CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 mars 2019, n° 17-16648
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PR Développement (Sté)
Défendeur :
Aubert Frères (Gaec)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Comte
Avocats :
Mes Bernabe, Mimran, Abric Faucher, Rochelemagne
Exposé du litige
La société PR Développement exerce actuellement sous le nom commercial " Les vins X " une activité de production et de commercialisation de vins.
Le Gaec Aubert Frères est un groupement agricole d'exploitation en commun spécialisé dans le secteur d'activité de la culture de la vigne.
Il exerce son activité sur deux sites de production, le domaine du Grand retour à Travaillan (84) et le domaine du Mistral à Donzère (26).
Mme Y (ci-après dénommée Mme Y) est l'épouse de M. Y. Elle est également spécialisée dans le secteur d'activité de la culture de la vigne et exploite le domaine Autrand situé à Vinsobres (26).
Le 5 novembre 2008, le Gaec Aubert Frères a confié la totalité de sa production de vin à la société PR Développement.
Mme Y a également confié la commercialisation exclusive de sa production à la dite société.
En 2009, le domaine du Mistral a été référencé par Carrefour sous la marque "Reflet de France".
Au mois de décembre 2013, PR Développement a rencontré le négociateur de chez Carrefour, M. Z, pour mener les négociations commerciales sur le millésime 2013 issu des dernières vendanges.
Le 17 février 2014, le gérant du Gaec, M. Y a informé la société PR Développement par un message de type SMS de la volonté de la famille Y d'interrompre leur collaboration pour le nouveau millésime.
En dépit de cette annonce, des négociations entre les parties sur la commercialisation du millésime 2013 se sont déroulées et de nombreux échanges de courriers sont intervenus jusqu'à fin avril 2014.
Le 13 mai 2014, la société PR Développement a fait le constat que le millésime 2013 produit par le Gaec Aubert Frères et Madame Y était en rayon dans les magasins Carrefour.
La société PR Développement a assigné, le 17 février 2015, le Gaec Aubert Frère et Mme Y afin de voir leur responsabilité engagée sur le fondement de la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies.
Par jugement du 16 juin 2017, le tribunal de grande de instance de Marseille a:
- Débouté la société PR Développement de l'intégralité de ses demandes indemnitaires,
- Condamné la société PR Développement à payer à Mme Y la somme de 11 237,03 euros au titre d'une facture n° FC010544 impayée,
- Condamné la société PR Développement à payer au Gaec Aubert Frères et à Mme Y la somme de 650 euros à chacun, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Rejeté le surplus des demandes,
- Condamné la société PR Développement aux dépens,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 24 août 2018 la société PR Développement a interjeté appel du dit jugement.
Dans ses écritures signifiées le 23 novembre 2017, elle demande à la cour:
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de dire que le Gaec Aubert Frères et Mme Y ont rompu brutalement et abusivement leurs relations commerciales avec la société PR Développement,
- de condamner le Gaec Aubert à lui payer la somme de 168 053,13 euros au titre de la perte de marge brute,
- de condamner Mme Y à lui payer la somme totale de 25 656,89 euros au titre de la perte de marge brute,
- de condamner solidairement la société Gaec Aubert Frères et Mme Y à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de la désorganisation de la société PR Développement, outre 5 000 euros au titre des investissements réalisés en pure perte et 20 000 euros au titre du préjudice d'image,
- d'ordonner l'application des intérêts au taux légal à compter de la date de rupture, soit le 28 mai 2014 pour Mme Y et le 13 août 2014 pour le Gaec Aubert Frères,
- de dire qu'elle s'est régulièrement acquittée de la somme de 10 853,33 euros restant due à Mme Y au titre de la facture n° FC010544,
- de dire que dans l'hypothèse où cette somme n'a pas été encaissée, il convient de voir Mme Y se désister purement et simplement dudit règlement et ordonner dans ces conditions la compensation de ladite somme avec les montants accordés à la société PR Développement,
- de débouter le Gaec Aubert Frères et Mme Y de l'ensemble de leurs demandes,
- de condamner solidairement le Gaec Aubert Frères et Mme Y à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- de les condamner solidairement aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de l'avocat soussigné.
Par conclusions signifiées le 19 janvier 2018, le Gaec Aubert Frères et Mme Y demandent à la cour:
- de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions de la société PR Développement, et en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme Y la somme de 11 237,03 euros,
y ajoutant,
- de majorer cette condamnation du montant des intérêts conventionnels à titre de pénalité et de l'indemnité conventionnelle forfaitaire de 40 euros,
- de rejeter toutes demandes et prétentions contraires,
- de condamner PR Développement aux entiers dépens et à leur payer 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- d'allouer à Maître Myriam Abric Faucher, avocat au Barreau de Paris, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Subsidiairement,
- de dire inexistants pour ne pas être pertinemment établis les préjudices allégués, au surplus non réparables, sur le fondement de l'article L. 442-6 15° du Code de commerce.
SUR CE, LA COUR,
Aux termes de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Sur l'existence de relations commerciales établies
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.
Il est justifié par les pièces du débat que par lettre adressée le 5 novembre 2008 au "Domaine Font Santé" (désormais société PR Developpement), le Gaec Aubert Frères a confié à cette dernière, la totalité de la distribution relative au domaine du Mistral et du Grand Retour.
Les parties sont au demeurant convenues qu'entre 2008 et 2014, elles ont entretenu des relations commerciales établies.
Il en va de même s'agissant de Mme Y et de la société PR Developpement même si les relations commerciales les liant n'ont jamais été formalisées par un écrit.
Sur la rupture des relations commerciales établies
La société PR Développement considère la rupture des relations commerciales établies entre les parties comme brutale dans la mesure où elle n'a fait l'objet d'aucun préavis et a été signifiée par message de type SMS. Elle estime que le Gaec Aubert Frères et Mme Y auraient dû respecter un préavis équivalent à un an compte tenu de la durée de leur relation commerciale, de l'exclusivité dont elle bénéficiait, du chiffre d'affaire réalisé et du caractère saisonnier de l'activité. Par ailleurs, elle estime que la rupture des relations commerciales revêt un caractère abusif en ce sens que le Gaec Aubert Frères et Mme Y étaient de mauvaise foi et ont adopté un comportement déloyal dans le cadre de leurs négociations qu'elle considère au demeurant comme artificielles. A ce titre, la société PR Développement attribue l'échec des dites négociations au Gaec Aubert Frères et à Mme Y dès lors que ceux ci n'ont jamais fait évoluer leurs positions malgré les concessions effectuées par elle. Elle considère qu'il s'agit d'une attitude préméditée en vue de l'évincer et de collaborer directement avec la société Carrefour. En tout état de cause, elle estime que le désaccord sur les conditions de commercialisation du millésime 2013 ne constitue pas un cas de force majeure ou une inexécution contractuelle permettant de justifier une rupture brutale. Enfin, outre le fait qu'elle s'estime victime de pressions exercées à son encontre dans le cadre des négociations, l'appelante soutient que les conditions proposées par le Gaec et Mme Y étaient inacceptables et différentes des habitudes de collaboration entre les parties.
Il est établi (pièce n° 7 de l'appelante) que M. X, dirigeant de la société PR Developpement, a reçu, le 17 février 2017 à 18 heures 43 un message de M. Y ainsi libellé:
"Bonsoir Pierre, je t'ai appelé deux x en vain ta messagerie est pleine la famille a décidé d'arrêter notre collaboration pour le nouveau millésime alain".
Les intimés expliquent l'envoi de ce SMS comme la conséquence de leur mécontentement d'avoir appris, par le responsable des achats de la société Carrefour, la décision unilatérale prise par le gérant de la société appelante de lui fournir le millésime 2013 Plan de Dieu Rouge (Cote du Rhône Villages) produit par le Gaec, au prix de 2,60 euros HT départ, avec engagement de maintenir ce prix pour les deux prochains millésimes, sans s'être préoccupé de consulter les vignerons producteurs de cette appellation et de ce millésime.
Il résulte des pièces versées aux débats que postérieurement à l'envoi du SMS et jusqu'à la fin du mois d'avril 2014, les parties se sont rapprochées et ont mené des négociations.
Il est notamment démontré:
- que le 11 mars 2014, le Gaec a adressé à M. X une lettre récapitulative de l'historique de leur relation, laquelle comporte une certain nombre de reproches à son égard mais lui propose néanmoins une rencontre (pièce n°5 des intimés),
- que le 14 mars 2014, M. X, a adressé a M. Y et à Mme Y, des propositions élaborées après une rencontre avec M. Y, selon lesquelles il offre:
* à ce dernier un prix pour l'achat de vin en vrac de 367 754,40 euros hors taxe qu'il mettra en bouteille au domaine, soit un prix à la bouteille de 1,6438 à 1,621 euro selon les productions, et un total de 225 000 bouteilles,
* à Mme Y un prix de 11 770,03 euros hors taxe portant sur 73 000 bouteilles de Vinsobres 2013, (pièces 14 et 15 de l'appelante)
- que le 18 mars 2014, le Gaec Aubert et Mme Y ont adressé à M. X des projets de contrat portant sur des propositions de vente à hauteur respectivement de 225 000 bouteilles pour un prix de 1,35 euro la bouteille (Gaec Aubert), et 73 000 bouteilles pour un prix de 1,91 euro la bouteille (Mme Y), (pièces n° 16 et17 de l'appelante),
- que le 31 mars 2014, M. X a indiqué au Gaec Aubert qu'il était d'accord pour l'achat de 225 000 bouteilles du millésime 2013 sous réserve de la conformité du dit millésime à l'assemblage sélectionné par Carrefour et la présence de M. W, co-gérant du Gaec à chaque mise en bouteille sur le domaine, (pièce n° 24 de l'appelante),
- que le 3 avril 2014, PR Développement a adressé au Gaec un projet de contrat (pièce 25 de l'appelante) qui met à sa charge une partie des obligations qu'elle a souscrites dans le contrat qu'elle a elle même conclu avec Carrefour,
- que le 6 avril 2014, M. Y a indiqué à M. X qu'il était d'accord sur le prix du vrac, l'autorisation de mise en bouteille à la propriété, les échéances proposées, sans toutefois accepter la nouvelle version du contrat, (pièce n°15 des intimés),
- qu'après un rendez-vous entre les parties le 10 avril 2014, des échanges de courrier sont intervenus les 21, 23 et 25 avril 2014 lesquels établissent que PR Développement a offert d'acheter le lot de 19 776 bouteilles déjà conditionnées, au prix convenu, pour pouvoir approvisionner Carrefour les jours suivants, mais à condition qu'il s'agisse d'un produit "fini" impliquant que le vigneron se charge de la mise en bouteille (pièces 26 27 28 de l'appelante),
- que le 25 avril 2014 le Gaec, faisant référence a son précédent courrier du 21 avril 2014 relatif à la vente des 19 776 bouteilles, a adressé de nouveau à PR Développement le projet de contrat de vente des dites bouteilles de Côte du Rhône Plan de Dieu 2013,
- que suite à cette ultime lettre, aucune réponse n'a été apportée par l'appelante à cette proposition.
Il est ainsi établi que si le SMS litigieux évoque une rupture sans délai des relations commerciales, les parties ont postérieurement convenu de ce que leurs relations commerciales allaient cesser en 2014 et négocié pour tenter de les poursuivre pour la commercialisation du millésime 2013 malgré leur désaccord.
Ainsi le SMS ne peut être considéré comme une lettre de rupture dès lors que des propositions concrètes pour le millésime 2013 ont été envoyées par le Gaec et Mme Y très peu de temps après son envoi.
Toutefois les négociations communes entre les parties se sont finalement terminées par un échec, dès lors que PR Développement, qui avait pourtant elle aussi soumis une proposition de contrat, n'a au final pas répondu à la dernière proposition des intimés, sans justifier de ce que celle-ci était était inacceptable et différente des habitudes de collaboration entre les parties.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il sera dès lors constaté que la rupture des relations commerciales entre les parties est intervenue fin avril 2014 et que l'auteur de cette rupture est la société PR Développement pour ne pas avoir répondu à la dernière proposition de convention qui lui était soumise.
Par ailleurs, s'il est établi que les bouteilles de Côtes du Rhône Plan de Dieu 2013 étaient effectivement en vente dans les magasins Carrefour le 13 mai 2014, rien ne permet d'en déduire, contrairement à ce que soutient l'appelante, que les intimés étaient en négociation avec Carrefour au cours de la période de rencontre et d'échange entre les parties ci-dessus décrite, pour organiser la vente en directe de leurs produits en violation de l'exclusivité qui lui était accordée.
Enfin, dès lors que Carrefour, informée des difficultés de négociation entre le Gaec, Mme Y et la société PR Développement, leur a adressé un ultimatum le 17 avril 2014 quant à la nécessité de la livraison des bouteilles, cette dernière, qui n'a pas répondu à la dernière offre qui lui a été formulée par le Gaec ne saurait lui reprocher d'avoir répondu à la demande d'approvisionnement rapide de Carrefour dans les jours qui suivent, en violation de ladite exclusivité.
Ainsi la société PR Développement sera déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.
Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les demandes reconventionnelles
La société PR Développement ne conteste pas, dans ses dernières écritures être redevable de la facture FC010544 de 11 237,03 euros réclamée par Mme Y.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société PR Développement à lui payer cette somme.
Il sera en revanche infirmé en ce qu'il a rejeté la demande formulée par Mme Y au titre du paiement de l'indemnité forfaitaire de 40 euros ainsi que de la pénalité de 1,5 % par mois telles que prévues par la dite facture émise le 31 mars 2014, en cas de retard de paiement, conformément aux dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce, la société PR Développement devant être condamnée au paiement de ces sommes.
PR Développement sera en outre condamnée à payer la somme de 3 000 euros au Gaec Aubert Frères et la même somme à Mme Y, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle sera enfin condamnée aux dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit les avocats qui en auront fait la demande.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme Y de sa demande de paiement de l'indemnité forfaitaire de 40 euros, outre l'indemnité mensuelle de 1,5 % telles que prévues par la dite facture, émise le 31 mars 2014, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la société PR Développement au paiement de ces sommes, Y ajoutant, Condamne la société PR Développement à payer la somme de 3 000 euros à Mme Y ainsi qu'au Gaec Aubert Frères, la somme de 3 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.