l'offre de prêt, en violation de l'article 1134 ancien du Code civil, devenu l'article 1103 du même Code ; 7°) que la clause de monnaie de compte du prêt " Helvet Immo " libellé en francs suisses entraîne un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur ; qu'en écartant un tel déséquilibre significatif, au motif que le risque de change, inhérent à tout prêt en devises avait permis aux emprunteurs de bénéficier d'un taux d'intérêt plus favorable que ceux proposés sur le marché des prêts en euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 8°) que la clause de monnaie de compte du prêt " Helvet Immo " libellé en francs suisses entraîne un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur ; qu'en écartant un tel déséquilibre significatif, au prétexte que la banque prêteuse s'était refinancée sur les marchés internationaux, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 132-1 ancien du Code de la consommation ; 9°) que la clause de monnaie de compte du prêt " Helvet Immo " libellé en francs suisses entraîne un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur ; qu'en écartant un tel déséquilibre significatif, au simple motif que la variation du taux de change était indépendante de la volonté de la banque prêteuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;
Mais attendu, d'abord, qu'après avoir énoncé que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du Code de la consommation, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible, l'arrêt relève que l'offre préalable de prêt, dans laquelle s'insère la clause litigieuse, prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit, que le prêt a pour caractéristique essentielle d'être un prêt en francs suisses remboursable en euros et que le risque de change, inhérent à ce type de prêt, a une incidence sur les conditions de remboursement du crédit ; qu'il en déduit, à bon droit, que la clause définit l'objet principal du contrat ;
Attendu, ensuite, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 20 septembre 2018, C-51/17) que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause ; que cette exigence implique qu'une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ;
Attendu que l'arrêt relève que l'offre préalable de prêt détaille les opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable deux jours ouvrés avant la date de l'événement qui détermine l'opération et qui est publié sur le site de la Banque centrale européenne ; qu'il constate qu'il est mentionné dans l'offre que les emprunteurs acceptent les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, et que le prêteur opérera la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit ; qu'il énonce que l'offre indique que, s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance sera inscrite au solde débiteur du compte en francs suisses, et qu'il est précisé que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels, à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l'allongement ou la réduction de la durée d'amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ; que l'arrêt ajoute qu'il est précisé que le prêteur ouvre un compte interne en francs suisses pour connaître à tout moment l'état de remboursement du crédit et un compte interne en euros pour permettre le paiement des échéances du crédit ; qu'il constate, enfin, qu'à l'offre de prêt a été annexée une notice dans laquelle le risque de variation du taux de change et ses conséquences sur l'amortissement du prêt Helvet immo ont été précisés et illustrés par des simulations chiffrées ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de retenir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse ;
Attendu, enfin, que l'arrêt retient, sans dénaturation, que les stipulations prévoyant l'allongement de la durée du contrat et l'augmentation des règlements en euros pour permettre de payer le solde du compte, en cas de non-remboursement à l'échéance, font partie intégrante de la clause litigieuse et que le contrat fixe une double limite, de la durée supplémentaire de remboursement du prêt qui ne peut être que de cinq ans et de la majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure à l'augmentation annuelle de l'indice INSEE des prix à la consommation sur la période des cinq dernières années précédant la révision du taux d'intérêt ; d'où il suit que le moyen, inopérant en ses troisième à cinquième branches et en ses septième à neuvième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en responsabilité et indemnisation, alors, selon le moyen : 1°) que le banquier dispensateur de crédit qui fait souscrire à l'emprunteur profane un prêt libellé en francs suisses, emportant un risque important de change, doit lui conseiller de souscrire une garantie couvrant ce risque ; qu'en ayant jugé que la banque n'avait aucun devoir de conseil à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du Code civil ; 2°) que le fait que des emprunteurs aient été assistés d'un intermédiaire en opérations de banque ne dispense pas le banquier dispensateur de crédit de son obligation de conseil ; qu'en ayant jugé le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du Code civil ; 3°) que le banquier dispensateur de crédit est tenu, envers l'emprunteur non averti, d'un devoir d'information et de mise en garde ; qu'en ayant déchargé la banque de toute responsabilité, sans rechercher, sous prétexte que l'offre de prêt et ses annexes présentaient précisément l'opération de change et évoquaient l'hypothèse de variation du taux de change, si la banque avait, en présence de clauses monétaires complexes, averti ses clients du risque d'augmentation très importante du capital dû, dans le cas d'un décrochage de l'euro par rapport au franc suisse, ce qui pouvait générer un risque d'endettement conséquent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du Code civil ; 4°) que le banquier dispensateur de crédit doit mettre l'emprunteur en garde contre le risque d'endettement excessif né de l'octroi du prêt ; qu'en déchargeant la banque de toute responsabilité, sans rechercher si la banque avait mis ses clients en garde contre le risque d'augmentation de la durée d'amortissement du prêt et contre les conséquences d'une augmentation sans limite des échéances, passée la durée initiale d'amortissement, le capital calculé en francs suisses devant en toute hypothèse être remboursé à la dernière échéance au plus tard cinq ans après la durée initiale du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, qu'ayant relevé que les emprunteurs avaient expressément indiqué ne pas invoquer la violation d'un devoir de conseil, et retenu que la banque n'avait pas souscrit une telle obligation, la cour d'appel a pu décider que la banque n'avait commis aucune faute en ne faisant pas souscrire aux emprunteurs une garantie contre le risque de change ;
Attendu, ensuite, que l'arrêt relève que le prêt était, lors de sa souscription, proportionné aux capacités financières des emprunteurs, et n'avait entraîné aucun endettement excessif ; qu'il énonce que l'offre de prêt indique que l'amortissement se fait par la conversion des échéances fixes payées en euros selon les modalités prévues au contrat, que la conversion s'opère selon un taux de change susceptible d'évoluer, dont la variation peut avoir une incidence sur la durée de remboursement et sur le montant des échéances à compter de la cinquième année et ainsi, sur la charge totale de remboursement du prêt, que la notice contient des exemples clairs, et que l'accent est mis par la banque sur la variabilité du taux de change et l'incidence de cette donnée sur la structure et la consistance du prêt, de sorte que les emprunteurs avaient été clairement informés sur les incidences de fluctuation du taux de change et les risques encourus ; que, par ces constatations et appréciations, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision de ce chef ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.