CA Lyon, 1re ch. civ. A, 7 mars 2019, n° 15-08370
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Transports Dumaine (SARL)
Défendeur :
DGC Fret (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rachou
Conseillers :
Mme Clement, M. Nicolas
Avocats :
SCP Jacques Aguiraud, Philippe Nouvellet, Selarl Veber Associes, Selarl Semir Gharbi
La société Transports Dumaine créée en 2008, a une activité de transport routier de marchandises et de commissionnaire de transport depuis 2012.
Elle a embauché Mmes D. et C. respectivement en décembre 2010 et juillet 2011, en qualités de responsable affrètement et responsable commerciale.
Ces dernières ont démissionné de leurs fonctions le 30 avril 2014 pour la première et le 31 mars 2014 pour la seconde, quittant la société Transports Dumaine aux dates respectives des 30 juillet et 1er juin 2014, entrant immédiatement au service d'une société DGC Fret.
Par ordonnances des 3 et 6 février 2015, la société Transports Dumaine a été autorisée à faire procéder à des constats d'huissier au siège de la société DGC Fret et au domicile de Mme C..
Par actes d'huissier du 9 juillet 2015, la société Transports Dumaine a fait citer la société DGC Fret et ses anciennes salariées Mmes D. et C. devant le tribunal de grande instance de Lyon, invoquant des actes de concurrence déloyale commis par ces dernières à son préjudice dont elle réclamait indemnisation.
Par jugement rendu le 4 décembre 2015, le tribunal de grande instance de Lyon a dit que la société DGC Fret et Mmes D. et C. n'ont pas commis d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Transports Dumaine, débouté en conséquence cette dernière de ses demandes, la condamnant aux dépens et à verser aux défenderesses une somme de 800 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon déclaration du 9 décembre 2015, la société Transports Dumaine a formé appel à l'encontre de ce jugement.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 12 avril 2017 par la société Transports Dumaine qui conclut à l'infirmation du jugement susvisé et demande à la cour de dire et juger que la société DGC Fret, Mme D. et Mme C. ont commis des actes de concurrence déloyale engageant leur responsabilité délictuelle à son égard et les condamner in solidum, à lui payer les sommes de :
- 844 230 euros en réparation du préjudice subi au titre du détournement de clientèle et de la perte de marge,
- 281 410 euros en réparation du préjudice subi au titre de la désorganisation commerciale,
- 50 000 euros en réparation du préjudice subi au titre du détournement de fichiers commerciaux et documents commerciaux et comptables,
- 10 000 euros en réparation du préjudice d'image,
- 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
sollicitant en outre que soit ordonnée la publication de la décision à intervenir dans 3 journaux ou sites de presse spécialisés dans le transport aux frais avancés des intimées à concurrence de 10 000 euros HT par insertion,
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 6 septembre 2017 par la société DGC Fret, Mme D. et Mme C. qui concluent à la confirmation de la décision critiquée et au rejet des demandes de la société Transports Dumaine, ou subsidiairement au rejet des demandes indemnitaires présentées, sollicitant l'octroi d'une indemnité de 8 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure en date du 21 décembre 2018.
MOTIFS ET DÉCISION
La société Transports Dumaine soutient que les actes de concurrence déloyale sont caractérisés en l'espèce, au vu des éléments produits au dossier, par une hémorragie de la clientèle, un débauchage illicite source de désorganisation commerciale, un démarchage systématique et un détournement de la clientèle alors même que les salariées étaient encore ses salariées, ainsi qu'un détournement de fichiers et de documents commerciaux.
Elle ajoute que la clientèle a été captée sans aucun départ spontané comme l'a retenu à tort le premier juge, alors même qu'elle n'avait pas elle même arrêté son activité fret international comme le prétendent à tort les intéressées.
S'agissant des préjudices invoqués, elle soutient avoir perdu une part importante de clientèle ayant entraîné une perte de marge brute correspondant à 20 % du chiffre d'affaires perdu, avoir subi une désorganisation commerciale telle qu'elle n'a encore pas pu à ce jour, reconstituer son service de commissionnaire de transport et avoir au surplus été atteinte par une mauvaise image de l'entreprise vis à vis des tiers.
La société DGC Fret et Mmes D. et C. font valoir quant à elles qu'aucun débauchage illicite n'est établi en l'espèce, les salariées ayant régulièrement présenté leur démission et trouvé un nouvel emploi en cours de préavis ; elles ajoutent n'avoir jamais procédé à un démarchage massif des clients de leur ancien employeur, alors même que celui ci avait décidé d'arrêter son activité à l'international, situation justifiant que certains des clients aient entendu poursuivre leur collaboration avec les anciennes salariées ; elles indiquent avoir même refusé de travailler avec certains clients par souci de loyauté envers la société Transports Dumaine vers qui ces derniers ont été renvoyés ; elles prétendent enfin n'avoir détourné aucun fichier ou document commercial.
S'agissant du préjudice allégué, elles considèrent totalement injustifiée la perte de clientèle invoquée, elles contestent toute désorganisation commerciale de la société Transports Dumaine de leur fait, toute volonté de nuire et toute réalité d'un quelconque détournement de fichiers auprès de cette dernière dont la dégradation de l'image commerciale n'est nullement établie.
Elles ajoutent enfin que leur condamnation in solidum n'est en aucun cas justifiée s'agissant de dommages différents causés par des causes différentes et non en co action.
Sur ce :
La concurrence déloyale qui désigne la mise en œuvre de pratiques commerciales abusives de la part d'une entreprise ou d'une personne physique à l'égard de ses concurrents, constitue une forme particulière de responsabilité civile, sanctionnée sur le fondement de l'article 1240 anciennement 1382 du Code civil ; elle suppose la démonstration d'un fait fautif générateur de préjudice.
La société Transports Dumaine, débitrice de la preuve des actes de concurrence déloyale qu'elle invoque, prétend que ses anciennes salariées Catherine D. et Angélique C. ainsi que la société DGC fret se serait livrées à son encontre à des pratiques constitutives de concurrence déloyale tenant dans un débauchage illicite, source de désorganisation de l'entreprise, un démarchage systématique de sa clientèle ayant abouti au détournement de celle ci ainsi qu'un détournement de fichiers et documents commerciaux.
Si les salariées Catherine D. et Angélique C. ont démissionné de leurs fonctions au sein de la société Transports Dumaine pour entrer au service de la société DGC Fret, la recherche par les intéressées d'un nouvel employeur au cours de leur période de préavis ne peut être en soit considérée comme une faute sauf démonstration à leur encontre et à celle de leur nouvel employeur, de procédés déloyaux.
Il n'est pas contesté à ce titre que les intéressées ont exercé pendant plusieurs années une activité similaire au sein d'une autre société de transport, avant le dépôt de bilan de celle ci et leur embauche par la société Transports Dumaine respectivement en décembre 2010 et juillet 2011, leur compétence professionnelle n'ayant jamais été remise en cause.
Il ressort des pièces produites au dossier que dès le début du mois de juin 2014, la société Transports Dumaine, a avisé ses clients par mail, de ce qu'elle changeait sa politique concernant le service affrètement et qu'elle allait désormais se consacrer uniquement au transport régional et national après avoir décidé d'arrêter le transport international.
L'attestation de Mme A. embauchée par la société des transports Dumaine en qualité de responsable du service affrètement le 2 juin 2014, qui conteste avoir adressé elle même ces mails aux clients de son employeur début juin 2014, se contente seulement d'émettre une hypothèse pour accuser Mme D. d'avoir à son insu et pendant ses déplacements, utilisé son ordinateur et sa boîte mail afin de se couvrir sur ses intentions futures ; elle ne peut donc suffire à établir, même ajoutée au document manuscrit établi le 19 octobre 2015 par le responsable logistique d'une société T mix qui affirme la présence dans ses bureaux de Saint Quentin Fallavier (38) le 6 juin 2014 de 16 h à 17h de Mme A., que l'information donnée aux clients de la société Transports Dumaine avait été envoyée de façon déloyale par Mme D. et non par Mme A. dont la boîte mail avait d'ailleurs été utilisée à bien d'autres moments que ce créneau horaire pour l'envoi des mails litigieux.
Les attestations produites au dossier par les intimées, émanant des sociétés désormais clientes de la société DGC fret, confirment d'ailleurs la teneur de l'information donnée par la société Transports Dumaine qui n'apporte aucun élément permettant au juge de constater qu'elle n'a effectivement pas arrêté son activité de transport à l'international.
L'utilisation de procédés déloyaux accompagnant l'arrivée de Mmes D. et C. au service de la société DGC fret n'est donc nullement établie et le débauchage illicite invoqué par la société Transports Dumaine n'est pas démontré.
Comme l'a retenu très justement le premier juge, les allégations de détournement massif de clients par la société DGC fret sont contredites par les nombreuses attestations d'anciens clients de la société Transports Dumaine ; ces attestations, conformes aux dispositions des articles 202 et suivants du Code de procédure civile, reprises par la cour telles qu'elles sont rapportées par le premier juge de façon exhaustive, permettent de constater que les anciens clients ainsi désignés, compte tenu à la fois de la qualité des relations commerciales entretenues avec Mmes D. et C. et de leurs compétences, ont décidé lorsque ces dernières les ont seulement informés de leur départ prochain de la société Transports Dumaine, vouloir poursuivre leur collaboration avec ces dernières passées au service de la société DGC fret sans démarchage de cette dernière.
Il ressort encore du mail du 8 avril 2015 adressé par le responsable de la société Vilvo que la société Transports Dumaine tout comme la société DGC fret, ne sont en aucun cas des fournisseurs de transport exclusifs de sa société et qu'elle a une liste d'affréteurs avec lesquels elle travaille plus ou moins régulièrement selon ses besoins.
Par mail du 3 avril 2015, le responsable de la société Ecm technologies a par ailleurs indiqué que face à l'incapacité de la société Transports Dumaine à répondre à ses attentes, il avait réussi à retrouver les salariées D. et C. grâce à ses contacts dans le monde du transport et décidé de poursuivre sa collaboration avec ces dernières, de qui il n'avait jamais eu à se plaindre depuis 2010.
Il ressort par ailleurs de l'échange d'autres mails rapportés par le premier juge et que la cour reprend également à son compte, que par l'entremise de ses salariées D. et Cesco, la société DGC fret a refusé à plusieurs reprises des demandes de clients en les orientant auprès de la société Transports Dumaine, par 'souci d'équité avec notre ancienne société' ou au motif de l'existence d'un tarif non compétitif.
Il s'avère enfin que l'ensemble des documents commerciaux et fichiers qui ont pu être retrouvés par l'huissier sur l'ordinateur portable utilisé par Mme C. pendant sa collaboration au sein de la société Transports Dumaine, ont été créés à partir de modèles qu'elle avait récupérés au sein de la société Euroland global logistics, son ancien employeur et ne constituent nullement des données confidentielles ou un savoir faire particulier susceptible de caractériser, par leur conservation, un procédé de concurrence déloyale.
Les actes de concurrence déloyale invoqués par la société Transports Dumaine ne sont pas démontrés dans leur réalité et aucune faute commise par la société DGC fret ou Mmes D. et C. n'est donc démontrée à leur encontre, la cour observant par ailleurs que la prétendue perte de 973'064 euros de chiffre d'affaires annuel enregistrée par la société Transports Dumaine en 2014 ne peut être mise sur le compte d'un détournement de clientèle alors même que l'activité de transport international a été arrêtée par cette dernière concomitamment au départ de ses anciennes salariées.
Le jugement qui a débouté la société Transports Dumaine de ses demandes indemnitaires et de celle tendant à la publication de la décision mérite dès lors d'être confirmé.
L'équité la situation économique des parties commandent enfin l'octroi aux intimées, d'une somme supplémentaire en cause d'appel de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à la charge de la société Transports Dumaine qui, succombant dans ses prétentions, ne peut qu'être déboutée de sa demande de ce chef.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 4 décembre 2015 en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Transports Dumaine à payer à la société DGC fret, Mme D. et Mme C. une somme supplémentaire de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Transports Dumaine aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.