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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 mars 2019, n° 17-00966

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Glaces de Bourbon (SAS)

Défendeur :

Island Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

T. com. Paris, du 21 nov. 2016

21 novembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Glaces de Bourbon, filiale de la société Compagnie laitière des Mascareignes, dite société Cilam et principale entreprise de l'industrie laitière sur l'île de la Réunion, exerce une activité de fabrication de glaces et de sorbets.

A compter de 1998, elle est entrée en relation d'affaires avec la société Island distribution, centrale d'achat des sept restaurants Mac Donald implantés sur l'île de La Réunion, à laquelle elle a fourni en exclusivité des pré-mix à glaces, soit des préparations pour glaces à l'italienne, réalisées à chaud, congelées puis conditionnées dans des outres, permettant la confection de milkshake et du dessert glacé dit "sundae".

Les sundae sont fabriqués grâce à l'incorporation des pré-mix à glace dans une machine à glace dite " Shake & Sundae " modèle Taylor 8634 HT Combos, faisant l'objet d'un contrat de maintenance pour chaque restaurant Mac Donald conclu avec la société SMTOI.

L'organisme indépendant AIB a procédé à la demande de l'enseigne Mac Donald à des audits réguliers sur le site de production de pré-mix à glace de la société Cilam en présence de représentants de la société Island distribution et de la société Glaces de Bourbon.

A compter de novembre 2014, la société Island distribution a cessé de s'approvisionner auprès de la société Glaces de Bourbon et l'a informée oralement qu'elle mettait immédiatement fin à leur relation commerciale.

Par courrier du 28 novembre 2014, la société Glaces de Bourbon, par l'intermédiaire de son conseil, a déploré l'absence de préavis, compte tenu de l'ancienneté des relations entre les parties, et a vainement mis en demeure la société Island distribution de lui payer une somme de 216 396,84 euros en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de leur relation commerciale établie.

C'est dans ces circonstances que la société Glaces de Bourbon a, par acte en date du 28 janvier 2015, assigné la société Island distribution devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement rendu le 21 novembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit la société Glaces de Bourbon mal fondée en ses demandes et l'a déboutée en conséquence de toutes ses demandes fondées sur l'application de l'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce,

- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en a débouté respectivement les parties,

- condamné la société Glaces de Bourbon à payer à la société Island distribution la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et débouté pour le surplus,

- condamné la société Glaces de Bourbon aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La société Glaces de Bourbon a interjeté appel à l'encontre de décision le 11 janvier 2017.

Par dernières conclusions notifiées le 17 décembre 2018, la société Glaces de Bourbon, appelante, demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 novembre 2016 par le tribunal de commerce de Paris sauf en ce qu'il a considéré que la relation commerciale entre les parties peut être qualifiée d'établie au sens de l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce,

- dire et juger que la rupture intervenue est abusive et brutale, et qu'elle est imputable à la société Island distribution,

- dire et juger que dans le cadre de cette rupture, la société Island distribution devait lui consentir un préavis de 15 mois expirant en février 2016,

En conséquence,

- condamner la société Island distribution à lui payer la somme de 254 252,63 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture des relations commerciales établies, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

- condamner la société Island Distribution à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Island distribution aux entiers dépens de l'instance.

La société Glaces de Bourbon expose qu'elle a entretenu une relation commerciale établie avec la société Island distribution, avec laquelle elle a développé des relations d'affaires régulières et stables durant16 ans, de 1998 à 2014. Elle fait valoir la rupture brutale de cette relation commerciale établie, par l'intimée, au mois de novembre 2014 et sans préavis écrit, la société Island distribution ne l'ayant pas informée d'une possibilité de rupture avant son courriel du 6 janvier 2014 lui indiquant qu'elle devait prendre une décision sur la poursuite de leur partenariat, ou non, et ne lui ayant pas précisé la date de prise d'une telle décision.

Elle ajoute que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, cette absence de préavis n'est nullement justifiée par ses prétendus graves manquements contractuels.

Sur le prétendu défaut de conformité aux spécificités de la société Mc Donald, elle soutient que les produits ont été fabriqués sans incident entre 1998 et 2011, que le compte rendu de l'audit de certification réalisé sans ordre de mission dans son établissement en 2011 ne relève aucune non-conformité rédhibitoire, que la certification AIB demandée par la société Mac Donald en 2012 lui a été présentée par l'intimée comme une démarche de progrès, et non pas une condition de poursuite de la relation commerciale, et que les résultats du second audit effectué en 2014 pour déterminer l'avenir de leur partenariat ne sont pas produits aux débats.

Elle souligne que l'intimée ne démontre pas qu'elle n'aurait pas respecté les normes alimentaires et sanitaires, compte tenu du résultat des inspections effectuées par les services vétérinaires en 2009, 2011 et 2014 ayant révélé des non-conformités mineures. Elle ajoute que l'intimée ne rapporte pas davantage la preuve que ses produits seraient à l'origine des pannes des machines à glace, par la seule production aux débats de factures de réparation et d'attestations établies pour les besoins de la cause, aucune expertise n'ayant été réalisée. Elle précise à ce titre qu'elle fournissait à la société Island distribution des mix congelés, et non pas glacés, et qu'il appartenait à celle-ci de gérer la décongélation du produit avant son incorporation dans les machines à foisonner.

Elle soutient que ses manquements prétendus n'ont fait l'objet d'aucune mise en demeure et, à les supposer établis, qu'ils ne revêtent pas un degré de gravité suffisant pour justifier la rupture sans préavis de la relation commerciale, alors que la société Island distribution, qui l'a informée oralement en août 2014 qu'elle mettait fin à la relation, a poursuivi la passation de commandes jusqu'en novembre 2014, à chiffre d'affaires constant, et a engagé avec elle une négociation tarifaire en septembre 2014. Elle prétend que son impossibilité de s'aligner sur les tarifs de son concurrent constitue le véritable motif de la rupture de la relation commerciale.

Au titre de son préjudice, elle expose que l'absence de préavis l'a empêchée de trouver d'autres partenaires compte tenu de la particularité du marché et dans la mesure où la société Island distribution constitue le seul opérateur pour ce type de produits. Elle fait valoir un préjudice de 162 679,79 euros, correspondant à la perte de la marge brute de 49,8 % durant la période de préavis de 15 mois qui aurait dû être respectée au vu de l'ancienneté de la relation commerciale et du volume d'affaires réalisé. Elle argue également d'un préjudice de 5 312,84 euros au titre de la destruction du stock de produits finis périssables, qu'elle a été dans l'impossibilité de vendre à un autre client, et d'un préjudice de 86 260 euros au titre de l'impossibilité d'écouler le stock des matières premières spécifiques qu'elle a dû constituer pour la réalisation des commandes de l'intimée.

Par dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2018, la société Island distribution, intimée, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 novembre 2016 par le tribunal de commerce de Paris,

- déclarer la société Glaces de Bourbon irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- condamner la société Glaces de Bourbon à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Glaces de Bourbon aux entiers dépens.

La société Island Distribution fait valoir que les dispositions de l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce ne font pas obstacle à la faculté de résiliation, sans préavis, de la relation commerciale établie en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.

Elle soutient que la société Glaces de Bourbon, en sa qualité de fournisseur de la société Island distribution, a expressément accepté de se soumettre aux exigences de l'enseigne Mac Donald, en respectant les spécifications de celle-ci concernant les produits qu'elles devaient fabriquer pour la centrale d'achat, ainsi qu'il résulte du courriel adressé par la directrice qualité développement de la société Cilam du 7 décembre 2012.

Elle expose que les audits réalisés par l'organisme indépendant AIB sur le site de production de l'appelante et en présence d'un représentant de cette dernière, ont révélé que les produits livrés par la société Glaces de Bourbon ne sont pas conformes aux exigences de l'enseigne Mac Donald et que les lieux de production ne respectent pas certaines normes internationales en matière alimentaire et sanitaire.

Elle précise que la mauvaise qualité des produits livrés par la société Glaces de Bourbon a entraîné la casse des machines à glaces et une perte de chiffre d'affaires des restaurants Mac Donald, ainsi qu'en attestent les différents responsables desdits établissements et le chef d'équipe au sein de la société SMTOI.

Elle relève que la société Glaces de Bourbon, qui refuse de communiquer les rapports d'audit en sa seule possession, a reconnu ses manquements par courriel du 19 novembre 2014, et que le pré-rapport de l'AIB qui lui a été adressé par courriel du 2 mars 2011 relève de graves manquements.

Elle ajoute qu'il n'est pas dans l'usage des pratiques commerciales de s'adresser des lettres de mise en demeure, et que de nombreux courriels ont été envoyés à la société Glaces de Bourbon au sujet de ses manquements.

Subsidiairement, elle fait valoir l'absence de brutalité de la rupture de la relation commerciale. Elle soutient que le caractère écrit du préavis n'est pas une exigence formelle, et que la cessation de la relation commerciale n'était ni soudaine, ni violente, ni imprévisible, dès lors que la société Glaces de Bourbon était informée sans ambiguïté depuis l'audit de l'AIB de 2011 qu'à défaut de se conformer aux exigences de l'enseigne Mac Donald et d'améliorer la qualité de son pré-mix, la relation commerciale ne pourrait être maintenue. Elle soutient que de son propre aveu, la société Glaces de Bourdon a échoué à se conformer aux dites exigences, en dépit de l'approche constructive qu'elle a eue envers elle durant plus de trois ans afin de maintenir leur relation commerciale, et que seuls ces manquements ont causé la rupture de ladite relation. Elle ajoute que les deux audits organisés fin 2013 dans les locaux de la société Cilam, afin de prendre une décision sur la poursuite ou non du partenariat, et le courriel du 29 novembre 2014 adressé par la société Mac Donald de l'île de la Réunion au directeur commercial de la société Cilam, lui rappelant qu'il est informé depuis deux ans de l'impossibilité de travailler ensemble pour le lait, équivalent à un préavis écrit adressé à l'appelante.

Encore plus subsidiairement, elle conteste les demandes indemnitaires formées par la société Glaces de Bourbon. Elle soutient que celle-ci ne fournit aucun bon de commande concernant, d'une part, les produits finis périssables dont elle se serait prétendument débarrassée, d'autre part, les matières premières qu'elle aurait dû constituer pour la réalisation des commandes. Elle relève que la société Glaces de Bourbon ne justifie pas que lesdites matières premières seraient inutilisables, alors que la société-mère Cilam est la principale entreprise de l'industrie laitière sur l'île de la Réunion. Elle ajoute, s'agissant du prétendu manque à gagner durant la période de préavis, que le montant de la demande indemnitaire a varié et n'est pas fondé, la durée de préavis de 15 mois invoquée par l'appelante n'étant pas justifiée en l'absence de brutalité de la rupture, et un préavis de 6 ou 7 mois ayant été reconnu suffisant par la jurisprudence s'agissant d'une relation commerciale établie de 18 à 30 ans.

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :

Selon l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ".

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels.

La rupture immédiate des relations commerciales établies est justifiée lorsqu'elle sanctionne l'inexécution de ses obligations contractuelles par le partenaire.

La faute contractuelle qui dispense de l'obligation de respecter un préavis doit être d'une gravité suffisamment caractérisée ; le manquement en cause doit avoir été notifié au cocontractant.

Il n'est pas discuté que les parties entretenaient une relation commerciale établie depuis 1998, la société Glaces de Bourbon étant depuis lors le fournisseur exclusif de la société Island distribution en pré-mix à glaces destinés aux sept restaurants Mac Donald's de l'île de la Réunion.

A compter de novembre 2014, la société Island distribution a cessé de s'approvisionner auprès de la société Glaces de Bourbon et l'a informée oralement qu'elle mettait immédiatement fin à leur relation commerciale.

Le courriel du responsable IT et logistique de la société Mac Donald's de l'île de la Réunion, daté du 6 janvier 2014 (pièce 29 de l'intimée), précisant à la directrice qualité développement de la société Cilam que l'objectif des deux audits de l'usine de production qui seront réalisés en janvier et février 2014 " sera de prendre la décision si l'on peut continuer notre partenariat ou non ", ne constitue pas un préavis écrit de la part de la société Island distribution, dès lors qu'il n'émane pas de ladite société et ne caractérise pas l'intention manifeste de celle-ci de mettre fin à la relation commerciale établie nouée avec l'appelante. En outre, aucun élément afférent à ces audits n'est produit aux débats, alors que la société Island distribution précise avoir assisté à tous les audits réalisés au sein de l'unité de production.

De même, le courriel du 29 août 2014 adressé par le responsable IT et logistique de la société Mac Donald's de l'île de la Réunion en réponse au courriel du même jour de la société Cilam ayant pour objet " TR : perte MP Mac Do si arrêt production " l'informant des pertes engendrées par l'arrêt des outres de la société Glaces de Bourbon, et précisant à la société Cilam que " cela fait au moins 2 ans que vous savez que nous ne pourrons plus travailler ensemble pour le lait (AIB, et lait frais au lieu du surgelé). Nous avons donc pris la décision de basculer avec un autre fournisseur qui répond parfaitement aux exigences McDo ", ne constitue pas un préavis écrit caractérisant la volonté non équivoque de la société Island distribution de mettre fin à la relation commerciale établie, dès lors qu'il n'émane pas de l'intimée, laquelle a continué à passer des commandes à la société Glaces de Bourbon jusqu'en octobre 2014 inclus, ainsi qu'en atteste le commissaire aux comptes de celle-ci (pièce 5 de l'appelante).

La décision de la société Island production de rompre la relation commerciale établie nouée avec la société Glaces de Bourbon n'a donc été précédée d'aucun préavis écrit.

La société Island distribution fait valoir que ce défaut de respect de l'exigence de préavis écrit était justifié par la gravité des manquements contractuels de la société Glaces de Bourbon.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, celle-ci a bien eu connaissance des exigences de qualité de l'enseigne Mac Donald's au respect desquelles elle était tenue. En effet, par courriel du 7 décembre 2012 (pièce 16 de l'intimée) ayant pour objet " AIB Glaces de Bourbon ", la directrice qualité développement de la société Cilam a reconnu que " nous sommes engagés dans la revue du système qualité Glaces de Bourbon, en vue de tendre vers les exigences Mc Donald's " et a soutenu que " L'avancement de notre démarche a été freinée par le départ de l'un de nos ressources cette année et la restructuration nécessaire de notre services qualité. Nous pensons être en mesure de partager nos avancées au cours du 2e trimestre 2013". Compte tenu de la référence explicite aux exigences de qualité de la société Mac Donald par la société Cilam, société mère de l'appelante, et de l'assurance que celle-ci se conformerait à ces exigences, la société Glaces de Bourbon invoque vainement ne pas avoir eu connaissance des dites exigences, et en particulier du document "Mc Donald's food product and supplier information file" constitué en février 2001 et modifié en février 2004 (pièce 32 de l'intimée), que la société Island distribution indique constituer les spécifications Mac Donald's, au respect desquelles était soumise la société Glaces de Bourbon.

Il ressort du courriel rédigé le 2 mars 2011 par le certificateur de l'AIB à l'issue de l'inspection de l'unité de production de glaces (pièces 15 et 33 de l'intimée), que la société Glaces de Bourbon ne s'est pas conformée au nouveau cahier des charges de la société Mac Donald's, livrant toujours le produit d'origine congelé et non pas réfrigéré, et ayant augmenté la température de pasteurisation de 80°C à 88°C.

En outre, le certificateur relève que la démarche de certification ISF (international food standards : normes internationales pour les produits alimentaires) engagée par le groupe Cilam en 2009 est en voie d'être étendue à l'appelante, que celle-ci est en train de mettre en place un HACCP (hazard analysis critical control point : analyse des risques et des points critiques, système de gestion de la sécurité sanitaire des aliments), que le site de production abrite une unité microbiologique, dont les résultats des levures et des moisissures du produits et les résultats TVC (total viable count : nombre total de cellules viables) de l'eau se sont souvent révélés au-dessus des normes sans action corrective, et que le programme IPM (integrated pest management : gestion intégrée des animaux nuisibles) dudit site ne correspond pas aux normes SQMS (safety and quality management system : système de gestion de sécurité et de qualité), compte tenu du manque de documentation et en l'absence de structure de contrôle des nuisibles pour les insectes et rongeurs dans les zones de production.

Cependant, la société Island distribution, bien que précisant qu'un de ses préposés a assisté à cette inspection de l'unité de production et reconnaissant avoir eu connaissance du courriel du 2 mars 2011 susmentionné, n'a adressé aucune lettre de mise en demeure à la société Glaces de Bourbon à propos du défaut de respect des exigences de qualité de la société Mac Donald's, ou encore de non-conformités aux normes alimentaires et sanitaires constatés par le certificateur de l'AIB.

Il importe peu que la société Glaces de Bourbon ait refusé de communiquer à la société Island distribution le rapport d'audit complet mené en 2011 par le certificateur de l'AIB, les éléments portés à la connaissance de l'intimée étant suffisants, et celle-ci n'ayant pas considéré, au vu de ces informations, les manquements de la société Glaces de Bourbon suffisamment graves pour lui adresser une lettre de mise en demeure ou même un courriel à ce titre.

S'il ressort du courriel du 7 décembre 2012 ci-avant exposé, adressé par la directrice qualité développement de la société Cilam à la société Island distribution, que l'appelante ne s'était toujours pas conformée aux exigences de qualité de la société Mac Donald's, l'intimée ne lui a pas non plus adressé de lettre de mise en demeure ou de courriel en retour.

De même, les seules attestations des responsables des restaurants Mac Donald's sur l'île de la Réunion et du chef d'équipe de la société SMTOI, ainsi que les factures de réparations des machines à glaces, ne suffisent pas à établir que la mauvaise qualité des outres de lait congelé de la société Glaces de Bourbon serait à l'origine des pannes récurrentes des machines à glaces, aucun rapport d'expertise n'ayant été réalisé. En outre, aucune mise en demeure n'a été adressée à ce titre à l'appelante, laquelle s'est toutefois engagée, s'agissant des outres de lait, à livrer des produits frais pasteurisés, sans toutefois parvenir à respecter une longue date limite de consommation ni s'aligner sur les tarifs du fournisseur de la société Mac Donald's (pièces 24 et 25 de l'intimée).

Il ne résulte pas du contenu du courriel du directeur commercial de la société Cilam en date du 19 novembre 2014 l'aveu de la gravité de manquements de la société Glaces de Bourbon tels qu'ils justifieraient la rupture des relations commerciales établies sans préavis.

Aucun manquement grave de la part de la société Glaces de Bourbon, justifiant la rupture sans préavis de la relation commerciale établie, n'est donc caractérisé.

L'intimée invoque vainement qu'à compter du rapport d'audit réalisé en 2011, la société Glaces de Bourbon savait que la relation commerciale ne pourrait être maintenue si elle ne parvenait pas à améliorer la qualité de son pré-mix, et que la rupture de la relation commerciale n'était ni imprévisible, ni soudaine, ni violente, dès lors qu'elle a engagé avec ladite société un processus durant trois ans afin de lui permettre de se mettre en conformité avec les exigences de la société Mac Donald's et qu'elle a maintenu son niveau de commandes habituel, manifestant ainsi sa volonté de poursuivre la relation commerciale. La société Glaces de Bourbon, qui s'est conformée à la nouvelle exigence de la société Mac Donald's de fournir des produits laitiers frais et avec laquelle l'intimée a engagé des négociations tarifaires en septembre 2014, pouvait ainsi légitimement espérer que ladite relation, qui s'inscrivait dans la durée, se pérenniserait encore davantage.

Il s'ensuit que la rupture brutale de la relation commerciale établie, par la société Island distribution, est caractérisée.

Sur le préjudice :

Le préjudice réparable est celui résultant non pas de la rupture de la relation commerciale établie, mais de la brutalité de la rupture.

Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales établies nouées entre les parties, de 16 ans au moment de la rupture, du chiffre d'affaires moyen de 261 333 euros réalisé par la société Glaces de Bourbon les trois dernières années de la rupture, correspondant à une marge brute annuelle moyenne de 130 302 euros ainsi qu'en atteste le commissaire aux compte de ladite société (pièce 5 de l'appelante), et de l'absence de spécificité du marché de production de glaces, offrant divers débouchés, le délai de préavis raisonnable et suffisant qui aurait dû appliqué à la société Glaces de Bourbon pour lui permettre de trouver de nouveaux clients ou de donner une nouvelle orientation à son activité, est de 8 mois.

Le préjudice causé par la rupture brutale de relations commerciales établies, qui s'entend de la perte de marge brute pendant le délai de préavis qui n'a pas été exécuté, correspond donc à la somme de 86 868 euros ((130 302 x 8) : 12).

La société Glaces de Bourbon justifie, par la production aux débats d'un procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 8 janvier 2015 (pièce 7 de l'appelante), qu'elle a jeté 403 sacs portant les mentions " Mc Donald Sundae " dont la date limite de consommation était fixée aux 5 et 12 décembre 2014. Cependant, elle ne rapporte pas la preuve de la valeur du stock de ces denrées périssables, se bornant à verser aux débats une facture de 4 267,16 euros adressée à la société Island distribution au titre de la destruction de ces outres, à l'exclusion des commandes de celles-ci et factures afférentes.

Enfin, l'appelante ne justifie pas davantage qu'elle n'a pas été en mesure d'écouler le stock de matières premières spécifiques qu'elle a dû constituer pour la réalisation des commandes de l'intimée, ne produisant aux débats ni lesdites commandes ni aucun élément comptable qui établirait la valeur de ce stock à la somme de 86 260 euros, et ne démontrant pas son impossibilité d'écouler ce stock, notamment via sa société-mère, la société Cilam, principale industrie laitière de l'île de la Réunion.

Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris dans l'ensemble de ses dispositions, de condamner la société Island distribution à payer à la société Glaces de Bourbon une somme de 86 868 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, laquelle somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision en application de l'article 1153-1 du Code civil dans sa version applicable au litige, et de débouter l'appelante du surplus de ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Glaces de Bourbon aux dépens et à payer à la société Island distribution une indemnité de procédure de 2 000 euros.

La société Island distribution sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel, et à payer à la société Island distribution une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 21 novembre 2016 dans l'intégralité de ses dispositions, Statuant de nouveau, Condamne la société Island distribution à payer à la société Glaces de Bourbon une indemnité de 86 868 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Déboute la société Glaces de Bourbon du surplus de ses demandes indemnitaires, Condamne la société Island distribution à payer à la société Glaces de Bourbon une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Island distribution aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel.