CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 12 mars 2019, n° 17-01805
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Bellot (SAS)
Défendeur :
Geoffroy et Fils (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Greiner
Conseillers :
Mmes Fouchard, Real Del Sarte
Avocats :
Selarl Juliette Cochet Barbuat Lexavoué Chambery, Mes Desmortreux, Beroud
La société Geoffroy et Fils est une société de distribution et commercialisation alimentaire sise à La Ravoire (73), et est inscrite au registre spécial des agents commerciaux sous la rubrique " agence commerciale en distribution alimentaire et diverses ".
Elle a eu comme client la société LA Cidrerie de Savoie, devenue Newfruit puis Etablissements Bellot.
Le 24/03/2015, la société LA Cidrerie de Savoie a adressé à la société Geoffroy le courrier suivant : " La société Source du verger (...) vient de se porter acquéreur du fonds de commerce et du portefeuille de produits de la Cidrerie de Savoie. Cette acquisition portera effet à compter du 1er mai prochain. Jusqu'au 30/04/2015, la société Cidrerie de Savoie continuera à facturer l'ensemble des commandes qui lui sera adressé par vos soins. (...) A compter du 01/05/2015, vos commandes devront être adressées auprès de la société Source du Verger qui sera en charge de la commercialisation et de la facturation des produits de la Cidrerie de Savoie ".
Le 07/04/2015, la société Geoffroy répondait : " je vous rappelle que votre société et la mienne sommes unis par un contrat d'agent commercial. Ainsi, la société Geoffroy et Fils assure la commercialisation de vos produits depuis 2000. (...) Dois je déduire de votre courrier type que le contrat nous unissant est repris par la société La Source du verger ou au contraire, et c'est ce que laisserait plutôt entendre votre courrier, que la société La Source du verger n'a pas repris le contrat puisqu'elle assurera elle même la commercialisation des produits ".
Par lettre de son conseil, du 20/08/2015, elle a mis en demeure la société Newfruit de lui régler la somme de 79 945 euros au titre de l'indemnité de préavis et de fin de contrat d'agent commercial.
Par acte du 04/05/2016, elle a assigné la société Newfruit devant le tribunal de commerce de Chambéry en paiement en principal de cette somme.
Par jugement du 14/06/2017, le tribunal a :
- dit que la relation entre la société Geoffroy et Fils et la SAS Newfruit répondait aux dispositions légales d'un contrat d'agent commercial,
- dit que la société Newfruit a mis fin unilatéralement à ce contrat d'agent commercial et sans respecter un délai de préavis et que, conformément aux dispositions des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce, elle est débitrice envers la société Geoffroy et Fils, non seulement d'une indemnité de préavis mais également d'une indemnité compensatrice de fin de contrat d'agent commercial,
- dit que la société Newfruit a mis fin également unilatéralement sans préavis aux prestations de transports que la société Geoffroy et Fils accomplissait pour son compte et qu'elle est redevable d'une indemnité de rupture de ce contrat pour défaut de préavis, équivalente à trois mois de chiffre d'affaires annuel,
- condamne la société Newfruit, désormais dénommée Etablissements Bellot, prises en la personne de la société Eclor Financières, à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Geoffroy et Fils la somme de 46 400 euros, montant total des différentes indemnités, outre intérêts au taux légal à compter du 26/08/2015, avec capitalisation des intérêts par année entière, et celle de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leur demande.
Par déclaration du 28/07/2017, la société Etablissements Bellot a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions d'appelant n° 2 du 27/02/2018, elle conclut à la réformation de la décision entreprise et demande à la cour de :
- constater que les conditions légales du contrat d'agent commercial ne sont pas remplies au profit de la société Geoffroy et Fils,
- constater que les sociétés Etablissements Bellot et Geoffroy & Fils sont liées par un contrat de transport,
- constater que la société Geoffroy & Fils ne justifie pas non plus de son préjudice au titre de sa triple demande d'indemnités, aucun élément chiffré n'étant produit à l'appui de sa demande,
- constater que la société Etablissements Bellot conteste l'évaluation discrétionnaire opérée par le tribunal de commerce de Chambéry pour calculer le montant de l'indemnité de préavis au titre du contrat de transport,
- condamner la société Etablissements Bellot à indemniser la société Geoffroy & Fils au titre du préavis pour la rupture de son contrat de transport arrondi à la somme de 8 000 euros et débouter la société Geoffroy & Fils de ses autres demandes, fins et prétentions,
- à titre subsidiaire, désigner un expert pour calculer l'indemnité de fin de contrat au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce, aux frais avancés de l'intimée,
- en tout état de cause, condamner la société Geoffroy & Fils au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle expose en substance que :
- alors que l'agent commercial a le pouvoir de négocier les contrats, la société Geoffroy & Fils n'avait pour mission que de stocker les produits de la société Newfruit puis de les livrer aux supérettes figurant sur une liste définie,
- la société Geoffroy & Fils ne démontre pas avoir pris des commandes au nom et pour le compte de la société Newfruit ni d'avoir bénéficié d'une marge de manœuvre pour négocier les contrats, les grilles tarifaires et les conditions générales de vente étant transmises par la société Newfruit, et ce, y compris les remises commerciales à effectuer,
- les factures de commission émises font référence aux règles de paiement applicables en matière de transport,
- les attestations contraires émanent de personnes liées à l'intimée et ne peuvent être retenues par la cour,
- en réalité, tous les contrats conclus avec les clients l'étaient sous la responsabilité de son directeur régional des ventes, qui disposait de 4 commerciaux sur la région Rhône Alpes,
- en définitive, seule est due une indemnité de préavis sur le contrat de transport, de 3 mois de la moyenne des commissions des 3 dernières années, soit : 213 333 /12 x 3, soit 8 000 euros.
Par conclusions d'intimé n° 2 du 10/03/2018, la société Geoffroy & Fils demande à la cour de :
- dire que les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial associé à un contrat de transport depuis septembre 2000,
- dire que la société Etablissements Bellot a mis fin brutalement à ces contrats le 01/05/2015,
- dire que la société Etablissements Bellot est débitrice envers elle même d'une indemnités de préavis pour le contrat d'agent commercial, d'une indemnité de fin de contrat pour le contrat d'agent commercial et d'une indemnité liée à la rupture du contrat de transport,
- constater qu'aucune des parties ne conteste le montant de l'indemnité de préavis au titre du contrat de transport fixée par le tribunal et dire que ce point est donc définitif,
- constater qu'aucune des parties ne conteste l'évaluation de la commission au titre du contrat de transport fixée par le tribunal à hauteur de 6 % et dire que ce point est définitif,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, débouter l'appelante de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que :
- elle n'était pas un simple grossiste, et ne se contentait pas de prendre des commandes ponctuelles, mais prospectait, négociait et commercialisait en ajoutant une prestation de transport en étant libre de visiter les magasins de son choix,
- c'est ainsi qu'elle a visité de 2005 à 2012 plus de 1 000 enseignes différentes,
- en 2006, sa commission a été revue à la baisse, passant de 20 à 15 %, des contrats de partenariat ont été conclus pour divers produits, des objectifs de vente lui étant fixés pour l'obtention de primes,
- si les équipes commerciales du groupe Eclor sont intervenues, c'est en complément de ses propres diligences, le chiffre d'affaires généré étant de 226.836,90 euros, ce montant étant bien supérieur à de simples commissions de transport,
- c'est par son travail que le cidre a pu être vendu en Savoie notamment dans le réseau Sherpa en stations de ski, même si elle n'a jamais été liée par un lien d'exclusivité,
- elle avait un commercial dédié, en la personne de M. X qui n'occupait pas les fonctions de livreur,
- les indemnités ont été justement calculées par le premier juge sur la base de 213.333 euros.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le contrat d'agent commercial
Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce, " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ".
Le contrat d'agence étant consensuel et non solennel, l'existence d'un écrit n'est pas nécessaire.
En l'espèce :
- les bons de livraison des commandes auprès de la société appelante par la société intimée sont désormais versés aux débats, ce qui démontre la réalité des prestations réalisées, qu'il convient de qualifier,
- divers commerçants ou gérants de magasins alimentaires (M. A, qui déclare avoir tenu trois magasins aux enseignes Casino et Spar, M. B, Mme C, magasin Spar, M. D, propriétaire de deux Intermarché, M. E, propriétaire de trois supermarchés à l'enseigne Sherpa), attestent avoir vendu du cidre en provenance de l'appelante du fait de sa commercialisation par la société Geoffroy & Fils,
- les facturations émises par la société Geoffroy & Fils à l'encontre de l'appelante ont toutes trait à des commissions et non à des achats de produits (ce qui lui conférerait alors un statut de grossiste) et ce, de 2001 à 2015, comme le montre un tableau non contesté par l'appelante (pièce intimée n° 6), le taux pratiqué de 20 % puis de 15 % étant supérieur au seul coût du transport,
- les factures portent bien la mention de commission ; certes, elles font référence pour nombre d'entre elles à l'article 26 de la loi n° 2006-10 prévoyant des pénalités de retard pour le transport routier et la commission de transport ; pour autant, les parties s'accordant sur le fait que la société intimée assurait les livraisons, la prestation de la société Geoffroy & Fils incluait nécessairement le transport, ce qui explique cette mention, sans qu'elle suffise à démontrer l'absence de toute commission d'agence,
- la société Geoffroy & Fils a participé à des opérations commerciales et diverses promotions, comme la représentation de la Cidrerie de Savoie à des salons,
- si la société appelante dispose de sa propre force de vente, la société Geoffroy & Fils avait toute latitude pour prospecter des clients de son propre chef, l'existence d'un contrat d'agence étant compatible avec l'absence d'exclusivité sur un secteur, les parties se concertant sur certaines offres commerciales, comme l'offre de box pour la fin d'année 2011, un contrat de partenariat sur mise en place pour la saison d'hiver 2009/2010, une offre " installation en station " du 24/09/2014,
- les parties ont enfin, discuté des tarifs à appliquer, comme le montre une lettre du 05/01/2006, aux termes de laquelle la société La Cidrerie de Savoie écrit " j'ai pris bonne note de votre effort pour une commission sur la gamme GMS ramenée à 15 % du CA net facturé hors taxe. Ces efforts conjoints devraient nous permettre de proposer un PVC sur le circuit GMS en phase avec ceux pratiqués sur le marché national, sans modifications de la qualité de nos cidres ".
Ces éléments constituent un faisceau d'indices concordants démontrant que la société Geoffroy & Fils n'a pas seulement assuré des livraisons pour le compte de l'appelante, mais a bien agi en qualité de commercialisatrice des produits de celle-ci.
C'est donc par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a retenu l'existence d'un contrat d'agent commercial. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les indemnités dues à la société Geoffroy & Fils
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge, après avoir établi une moyenne des trois derniers chiffres d'affaires réalisés entre les parties d'un montant de 213.333 euros, a alloué à l'intimée une indemnité de préavis sur le contrat de transport, une indemnité de préavis sur le contrat d'agence et une indemnité compensatrice, dont les taux appliqués sont conformes aux usages.
Là encore, la décision attaquée sera confirmée.
Enfin, l'équité commande une application modérée des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile exposés par l'intimée en cause d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y Ajoutant, Condamne la société Etablissements Bellot à payer à la société Geoffroy & Fils la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile exposés en cause d'appel, La Condamne aux dépens de première instance et d'appel.