Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 mars 2019, n° 18-03480

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Savac (SA), Agrobiothers Laboratoire (SAS)

Défendeur :

Europet Bernina International (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

Avocats :

Mes Echard Jean, Andreo, Baechlin

T. com. Nancy, du 1er déc. 2017

1 décembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société Agrobiothers laboratoire vient au droit de la société G. & Cie qui vient elle-même aux droits de la société Alsacienne Vente Aquariums Cages, ci-après Savac. La Savac a pour activité la vente en gros d'articles d'aquariophilie notamment auprès des centrales d'achat Truffaut, Jardiland et Animalis.

La société Europet Banina International, ci-après la société Europet, de droit néerlandais, est spécialisée dans la fabrication de produits pour animaux de compagnie.

La société Savac et la société Europet ont entretenu des relations commerciales établies durant de nombreuses années.

La société Girard & Cie, qui a été absorbée par la société Agrobiothers, a également entretenu des relations contractuelles avec la société Europet.

Par courrier du 16 juin 2014, la société Europet a indiqué à la société Savac, par l'intermédiaire de sa filiale française, qu'elle entendait reprendre à compter du 1er septembre 2014, la distribution en direct de ses produits auprès des trois centrales d'achat Truffaut, Jardiland et Animalis.

Par acte du 4 décembre 2015, les sociétés Agrobiothers et Savac ont assigné la société Europet devant le tribunal de commerce de Nancy pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 1er décembre 2017, le tribunal de commerce de Nancy a :

- dit que la société Europet a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Savac en ne respectant pas un préavis suffisant de neuf mois,

par conséquent,

- condamné la société Europet à payer à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, une somme de 58 618 euros en réparation du préjudice subi, majorée des intérêts capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil à compter du 4 décembre 2015,

- débouté la société Agrobiothers de ses autres demandes,

- débouté la société Europet de sa demande reconventionnelle au titre de rupture brutale des relations commerciales,

- condamné la société Agrobiothers à payer à la société Europet une somme de 25 767,97 euros en principal majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014 au titre du paiement des factures impayées,

- condamné la société Europet à payer à la société Agrobiothers la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Europet aux dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Les sociétés Agrobiothers et Savac ont interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 12 février 2018.

En cours d'instance, la société Savac a fait l'objet d'une dissolution anticipée sans liquidation, entraînant le transfert universel du patrimoine en faveur de la société Agrobiothers. Cette dernière est alors intervenue dans le cadre de cette procédure aussi bien en son nom propre qu'en vertu des droits de la société Savac.

La procédure devant la cour a été clôturée le 15 janvier 2019.

Vu les conclusions du 8 novembre 2018 par lesquelles la société Agrobiothers, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce et 7-2) du Règlement (CE) du 12 décembre 2015, à :

- dire recevable et bien fondé son appel interjeté par la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Savac et de la société Girard & Cie, à l'encontre du jugement rendu le 1er décembre 2017 par le tribunal de commerce de Nancy,

sur le fond,

- constater que les sociétés Savac et Girard & Cie entretenaient une relation commerciale établie avec la société Europet depuis 10 ans,

- constater que la société Girard & Cie bénéficiait par ailleurs de la relation entretenue entre les sociétés Savac et Europet, dont elle est victime par ricochet de la rupture,

- constater que la société Europet a rompu brutalement la relation commerciale établie existant avec la société Savac, le préavis écrit donné le 16 juin 2014 pour le 1er septembre 2014 ne tenant nullement compte de l'ancienneté de cette relation,

- constater qu'elle n'a pour sa part bénéficié d'aucun préavis écrit, caractérisant d'autant plus le caractère brutal de la rupture,

en conséquence,

- confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont constaté la réalité de la rupture brutale subie par la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Savac,

- infirmer leur décision en ce qu'ils ont insuffisamment indemnisé le préjudice subi en résultant et rejeté les demandes de la société Agrobiothers Laboratoire, en ce qu'elle vient aux droits de la société Girard & Cie,

et, statuant à nouveau,

- dire que le délai de préavis dont la société Agrobiothers Laboratoire (venant aux droits des sociétés Savac et Girard & Cie) aurait dû bénéficier est de vingt-quatre mois, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales établies, de la date à laquelle la rupture est intervenue et des spécificités du secteur d'activité concerné, impliquant de trouver un nouveau fournisseur de substitution préalablement à toute discussion annuelle en vue d'un nouveau référencement,

- dire que le préjudice subi par la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Savac, s'établit à une somme globale de 161 575 euros, au titre de la perte de marge subie sur une période de 21,5 mois, tenant compte du préavis de 2,5 mois accordé,

- dire que le préjudice subi par la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Girard & Cie, s'établit à une somme globale de 44 678 euros, au titre de la perte de marge subie sur une période de 24 mois,

- dire que la société Europet doit reprendre et rembourser à la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Savac, les produits figurant dans ses stocks et qui n'ont pas été vendus au 1er septembre 2014, soit pour un montant de 148 163 euros, et que cette société a d'ores et déjà reconnus pour 90 000 euros,

en conséquence,

- condamner la société Europet à payer à la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Savac, la somme de 161 575 euros, en compensation du préjudice subi, au titre de la perte de marge brute perdue pendant le délai de préavis dont elle a été privée,

- condamner la société Europet à payer à la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Girard & Cie, la somme de 44 678 euros, en compensation du préjudice subi, au titre de la perte de marge brute perdue pendant le délai de préavis dont elle a été privée,

- condamner la société Europet à rembourser à la société Agrobiothers Laboratoire, venant aux droits de la société Savac, les produits figurant dans ses stocks et qui n'ont pas été vendus au 1er septembre 2014, soit la somme de 148 163 euros,

- ordonner à la société Europet à procéder de l'enlèvement desdits produits, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

- débouter la société Europet de l'intégralité de ses prétentions, conclusions, fins et moyens,

sur les demandes reconventionnelles de la société Europet,

- dire que la société Europet ne peut pas sérieusement demander à être indemnisée des conséquences de la rupture dont elle est à l'origine et qui lui est imputable,

- dire que les conditions générales invoquées par la société Europet sont inapplicables et inopposables à la société Agrobiothers Laboratoire,

- dire que la société Europet, qui est défaillante dans l'administration de la preuve, ne justifie pas de la réalité de la créance alléguée,

en conséquence,

- confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont débouté la société Europet de ses prétentions indemnitaires,

- infirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont fait droit aux demandes de la société Europet au titre de factures, dont la réalité n'est toutefois nullement justifiée,

y ajoutant,

- condamner la société Europet à payer à la société Agrobiothers Laboratoire la somme de 10 139 euros, au titre des factures restant impayées,

- dire que la demande de paiement formée par la société Agrobiothers Laboratoire ne constitue pas une demande nouvelle en cause d'appel, dès lors que cette demande, qui tend à solder comptablement la relation des parties, est accessoire et complémentaire à sa demande tendant à être indemnisée de la rupture brutale subie,

si par extraordinaire la cour de céans entendait confirmer en tout ou partie la décision des premiers juges, s'agissant des demandes reconventionnelles formées sans justification par la société Europet, ordonner une compensation entre les créances respectives des parties,

en toutes hypothèses,

- condamner la société Europet à payer à la société Agrobiothers Laboratoire la somme de 6 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de Me Pierre Echard Jean, avocat sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 13 septembre 2018 par lesquelles la société Europet, intimée, demande à la cour, au visa des articles 4 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, 7:26 paragraphe 1 du Code civil néerlandais et L. 442-6 du Code de commerce, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 1er décembre 2017 en ce qu'il a :

* débouté la société Agrobiothers de ses autres demandes,

* condamné la société Agrobiothers à verser à la société Europet une somme de 25 767,97 euros en principal, majorée des intérêts mais qui devront être fixés au taux contractuel,

sur le surplus,

- infirmer le jugement dont appel,

et statuant à nouveau,

- débouter la société Agrobiothers de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la Société Agrobiothers à lui verser la somme de 45 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et totale des relations commerciales établies avec la Savac,

- condamner la société Agrobiothers à lui verser la somme de 26 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et totale de leur relation commerciale établie,

- condamner la société Agrobiothers à lui verser la somme globale de 25 767,97 euros outre intérêts au taux contractuel de 2 % par mois tel que visé à l'article 2B des conditions générales, soit 24 % par an à compter de l'échéance de chaque facture,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur chaque année écoulée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,

- condamner la société Agrobiothers à lui verser la somme de 3 865,20 euros au titre de l'indemnité contractuelle de 15 % contenue dans les conditions générales de vente,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir conformément aux articles 514 et 515 du Code de procédure civile,

- condamner la société Agrobiothers à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- condamner la société Agrobiothers aux dépens, dont distraction au profit de Me Jeanne Baechlin, en vertu des articles 696 et 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur les demandes de la société Agrobiothers

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Agrobiothers affirme que la société Savac et la société Europet entretenaient des relations commerciales établies depuis plus de dix ans et que, par ailleurs, la société Girard & Cie, dont elle est venue aux droits, bénéficiait de la relation de la société Savac avec la société Europet en achetant des produits directement à cette société ou bien en profitant des achats réalisés par la société Savac.

Elle fait ensuite valoir qu'en mettant un terme à la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Savac par son courrier du 16 juin 2014 en lui laissant un préavis de un mois et demi, le mois d'août ne pouvant être pris en compte, la société Europet s'est rendue coupable d'une rupture brutale des relations commerciales établies. Elle relève qu'en reprenant en direct la distribution de ses produits auprès des trois centrales d'achat Truffaut, Jardiland et Animalis, la société Europet a privé la société Savac de 84 % de son chiffre d'affaires. Elle soutient que le motif selon lequel la société Europet a souhaité anticiper la fin des relations commerciales sur le fondement de rumeurs de cessation d'activité de la société Savac ne justifie pas les conditions de délais non conformes aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Elle conteste que la société Savac était débitrice de factures impayées à la date de la réception de notification de rupture. Enfin, elle excipe que la société Girard & Cie n'a bénéficié d'aucun préavis.

Elle indique que la notion de rupture englobe une modification substantielle des relations.

La société Europet ne conteste pas avoir entretenu une relation commerciale établie depuis de nombreuses années avec la société Savac. Elle indique, toutefois, n'avoir été en relation d'affaires avec la société Agrobiothers que dans le cadre de commandes ponctuelles. Elle indique que le courrier adressé à la société Savac le 16 juin 2014 n'annonce pas une rupture des relations commerciales avec elle mais seulement la reprise en direct des trois centrales Truffaut, Jardiland et Animalis. Elle soutient en tout état de cause, qu'aucune faute ne peut lui être reprochée en ce que la société Savac avait pour intention de cesser son activité. Elle énonce, par ailleurs, n'avoir jamais eu l'intention de cesser les relations contractuelles avec la société Agrobiothers. La cessation des relations commerciales doit en conséquence être attribuée à cette dernière en ce sens que c'est elle qui a cessé de lui passer commande sans aucun préavis et que des factures étaient impayées par la société Savac au 16 juin 2014.

Aux termes de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Sur la durée de la relation commerciale établie

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

En l'espèce, la société Europet ne conteste pas avoir entretenu une relation commerciale établie avec la société Savac. Dès lors, il y a lieu de considérer que la société Agrobiothers, en ce qu'elle vient aux droits de la société Savac, et la société Europet ont entretenu une relation commerciale établie à compter de l'année 2004.

En revanche, s'agissant d'une relation commerciale établie avec la société Agrobiothers, la société Europet explique que la première ne lui passait que ponctuellement commande et aucune preuve n'est rapportée de ce qu'une relation commerciale établie ait été entretenue entre elles, une seule facture adressée à la société Agrobiothers ne pouvant établir le caractère établi d'une relation commerciale.

Dès lors, s'agissant des relations commerciales entre la société Europet d'une part et la société Agrobiothers d'autre part, il n'est pas prouvé qu'elles sont "établies".

Sur l'auteur de la rupture de la relation entre les sociétés Savac et Europet

Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

La société Europet ne peut utilement faire état de rumeurs concernant le possible arrêt de son activité par la société Savac pour contester être l'auteur de la rupture de la relation commerciale avec celle-ci. En effet, aucun élément précis ne lui permettait de savoir à quelle date leurs relations commerciales allaient cesser. En outre, les autres éléments dont elle fait état pour justifier de la cessation de son activité par la société Savac sont très postérieurs au courrier du 16 juin 2014.

Le courrier du 16 juin 2014 adressé par la société Europet à la société Savac est rédigé comme suit :

" Actuellement, le marché est en constante évolution et les principales centrales d'achat se voient dans la nécessité de garantir la disponibilité d'une grande variété de produits aux meilleurs prix afin d'accroître leur compétitivité. Afin de répondre à la demande des 3 centrales françaises : Truffaut, Jardiland et Animalis en constante recherche d'amélioration de leur marge et de variété de leur assortiment, nous avons convenu avec celles-ci la reprise de la distribution de nos produits de manière directe.

C'est ainsi qu'à compter du 1er septembre, nous assurerons directement la livraison des enseignes susmentionnées en décors de notre marque (la gamme privée Jardiland restant votre propriété). Néanmoins notre catalogue vous demeure ouvert aux conditions qui sont établies entre nous afin de livrer d'autres clients dont vous avez le contact (...) ".

Il ressort de ce courrier que s'il n'annonce pas une rupture totale des relations commerciales entre elles, il fait état de la reprise en direct de la distribution de ses produits par la société Europet auprès des centrales d'achats Truffaut, Jardiland et Animalis.

La société Agrobiothers soutient, sans être contredite, que ces marchés qui lui sont retirés par la société Europet représentent 84 % du chiffre d'affaires réalisés entre elles.

Ainsi, la réduction de 84 % du flux d'affaires constitue une rupture de relations commerciales établies imputable à la société Europet.

La société Europet est donc l'auteur de la rupture.

Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur les fautes de la société Savac

La société Europet ne peut utilement invoquer le non-paiement de factures par la société Savac au 16 juin 2014, alors qu'elle ne rompt pas complètement les relations commerciales et qu'elle lui accorde un préavis, de sorte qu'elle ne considérait pas cet impayé comme constituant une faute suffisamment grave pour justifier une rupture sans préavis.

Sur la brutalité de la rupture

Le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture. La disposition légale vise expressément la durée de la relation commerciale et les usages commerciaux. Outre ces deux critères légaux, les paramètres suivants sont également pris en compte pour apprécier la durée du préavis à respecter : la dépendance économique (entendue non pas comme la notion de droit de la concurrence, mais comme la part de chiffre d'affaires réalisée par la victime avec l'auteur de la rupture), la difficulté à trouver un autre partenaire sur le marché, de rang équivalent, la notoriété du produit échangé, son caractère difficilement substituable, les caractéristiques du marché en cause, les obstacles à une reconversion, en terme de délais et de coûts d'entrée dans une nouvelle relation, l'importance des investissements effectués dédiés à la relation, non encore amortis et non reconvertibles.

Ces critères doivent être appréciés au moment de la rupture.

A la date de la rupture la durée des relations commerciales établies était de 10 années.

Par ailleurs, la société Agrobiothers ne justifie pas de ce que, pour être référencée auprès des centrales, elle devait d'abord leur proposer des produits de substitution à ceux de la société Europet et donc trouver un nouveau fournisseur. Aucune preuve de la difficulté à retrouver un nouveau fournisseur et de l'impossibilité à être référencée avant le 1er janvier 2016 dans ce secteur d'activité n'est rapportée par la société Agrobiothers.

Il ressort d'un tableau (pièce 8 Agrobiothers) non contesté que le chiffre d'affaires réalisé en 2013, seule année pleine avant la rupture dont les chiffres sont connus, entre la société Savac et la société Agrobiothers est de 370 349 euros, alors qu'il n'est pas non plus contesté que le chiffre d'affaires total de la société Savac pour la même année s'est élevé à la somme de 7 421 199 euros.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société Savac, aux droits de laquelle vient la société Agrobiothers, puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, le préavis aurait dû être de 6 mois.

Sur le préjudice

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

En l'espèce, la société Savac a bénéficié d'un délai de préavis de 2 mois et demi. Il ne peut être utilement soutenu par la société Agrobiothers que le mois d'août doit être déduit en ce qu'il est un mois traditionnellement sans activité en France.

La société Savac doit donc être indemnisée pour la marge perdue pendant la durée de préavis dont elle a été privée, soit trois mois et demi.

La société Agrobiothers invoque, sans être contredite, un taux de marge de 30 % (pièce 8).

Ainsi, la perte de marge de la société Savac correspondant aux trois mois et demi de préavis dont elle a été privée s'élève à la somme de 32 405 euros [(370 349/12) x 3,5 x 30 %].

Il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Europet à payer à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, un somme de 58 618 euros en réparation du préjudice subi, majorée des intérêts capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil à compter du 4 décembre 2015, et statuant à nouveau, de condamner la société Europet à payer à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, une somme de 32 405 euros en réparation du préjudice subi, majorée des intérêts capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil à compter du 4 décembre 2015, date de l'assignation.

S'agissant du préjudice subi par la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Girard & Cie, elle ne justifie d'aucun préjudice par ricochet, aucune preuve de son activité liée aux produits de la société Europet n'étant rapportée, des pièces internes dont l'origine ne peut être vérifiée ne pouvant être considérées comme probantes.

Il y a lieu de rejeter les demandes de ce chef. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur la reprise des stocks

La société Agrobiothers ne démontre pas que la société Savac n'a pas été en mesure de vendre ses stocks de produits de la société Europet pendant la durée du préavis ni que les centrales d'achats Truffaut, Jardiland et Animalis ont refusé de les lui acheter pendant la durée du préavis tout comme postérieurement.

Il y a lieu de rejeter cette demande. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur le solde de factures

La société Agrobiothers soutient que la société Europet lui est redevable de factures à son égard pour un montant de 10 139 euros, ce que celle-ci conteste, relevant que la preuve de la créance ne peut être apportée par la seule production de factures.

Si, en application des dispositions de l'article L. 110-3 du Code de commerce, la preuve est libre en matière commerciale, il n'en demeure pas moins que la seule production de factures est insuffisante pour justifier de l'obligation à paiement de la partie à laquelle on les oppose.

En l'espèce, il appartient à la société Agrobiothers de rapporter la preuve que les prestations, dont elle demande le paiement, ont été commandées par la société Savac aux droits de laquelle vient la société Europet, exécutées par elle mais non payées.

La société Agrobiothers ne produit que des factures pour établir sa créance à l'égard de la société Europet. Toutefois, cette dernière reconnaît lui être redevable de la somme de 3 859,88 euros dans un courriel du 23 octobre 2014 qu'elle communique (pièce n° 5).

Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à la demande de la société Agrobiothers à hauteur de la somme de 3 859,88 euros.

La société Europet est donc condamnée à payer à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, une somme de 3 859,88 euros.

Sur les demandes de la société Europet

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Europet reproche aux sociétés Savac et Agrobiothers d'être les auteurs de la rupture brutale de leurs relations commerciales respectives. Or, il a été jugé ci-dessus que la société Europet est l'auteur de la rupture des relations commerciales avec la société Savac et qu'aucune relation commerciale établie n'existait entre les sociétés Europet et Agrobiothers, de sorte qu'elle doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes de ce chef. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur les factures impayées par la société Savac aux droits de laquelle vient la société Agrobiothers

La société Europet sollicite le paiement de factures pour un montant de 25 767,97 euros " avec intérêts au taux contractuel de 2 % par mois tel que visé à l'article 2B des conditions générales, soit 24 % par an à compter de l'échéance de chaque facture ", outre une " indemnité de 15 % du principal soit de 3 865,20 euros ", en application de l'article 2C des mêmes conditions.

La société Agrobiothers conteste être redevable du règlement des factures que la société Europet lui réclame et avoir eu connaissance de ses conditions générales de vente invoquées. Elle relève que les seules factures produites ne justifient pas la créance alléguée.

En l'espèce, il appartient à la société Europet de rapporter la preuve que les prestations, dont elle demande le paiement, ont été commandées par la société Savac, aux droits de laquelle vient la société Agrobiothers, exécutées par elle mais non payées.

La société Europet, pour établir sa créance produit :

- la commande n° CF024255 de la société Savac du 5 mars 2014 signée par elle (pièce 30) et la facture correspondante pour un montant de 7 611,65 euros (pièce n° 1) ;

- la commande n° CF024410 de la société Savac du 24 avril 2014 signée par elle (pièce 30) et la facture correspondante pour un montant de 2 301,92 euros (pièce n° 3) ;

- la commande n° CF024513 de la société Savac du 13 juin 2014 signée par elle (pièce 30) et la facture correspondante pour un montant de 4 824,25 euros (pièce n° 4).

La société Agrobiothers ne conteste pas avoir reçu les livraisons correspondant à ces sommes, étant notamment relevé que le courriel du 23 octobre 2014 envoyé par la société Europet à la société Agrobiothers reprenant les comptes entre les parties n'est pas remis en cause, étant même invoqué par elle au titre de la somme que reconnaît lui devoir la société Europet.

Ces éléments suffisent à établir que la créance de la société Europet à l'égard de la société Agrobiothers est établie à hauteur de la somme totale de 14 737,82 euros.

En revanche, concernant le solde, la société Europet ne produit pas la commande correspondant à la facture d'un montant de 11 033 euros, celle-ci correspondant à une commande n° CF024363.

Par ailleurs, la société Europet ne démontre pas qu'elle a porté ses conditions générales de vente à la connaissance de la société Agrobiothers, étant d'ailleurs relevé que les factures produites ne les reproduisent pas, de sorte qu'elle ne peut valablement solliciter l'application de la clause 2C de ses CGV.

Il y a donc lieu de condamner la société Agrobiothers à verser à la société Europet la somme de 14 737,82 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014, date de la mise en demeure.

Sur la demande de compensation

Il y a lieu d'ordonner la compensation entre les parties, s'agissant des sommes dues au titre de leurs factures respectives, dans le cadre des comptes entre elles.

Sur la demande d'exécution provisoire

L'arrêt n'étant pas susceptible d'une voie ordinaire de recours est exécutoire de droit ; la demande tendant au prononcé ou au rappel de l'exécution provisoire est donc sans objet et doit être rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Agrobiothers doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Europet la somme supplémentaire de 7 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Agrobiothers.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a : - condamné la société Europet à payer à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, un somme de 58 618 euros en réparation du préjudice subi, majorée des intérêts capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil à compter du 4 décembre 2015, - condamné la société Agrobiothers à payer à la société Europet une somme de 25 767,97 euros en principal majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014 au titre du paiement des factures impayées ; L'Infirme sur ces points ; Statuant à nouveau ; Condamne la société Europet à payer au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, une somme de 32 405 euros en réparation du préjudice subi, majorée des intérêts capitalisés en application de l'article 1343-2 du Code civil à compter du 4 décembre 2015 ; Condamne la société Agrobiothers à verser à la société Europet la somme de 14 737,82 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014 ; Y ajoutant ; Condamne la société Europet à payer à la société Agrobiothers, venant aux droits de la société Savac, une somme de 3 859,88 euros ; Ordonne la compensation des créances entre les parties au titre de leurs factures ; Condamne la société Agrobiothers aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Europet la somme supplémentaire de 7 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.