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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 21 mars 2019, n° 16-23583

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dartess (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

T. com. Bordeaux, du 21 oct. 2016

21 octobre 2016

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Dartess, filiale de la société Groupe Dartess anciennement dénommée Naos Investissement, exerçant dans la région bordelaise une activité de stockage et logistique, a repris, en date du 22 octobre 2010, les actifs de la société Groupe Mitsui, dans le cadre d'un plan par cession du fonds de commerce du 13 octobre 2010 et faisant suite à une procédure de redressement judiciaire dont a fait l'objet ladite société, en mai 2007, convertie en liquidation judiciaire par jugement en date du 11 janvier 2012.

À cette occasion, la société Dartess a repris un contrat conclu à effet du 1er avril 2005 entre la société Mitsiu Logistique et la société Z Crus d'Exception, aux droits de laquelle vient la société Z Ses Vignobles du Sud (ci-après, la société Z), ayant pour activité principale l'achat et la distribution de vins. Cette convention, portant sur des prestations de stockage et de logistique, a été conclue pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction par périodes de trois ans sauf dénonciation par l'une des parties six mois avant l'arrivée du terme, par lettre recommandée avec accusé de réception.

La société Z Crus d'Exception a signé deux protocoles d'accord avec la société Dartess afin de régler les litiges les opposant, le premier, du 31 décembre 2012, relatif à des différends portant sur des écarts d'inventaires et les délais de règlement et prévoyant la prise en charge, par la société Dartess, du solde négatif de la société Z de 38 634,84 euros à hauteur de 25 500 euros, le second, du 17 juin 2013 et afférent à des erreurs de facturation, prévoyant une remise commerciale de 75 000 euros payable en quatre versements annuels.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 octobre 2013, la société Z a informé la société Dartess que compte tenu de ses difficultés financières, et notamment de la tarification de la société Dartess du mois de juin 2013, elle allait se doter d'un outil de stockage propre dans lequel elle souhaitait intégrer un prestataire logistique, qu'elle restait en attente des propositions tarifaires de la société Dartess à ce titre, et qu'elle n'était pas en mesure de participer à son projet de rachat de l'entrepôt <...>. Elle lui a notifié qu'elle déménagerait le stock des produits finis d'ici la fin du mois de janvier 2014 et que l'activité logistique, via les commandes de la société Z transmises à la société Dartess, irait en décroissant durant toute cette période. Elle lui a précisé que ce projet de déménagement ne concernait pas l'activité de mise en bouteilles stockées en vrac, mais uniquement les produits en bouteille et les matières sèches qui ne sont pas liées aux activités de production.

Le 4 novembre 2013, la société Dartess a informé la société Z de son incapacité de pouvoir s'aligner sur les tarifs retenus par cette dernière au titre de la logistique de l'entrepôt dédié de la société Z et a invoqué sa situation de dépendance économique ne lui permettant pas de faire face à un changement de prestataire précipité.

Par courriers des 7 et 12 novembre suivant, la société Z a pris la décision de repousser la date d'effet de la résiliation au 21 avril 2014.

Par jugement du 5 mars 2014, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société Dartess.

Après l'échec d'une tentative de conciliation, la société Dartess a, par acte en date du 14 mars 2015, assigné la société Z aux fins d'obtenir la réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Par jugement rendu le 21 octobre 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- jugé que le contrat a été résilié hors délai par la société Z,

- jugé que la rupture du contrat par la société Z est brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- débouté la société Dartess de sa demande de dommages et intérêts faute de pouvoir en définir le quantum,

- jugé que les protocoles d'accord signés par les parties en décembre 2012 et juin 2013 sont caducs,

- jugé par conséquent que la créance déclarée par la société Z au passif de la société Dartess n'est pas recevable,

- condamné la société Z à payer à la société société Dartess la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Z aux dépens de l'instance.

La société Dartess a interjeté appel de cette décision le 25 novembre 2016.

La société Z a formalisé appel incident dans ses conclusions d'intimée notifiées le 20 avril 2017.

Prétentions et moyens des parties :

Par dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2019, la société Dartess, appelante, demande à la cour, au visa des anciens articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil et de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé que le contrat entre la société Dartess et la société Z a été résilié hors délai par la société Z,

- jugé que la rupture du contrat par la société Z est brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- jugé que les protocoles d'accord signés par les parties en décembre 2012 et juin 2013 sont caducs,

- jugé par conséquence que la créance déclarée par la société Z au passif de la société Dartess n'est pas recevable,

- condamné la société Z à la société Dartess la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Z aux dépens d'instance,

- réformer en revanche le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts faute de pourvoir en définir le quantum,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la société Z s'est rendue coupable d'un acte de complicité de concurrence déloyale en faisant assurer le stockage et la logistique de ses produits dans l'entrepôt de Cestas et par la société Bordeaux Wine Logistic - BWL

- condamner la société Z à lui payer à titre de dommages et intérêts une somme de 1 500 000 euros, se décomposant comme suit :

- 10 000 euros au titre des conséquences de la caducité du protocole d'accord du 31 décembre 2012 (article 1 du protocole),

- 53 820 euros au titre des conséquences de la caducité du protocole d'accord du 31 décembre 2012, pour les sommes versées en 2012,

- 1 335 000 euros au titre des pertes d'exploitations,

- 101 180 euros complémentaires, au titre du retard de développement consécutif ;

Vu l'appel incident de la société Z, formalisé dans ses conclusions d'intimé notifiées le 20 avril 2017,

- débouter la société Z de sa demande d'infirmation du jugement rendu en toutes ses dispositions,

- débouter la société Z de la totalité de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

- condamner la société Z à lui payer une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Z aux entiers dépens.

La société Dartess fait tout d'abord valoir que le contrat litigieux a été résilié de manière fautive par la société Z, au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Elle soutient à ce titre que le courrier de la société Z en date du 21 octobre 2013 constitue une lettre de résiliation de l'ensemble du contrat de prestation logistique, dont les prestations d'embouteillage ne constituaient qu'un complément très annexe qui n'a jamais été contractualisé. Elle précise à cet égard que la société Z a pris la décision, sans retour, de délocaliser son stock dès le 21 octobre 2013 et confirmé sa position dans ses courriels ultérieurs, et qu'une telle remise en cause radicale de la structure tarifaire du contrat, qui incluait la couverture des charges de location de l'entrepôt de Dehez, correspond à une rupture pure et simple du contrat de prestation logistique existant.

Elle fait valoir que la résiliation de ce contrat par lettre du 21 octobre 2013, suivie du retrait des stocks par la société Z et de la cessation de toute relation commerciale à compter du mois d'avril 2014 est fautive, dès lors que le préavis contractuel de 6 mois devant intervenir avant la date d'arrivée du terme au 30 septembre 2013, n'a pas été respecté. Elle ajoute que cette décision s'inscrit à contre-courant des engagements que la société Dartess venait de contracter les 31 décembre 2012 et 17 juin 2013 en acceptant de revoir sa tarification puis en concédant une remise commerciale à la société Z, lesquels efforts étaient destinés à pérenniser les relations entre les parties au-delà même du terme du contrat en avril 2014, certaines dispositions des accords conclus s'échelonnant au-delà de cette date.

Elle indique que le contrat, issu de plus de 8 années de relations commerciales, n'ayant pas été régulièrement dénoncé par la société Z, a été renouvelé pour une période de 3 ans à compter du 1er avril 2014, et aurait donc dû se poursuivre jusqu'au 1er avril 2017. Elle fait valoir que la résiliation de celui-ci par lettre du 21 octobre 2013 à effet en janvier 2014 constitue une rupture brutale des relations commerciales établies compte tenu des circonstances dans lesquelles est intervenue cette décision, de l'importance du chiffre d'affaires que représentaient pour elle les volumes traités pour le compte de la société Z, de 822 000 euros sur l'exercice 2013, représentant 10 % de son chiffre d'affaires, et des 5 000 à 5 500 m2 de surfaces de stockage mobilisées en exécution de ce contrat, représentant 25 % de la superficie consacrée à son activité de stockage et de logistique sur l'entrepôt Dehez pour lequel elle a souscrit un bail de longue durée, non résiliable avant six ans. Elle fait observer qu'en repoussant au 21 avril 2014 la date de prise d'effet de la résiliation du contrat, la société Z a implicitement admis la précipitation avec laquelle elle avait agi, et que les 6 mois de délai de préavis dont elle a bénéficié sont sans incidence sur la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie, dès lors que la société Z lui a fait croire en décembre 2012 et juin 2013 que leur relation s'inscrirait dans la durée.

Elle précise qu'aucune négociation entre les parties n'est intervenue entre l'accord du 17 juin 2013 et la lettre de résiliation du 21 octobre 2013, et que la société Z n'était pas animée d'une telle intention, étant déjà engagée sur la souscription d'un nouveau bail à Cestas lors de l'envoi de ce courrier.

Elle ajoute que la rupture de la relation commerciale n'est pas justifiée au plan économique, dès lors qu'elle facturait ses prestations à un coût moindre que celui pratiqué par l'entrepôt de Cestas, nouveau prestataire choisi par la société Z

Elle prétend, en outre, qu'une telle résiliation est également fautive au regard des règles de la concurrence. Elle rappelle à ce titre que selon l'article 4 du contrat du 30 novembre 2010, la société Subway s'est interdit pour elle-même et s'est portée fort que son intervenant, X, s'appliquerait à titre personnel la même interdiction d'exercer directement ou indirectement pendant la durée du contrat toute activité de logistique dans le domaine du vin dans un rayon de 300 kilomètres. Elle fait valoir que les premiers déménagements de stocks sont intervenus au mois de février 2014, soit concomitamment avec l'immatriculation, le 19 février 2014, au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux, de la société Bordeaux Wine Logistic. Elle prétend que ladite société est directement ou indirectement contrôlée par X, M. Y ayant été un des proches collaborateurs de ce dernier et de son associé dans le groupe Mitsiu, et MM. A et B, dirigeants de la société Bordeaux Wine Logistic, ayant pris une participation minoritaire dans la société Grand Cru Storage à l'époque dirigée par X, laquelle société est devenue, à cette occasion, la maison-mère de la société Mitsiu. Elle ajoute que la dénomination de la société Bordeaux Wine Logistic est identique à la marque déposée par M. X à l'INPI le 12 octobre 2009 et au nom de domaine déposé par ses soins le 9 octobre 2013. Elle fait également observer que société Bordeaux Wine Logistic s'est substituée à la société Bordelaise d'embouteillage, représentée par M. X, qui s'était portée preneur d'un bail commercial consenti par la société Medoc Wine Logistic.

Elle en déduit que M. X avait un intérêt manifeste au développement de l'activité de société Bordeaux Wine Logistic et que la société Z a décidé de faire traiter le stockage et la logistique de ses vins par M. X au travers de la société Bordeaux Wine Logistic.

Au titre de son préjudice, elle fait valoir, en premier lieu, que la rupture brutale de la relation commerciale par la société Z a rendu caducs les protocoles d'accord signés entre les parties les 31 décembre 2012 et 17 juin 2013, de sorte qu'elle est fondée à solliciter le remboursement des sommes de 10 000 euros et 53 820 euros faisant l'objet du premier protocole et que la créance de la société Z, déclarée à son passif, n'est pas recevable.

Elle argue, en second lieu, d'un préjudice lié à la perte de couverture de charges fixes, le contrat conclu avec la société Z lui permettant d'assurer la couverture d'environ 25 % de ses coûts immobiliers, correspondant à des charges fixes incompressibles, et la rupture brutale de ce contrat l'ayant privée d'une marge sur coûts variables portant sur la totalité des 36 mois du contrat reconduit, mais non respecté, soit un manque à gagner de 1 430 000 euros, et l'ayant privée de pouvoir réaliser un complément de résultat pouvant être estimé à la somme de 1 355 000 euros le 30 avril 2017.

Enfin, elle fait valoir un préjudice inhérent au retard de développement, qu'elle évalue à la somme de 101 180 euros.

Par dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2019, la société Z, intimée, demande à la cour, déclarant l'appel de la société Dartess recevable mais mal fondé, faisant droit à son appel incident, et réformant en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de :

Vu les articles L. 442-6 et L. 624-2 du Code de commerce,

Vu les articles 1315, 1165 et 2274 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause,

Vu les articles 9, 15, 16, 31, 32 et 122 du Code de procédure civile,

Constatant que les arguments nouveaux contenus dans les treize pages supplémentaires des conclusions tardives de l'appelante en date du 27 novembre 2018, ainsi que ses neufs pièces supplémentaires communiquées le même jour, nécessitaient une réponse qui a été donnée avec diligence aussi rapidement que possible,

- dire et juger recevables les présentes écritures, en ordonnant au besoin le report de la clôture au jour de l'audience de plaidoiries si la société Dartess le souhaite,

Sur la prétendue rupture,

- constatant d'une part que la relation commerciale établie entre les parties a fait l'objet d'un ré-aménagement rendu nécessaire par le contexte économique, situation expressément prévue à l'article 10.3 du contrat, constatant d'autre part que la société Z a tenté d'y associer la société Dartess au cours des mois précédant sa mise en œuvre, constatant encore que cette dernière n'a pas été en mesure de proposer une offre correspondant aux besoins de son cocontractant, dire et juger que la société Z n'a jamais brutalement mis fin à la relation commerciale établie qui la liait à la société Dartess,

- la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions présentées à ce titre, en ce compris celles, accessoires, relatives aux accords conclus les 31 décembre 2012 et 17 juin 2013, qu'aucune caducité ne saurait affecter, et donc à la créance de 75 000 € déclarée au passif, qui ne saurait être réduite,

Constatant subsidiairement que la société Dartess échoue à rapporter la preuve de la réalité comme du quantum d'un préjudice direct lié à la brutalité de la rupture alléguée, compte tenu du délai contractuel de six mois qui lui a été de fait accordé avant que cette prétendue rupture ne soit effective,

- la débouter encore de sa demande indemnitaire et dire et juger en toute hypothèse que la prétendue caducité de ces protocoles n'emporterait nullement extinction de la dette mais bien l'exigibilité des créances initiales de la société Z,

Constatant encore plus subsidiairement que l'article 11 de la convention litigieuse, dont la société Dartess prétend demander une stricte application, prévoit de mettre à la charge de la partie à l'origine de la rupture avant le terme prévu une indemnité de 5 000 euros par année de contrat non honorée,

- dire et juger que l'éventuelle condamnation de la société Bernard ne saurait excéder la somme de 12 500 euros, correspondant à l'indemnisation des deux ans et six mois qui restaient à courir,

Constatant à titre infiniment subsidiaire qu'en toute hypothèse la prétendue violation du délai de préavis contractuel n'impliquerait évidemment par la condamnation de la société Z au paiement de la rémunération de la société Dartess jusqu'à l'issue de la période triennale suivante, mais conduirait seulement à une évaluation des dommages et intérêts susceptibles de lui être versés sur le seul fondement de la perte de chance de remplacer la concluante par d'autres clients, calculés exclusivement en terme de perte de marge brute,

- débouter encore la société Dartess, qui ne justifie de rien à ce titre, de sa demande indemnitaire,

Sur la prétendue concurrence déloyale,

Constatant que la clause de non-concurrence dont se prévaut la société Dartess ne lie la société Subway et M. X qu'à la société Naos Investissement, aux droits de laquelle vient la société Groupe Dartess,

- déclarer irrecevable la société Dartess à agir sur son fondement,

Subsidiairement, constatant d'une part que la société Dartess ne rapport pas la preuve de la participation de M. X à la société Bordeaux Wine Logistic " par le biais d'associés, de salariés ou de sociétés interposées ", et constatant d'autre part que quand bien même cette participation serait avérée, la société Dartess échoue à établir que la société Z en aurait eu connaissance, d'autant qu'elle n'est entrée en relations avec cette société que par l'intermédiaire de Monsieur Bruno de N.,

- débouter la société Dartess de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions présentées à ce titre,

Très subsidiairement, constatant que la société Dartess échoue à rapporter la preuve d'un préjudice réparable en lien direct avec le manquement allégué,

- débouter encore la société Dartess de sa demande indemnitaire,

Constatant enfin qu'il serait particulièrement inéquitable de laisser à la charge de la concluant les frais qu'elle a dû engager pour assurer sa défense,

- condamner la société Dartess à lui payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

En premier lieu, la société Z conteste la rupture brutale de la relation commerciale établie. Elle fait valoir que son courrier du 21 octobre 2013 ne constitue que l'évolution de l'exécution du contrat, compte tenu du contexte économique exigeant qu'elle rationalise la répartition et le poids de ses charges, et de ce qu'elle a avisé la société Dartess de son projet alors qu'il était encore à l'étude et l'a vainement sollicitée pour qu'elle l'accompagne dans cette mutation, ce que cette dernière a refusé.

Elle ajoute que le contrat n'a pas été résilié, dès lors qu'il porte sur l'exécution d'une multitude de prestations, et non pas exclusivement une prestation de logistique, et que celles liées au stockage des produits en cuve et en vrac, à l'activité de conditionnement, à la réception des produits à la préparation des commandes, à l'expédition des colis ne sont pas impactées par le déménagement d'une partie des stocks.

Elle soutient qu'à considérer caractérisée la rupture des relations commerciales établies, celle-ci ne peut qu'être imputable à la société Dartess qui lui a longtemps surfacturé ses prestations en dépit des efforts qu'elle lui a consentis depuis la régularisation des protocoles d'accord destinés à mettre un terme aux différents litiges les opposant. Elle ajoute que la société Dartess a abusé de sa position dominante envers elle-même, en sa qualité de partenaire privilégié et quasiment exclusif de ladite société, en lui imposant tardivement, à un tarif moins attractif, la location de son propre entrepôt, empêchant ainsi toute mise en concurrence de la prestation logistique. Elle prétend encore que la société Dartess a refusé de s'adapter et de l'accompagner dans son nouveau projet, ne lui ayant soumis aucune proposition tarifaire pour l'exécution des prestations au sein de l'entrepôt dédié qu'elle envisageait d'occuper, et n'acceptant pas d'autre solution que le maintien de son partenaire commercial sur son site d'exploitation.

Elle soutient que l'adaptation de la société Dartess était nécessaire au maintien de la relation commerciale, compte tenu de la perte d'exploitation qu'elle a subie en 2012 et 2013, directement liée aux coûts logistiques trop élevés qu'elle devait assumer, ainsi qu'au défaut de remboursement de ses créances par la société Dartess, et de la nécessité pour elle d'adopter un fonctionnement logistique sur le modèle de l'entrepôt intégré, d'ailleurs en vigueur jusqu'en 2005. Elle fait valoir qu'en refusant de consentir à la révision exceptionnelle du contrat qui s'imposait au regard du contexte économique de déficit de ses comptes et d'impératif de rationalisation des charges, en application des dispositions de l'article 10.3 du contrat, la société Dartess a résilié de fait ledit contrat.

Elle en déduit que l'évolution de la relation contractuelle entre les parties, dont la société Dartess s'est exclue toute seule, n'était pas imprévisible et n'a été ni soudaine, ni violente.

Elle précise que la régularisation des protocoles des 31 décembre 2012 et 17 juin 2013 ne saurait constituer la preuve d'un engagement ferme et perpétuel sur l'avenir, mais illustre l'insuffisance de la prestation de la société Dartess dans la gestion des stocks et dans sa facturation ainsi que le désaccord entre les parties depuis le changement de gouvernance de l'appelante en 2010.

Elle relève que la société Dartess a bénéficié d'un préavis de 6 mois, dès lors qu'elle a retardé son déménagement du site de la société Dartess au mois d'avril 2014, lequel délai, identique au préavis contractuel, a permis à l'appelante de se réorganiser.

Enfin, elle conteste les préjudices allégués par l'appelante, en lien causal avec sa prétendue faute engageant sa responsabilité en application des dispositions de l'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce. Elle souligne, outre la bonne santé économique de la société Dartess, que le manque à gagner de celle-ci lié à l'absence supposée de préavis n'est pas démontré, que les bases de calcul de ce préjudice prétendu de l'appelante sont erronées ou indifférentes à la caractérisation de celui-ci, et que la société Dartess aurait, en tout état de cause, subi une baisse significative du chiffre d'affaires réalisé avec elle compte tenu de l'évolution de l'activité de la société Z qui a revu son offre de vins à compter de 2014 pour se concentrer sur une gamme restreinte, issue du sud de la France.

Elle fait valoir l'absence de préjudice lié à la supposée brutalité de la rupture de la relation commerciale, dès lors que l'appelante ne justifie pas du quantum de sa perte de marge brute sur la durée de préavis de six mois prétendument nécessaire à sa réorganisation, lequel délai est habituellement retenu par la jurisprudence s'agissant d'une relation commerciale de 8 années.

Elle ajoute que les protocoles de 2012 et 2013 n'ayant pas été conclus sous la condition résolutoire du maintien de la relation contractuelle et constituant l'indemnisation de préjudices antérieurs, n'ont pas été résiliés du fait de la rupture de ladite relation et qu'aucune restitution ne saurait être ordonnée à ce titre.

Subsidiairement, elle soutient qu'elle ne saurait être condamnée à une somme excédant 12 500 euros en application des dispositions de l'article 11 du contrat.

Plus subsidiairement,

- à supposer ces dispositions contractuelles inapplicables, elle indique que la société Dartess ne justifie pas du préjudice allégé sur le fondement de la perte, non pas du chiffre d'affaires, mais de la marge brute escomptée sur le contrat durant la période de préavis qui n'aurait pas été exécutée, étant relevé qu'un préavis de six mois a couru, que la société Dartess a pu immédiatement se constituer une autre clientèle, et que leur relation commerciale a débuté le 22 octobre 2010, date de l'acte de cession du fonds, et non pas le 1er avril 2005, le cessionnaire ne pouvant revendiquer l'antériorité acquise par son prédécesseur.

Elle fait valoir l'irrecevabilité de la société Dartess à agir au titre de la violation de la clause de non-concurrence insérée dans un contrat conclu par le groupe Dartess, et conteste s'être rendue complice de concurrence déloyale en choisissant la société Bordeaux Wine Logistic comme nouveau prestataire, dès lors que les allégations de la société Dartess sont infondées et que celle-ci ne justifie aucunement qu'elle aurait eu connaissance du rôle imputé à M. Xau moment où elle a contracté avec la société Bordeaux Wine Logistic.

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :

Selon l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5°De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas".

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels.

Sur l'ancienneté de la relation commerciale établie :

Les parties ne discutent pas de l'existence d'une relation commerciale établie, mais de la durée de celle-ci, l'intimée soutenant que la relation commerciale a débuté le 22 octobre 2010, date de l'acte de cession du fonds, et non pas le 1er avril 2005, le cessionnaire ne pouvant revendiquer l'antériorité acquise par son prédécesseur.

Selon cession d'éléments d'actifs en date du 22 octobre 2010, autorisée par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 13 octobre 2013, la société TGR Logistic, devenue Dartess, a repris les actifs de la société Groupe Mitsiu, placée en redressement judiciaire le 23 mai 2007 puis en liquidation judiciaire le 11 janvier 2012. Parmi ces actifs, figurait le contrat de prestation de services à effet au 1er avril 2005 conclu entre la société Mitsiu Logistique et la société Z Crus d'Exception, pour une durée de trois ans et renouvelable par tacite reconduction. En reprenant ce contrat et en l'exécutant, la société Dartess a poursuivi sans discontinuer la relation commerciale initialement nouée avec la société Mitsiu Logistique, laquelle relation a perduré, le contrat ayant été de nouveau renouvelé par tacite reconduction à deux reprises au moment de l'envoi, par la société Z, de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 octobre 2013.

Les premiers juges ont donc retenu avec pertinence que la relation commerciale nouée entre les parties, qui présentait un caractère stable et durable, était établie et ancienne de près de 9 ans au moment de l'envoi, par la société Z, de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 octobre 2013.

Sur la rupture de la relation commerciale établie :

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 octobre 2013, la société Z a informé la société Dartess que compte tenu de ses difficultés financières, et notamment de la tarification de la société Dartess du mois de juin 2013, elle allait se doter d'un outil de stockage propre dans lequel elle souhaitait intégrer un prestataire logistique, qu'elle restait en attente des propositions tarifaires de la société Dartess à ce titre, et qu'elle n'était pas en mesure de participer à son projet de rachat de l'entrepôt <...>. Elle lui a notifié qu'elle déménagerait le stock des produits finis d'ici la fin du mois de janvier 2014 et que l'activité logistique, via les commandes BMGVP transmises à la société Dartess, irait en décroissant durant toute cette période. Elle lui a précisé que ce projet de déménagement ne concernait pas l'activité de mise en bouteilles stockées en vrac, mais uniquement les produits en bouteille et les matières sèches qui ne sont pas liées aux activités de production.

La société Z a ainsi notifié, le 21 octobre 2013, à la société Dartess qu'elle délocalisait son stock et mettait fin à l'activité de stockage des produits finis et à l'activité de logistique afférente confiées à l'appelante au mois de janvier 2014, terme que l'intimée a prorogé au 21 avril 2014 par courriers des 12 et 17 novembre 2013, faisant ainsi bénéficier à la société Dartess un délai de préavis de 6 mois.

Le contrat de prestation de services repris par la société Dartess précise que la société Z Crus d'Exception décide de confier gestion de la distribution de ses produits finis à la société Mitsiu, qui a pour activité l'entreposage et la gestion de flux.

Les prestations, objets du contrat et définies à l'article 1 de celui-ci, portent sur la réception des produits, le contrôle quantitatif et qualitatif, le stockage/entreposage des produits, la préparation des commandes de produits, la palettisation, le filmage si nécessaire, les expéditions des produits, l'information sur l'état et les mouvements de stock, l'établissement des bons de livraison et de transport, la gestion du parc palettes, l'établissement des inventaires, la tenue et la gestion de la régie, les rendez-vous transporteurs, le traitements des non conformités, l'activité conditionnement et copacking, et la fabrication de Gencod.

Ni les dispositions de ce contrat, ni l'annexe 1 relative à la tarification ne font référence à une activité de mise en bouteilles stockées en vrac, laquelle tarification consacre au contraire une importante rubrique au stockage, notamment de "produits finis" conditionnés sur palettes de 600 bouteilles.

La société Z prétend vainement que le contrat de prestation de services n'a été résilié que pour la prestation de stockage et qu'en conséquence la rupture de la relation commerciale n'est pas caractérisée. En effet, l'activité de mise en bouteilles stockées en vrac, qu'elle a précisé maintenir, n'est pas prévue au contrat et ne présente donc qu'un caractère résiduel, au contraire de l'activité de stockage. En mettant fin aux prestations essentielles de stockage confiées à la société Dartess, après lui avoir vainement proposé, le 9 août 2013, la transformation radicale du contrat en lui confiant la logistique de son entrepôt dédié à l'exclusion de l'activité de stockage, ce qui remettait en cause de manière conséquente les conditions tarifaires du contrat incluant la prise en compte des charges de location de l'entrepôt de stockage par la société Dartess, la société Z a manifesté sa volonté de rompre leur relation commerciale établie.

Si la société Z a subi une perte d'exploitation en 2012 et 2013 et a estimé nécessaire d'adopter un fonctionnement logistique sur le modèle de l'entrepôt intégré, il n'est pas établi par les éléments produits aux débats que la facturation de la société Dartess, en particulier celle appliquée en juin 2013, aurait rendu impossible le maintien de la relation commerciale sans menacer le développement de la société Z, alors que le protocole d'accord du 17 juin 2013 prévoit, outre une remise à titre commercial d'une somme de 75 000 euros à la société Z au titre d'erreurs de facturation, de nature à solder les différends des parties au titre des modalités de facturation de la société Dartess, la mise en place de nouvelles conditions tarifaires prenant en compte l'équilibre économique et financier des prestations assurées par la société Dartess ainsi que les spécificités et l'évolution des activités de la société Z

La circonstance que la société Z ait estimé insatisfaisante et tardive l'offre tarifaire de la société Dartess pour assurer les prestations dans l'entrepôt qu'elle souhaitait louer en propre et qu'elle aurait trouvé de meilleures conditions tarifaires auprès de la société Bordeaux Wine Logistic n'est pas davantage de nature à imputer la responsabilité de la rupture à la société Dartess qui a pris acte de cette situation par courrier du 4 novembre 2013.

Il importe peu, à ce titre, que le contrat ait prévu en son article 10.3 la possibilité de révisions exceptionnelles des conditions financières du contrat au bénéfice du prestataire, soit de la société Dartess, sous peine de résiliation de plein droit, aucune obligation à la société Dartess de revoir ses tarifs à la baisse ne pouvant être tirée de ces dispositions, quand bien même le contrat est synallagmatique, faute d'établir que les conditions imposées par la société Dartess étaient de nature à affecter l'équilibre économique de la société Z

La rupture est donc imputable à la seule société Z, et non pas à la société Dartess, dont les manquements invoqués par l'intimée ne sont pas caractérisés.

La rupture de la relation commerciale est intervenue alors que la société Dartess pouvait légitimement espérer qu'elle perdurerait, compte tenu de la signature de récents protocoles d'accords de nature à mettre fin aux différends entre les parties, en particulier le protocole d'accord du 17 juin 2013 prévoyant une remise commerciale de 75 000 euros payable en quatre versements annuels.

Le délai de préavis raisonnable devant être respecté en cas de rupture de la relation commerciale établie doit être de nature à permettre de trouver de nouveaux partenaires commerciaux, sans être nécessairement équivalent au délai de préavis contractuel.

La société Dartess a bénéficié d'un délai de préavis effectif de 6 mois durant lequel il est établi que le volume d'activité entre les parties a été globalement maintenu.

Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, d'une durée de près de 9 ans au moment de la rupture, du volume d'activité de la société Dartess réalisé avec la société Z, représentant 10 % de son chiffre d'affaires total, de l'absence de situation de dépendance économique de la société Dartess, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros en 2014 et compte parmi ses clients 150 des 400 négociants de la place bordelaise, ainsi qu'en justifie l'intimée, et de la nature du secteur d'activité concerné dans lequel la société Dartess est bien implantée et lui permettant de trouver d'autres partenaires, le préavis de six mois dont a bénéficié l'appelante était suffisant pour lui permettre de se réorganiser et de trouver d'autres débouchés, peu important qu'elle y soit, ou non, parvenue.

La société Dartess ayant bénéficié d'un préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels, la rupture des dites relations ne présente pas un caractère brutal.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef, et la société Dartess sera déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Sur la complicité de concurrence déloyale :

L'article 31 du Code de procédure civile dispose que " L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ".

Selon l'article 32 du même Code, " Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ".

L'article 122 dudit Code énonce que " Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ".

Ainsi que le fait valoir l'intimée, l'appelante est irrecevable à agir, pour défaut d'intérêt et de qualité, au titre de la violation de la clause de non-concurrence contenue dans l'article 4 du contrat du 30 novembre 2010, liant la société Subway et la société Naos Investissement, auquel elle n'est pas partie et dont elle n'allègue ni ne justifie de la cession à son bénéfice, ladite clause n'ayant été contractée qu'avec sa société mère Naos Investissement, devenue la société Groupe Dartess, et personne morale distincte de la société Dartess.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Z aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la cour, statuant de nouveau, condamnant la société Dartess aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel, et à payer à la société Z une indemnité de procédure de 8 000 euros.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 21 octobre 2016 dans l'intégralité de ses dispositions, Statuant de nouveau, Déboute la société Dartess de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Dit la société Dartess irrecevable à agir au titre de la violation de la clause de non-concurrence, Condamne la société Dartess à payer à la société Z Ses Vignobles du Sud une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Dartess aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel.