CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 mars 2019, n° 17-09056
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Oustric (SAS) , Savenier (ès qual.)
Défendeur :
Jaguar Land Rover France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Comte
Avocats :
Mes Regnier, Bourgeon, Fromantin, Gauclère
FAITS ET PROCÉDURE
La société Oustric (anciennement dénommée Auto Service Tarn et Garonne) a pour activité le commerce de voitures et de véhicules automobiles légers.
La société Jaguar Land Rover France est spécialisée dans le commerce de voitures et de véhicules automobiles légers. Elle importe sur le marché français les véhicules et pièces détachées de marques Jaguar et Land Rover France qu'elle distribue par l'intermédiaire de ses réseaux de concessionnaires et de réparateurs agréés.
Les sociétés Oustric et Jaguar Land Rover France ont conclu un contrat de concession et un contrat de réparateur agréé à durée indéterminée en 1998.
Par courrier du 26 mai 2011, la société Jaguar Land Rover France a notifié à la société Oustric la résiliation de ces deux contrats avec un préavis de 2 ans, à effet au 31 mai 2013.
Le 5 juillet 2011, la société Oustric a contesté la fin de son contrat de réparateur et demandé à la société Jaguar Land Rover France un nouvel agrément, demande réitérée le 22 février 2013. Faisant suite à cette dernière demande, un nouveau contrat de réparateur a été conclu entre la société Jaguar Land Rover France et la société Oustric pour une durée déterminée de 3 ans, soit du 1er juin 2013 au 31 mai 2016.
Par courrier du 7 novembre 2014, la société Jaguar Land Rover France a informé la société Oustric de sa décision de ne pas lui soumettre de nouveau contrat de réparateur agréé à l'échéance du contrat, à savoir au 1er juin 2016.
Le 19 janvier 2015, la société Oustric a présenté à nouveau sa candidature à la société Jaguar Land Rover France en vue d'être renommée réparateur agréé de la marque Land Rover, à compter du 1er juin 2016, demande réitérée le 29 février 2016.
Par courrier reçu le 31 mai 2016 par la société Oustric, la société Jaguar Land Rover France a refusé cette demande, se prévalant d'un manquement grave au contrat de réparateur agréé, à savoir la vente, par le réparateur agréé, d'un véhicule neuf.
Le 21 juin 2016, la société Jaguar Land Rover France a notifié à l'ensemble de ses services et prestataire externes l'arrêt du site de réparation de la société Oustric.
Le 21 juin 2016, la société Oustric a assigné la société Jaguar Land Rover France devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de se voir autoriser à assigner son concédant en référé d'heure en heure.
Suite à l'obtention d'une ordonnance en ce sens, la société Oustric a, par acte extrajudiciaire du 23 juin 2016, assigné la société Jaguar Land Rover France afin de la voir enjoindre sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à l'agréér en qualité de réparateur agréé de la marque Land Rover à compter du 1er juin 2016, et très subsidiairement, sous la même astreinte, de voir poursuivre la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Jaguar Land Rover France, aux conditions identiques, jusqu'à intervention d'une décision exécutoire au fond.
Par ordonnance du 22 juillet 2016, le président du tribunal de commerce de Paris a jugé qu'il n'avait pas lieu à référé, ni sur la demande principale ni sur la demande subsidiaire.
Par acte extrajudiciaire du 17 décembre 2016, la société Oustric a assigné la société Jaguar Land Rover France devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir enjoindre, sous astreinte définitive de 5 000 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, d'agréér la société Oustric en tant que réparateur agréé Land Rover depuis le 1er juin 2016, et de la voir condamner à lui payer la somme de 69 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice allégué du fait de la privation de la qualité de réparateur agréé Land Rover du 1er juin 2016 au 1er décembre 2016.
Par jugement du 6 mars 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Oustric de sa demande d'enjoindre la société Jaguar Land Rover France de l'agréér en tant que réparateur agréé Land Rover,
- débouté la société Oustric de sa demande au titre de la rupture de la relation commerciale,
- débouté la société Oustric de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société Oustric à payer à la SAS Jaguar Land Rover France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- d'office ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Oustric aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés la somme de 78,36 dont 12,85 euros de TVA.
Le 2 mai 2017, la cour a été saisie de l'appel interjeté par la société Oustric.
Vu les dernières conclusions de la société Oustric, appelante, déposées et notifiées le 12 février 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce,
- dire la société Oustric recevable et fondée en son appel,
- enjoindre à la société Jaguar Land Rover France sous astreinte définitive de 5 000 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, d'agréér la société Oustric en tant que réparateur agréé Land Rover et de conclure avec elle un contrat de réparateur agréé identique à celui proposé aux réparateurs agréés Land Rover depuis le 1er juin 2016,
- condamner la société Jaguar Land Rover France à payer à la société Oustric à titre de dommages et intérêts les sommes de :
* en réparation du préjudice subi du fait de la perte des conditions accordées aux réparateurs agréés pour l'achat des pièces de rechange Land Rover : 172 214 euros,
* au titre de la baisse d'activité après-vente découlant de l'impossibilité d'assurer les interventions en garantie : 43 584 euros,
* au titre de l'atteinte à l'image de l'entreprise : 15 000 euros,
- condamner la société Jaguar Land Rover France au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Jaguar Land Rover France aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions de la société Jaguar Land Rover France, intimée, déposées et notifiées le 12 février 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 42, 488 du Code de procédure civile, 1102, 1104, 1210, 1211, 1212 et L. 420-1 du Code de commerce,
- dire que la société Jaguar Land Rover France était en droit de refuser de donner son agrément à la société Oustric,
- dire que le refus d'agrément opposé à la société Oustric n'a ni objet ni effet anticoncurrentiel, et qu'il est conforme aux dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article 420-1 du Code de commerce,
- dire que la candidature de la société Oustric est anormale et de mauvaise foi,
- dire que la société Jaguar Land Rover France était de surcroit en droit de refuser de donner son agrément à la société Oustric,
- débouter la société Oustric de l'ensemble de ses demandes, en tout état de cause,
- condamner la société Oustric à payer la somme de 20 000 euros à la société Jaguar Land Rover France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Oustric aux entiers dépens ;
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande d'agrément
La société Oustric prétend que la société Jaguar Land Rover France a l'obligation d'agréér comme réparateur Land Rover tous les opérateurs répondant aux critères qualitatifs requis pour assurer l'entretien et la réparation des véhicules Land Rover.
Elle ajoute qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations de réparateur agréé, propre à justifier un refus de la société Land Rover de l'agréér à nouveau.
La société Jaguar Land Rover France réplique qu'elle n'est nullement tenue d'agréér tout opérateur répondant aux critères de sélection, compte tenu de la prohibition des contrats perpétuels, de la liberté contractuelle et de l'intuitu personae des contrats de distribution.
Sur le fondement du droit de la concurrence, elle soutient qu'un refus d'agrément ne constitue pas en soi une entente, mais une pratique unilatérale, et qu'à supposer même que soit caractérisé un accord de volontés, il n'aurait aucun objet ou effet anticoncurrentiel.
Elle expose enfin qu'en tout état de cause, la candidature de la société Oustric doit être considérée comme anormale et de mauvaise foi au vu de l'historique de la relation entre les parties, le réparateur ayant, de façon répétée, enfreint ses obligations, en vendant un véhicule neuf Land Rover et en ayant entretenu, de façon continue, la confusion entre son statut réel de réparateur et le statut de vendeur de véhicules neufs.
Sur l'obligation d'agréér tout opérateur satisfaisant aux critères de sélection dans un système de distribution sélective
Il convient de rappeler qu'aucune obligation de conclure un contrat de distribution sélective avec tous les distributeurs remplissant les critères de sélection ne pèse sur le fournisseur, en raison du principe de la liberté contractuelle. De la même façon, le fournisseur n'a aucune obligation d'agréér à nouveau un distributeur après la résiliation de son contrat, même s'il remplit les critères, les engagements perpétuels étant prohibés.
Sur la qualification d'entente d'un refus d'agrément
La constitution d'une entente anticoncurrentielle présuppose la réunion d'un élément subjectif, un concours de volontés entre au moins deux entreprises, et un élément objectif, la restriction de concurrence.
Un refus d'agrément opposé à un distributeur remplissant les critères de sélection s'inscrit dans le cadre des contrats de distribution sélective prévoyant la politique d'agrément du fournisseur, acceptée par avance par les distributeurs. Il traduit donc nécessairement un concours de volontés entre le fournisseur et les distributeurs du réseau.
Contrairement aux allégations de la société Jaguar Land Rover France, la jurisprudence dite Volkswagen n'a pas remis en cause l'éventuelle qualification d'un refus d'agrément de distributeurs par le fournisseur comme entente au sein du réseau, reconnue par la Cour de justice dans un arrêt AEG du 25 octobre 1983 (§ 107/82) : " Une pareille attitude de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l'entreprise qui, comme le soutient AEG, échapperait à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle s'insère, par contre, dans les relations contractuelles que l'entreprise entretient avec les revendeurs. En effet, dans le cas d'admission d'un distributeur, l'agrément se fonde sur l'acceptation, expresse ou tacite, de la part des contractants, de la politique poursuivie par AEG exigeant, entre autres, l'exclusion du réseau de distributeurs ayant les qualités pour y être admis, mais n'étant pas disposés à adhérer à cette politique " (§ 38).
La Cour a certes précisé dans cet arrêt dit " Volkswagen " (CJCE, 13 juillet 2006, Volkswagen, C-74/04 P) qu'en l'absence de dispositions contractuelles pertinentes, l'existence d'un accord au sens de l'article 101 § 1 supposait l'acquiescement, explicite ou tacite, de la part des concessionnaires à la mesure adoptée par le constructeur automobile, cet acquiescement pouvant par exemple être démontré par la pratique effective, par les concessionnaires, de l'invitation du fabricant. Il en résulte que des instructions d'un constructeur automobile visant à interdire à ses concessionnaires de pratiquer certains rabais ne tombent pas dans le champ de l'article L. 420-1 du Code de commerce, si celles-ci n'ont pas fait l'objet d'une adhésion de la part des concessionnaires (Conseil de la concurrence, 23 décembre 2003, n° 03-D-66). De la même façon, l'application de remises discriminatoires par un fournisseur ne saurait constituer une entente avec ses distributeurs, dès lors que les conditions générales de vente acceptées par ces derniers n'en contiennent aucune mention (Conseil de la concurrence, 18 mai 1999, n° 99-D-31).
Mais comme la Commission l'avait objecté dans l'affaire AEG, la politique d'agrément du fournisseur relève des dispositions contractuelles pertinentes et constitue l'élément essentiel du réseau, puisque les critères et leur application conditionnent la validité-même de celui-ci : " Si on admettait la conception de la requérante (AEG) selon laquelle les conditions de l'article 85, paragraphe 1, ne sont pas réunies du fait qu'il s'agirait ou dans la mesure où il s'agirait d'actions unilatérales, on devrait conclure qu'une politique discriminatoire d'admission dans le cadre d'un système de distribution sélective est compatible avec l'article 85 et que le principe établi par la Cour de justice dans l'arrêt Metro du 25 octobre 1977 de la sélection des revendeurs sur la base de critères objectifs d'ordre qualitatif et de l'application non discriminatoire des conditions d'admission n'a aucune valeur juridique " (§ 1 in fine).
La jurisprudence dite Bayer invoquée par la société intimée ne contredit pas ces éléments, celle-ci ne s'appliquant qu'aux relations fournisseur-acheteurs, en l'absence de conclusion, entre les parties, de contrat de distribution (CJCE 6 janvier 2004, Bundesverband der Arzneimittel-Importeure Ev c. Bayer, C-2/01 P et C-3/01 P). La Cour de justice y a consacré le principe selon lequel "le seul fait qu'une mesure adoptée par un fabricant, qui a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, s'inscrit dans le cadre de relations commerciales continues entre ce dernier et ses grossistes ne saurait être suffisant pour conclure à l'existence d'un tel accord (de volontés)".
Il résulte de ce qui précède que :
- le seul fait d'être membre d'un réseau de distribution ne vaut pas acquiescement, même tacite, à une invitation, apparemment unilatérale du fournisseur et non contenue dans le contrat de distribution, à commettre certaines pratiques, d'autres indices devant démontrer cet acquiescement, comme par exemple, l'application, par les distributeurs, de la pratique souhaitée par le fournisseur ;
- il en va autrement lorsque ce comportement concerne la politique d'agrément des distributeurs par le fournisseur selon les critères du réseau prévus dans les contrats de distribution sélective, condition fondamentale de la licéité même du réseau au sens de l'article 101, alinéa 1 du TFUE.
Aucun des arrêts de la cour d'appel de Paris ou de la Cour de cassation, cités par la société Jaguar Land Rover ne vient sérieusement remettre en question cette conclusion.
Il y a donc lieu de dire que le droit des ententes est applicable à un refus d'agrément dans un réseau de distribution sélective.
Sur l'application du règlement d'exemption
Si la société Jaguar exclut l'application du règlement d'exemption n° 330/2010, faute de démonstration, par la société Oustric, de l'affectation du commerce entre Etats membres, il convient de souligner qu'une restriction verticale anticoncurrentielle affectant un système de distribution sélective qui s'applique à la totalité du territoire national est présumée affecter sensiblement le commerce intracommunautaire, et entraîner par voie de conséquence, l'application du droit de l'Union et donc de l'article 101 du TFUE et des règlements d'exemption.
La société Jaguar ne renverse pas cette présomption.
Le refus étant daté de mai 2016, il y a lieu de faire application du règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées applicable à compter de la même date.
Sur l'appréciation du refus d'agrément au regard du droit des ententes
Selon la société Oustric, le refus d'agrément d'un opérateur remplissant les critères de sélection constituerait en soi une restriction de concurrence par objet, rendant le réseau illicite, de sorte que l'analyse devrait s'arrêter là. La société Jaguar Land Rover serait obligée de l'agréér en tant que réparateur agréé parce que l'activité de réparation agréée Jaguar est fondée sur un système de distribution sélective purement qualitative, qui interdit à la société Jaguar de refuser la conclusion d'un contrat dès lors que le candidat à la conclusion dudit contrat remplit les critères qualitatifs.
La société Jaguar réplique que seules des pratiques ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel sont prohibées.
La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé dans un arrêt Pierre Fabre que les accords qui constituent un système de distribution sélective influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun et sont à considérer, à défaut de justification objective, en tant que " restrictions par objet ". Cette justification objective peut résider dans des exigences légitimes, telles que le maintien du commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d'une concurrence portant sur d'autres éléments que les prix. Les systèmes de distribution sélective constituent donc, du fait qu'ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s'exerce pas seulement sur les prix, un élément de concurrence conforme à l'article 101, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la Cour a déjà relevé que l'organisation d'un tel réseau ne relève pas de l'interdiction de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin, que les critères définis n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, Rec. p. 1875, point 20, ainsi que du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31/80, Rec. p. 3775, points 15 et 16).
Les refus d'agrément discriminatoires sont donc de nature à rendre le réseau illicite au regard des critères Metro et à constituer une entente verticale anticoncurrentielle entre le fournisseur et les membres de son réseau s'ils ont un objet ou un effet anticoncurrentiel, c'est-à-dire s'ils s'insèrent dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas.
En l'espèce, la pratique soumise à la cour consiste dans un refus d'agrément opposé par la société Jaguar à la société Oustric en mai 2016, à la suite de la fin de son contrat de réparateur agréé le 31 mai 2016.
Sur l'objet anticoncurrentiel
La société Oustric expose que, dès lors qu'un fournisseur a opté pour un système de distribution sélective, l'application non discriminatoire des critères sélectifs constitue une condition de licéité du réseau qui, à défaut, constituerait une entente anticoncurentielle entre un fournisseur et certains distributeurs arbitrairement sélectionnés. Ayant opté pour un système de distribution sélective qualitative, la société Jaguar Land-Rover France se doit d'appliquer de façon non discriminatoire les critères sélectifs qu'elle a définis, cette application non discriminatoire conditionnant la licéité de son réseau qui constituerait, à défaut, une restriction de concurrence par objet.
Elle souligne ensuite qu'exiger, comme le fait la présente cour, qu'un distributeur qui se voit opposer un refus d'agrément rapporte la preuve que celui-ci s'inscrit dans le cadre d'une " politique générale " du fournisseur, ne peut que rendre très difficile la démonstration du caractère anticoncurrentiel d'un refus d'agrément devant les juridictions judiciaires. Elle cite à cet égard l'arrêt AEG de la Cour de justice, dans lequel celle-ci a souligné que " le caractère non systématique des violations ne découle pas nécessairement de leur nombre relativement limité et une utilisation systématique des conditions d'admission dans un sens incompatible avec le droit communautaire ne saurait être exclue qu'après on ait établi l'inexistence de toute politique générale AEG ou de ses filiales visant à écarter les revendeurs trop agressifs et à influencer les prix " (point 46).
Ce serait donc à l'auteur du refus d'agrément que devrait incomber la charge de la preuve de " l'inexistence de toute politique générale " de sa part.
Elle précise qu'en l'espèce, elle établit que l'application discriminatoire des critères, dont elle a été victime, procède d'une politique générale de la société Jaguar Land-Rover France. Elle en veut pour preuve :
- le fait qu'aucun nouveau réparateur agréé n'ait été nommé à Montauban en son remplacement,
- le fait que le réseau des réparateurs agréés Land-Rover ait vu sa dimension substantiellement réduite entre 2009 et 2016, période durant laquelle 41 réparateurs agréés sur 133 ont été supprimés,
- une lettre adressée en novembre 2018 par la société Jaguar Land-Rover à une entreprise sollicitant le statut de réparateur agréé à Dunkerque (pièce 56).
Elle ajoute qu'aucune justification de ce refus n'est donnée par la société Jaguar, aucun manquement suffisamment grave à ses obligations ne pouvant justifier, selon elle, un refus d'agrément à compter du 1er juin 2016.
La société Jaguar réplique que l'objet anticoncurrentiel du refus d'agrément notifié à la société Oustric n'est pas démontré, l'objet anticoncurrentiel n'étant caractérisé que s'il est établi un degré suffisant de nocivité de l'accord à l'égard de la concurrence, apprécié au regard des caractéristiques de l'accord en cause, de l'objectif dudit accord et du contexte économique et juridique dans lequel il s'inscrit. Elle souligne qu'un refus d'agrément discriminatoire n'est pas une restriction caractérisée de concurrence au sens de l'article 4 du règlement d'exemption.
Elle souligne qu'un cas isolé de refus d'agrément, même discriminatoire, ne saurait à lui seul permettre de considérer que le système de distribution sélective de Jaguar a un objet anticoncurrentiel. Elle ajoute qu'aucune discrimination n'est, en l'espèce, établie, une discrimination ne pouvant être invoquée que si plusieurs candidats étaient en concurrence.
Elle prétend que la société Oustric ne démontre pas que le refus d'agrément se soit inscrit dans une stratégie transposable à l'ensemble des réparateurs agréés et aurait pour objet d'exclure une forme déterminée de distribution, et que, loin d'être motivé par la volonté de porter atteinte à la concurrence, le refus d'agrément de la société Oustric résulte de ses comportements passés en sa qualité de réparateur agréé Land Rover, cette société n'ayant en effet jamais cessé d'installer aux yeux de la clientèle une confusion sur son statut de réparateur agréé et celui de vendeur de véhicules neufs de la marque.
La charge de la preuve de l'objet anticoncurrentiel d'un refus d'agrément opposé à une entreprise incombe à cet opérateur. La circonstance, avérée, que cette démonstration soit difficile pour un opérateur isolé ne peut venir assouplir cette règle.
Ce caractère anticoncurrentiel d'un refus unique d'agrément doit donc être établi, par exemple, en démontrant que ce refus s'insère dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas. C'est ainsi que l'éviction ou le refus d'agrément, sans motifs valables, de distributeurs pratiquant des prix discount ont pu être considérés comme ayant un objet anticoncurrentiel, en ce que la véritable cause de l'éviction ou du refus d'agrément était l'opposition du fournisseur à la politique de prix du distributeur (décision du Conseil de la concurrence, n° 99-D-78).
En l'espèce, la société Oustric ne démontre pas que le refus de l'agréér s'insère dans une telle stratégie anticoncurrentielle de la société Jaguar.
Le fait qu'aucun nouveau réparateur agréé n'ait été nommé à Montauban en remplacement de la société Oustric, et que le réseau des réparateurs agréés Land-Rover ait vu sa dimension réduite entre 2009 et 2016, période durant laquelle 41 réparateurs agréés sur 133 ont disparu, ne suffit pas en effet à démontrer cette stratégie d'atteinte illicite à la concurrence.
La lettre adressée en novembre 2018 par la société Jaguar Land Rover à une entreprise sollicitant le statut de réparateur agréé à Dunkerque (pièce 56 de Oustric) atteste de la stratégie de Jaguar, en 2018, de ne plus nommer pour l'avenir de réparateurs agréés " selon un statut spécifique ". Il peut en être déduit que la société Jaguar a décidé, en 2018, de ne plus agréér des réparateurs agréés " solus ", c'est-à-dire n'exerçant pas cumulativement la fonction de concessionnaires de véhicules neufs. Mais le lien de causalité entre le refus d'agrément de la société Oustric en mai 2016 et cette décision de 2018 n'est pas établi, ni d'ailleurs l'objet anticoncurrentiel de cette stratégie, en ce qu'elle serait motivée par la volonté d'exclure une ou des formes déterminées de distribution aptes à distribuer les produits en cause.
Il n'est donc pas démontré que le refus d'agrément ait revêtu un objet anticoncurrentiel.
A titre superfétatoire, la cour note que le refus d'agréér la société Oustric, à la suite de la fin de son contrat de réparateur agréé en mai 2016, est justifié par la société Jaguar par une série de comportements de la société Oustric faisant ressortir la volonté d'entretenir la confusion entre son statut de réparateur agréé et celui de concessionnaires de vente de véhicules neufs.
Tel est notamment le cas des circonstances assez confuses de la vente d'un véhicule de marque Range Rover Evoque : le bon de commande daté du 23 janvier 2016 de ce véhicule auprès de la société Oustric, moyennant la reprise de la BMW du client, aurait été établi, selon la société Oustric, qui ne convainc pas la cour, pour sécuriser celui-ci sur la reprise de son véhicule d'occasion et non pour lui vendre le véhicule (pièces 17-1, 17-2 et 21 de Oustric).
Par ailleurs, la communication de la société Oustric sur son site internet fait ressortir la même confusion et, ce, jusqu'en juillet 2016 :
- le site des Pages jaunes continue à mentionner " Land Rover Oustric SAS concessionnaire " (pièce 6 de Jaguar Land Rover)
- la recherche " Land Rover Montauban " sur Google fait apparaître la société Oustric comme " concessionnaire automobile " (pièce 7 de Jaguar),
- la page Facebook de la société Oustric montre " les voitures commercialisées durant les derniers mois " sans mentionner qu'il s'agirait de véhicules d'occasion (pièce 9 de Jaguar).
Sur l'effet
Pour constituer une entente par effet, un refus d'agrément doit être de nature à éliminer ou restreindre la concurrence.
A cet égard, la circonstance que la société Oustric ne fasse pas partie du réseau de réparateurs agréés Land Rover n'affecte pas sensiblement le marché national de la réparation et de l'entretien Land Rover, les réparateurs agréés Land Rover étant au nombre de 100 réparateurs agréés, selon Jaguar.
En l'espèce, la société Oustric pouvait exercer une activité de réparateur agréé d'autres marques ou multimarques. Une quarantaine de marques automobiles sont présentes en France, qui offrent la possibilité de conclure des contrats de réparateur agréé, de sorte que la perte du contrat de réparation Land Rover peut être compensée pour la société Oustric. Enfin, l'appelante pouvait poursuivre la réparation des véhicules Land Rover, bien que n'étant plus réparateur agréé Land Rover (pièce 17 de Jaguar), et même si les conditions sont moins favorables que celles de réparateur agréé.
La circonstance qu'elle ait fait l'objet d'une déclaration de cessation de paiement le 1er février 2019 ne peut démontrer que cette situation résulte du refus d'agrément de 2016.
Au niveau des effets de la pratique sur le consommateur, la société Oustric se place sur un marché local, qu'elle ne définit pas et dont on ne connaît pas la délimitation géographique, de sorte que la société Jaguar réplique à bon droit que le client de Montauban pouvait s'adresser aux réparateurs agréés Land Rover de Toulouse Nord et Toulouse Sud (distants de 55 km) ou d'Agen (distant de 75 km) ou à tout autre réparateur agréé d'une autre marque ou réparateur généraliste non agréé, qui, bien que n'étant pas sur le même marché pertinent, offraient une alternative partiellement substituable.
Dès lors, l'appelante ne rapporte pas la preuve que le refus d'agrément de la société Oustric au réseau Jaguar serait de nature à affecter sensiblement le fonctionnement concurrentiel du marché de la réparation automobile Jaguar.
Le refus d'agrément litigieux, n'ayant ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la concurrence, est donc conforme à l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE et à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la question de l'exemption automatique du règlement.
La société Oustric sera donc déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement déféré confirmé.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Succombant au principal, la société Oustric sera condamnée à s'acquitter des dépens d'appel et à payer à la société Jaguar la somme de 20 000 euros au titre de l'article700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré ; Condamne la société Oustric aux dépens d'appel ; Condamne la société Oustric à payer à la société Jaguar Land Rover France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.