ADLC, 11 janvier 2019, n° 19-DCC-06
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle exclusif d'un fonds de commerce exploité par la société Magasins Galeries Lafayette par la société Monoprix Exploitation
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 17 décembre 2018, relatif à la prise de contrôle exclusif d'un fonds de commerce exploité par la société Magasins Galeries Lafayette par la société Monoprix Exploitation, formalisée par un contrat de cession de fonds de commerce en date du19 novembre 2018 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Monoprix Exploitation SAS est une filiale du groupe Monoprix (ci-après, ensemble, "Monoprix "), groupe français actif dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire. Monoprix exploite six enseignes (Monoprix, Monop', Monop'daily, Monop'beauty, Monop'station et Naturalia), à travers plus de 640 magasins, et 3 sites de vente en ligne (dont monoprix.fr et sarenza.com). Monoprix est contrôlée par la sociétéCasino, Guichard-PerrachonSA, laquelle est à la tête du groupe Casino. Le groupe Casino est actif dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire et anime un réseau de plus de 9 000 magasins en France (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, magasins discompteurs), notamment sous les enseignes Franprix, Géant Casino, Casino Supermarché, Petit Casino, Monoprix et Leader Price. Il est également présent dans le secteur de la vente en ligne de produits non alimentaires via le siteCdiscount.com. Le groupe Casino est contrôlé in fine par la société Euris, elle-même contrôlée par Monsieur Jean-Charles Naouri.
2. Le fonds de commerce cible est un point de vente de commerce de détail à dominante alimentaire sous l'enseigne Lafayette Gourmet, situé dans le centre commercial CAP 3 000 à Saint-Laurent-du-Var (06) (ci-après, " le magasin cible "). Il est détenu directement par la société MagasinsGaleries Lafayette, filiale du groupe Galeries Lafayette.
3. L'opération, formalisée par un contrat de cession en date du 19 novembre 2018, consiste en l'acquisition par Monoprix de ce fonds de commerce, détenu en pleine et entière propriété par la société Magasins Galeries Lafayette, en vue de l'exploiter sous enseigne Monoprix.
4. En ce qu'elle se traduit par la prise du contrôle exclusif du magasin cible par Monoprix, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 75 millions d'euros (Casino : 37,8 milliards d'euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2017 ; magasin cible : [= 75] millions d'euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros dans le secteur du commerce de détail (Casino : 18,9 milliards d'euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2017 ; magasin cible : [= 15] millions d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail mentionnés au II de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Selon la pratique constante des autorités de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire1 : les marchés " amont "de l'approvisionnement en produits de grande consommation et les marchés "aval "de la distribution de détail à dominante alimentaire.
A. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
7. S'agissant des marchés amont de l'approvisionnement, la Commission européenne2 a retenu des segmentations par grands groupes de produits et par canaux de distribution, ainsi qu'une dimension nationale pour chaque marché. Cette délimitation est également suivie par les autorités nationales de concurrence3.
8. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
1. LES MARCHÉSDE SERVICES
9. En matière de distribution à dominante alimentaire, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence opère une distinctionentre les magasins dits "généralistes " (a) les points de vente dits "populaires " dont l'assortiment est plus spécifique (b) et les formes de commerces de détail alimentaire spécialisés (c).
a) Les magasins généralistes à dominante alimentaire
10. Les autorités de concurrence4 ont distingué six catégories de commerce en retenant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) lesmaxi discompteurs et (vi) la vente par correspondance.
11. Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins d'une surface de vente égale ou supérieure à 2500 m², les supermarchés comme des magasins d'une surface de vente inférieure à 2 500 m2 et supérieure à 400m2.
12. Ces seuils sont toutefois utilisés avec précaution : ils peuvent être adaptés au cas d'espèce, lorsque des magasins, dont la surface est située à proximité d'un seuil, soit en-dessous, soit au- dessus, sont susceptibles de se trouver en concurrence directe5.
13. Les autorités de concurrence considèrent par ailleurs que, si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories.
En effet, un hypermarché peut être habituellement utilisé par certains consommateurs comme un magasin de proximité, en substitution d'un supermarché. En revanche, la réciproque n'est presque jamais vérifiée et l'est d'autant moins que la taille de l'hypermarché en question est importante. En conséquence, elles distinguent (i) un marché comprenant uniquement les hypermarchés et (ii) un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²)6.
14. Il n'y pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l'occasion de la présente opération.
b) Les magasins populaires
15. Les magasins dits "populaires " se caractérisent par un assortiment non-alimentaire (notamment textile et produits de beauté) plus riche que les supermarchés. Les magasins à l'enseigne Monoprix représentent aujourd'hui l'essentiel de cette catégorie.
16. Dans la décision Carrefour/Monoprix7, l'Autorité de la concurrence s'était interrogée sur la surface à retenir pour les calculs de parts de marché des magasins populaires. Tout en laissant la question ouverte, elle avait mené une analyse concurrentielle en dehors de Paris en retenant la surface totale de ces magasins, choix qui était néanmoins sans incidence sur les résultats de l'analyse concurrentielle.
17. En l'espèce, le magasin cible sera exploité sous l'enseigne Monoprix et détiendra une surface totale de 2 532 m2 et une surface de vente alimentaire de 2 232 m2. En prenant en compte la surface totale, le magasin cible entrerait dans la catégorie des hypermarchés, alors qu'en retenant la surface de vente alimentaire uniquement, il entrerait dans catégorie des supermarchés.
18. En tout état de cause, les conclusions de l'analyse concurrentielle étant similaires en retenant la surface totale ou la surface alimentaire du magasin cible, la question du type de surface devant être pris en compte pour les magasins Monoprix peut être laissée ouverte. L'analyse concurrentielle sera donc conduiteen prenant en comptealternativement les deux surfacespour le magasin cible.
c) Les autres formes de commerces alimentaires
19. La pratique décisionnelle a exclu du marché du commerce de détail à dominante alimentaire l'ensemble des formes de commerces spécialisés dans la mesure où la concurrence des commerces spécialisés ne s'exerce que sur une petite partie de l'assortiment des magasins alimentaires généralistes. En effet, même en s'approvisionnant dans l'ensemble des commerces spécialisés disponibles sur une zone de chalandise, il est difficile, voire impossible, pour un consommateur de reproduire l'assortiment complet d'un panier de produits de consommation courante, similaire à celui obtenu en supérette ou en supermarché. Le rapport concurrentiel entre les magasins alimentaires généralistes, pour certaines parties de leur assortiment, et les commerces spécialisés, ne peut donc être que limité8.
20. Il n'y a pas lieu de remettre en cause l'analyse qui exclut les autres formes de commerces spécialisés du marché du commerce de détail à dominante alimentaire à l'occasion de la présente opération.
2.MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
21. Les autorités de concurrence ont examiné les effets des concentrations dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire dans des marchés locaux, correspondant à la zone de chalandise associée à chaque magasin et dont l'étendue est fonction du temps de transport et de la localisation du point de vente concerné.
22. S'agissant des hypermarchés, l'Autorité de la concurrence a souligné que les conditions de la concurrence s'apprécient généralement sur deux zones différentes :
- un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d'une zone et l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux, et
- un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l'offre des supermarchés et formes de commerces équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs9.
23. L'Autorité de la concurrence considère par ailleurs que l'analyse concurrentielle ne porte que sur le second marché lorsque le magasin cible est un supermarché10.
24. Au cas d'espèce, l'analyse concurrentielle sera menée : (i) sur les deux marchés en prenant en compte la surface totale du magasin cible de 2 532 m2, puis (ii) sur le second marché en prenant en compte la surface alimentaire de 2 232 m2 du magasin cible.
III. Analyse concurrentielle
A. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
25. Sur les marchés amont de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire, dans la mesure où l'opération concerne l'acquisition d'un seul point de vente, la présente opération n'est pas susceptible de renforcer significativement la puissance d'achat du groupe Casino, tous produits confondus, comme par grands groupes de produits ou par canaux de distribution.
26. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés amont de l'approvisionnement.
B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
i) Sur le premier marché (hypermarchés)
27. Sur le marché comprenant les hypermarchés situés dans une zone de chalandise définie par un temps de trajet de 30 minutes en voiture à partir du magasin cible, la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à 25%.
ii) Sur le second marché (supermarchés et autres formes de commerce équivalentes)
28. Sur le marché comprenant les supermarchés et formes de commerce équivalentes situés dans une zone de chalandise définie par un temps de trajet de 15 minutes en voiture à partir du magasin cible, les points de vente sous enseigne Casino représentent, selon la surface retenue dans l'analyse pour le magasin cible, [20-30]% ou [20-30]% des surfaces de vente et le magasin cible représente [0-5]% ou [0-5]% des surfaces de vente. À l'issue de l'opération, la part de marché cumulée du groupe Casino sera donc dans les deux cas d'environ [20-30]%.
Dans cette zone, le groupe Casino sera confronté à la concurrence de plusieurs enseignes concurrentesdétenant ensemble plus des deux tiers des points de vente, dont Carrefour (environ [20-30]%), Intermarché (environ [10-20]%), Leclerc (environ [10-20]%), SuperU(environ [5-10]%) et Lidl ([5-10]%).
29. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval de la distribution à dominante alimentaire.
Décide
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 18-272 est autorisée.
NOTES
1 Voir, par exemple, les décisions de la Commission européenne M.946 Intermarché/Spar du 30 juin 1997, M.991 Promodès/Casino du 30octobre 1997 et M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000. Voir également l'arrêté ministériel du 5 juillet 2000 dans l'opération Carrefour/Promodès,les avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-14 du 1er juillet 1997, dans l'affaire Carrefour/Cora, n° 98-A-06 du 5 mai 1998, dans l'affaire Casino Franprix/Leader Price, et n° 00-A-06 du 3 mai 2000, dans l'affaire Carrefour/Promodès. Voir également les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013, relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon et n° 14-DCC-173 du 21 novembre 2014 relative à la prise contrôle exclusif de la société Dia France SAS par la société Carrefour France SAS.
2 Voir, par exemple, la décision de la Commission européenne M.1684 précitée.
3Lettres du ministre chargé de l'économie C2008-32 Amidis SAGC du 9 juillet 2008, C2007-172 Carrefour Plane Plamidis, du 13 février 2008, C2007-154 Système U Vergali du 3 décembre 2007, C2007-05 Carrefour Sofodis du 26 mars 2007, et C2006-15 Amidis Hamon du 14avril 2006.
4 Voir, par exemple, la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-66 du 30 mai 2014 relative à la prise de contrôle de trois fonds de commerce de distribution alimentaire par le groupe SAFO-GHD et la décision n° 13-DCC-90, précitée.
5 Voir la décisionn° 13-DCC-90, précitée.
6 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-48 du 6 avril 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sofides par la société ITM Entreprises, n° 12-DCC-63 du 9 mai 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Guyenne et Gascogne SA par la société Carrefour SA, et n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013, précitée.
7Décision n° 13-DCC-90, précitée.
8 Voir les décisions n° 14-DCC-173 et n° 13-DCC-90, précitées.
9 Voir les décisions n° 12-DCC-63du 9 mai 2012, n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013 et n° 14-DCC-173du 21novembre 2014, précitées.
10 Voir la décision n° 14-DCC-173, précitée.