CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 mars 2019, n° 17-18458
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Club Opticlibre (SAS)
Défendeur :
Alliance Optique (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaber
Conseillers :
Mmes Lehmann, Barutel
Vu le jugement contradictoire du 19 septembre 2017 rendu par le tribunal de commerce de Paris,
Vu l'appel interjeté le 5 octobre 2017 par la société Club Opticlibre,
Vu les dernières conclusions récapitulatives remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 12 novembre 2018 de la société Club Opticlibre,
Vu les conclusions remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 21 mars 2018, de la société Alliance Optique, intimée,
Vu l'ordonnance de clôture du 13 décembre 2018.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que les sociétés Club Opticlibre et Alliance Optique sont deux centrales d'achat concurrentes dans le secteur de l'optique.
Par acte d'huissier délivré le 17 septembre 2013, la société Club Opticlibre a assigné la société Alliance Optique devant le tribunal de commerce de Lille lui reprochant un démarchage agressif et une offre commerciale constitutive selon elle de revente à perte.
Par un jugement du 24 mars 2015, le tribunal de commerce de Lille a débouté la société Club Opticlibre de ses demandes au constat que la société Alliance Optique avait le statut de grossiste et n'avait pas pratiqué de vente à perte au sens de l'article L. 442-2 du Code de commerce et a débouté cette dernière de sa demande reconventionnelle fondée sur des faits, non justifiés, de concurrence déloyale par dénigrement. Il a en outre condamné la société Club Opticlibre aux dépens et au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Club Opticlibre a interjeté appel de cette décision le 13 avril 2015 et la cour d'appel de Douai, par un arrêt du 31 mars 2016, a infirmé le jugement au motif que la société Alliance Optique ne peut se prévaloir du statut de centrale d'achat grossiste et qu'elle s'est rendue coupable de faits d'annonce de ventes à perte et l'a, en revanche, confirmé quant au rejet de la demande reconventionnelle.
Les deux parties ont formé des pourvois en cassation, qui ont été rejetés le 22 novembre 2017.
Le 22 octobre 2015, la société Alliance Optique a fait publier sur le site www.acuite.fr, site internet spécialisé à destination des professionnels de l'optique, un communiqué faisant état du jugement du tribunal de commerce de Lille.
La société Club Opticlibre a fait établir le 23 octobre 2015, par huissier de justice, un constat sur ce site duquel il ressort que si l'on clique sur un titre "Décision de justice lire la suite..." on obtient un article se présentant comme suit :
Le 27 octobre 2015, l'avocat de la société Opticlibre adressait un courrier de mise en demeure au directeur de la publication d'Acuité reprochant une présentation fausse et tendancieuse du jugement constitutif d'un dénigrement fautif à l'encontre de sa cliente et d'une pratique trompeuse au sens des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation.
En réponse, le directeur de la publication d'Acuité proposait un droit de réponse à la société Club Opticlibre, de remplacer le fond noir par un fond blanc et également de faire apparaître de manière visible qu'il s'agit d'une "publication rédactionnelle".
Par acte d'huissier délivré le 1er décembre 2015, la société Club Opticlibre a assigné la société Alliance Optique devant le tribunal de commerce de Paris lui reprochant des actes de dénigrement et de publicité trompeuse.
Le jugement du 19 septembre 2017 du tribunal de commerce de Paris a débouté la société Club Opticlibre de ses demandes et l'a condamnée à payer les dépens et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur les faits de dénigrement reprochés par la société Club Opticlibre
La société Club Opticlibre reprend à l'encontre de la société Alliance Optique les reproches de dénigrement, sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil (anciennement 1382 et 1383), qu'elle avait formulés par sa mise en demeure en date du 27 octobre 2015 et repris devant le tribunal de commerce de Paris.
Elle critique le communiqué litigieux en ce qu'il rend compte de manière subjective et tronquée du jugement du tribunal de commerce de Lille, et ce afin de jeter le discrédit sur sa concurrente, la société Club Opticlibre, et à travers elle sur les services qu'elle propose aux opticiens avec pour objectif de faire sa publicité personnelle en se présentant, par effet de contraste comme loyale, soucieuse des intérêts de ses clients et de négocier pour eux les meilleurs produits et les meilleurs tarifs.
La société Club Opticlibre précise qu'elle ne reproche pas à la société Alliance Optique des propos diffamatoires tels que définis par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme "Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ... " mais des actes de dénigrement opérés par le communiqué litigieux.
La cour constate que l'action intentée par la société Club Opticlibre pour des faits de concurrence déloyale constitués par la publication d'un communiqué qui ferait état du jugement du tribunal de commerce de Lille de manière tronquée, n'était pas assujettie aux contraintes des articles 30 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, et ressort bien de la compétence du tribunal de commerce.
Le bien-fondé de cette action doit dès lors être examiné au regard des faits réellement reprochés à savoir une information tronquée et tendancieuse du jugement sur le site internet Acuité par la société Alliance Optique.
A titre liminaire, il est précisé qu'il n'est pas contesté que le communiqué émane bien de cette société et n'est pas le fait du site Acuité et qu'il n'est pas non plus contesté que la société Alliance Optique a le droit de publier sur un site internet à destination des professionnels de l'optique, un communiqué faisant état du jugement du tribunal qu'elle a obtenu, dès lors que cette présentation est exacte et objective.
Cependant si les trois premiers paragraphes du communiqué apparaissent comme une relation objective de la décision judiciaire, il perd ce caractère d'objectivité en énonçant que " la juridiction répond à la stratégie de désinformation mise en place par Club Opticlibre ", " que (la société Club Opticlibre) avait largement médiatisé auprès des opticiens et des fournisseurs du monde de l'optique dans le but de discréditer un concurrent", que la "campagne de désinformation de Club OpticLibre doit désormais cesser", que "Club Opticlibre, uniquement préoccupée par sa stratégie de désinformation, a interjeté appel de la décision" et que "il semble d'ailleurs que le tribunal de commerce ait été particulièrement sensible aux protestations de bonne foi d'Alliance Optique et à la mauvaise foi du Club Opticlibre puisque la juridiction a ordonné l'exécution provisoire du jugement sur la condamnation prononcée au titre des dommages et intérêts ".
Ces phrases tirées du communiqué ne reflètent pas la réalité du jugement qui se contente d'effectuer une analyse juridique de la situation de la société Alliance Optique, qualifiée de grossiste, rejetant ainsi l'application de l'article L. 442-2 du Code de la consommation, et ne retient aucune critique à l'encontre de l'attitude commerciale ou procédurale de la société Club Opticlibre, hormis le mal fondé de son action judiciaire dont elle est déboutée.
Dès lors cette publication est constitutive d'une faute au sens des articles 1240 et 1241 du Code civil entraînant une concurrence déloyale vis-à-vis d'un concurrent direct et le préjudice en lien de causalité avec cette faute doit être réparé.
Le jugement déféré sera dès lors infirmé en ce qu'il a débouté la société Club Opticlibre de ce chef.
Il ressort de ce communiqué un préjudice d'image certain.
La cour est en mesure de fixer l'indemnisation réparant l'entier préjudice ainsi subi par la société Club Opticlibre à la somme de 4 000 euros, sans qu'il n'y ait lieu, compte tenu du caractère limité du communiqué d'ordonner des mesures de publication de l'arrêt.
En revanche aucun élément probant n'est apporté aux débats par la société Club Opticlibre quant à l'existence d'un préjudice patrimonial causé par ce communiqué tendancieux, ni du fait que le choix de la date dudit communiqué ait été opéré à dessein pour permettre un détournement de clientèle au profit de la société Alliance Optique.
Sur les faits de publicité trompeuse reprochés par la société Club Opticlibre
La société Club Opticlibre demande également l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 20 de la loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique (LCEN) et sur l'article L. 121-1 (désormais L. 121-2) du Code de la consommation qui obligent à identifier la publicité dans un contenu mis en ligne ainsi que l'identité de son annonceur.
Elle estime que la violation de ces obligations du Code de la consommation entraîne pour elle une concurrence déloyale.
Il ressort des éléments communiqués aux débats que lors de sa publication sur le site www.acuite.fr, tel que constaté par huissier de justice le 23 octobre 2015 le site n'indiquait pas clairement que le communiqué était une publication émanant de la société société Alliance Optique et laissait à penser qu'il pouvait s'agir d'un contenu rédactionnel du site voir même d'une publication judiciaire.
Pour autant, il n'est pas démontré que la présentation de l'encart publicitaire soit le fait de la société Alliance Optique. Elle est plus sûrement de la responsabilité du site Acuité qui a d'ailleurs dès la mise en demeure adressée le 27 octobre 2015 à son directeur de la publication proposé et effectué des modifications pour mentionner clairement qu'il s'agit d'une "publication rédactionnelle" et préciser "publi-rédactionnel" sur le lien dynamique menant à l'article.
Dès lors ces faits ne seront pas retenus comme constitutifs d'une publicité trompeuse.
Sur les autres demandes
La société Alliance Optique qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Club Opticlibre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Dit que la société Alliance Optique a commis des actes de dénigrements constitutifs de concurrence déloyale au préjudice de la société Club Opticlibre, Condamne la société Alliance Optique à payer à la société Club Opticlibre la somme de 4 000 euros à titre de réparation, Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation, Condamne la société Alliance Optique à payer à la société Club Opticlibre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Alliance Optique aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Maître X, dans les conditions fixées à l'article 699 du Code de procédure civile.