CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 mars 2019, n° 17-02520
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
FRA Finances (SAS)
Défendeur :
Beal (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Soudry, Moreau
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Pousset Bougere, Bouton, Garcia, Cayre
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Fret Rhône Alpes, qui exerce l'activité de transport routier, et la société Beal, spécialisée dans la fabrication de textiles techniques et industriels, sont en relation commerciale depuis de nombreuses années, la société Fret Rhône Alpes assurant une partie du transport routier des livraisons à destination des clients de la société Beal.
N'ayant pas reçu de commande de la part de la société Beal depuis fin février 2015, la société Fret Rhône Alpes s'est rapprochée de cette dernière pour en connaître les raisons. La société Beal a alors indiqué à la société Fret Rhône Alpes, par courriel du 12 mars 2015, qu'à la suite de la réorganisation de son activité, elle avait sélectionné d'autres prestataires en matière de transport.
Par lettre du 20 mars suivant, la société Beal a reproché à la société Rhône Alpes divers manquements à ses obligations contractuelles depuis plus de trois ans, mettant en péril son activité et sa réputation.
S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce, et contestant les reproches allégués, la société Fret Rhône Alpes a, par acte en date du 23 septembre 2015, assigné la société Beal devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d'obtenir la réparation de son préjudice.
Par jugement rendu le 8 décembre 2016, le tribunal de commerce de Lyon a :
- pris acte que la société Beal a abandonné à la barre sa demande de nullité de l'assignation pour vice de fond et à titre subsidiaire, pour vice de forme,
- dit que la relation d'affaires entre les parties est une relation commerciale établie,
- jugé que la société Beal a rompu brutalement les relations commerciales avec la société Fret Rhône Alpes à compter du mois de mars 2015,
- dit que la durée du préavis aurait dû être de deux ans,
- condamné la société Beal à payer à la société Fret Rhône Alpes, la somme de 12 000 euros correspondant à 24 mois de marge brute d'exploitation calculée sur un chiffre d'affaires moyen de 60 000 euros,
- débouté la société Fret Rhône Alpes de sa demande d'indemnisation du préjudice d'image,
- dit les parties non fondées quant au surplus de leurs demandes, fins et conclusions et les en déboutées respectivement,
- condamné la société Beal à payer à la société Fret Rhône Alpes une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Beal aux entiers dépens de l'instance,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
La société Fret Rhône Alpes a interjeté appel le 1er février 2017 à l'encontre de cette décision.
Prétentions et moyens :
Par dernières conclusions notifiées le 23 octobre 2018, la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, appelante, demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
- confirmer le jugement du 8 décembre 2016 en ce qu'il a considéré que la société Beal avait brutalement et sans motif légitime mis un terme à la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société Fret Rhône Alpes,
- infirmer ledit jugement en ce qu'il a limité le préjudice de la société Fret Rhône Alpes au titre de la rupture brutale à la somme de 12 000 euros, et en ce qu'il l 'a déboutée de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'image subi,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Beal à lui verser la somme de 134 196 euros à titre d'indemnisation du préjudice subi par la société Fret Rhône Alpes en raison de cette rupture brutale et abusive,
- condamner la société Beal à lui verser la somme de 60 000 euros à titre d'indemnisation du préjudice d'image subi par la société Fret Rhône Alpes,
- débouter la société Beal de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- condamner la société Beal à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Beal aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris Versailles.
La société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, fait valoir l'existence d'une relation commerciale établie avec la société Beal. Elle expose que la société Fret Rhône Alpes entretenait, depuis plus de trente ans, une relation suivie, stable et habituelle avec la société Beal, pour le compte de laquelle elle assurait des transports quotidiens. Elle soutient que les dissensions prétendues nées entre les dirigeants desdites sociétés depuis fin 2009-début 2010 ne sont ni démontrées, ni de nature à rendre les relations commerciales de ces sociétés précaires, alors que la variation moyenne du chiffre d'affaires de la société Fret Rhône Alpes réalisé avec la société Beal a été de 12,34 % entre 2009 et 2014. Elle soutient que cette hausse du chiffre d'affaires de la société Fret Rhône Alpes confirme la stabilité des prestations de transport effectuées et infirme l'allégation de la société Beal selon laquelle celle-ci aurait réduit ses commandes compte tenu des prétendus manquements contractuels de la société Fret Rhône Alpes.
Elle soutient que la société Beal a rompu de façon brutale la relation commerciale établie, sans aucun préavis, en cessant de faire appel à la société Fret Rhône Alpes le 1er mars 2015, et en tentant d'en justifier les raisons quinze jours plus tard, par lettre du 12 mars 2015.
Elle ajoute que la société Beal ne rapporte pas la preuve d'un comportement suffisamment fautif de la société Fret Rhône Alpes justifiant la rupture immédiate et sans préavis de leur relation commerciale établie. Elle relève que la société Beal a évoqué des griefs différents dans ses courriers des 12 mars 2015 et 20 mars 2015, qu'aucune contestation écrite liée à une piètre qualité des prestations de la société Fret Rhône Alpes n'a été formulée par la société Beal au cours de la relation commerciale, qu'aucun manquement prétendu commis trois années auparavant ne saurait justifier la rupture sans préavis ni explication, et que le prétendu comportement agressif de la part de la société Fret Rhône Alpes et de ses représentants envers la société Beal, qui serait survenu après la réception du courriel du 12 mars 2015, est sans lien de causalité avec la décision de la société Beal de rompre la relation commerciale établie.
Elle fait valoir un préjudice, tenant à la brutalité de la rupture, à hauteur de 134 196 euros, compte tenu du délai de préavis de 30 mois qui aurait dû être respecté s'agissant d'une relation commerciale établie depuis 30 ans, du chiffre d'affaires moyen de 63.300 euros réalisé par la société Fret Rhône Alpes les dix dernières années, et de la marge brute de 84,80 %, calculée en intégrant les dépenses directes (gasoil, consommables, autoroutes...) extrêmement faibles.
Elle s'estime également fondée à solliciter une somme de 60 000 euros au titre de son préjudice d'image, compte tenu des attaques formées par la société Beal à l'encontre de M. X, dirigeant de la société Frêt Rhône Alpes et de la mise en cause, sans fondement, de la qualité des prestations de celle-ci.
Par dernières conclusions notifiées le 5 novembre 2018, la société Beal, intimée, demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
Vu l'article 1382 du Code civil,
- dire et juger que la relation commerciale entre les sociétés B. et Fret Rhône Alpes était devenue précaire, du fait de cette dernière, s'opposant au caractère brutal de la rupture de cette relation, mais aussi à la caractérisation d'une relation commerciale établie,
- dire et juger que la société Fret Rhône Alpes a rendu, par l'inexécution de ses obligations, impossible le maintien des relations d'affaires, et donc la rupture prévisible,
- dire et juger en conséquence que la société Beal n'a pas rompu brutalement les relations commerciales entretenus avec la société Fret Rhône Alpes,
En conséquence,
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a reconnu l'existence d'une relation commerciale établie ainsi qu'une rupture brutale de celle-ci,
- rejeter l'ensemble des demandes et prétentions de la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes,
À titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour devait considérer qu'il y a bien en l'espèce rupture brutale de relations commerciales,
- constater en tout état de cause, que le préjudice invoqué de la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, n'est pas justifié,
En conséquence,
- rejeter la demande d'indemnisation en raison de son caractère précisément non justifié,
- dire et juger que l'action engagée par la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, constitue un abus de droit dans l'intention de nuire à la société Beal qui subit un préjudice,
- condamner la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, à lui payer la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice subi,
En tout état de cause,
- condamner la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner de la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, aux entiers dépens, à recouvrer par la Selarl Antelis Garcia Avocats.
La société Beal soutient que la seule durée de la relation commerciale ne suffit pas à démontrer le caractère établi de celle-ci. Elle fait valoir que la relation la liant à la société Fret Rhône Alpes était devenue précaire depuis fin 2009-début 2010 en raison, d'une part, du comportement dénigrant de M. X, dirigeant de la société Fret Rhône Alpes, envers M. Y, dirigeant de la société Beal, d'autre part, du comportement de la société Frêt Rhône Alpes, qui, à compter de 2010, a démontré son désintérêt envers elle par une absence de contact commercial, de négociations et de suivi commercial de son client, et lui a imposé unilatéralement ses conditions commerciales et ses tarifs alors que jusqu'alors les sociétés se concertaient une fois par an sur les hausses tarifaires envisagées.
Elle fait également valoir le comportement déloyal et agressif de la société Fret Rhône Alpes et de ses représentants en juillet 2012 et mars 2015, les incidents survenus dans l'exécution des contrats de transports, et la baisse de 15 % du volume d'affaires entre 2013-2014 et 2014-2015.
Elle considère que compte tenu de ces éléments, la société Fret Rhône Alpes ne pouvait pas raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial, que la relation commerciale n'était pas établie et que la rupture de celle-ci était prévisible.
Elle soutient que la rupture des relations commerciales était en outre justifiée par le comportement fautif de la société Fret Rhône Alpes, dont la récurrence des manquements démontre la gravité de son comportement. Elle invoque à ce titre l'absence de suivi commercial par la société Fret Rhône Alpes, qui l'a empêchée de procéder à la négociation tarifaire et d'aborder les éventuels changements qu'elle souhaitait mettre en place, l'absence de restitution de palettes et des retards de livraison intervenus entre 2014 et 2015, la dégradation des relations avec la société Fret Rhône Alpes et ses dirigeants et le comportement injurieux de ceux-ci, rendant inenvisageable la poursuite des relations et le respect d'un préavis.
Subsidiairement, elle fait valoir que le préjudice subi par la victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies consiste en la perte de marge brute subie durant le temps de préavis non respecté, lequel est défini en fonction de l'ancienneté de la relation et de l'importance de celle-ci. Elle prétend que la société Fra Finances ne rapporte pas la preuve de son préjudice dès lors que ni la durée des relations, ni le volume d'affaires conclues avec la société Beal, représentant 2,5 à 3 % du chiffre d'affaires de la société Fret Rhône Alpes, ne justifient un préavis de 24 mois ou 30 mois, et qu'un préavis raisonnable aurait pu être tout au plus de 3 mois, étant relevé que ladite société a cessé toute activité en mai 2016.
Elle ajoute que l'appelante ne démontre pas la perte de marge brute hors normes alléguée à hauteur de 84,40 %, alors que la marge brute moyenne réalisée en matière de transport est de 6 % à 14 %. Elle souligne à ce titre le défaut de pertinence de l'attestation de l'expert-comptable de la société Fret Rhône Alpes, qui retient un taux de marge erroné selon le calcul chiffre d'affaire - sous traitance, sans prendre en compte la totalité des charges d'exploitation. Elle soutient que la marge invoquée est incohérente avec l'activité de transporteur de la société Fret Rhône Alpes, et de surcroît déficitaire, et que les taux de marge brute d'exploitation de ladite société sont en réalité négatifs au vu des documents comptables produits.
Enfin, elle conteste le préjudice d'image invoqué par l'appelante, les prétendues attaques à l'encontre de M. X n'étant pas prouvées, ni l'atteinte subséquente à l'image de la société Fret Rhône Alpes.
MOTIFS :
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :
Selon l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas".
Sur l'existence d'une relation commerciale établie :
Une relation commerciale est établie au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce lorsqu'elle s'inscrit dans la durée, est régulière, significative et stable.
Les parties ne discutent pas de l'ancienneté de leur relation commerciale au moment de la rupture de celle-ci, de l'ordre d'une trentaine d'années, ni de la fréquence de leurs échanges, l'intimée alléguant, sans être contredite par l'appelante, qu'elle effectuait des transports quotidiens pour celle-ci.
Ainsi que l'ont relevé avec pertinence les premiers juges, le chiffre d'affaires réalisé par la société Frêt Rhône Alpes avec la société Beal entre 2010 et 2014 ne marque pas de discontinuité notable, la baisse enregistrée en 2010 ayant été suivie de nouvelles hausses, et le chiffre d'affaires réalisé durant cette période, oscillant entre 55 809 euros et 67 555 euros, étant similaire à celui entre 2005 et 2008, l'année 2009 étant la plus fructueuse.
Dès lors que le flux des affaires continu a été maintenu, la relation commerciale nouée entre la société Fret Rhône Alpes et la société Beal s'est poursuivie sans devenir précaire à compter de 2010, et présentait toujours un caractère régulier, stable et durable au moment de la rupture intervenue en 2015. La société Fret Rhône Alpes pouvait donc raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial, peu important les allégations de la société Beal selon lesquelles les relations avec la société Fret Rhône Alpes se seraient tendues en raison du comportement du dirigeant de ladite société, du désintérêt de celle-ci et des manquements commis par ses soins, ces griefs, à les supposer caractérisés, n'ayant pas eu pour conséquence d'interrompre le flux d'affaires entre les sociétés.
Enfin, le comportement agressif de la société Fret Rhône Alpes postérieurement à la rupture de la relation commerciale, à le supposer caractérisé, est sans incidence sur le caractère établi de ladite relation.
La relation commerciale entretenue entre les sociétés Fret Rhône Alpes et B. était donc établie au moment de la rupture.
Sur la brutalité de la rupture :
L'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce pose comme condition à la rupture l'existence d'un préavis écrit et suffisant.
Constitue une rupture brutale une rupture effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures.
Seules l'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou la force majeure peuvent justifier une rupture sans préavis de la relation commerciale établie.
Les manquements aux engagements contractuels doivent être d'une gravité telle qu'ils justifient la rupture sans préavis de la relation commerciale établie.
Il n'est pas discuté que fin février 2015, la société Beal a cessé toute commande envers la société Fret Rhône Alpes.
Par courriel du 12 mars 2015, la société Beal a informé la société Fret Rhône Alpes qu'elle avait procédé à la réorganisation de son activité, que souhaitant rationaliser le recours aux intervenants de transport, elle a recherché un transporteur unique pour les palettes et d'un transporteur unique pour les colis, et que la société Fret Rhône Alpes n'avait pas été sélectionnée pour les raisons suivantes :
- "Pas de contact commercial. J'ai vu/reçu un nombre important de vos concurrents ces derniers mois afin de leur expliquer le projet et ce que nous attentions de leur part. A noter que ces entretiens se sont faits lors des visites annuelles ou bi annuelles de vos concurrents. En aucun cas c'est moi qui demande aux transitaires de prendre RDV...
- Nous avons connu des problèmes avec votre structure comme le refus de faire entrer le camion sur le site de Saint Chamon, des refacturations pour des livraisons Décathlon etc."
Il résulte de ce courriel la manifestation non équivoque de la volonté de la société Beal de mettre immédiatement fin à sa relation commerciale établie avec la société Fret Rhône Alpes, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.
La société Beal prétend que la gravité des manquements de la société Fret Rhône Alpes justifiait l'absence de préavis.
La gravité de ces manquements doit être analysée en référence au seul contenu du courriel de rupture en date du 12 mars 2015, évoquant les motifs de celle-ci, soit le défaut de contact commercial, le refus de faire entrer le camion sur le site de Saint Chamon, et des re facturations pour des livraisons Décathlon. Les autres griefs formulés par la société Beal ultérieurement à la rupture de la relation commerciale, en particulier dans sa lettre du 20 mars 2015, sont indifférents.
Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, la société Beal ne justifie d'aucun courrier adressé à la société Fret Rhône Alpes formulant les griefs invoqués dans le courriel de rupture.
Il n'est produit aux débats aucun élément afférent aux griefs tenant au défaut de visite du commercial de la société Fret Rhône Alpes depuis six ans, ainsi qu'au refus de faire entrer le camion sur le site de Saint Chamon.
S'agissant des re facturations pour des livraisons Décathlon, la société Beal soutient que la société Fret Rhône Alpes lui a facturé à tort deux livraisons pour le compte de son client Décathlon au sein de la société ND Logistics, les 30 avril 2014, 30 novembre 2014, 31 janvier 2015, alors que les premières livraisons ont été refusées par le destinataire à la suite de retards imputables à la société Fret Rhône Alpes. Elle verse aux débats une attestation de Mme A, son assistante logistique, qui soutient que les rendez-vous communiqués à l'avance à la société Fret Rhône Alpes n'étaient pas respectés, engendrant un mécontentement du client et une facturation complémentaire pour une seconde présentation, et qu'il était difficile de signaler ces incidents à Mme X, la société Fret Rhône Alpes, compte tenu de son tempérament colérique et de l'impossibilité de dialoguer avec elle.
Ces seuls manquements de la société Fret Rhône Alpes, qui présentent un caractère résiduel s'agissant d'une relation commerciale établie depuis 30 ans, et qui n'ont fait l'objet d'aucun courrier de réclamation de la part de la société Beal, ne revêtent pas un degré de gravité suffisant rendant impossible la poursuite de la relation et justifiant la rupture de celle-ci sans préavis tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a jugé brutale la rupture de la relation commerciale établie à l'initiative de la société Beal.
Sur le préjudice :
Il résulte des dispositions de l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non pas de la rupture elle-même.
En cas de rupture de la relation commerciale établie sans préavis, les dommages et intérêts à fixer doivent tenir compte de la durée du préavis qui aurait dû être accordé au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la rupture, et des conséquences dommageables résultant de l'absence de préavis, le préjudice pouvant être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.
Il doit être tenu compte de l'ancienneté de la relation commerciale, d'une durée de 30 ans au moment de la rupture, et du chiffre d'affaires annuel réalisé par la société Fret Rhône Alpes avec la société Beal, de 61 772 euros en 2012, 67 755 euros en 2013 et 55 809 euros en 2014, comme en atteste l'expert-comptable de la société Fret Rhône Alpes, ce qui représente en moyenne 2,53 % du chiffre d'affaires total de la société Fret Rhône Alpes.
Les circonstances ultérieures à la rupture des relations commerciales, tel le fait que la société Fret Rhône Alpes aurait cessé toute activité en mai 2016, sont indifférentes à la détermination du délai de préavis raisonnable.
Compte tenu de ces éléments, le délai de préavis raisonnable qui aurait dû être respecté pour permettre à la société Fret Rhône Alpes de trouver de nouveaux partenaires est d'une durée de six mois.
L'appelante fait valoir une marge brute de 84,80 % sur ce chiffre d'affaires, telle que recalculée par son expert-comptable en intégrant les coûts de carburant, péages et sous traitance, non pris en compte dans la première estimation de la marge brute à hauteur de 93,3 % en 2012, 95,59 % en 2013 et 96,84 % en 2014, selon la méthode marge brute = chiffre d'affaires - sous-traitance de production.
Cependant, en déduisant du chiffre d'affaires réalisé par la société Fret Rhône Alpes (de 2 343 092 en 2012, 2 276 221 en 2013, et 2 137 652 en 2014), société de services pratiquant l'activité de transport de marchandises, l'ensemble des frais de production (carburants, salaires, entretien notamment) figurant sur le compte de résultat de celle-ci, soit 2 397 995 euros en 2012, 2 545 127 en 2013, 2 393 554 en 2014, la marge brute est déficitaire.
Au vu de ces éléments, les attestations de l'expert-comptable de la société Fret Rhône Alpes ne sont pas pertinentes, et les premiers juges ont retenu à juste titre le taux moyen de marge brute d'exploitation de 10 % ressortant des études récentes dans le secteur du transport routier de marchandises.
Compte tenu du chiffre d'affaires annuel moyen de 60 000 euros réalisé par la société Fret Rhône Alpes avec la société Beal, du taux de marge brute moyen de 10 %, et du délai de préavis de six mois qui aurait dû être respecté, son préjudice lié à la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie doit être évalué à la somme de 3 000 euros.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Beal à payer à la société Fret Rhône Alpes une somme de 12 000 euros calculée sur la base de 24 mois de marge brute d'exploitation calculée sur un chiffre d'affaires moyen de 60 000 euros, la cour, statuant à nouveau, fixant le préjudice de l'appelante, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, à la somme de 3 000 euros déterminée sur la base d'une durée de préavis de 6 mois.
Sur le préjudice d'image :
L'appelante ne justifie nullement des attaques portées à l'encontre de M. X et de la société Fret Rhône Alpes, ni de l'atteinte subséquente portée à la réputation de celle-ci auprès de sa clientèle. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Fret Rhône Alpes de sa demande indemnitaire à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
La société Beal échouant dans ses prétentions a été à bon droit condamnée aux dépens de première instance et doit également l'être au titre des dépens exposés en cause d'appel, lesquels pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'équité commande de confirmer la condamnation prononcée par le tribunal de commerce de Lyon au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et de débouter l'appelante de sa demande supplémentaire au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 8 décembre 2016 en l'ensemble de ces dispositions, sauf en ce qu'il a : dit que la durée du préavis aurait dû être de deux ans, condamné la société Beal à payer à la société Fret Rhône Alpes la somme de 12 000 euros correspondant à 24 mois de marge brute d'exploitation calculée sur un chiffre d'affaires moyen de 60 000 euros, Statuant de nouveau, Condamne la société Beal à payer à la société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Déboute société Fra Finances, venant aux droits de la société Fret Rhône Alpes, de sa demande formée en cause d'appel au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Beal aux dépens exposés en cause d'appel, lesquels pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.