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Décisions

Cass. com., 13 mars 2019, n° 18-11.046

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Datafirst (SAS)

Défendeur :

Bee2link (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Bernard Hémery, Mes Thomas-Raquin, Le Guerer

Cass. com. n° 18-11.046

13 mars 2019

LA COUR : - Attendu, selon les arrêts attaqués, rendus en matière de référé, que la société Datafirst, spécialisée dans le développement de solutions informatiques pour la distribution automobile, a conclu avec M. Cotelle et la société XC Investissement un protocole d'accord portant sur l'acquisition des parts détenues par ces derniers dans le capital de la société XC développement, qui exerce la même activité, et stipulant une obligation de non-concurrence à la charge des cédants jusqu'au 30 septembre 2014 ; que reprochant à la société Bee2link, détenue par M. Cotelle et la société XC Investissement, d'avoir démarché ses clients en août 2014, notamment par l'annonce de la mise en place d'un logiciel de la relation client pour l'automobile (CRM), la société Datafirst les a assignés en paiement de dommages-intérêts, d'une part, pour violation de la clause de non-concurrence, d'autre part, pour concurrence déloyale ; que le tribunal a accueilli la première demande et rejeté la seconde ; que par une lettre du 26 mai 2016, la société Datafirst a informé le président du directoire du groupe Volkswagen France que la société Bee2link avait fait l'objet d'une condamnation judiciaire pour concurrence déloyale ; que cette correspondance était adressée à au moins un autre membre du réseau Volkswagen ; qu'invoquant un trouble manifestement illicite résultant de l'envoi de ce courrier, la société Bee2link a assigné la société Datafirst, sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile, pour obtenir des mesures d'interdiction et d'injonction de communication, sous astreinte ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :- Attendu que la société Datafirst fait grief à l'arrêt de lui interdire, sous astreinte, de faire mention auprès de tout tiers, lié de près ou de loin au groupe Volkswagen France, quelqu'en soit le support ou l'expression, de la société Bee2link, de son dirigeant ou de ses produits, et de lui enjoindre de communiquer à la société Bee2link dans un certain délai les nom et coordonnées complètes de toutes les entités ayant été destinataires du courrier litigieux alors, selon le moyen : 1°) que l'information donnée par une entreprise à un client de la condamnation judiciaire de l'un de ses concurrents, même si elle comporte une erreur sans conséquence sur le fondement juridique de ladite condamnation, qui plus est rectifiée, ne constitue pas un acte de dénigrement ; qu'ainsi, la violation d'une clause de non concurrence, bien qu'ayant un cadre juridique différent, constitue un acte aussi grave et répréhensible qu'un acte de concurrence déloyale commis hors contrat ; qu'au surplus, le fait que l'acte déloyal ait été perpétré dans le cadre d'une relation contractuelle ou hors de ce cadre, est sans incidence pour le client destinataire de l'information ; qu'en décidant au contraire que cette mauvaise qualification juridique sans conséquence pour le client et déjà rectifiée, était constitutive d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1240 du Code civil et 873 du Code de procédure civile ; 2°) que le trouble manifestement illicite constitué par l'envoi par une société d'une information erronée à l'un de ses clients sur une entreprise concurrente, ne subsiste plus lorsque l'auteur adresse au destinataire une lettre venant rectifier ladite erreur ; qu'en décidant en l'espèce, que le trouble perdurait sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la lettre du 15 juin 2016 venant rectifier celle du 26 mai 2016, adressée par la société Datafirst au même destinataire de la société Volkswagen, qui précisait que la société Bee2link avait été condamnée non pas pour concurrence déloyale mais pour " violation d'un engagement contractuel de non concurrence ", n'était pas de nature à remédier au prétendu trouble illicite, de même que la lettre adressée en réponse par la société Bee2link elle-même à la société Volkswagen, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que la société Datafirst avait présenté devant le tribunal de commerce deux demandes distinctes, dont les fondements juridiques étaient différents, l'une au titre de la violation de la clause de non-concurrence, l'autre au titre de la concurrence déloyale, et constaté que le tribunal, s'il avait effectivement condamné solidairement la société Bee2link et son dirigeant pour non-respect de la clause de non-concurrence, avait expressément rejeté la demande fondée sur la concurrence déloyale, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'en faisant état, dans le courrier du 26 mai 2016 adressé à la société Volkswagen, d'une condamnation de la société Bee2link pour concurrence déloyale, la société Datafirst avait sciemment modifié le fondement de la condamnation prononcée et qu'elle ne pouvait sérieusement soutenir qu'il s'agissait d'une erreur sémantique ; qu'il retient encore que cette déformation volontaire de la décision de justice ainsi que la référence vague, mais menaçante contenue dans la formule de son courrier " ce dont nous vous laissons mesurer l'impact et les conséquences " caractérise la volonté de créer une suspicion à l'encontre de la société Bee2link ; qu'il retient enfin qu'à l'évidence, le choix de la date d'envoi du courrier un mois après que le groupe Volkswagen France eut été informé par courrier du 26 avril 2016 du déploiement de la solution du concurrent Digitall, n'était pas fortuit, mais tendait manifestement à faire pression sur le groupe Volkswagen France afin qu'il change son choix de solution CRM ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu retenir que le dénigrement de la société Bee2link opéré par la société Datafirst, dans ce contexte particulier, était manifeste et constituait un trouble manifestement illicite, qu'il convenait de faire cesser ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé par motifs adoptés que le courrier litigieux du 26 mai 2016 avait été adressé au président du directoire du groupe Volkswagen France et à au moins l'un des membres de ce réseau, ce dont il résulte que le courrier de rectification adressé le 15 juin 2016 par la société Datafirst à la seule société Volkswagen France était insusceptible en soi de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par la diffusion du courrier du 26 mai 2016 auprès des autres distributeurs du groupe, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 873 du Code de procédure civile ; - Attendu que l'arrêt confirme l'ordonnance qui, sous astreinte, interdit à la société Datafirst de faire mention auprès de tout tiers, lié de près ou de loin au groupe Volkswagen France, quel qu'en soit le support ou l'expression, de la société Bee2link, de son dirigeant ou de ses produits ; qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier si la mesure ordonnée n'était pas disproportionnée, au regard des faits de dénigrement, en ce qu'elle empêcherait la société Datafirst de travailler sur ses principaux contrats et avec ses principaux partenaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il confirme l'ordonnance qui, sous astreinte, interdit à la société Datafirst de faire mention auprès de tout tiers, lié de près ou de loin au groupe Volkswagen France, quel qu'en soit le support ou l'expression, de la société Bee2link, de son dirigeant ou de ses produits, l'arrêt rendu le 9 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon et rectifié par arrêt du 18 juillet 2017 ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.