CA Reims, ch. civ. sect. 1, 19 mars 2019, n° 18-00471
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Conseillers :
Mmes Maussire, Mathieu
Exposé du litige :
M. X était propriétaire d'un fonds de commerce de bar-restaurant à l'enseigne "Le Bon Accueil". Il s'approvisionnait en boissons auprès de la société Y suivant un marché de fourniture conclu le 20 mars 2015, pour une durée de 5 ans. En vertu de ce contrat de fourniture, la société Y a également consenti à M. X un prêt de 10 000 euros remboursable sur 5 ans à compter du 17 mars 2015 jusqu'au 17 février 2020.
Par acte authentique en date du 7 juillet 2016, M. X a cédé son fonds de commerce à la société Z, sans que le contrat de fourniture de boissons soit poursuivi par cette dernière.
Par acte d'huissier en date du 14 septembre 2017, la société Y a fait assigner M. X devant le Tribunal de commerce de Châlons en Champagne, afin de le voir condamner à lui payer la somme de 33 337,14 euros à titre d'indemnité de résiliation du contrat de fourniture de boissons du 20 mars 2015, outre la somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
M. X n'a pas comparu devant le tribunal.
Par jugement en date du 8 février 2018, le Tribunal de commerce de Troyes a condamné M. X à payer la somme de 3 000 euros à la société Y au titre de la clause d'indemnité de rupture du contrat, outre la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
Le tribunal a estimé qu'en n'imposant pas à son repreneur le contrat qui le liait à la société Y, M. X n'a pas rempli ses obligations, mais que la demande d'indemnisation formée par la société Y était manifestement excessive et en tout cas bien supérieure au préjudice invoqué.
Par déclaration enregistrée le 2 mars 2018, la SAS Y a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions déposées le 3 janvier 2019, la SAS Y demande à la cour de réformer dans la mesure utile le jugement entrepris, afin de voir condamner M. X à lui payer la somme de 33 337,14 euros à titre d'indemnité de résiliation du contrat de boissons du 20 mars 2015 et celle de 1 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
A l'appui de son appel, la société Y expose :
- qu'aucune pratique anti-concurrentielle ne peut lui être reprochée, car plusieurs grossistes sont en concurrence sur la région dans laquelle elle opère et elle réalise moins de 30 % de parts de marché sur le marché régional pertinent à prendre en compte,
- que le contrat de fourniture était parfaitement causé, l'engagement d'approvisionnement exclusif auprès d'elle-même pris par M. X ayant sa contrepartie dans la fourniture de boissons précises prévues au contrat et dans l'octroi d'un prêt de trésorerie de 10 000 euros,
- que M. X a vendu son fonds de commerce sans imposer à son acquéreur la poursuite du contrat de fourniture, contrairement à ce qui avait été stipulé entre eux, de sorte que leur convention a été unilatéralement rompue par lui et qu'il est redevable de la clause pénale prévue au contrat,
- que sur les cinq années que devait durer le contrat, seuls 15 mois ont été exécutés,
- que la somme qu'elle réclame n'est pas excessive mais correspond à la marge commerciale qu'elle aurait réalisée sur le chiffre d'affaires que M. X lui a fait perdre par la rupture de leur convention.
Par conclusions déposées le 27 décembre 2018, M. X demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de déclarer nul et de nul effet l'engagement qu'il a souscrit vis-à-vis de la société Y, et donc de débouter la société Y de ses demandes ; subsidiairement, de dire que la société Y ne justifie pas du quantum de ses demandes, et en conséquence, la débouter ; très subsidiairement, de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a réduit la clause pénale, mais l'infirmer sur le montant et ramener la clause pénale à la somme de 1 euro symbolique ; en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Y la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et condamner la société Y à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
M. X fait valoir :
- que le marché de fourniture de boissons conclu le 20 mars 2015 avec la société Y est contraire à l'article 81 du traité instituant la communauté européenne et aux règlements européens 19/65, 1215/1999 et 2790/1999,
- que l'interdiction de ce type de marché de fourniture ne fait l'objet d'une exemption que pour les fournisseurs dont la part de marché ne dépasse pas 30 % du marché pertinent, étant précisé que la société Y ne prouve pas qu'elle ne détient pas plus de 30 % du marché pertinent, puisque dans la Marne elle est seule avec la société Soredis à exercer cette activité,
- que l'octroi du prêt consenti par la société Y " semble à la limite de la licéité " (sic),
- que le contrat de fourniture stipulait que la société Y lui octroyait un prêt de 10 000 euros, mais qu'en contrepartie il s'engageait à s'approvisionner en boissons exclusivement auprès de cette société, alors que ce prêt comportait un taux d'intérêt de 5,9 %, de sorte que le prêt ayant déjà une contre-partie (le paiement des intérêts), l'approvisionnement exclusif apparaît comme une fausse cause, ou une cause illicite,
- le contrat de fourniture manque de précision sur les quantités de boissons qui devaient être écoulées, ce qui rend totalement irréaliste et indéterminable la somme demandée au titre de la clause pénale,
- que la société Y ne prouve pas le préjudice justifiant le prononcé de la clause pénale,
- que le seul cessionnaire qu'il a pu trouver ne souhaitait pas reprendre le contrat de la société Y, de sorte qu'il n'a eu absolument aucun choix quant à l'issue de ce contrat.
Motifs de la décision
Vu les dernières écritures déposées par la société Y et par M. X,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 8 janvier 2019.
Sur la validité du marché de fourniture liant les parties
Il appartient au débitant de boissons, qui se prévaut du droit de l'Union européenne pour demander la nullité du contrat d'achat exclusif de boissons, de prouver que son fournisseur échappe à l'exemption posée par le règlement n° 330/2010 du 20 avril 2010 en ce que les parts de marché de ce fournisseur dépassent 30 % du marché pertinent et en ce que ce fournisseur participe ainsi à un effet de verrouillage du marché.
En l'espèce, M. X invoque la nullité de son contrat de fourniture de boissons au motif que la société Y ne prouverait pas qu'elle ne détiendrait pas plus de 30 % du marché pertinent, " cette société étant quasiment seule, à tout le moins dans la Marne, avec la société A, à exercer une telle activité ". Toutefois, M. X, qui ne peut inverser la charge de la preuve, ne rapporte aucun élément chiffré démontrant que la société Y détiendrait plus de 30 % du marché. Il se borne à procéder par affirmation péremptoire. Au surplus, la société Y apporte aux débats des éléments qui font douter d'un quelconque verrouillage du marché : elle expose en effet être concurrencée sur son aire d'intervention par plusieurs autres entrepositaires-grossistes qui, pour certains, ont un chiffre d'affaires bien plus important que le sien. M. X n'est donc pas fondé à se prévaloir des règlements européens relatif à la concurrence pour obtenir la nullité de son contrat de fourniture.
M. X invoque ensuite le défaut de cause du contrat d'approvisionnement exclusif, au motif que la contrepartie de cette exclusivité serait seulement constituée d'un prêt dont le remboursement serait assorti d'intérêts au taux de 5,9 % l'an.
Toutefois, l'octroi de ce prêt de 10 000 euros constitue un avantage qui ne peut être considéré comme négligeable, car c'est la société Y qui, en l'octroyant elle-même, a pris le risque du non-remboursement (nonobstant le nantissement du fonds de commerce consenti par l'emprunteur à titre de garantie). L'avantage que constituait ce prêt était d'autant moins insignifiant que la société Y précise qu'il était destiné à " permettre à M. X de faire face à des échéances auprès de ses créanciers que son activité de débit de boissons ne lui permettait pas d'honorer " (affirmation que M. X ne conteste pas, reprochant même à la société Y d'avoir profité de son "état de faiblesse financière") ; il n'est donc pas évident que M. X aurait trouvé aussi facilement, sans même avoir à se constituer caution personnelle, un prêt de trésorerie du même montant auprès des banques.
Ensuite, M. X met en doute la licéité d'un prêt accordé par une entreprise à une autre. Or, l'article L. 511-7, 5, du Code monétaire et financier dispose qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, peut émettre des instruments de paiement délivrés pour l'achat auprès d'elle d'un bien ou d'un service déterminé. Le prêt consenti par la société Y à M. X n'est donc pas illicite.
Enfin, M. X souligne que les objectifs de chiffre d'affaires que lui assignait le contrat de fourniture était excessifs. Mais, comme le souligne la société Y, le contrat prévoyait que si les objectifs assignés n'étaient pas atteints sur la période de cinq ans, le contrat pouvait être poursuivi pour permettre de remplir les objectifs fixés. La souplesse ainsi introduite excluait donc tout excès dans les objectifs commerciaux fixés.
Au total, aucune des circonstances alléguées par M. X qualifiées par lui de fausse cause ou de cause illicite n'est avérée.
Par conséquent, il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du contrat de fourniture de boissons ayant lié les parties.
Sur la clause pénale
Le contrat de fourniture de boissons conclu le 20 mars 2015 entre les parties stipulait, en son article 8, que "en cas de vente volontaire ou forcée, le revendeur avisera le fournisseur de la cession 15 jours avant la mutation par lettre recommandée avec AR et, sauf dispense expresse du fournisseur, le revendeur, se portant fort de son successeur, s'engage à la reprise par son successeur de l'exécution du présent marché. En cas d'inobservation de ces dispositions, il est fait application de la clause pénale figurant à l'article 7".
Ledit article 7 stipule notamment que " si le revendeur devait ne pas remplir intégralement l'une quelconque des obligations découlant de ce contrat, et si le fournisseur ne décide pas expressément d'en poursuivre l'exécution, le marché sera résilié de plein droit. La résolution est acquise sans mise en demeure préalable et la clause pénale est exigible dès que la résolution est acquise. Dans ce dernier cas, le revendeur s'engage à restituer les avantages mentionnés à l'article 1 (le prêt)... Le revendeur aura en outre à payer au fournisseur des dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à un montant fixé forfaitairement, à titre de clause pénale, à 30 % du prix des quantités ou valeurs manquantes, jusqu'à l'atteinte des objectifs prévus à l'article 5 valorisés sur la base de la dernière facturation. Cette pénalité ne pourra être inférieure à 50 % de la contrepartie prévue sous l'article 1 ".
Il n'est pas contesté que l'acquéreur du fonds de commerce de M. X n'a pas poursuivi le contrat de fourniture de boissons conclu avec la société Y. Ce contrat a donc été interrompu au jour de la cession, soit le 7 juillet 2016, quinze mois et demi après la conclusion dudit contrat de fourniture.
La société Y est donc recevable et bien fondée à se prévaloir des stipulations précitées pour réclamer à M. X le paiement d'une clause pénale (étant précisé que le solde restant dû en capital au titre du prêt a d'ores et déjà été remboursé par M. X). La société Y réclame au titre de la clause pénale la somme de 33 337,14 euros. Le mode de calcul de cette somme n'est pas sérieusement contestable : les précisions données à l'article 7 précitées sont suffisamment précises et les objectifs de ventes annuelles, tels que précisés à l'article 3 du contrat, sont suffisamment clairs pour être parfaitement compris par un professionnel tel que M. X.
En revanche, le montant de la somme réclamée apparaît manifestement excessif. En effet, M. X explique, sans être contredit sur ce point, que son chiffre d'affaires n'avait été sur ses deux dernières années d'activité que d'environ 18 000 euros TTC par an. La marge commerciale réalisée par la société Y sur les ventes de M. X n'aurait donc été que faible : de l'ordre de 4 500 euros par an si l'on retient un taux de marge de 30 % (15 000 euros HT x 0,3) ; ce qui revient à réclamer la marge attendue sur 7,4 ans au titre de la clause pénale, alors que le contrat avait été conclu pour une durée de 5 ans et que 15 mois s'étaient déjà écoulés. Il convient donc, pour réduire cet excès, de réduire le montant de la clause pénale à un montant plus proche du montant de la perte réelle, et donc du préjudice réellement subi par la société Y, soit 4 500 euros par an sur trois années :
4 500 euros x 3 années = 13 500 euros.
Par conséquent, M. X sera condamné à payer à la société Y la somme de 13 500 euros à titre de clause pénale. Le jugement déféré sera réformé sur ce point.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
M. X, qui est la partie perdante, supportera les dépens et sera débouté de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu'il soit condamné à payer à la société Y la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile (en sus de celle de 1 000 euros déjà allouée à ce titre par le tribunal).
Par ces motifs : La COUR, Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Déclare l'appel recevable, Infirme le jugement déféré sur le montant de la clause pénale et, statuant à nouveau sur ce point, Condamne M. X à payer à la société Y la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale, Confirme le jugement déféré pour le surplus, Y ajoutant, Déboute M. X de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. X à payer à la société Y la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. X aux dépens et autorise la Selarl YM.R., avocats, à faire application de l'article 699 du Code de procédure civile.