ADLC, 28 mars 2019, n° 19-D-05
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins
L'Autorité de la concurrence (section III),
Vu la lettre enregistrée le 15 avril 2015 sous le numéro 15/0034 F, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins et le commissaire du Gouvernement ; Vu la note en délibéré du 20 février 2019 transmise par le GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et le représentant du GIE Radio taxi Antibes Jaun-les-Pins, entendus lors de la séance du 12 février 2019 ; Adopte la décision suivante :
Résumé1 :
Aux termes de la décision ci-après, l'Autorité de la concurrence a prononcé une sanction de 75 000 euros à l'encontre du GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins (" le GIE ") pour avoir enfreint, entre janvier 2008 et novembre 2018, les dispositions sur la prohibition des ententes visées à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
La décision rendue fait suite à une enquête réalisée par la DGCCRF et à un refus de transaction de la part du GIE ayant entraîné la saisine de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 464-9 du Code de commerce.
L'accès à l'activité de chauffeur de taxi ainsi que son exercice effectif sont soumis à un encadrement réglementaire strict. En particulier, la loi autorise le cumul de l'activité de taxi avec les activités émergentes de conducteur de transport à but touristique (LOTI) et/ou de Voiture de Tourisme avec Chauffeur (VTC).
En l'espèce, l'Autorité constate que le GIE a instauré, au sein de son contrat constitutif, des conditions d'admission de nouveaux membres non objectives, non transparentes et discriminatoires ainsi que des motifs d'exclusion destinés à interdire à ses adhérents le développement d'une activité concurrentielle de LOTI et de VTC. Sur la base de ces stipulations, le GIE a ainsi exclu l'un de ses membres après qu'il ait reçu une licence LOTI.
L'Autorité a suivi sa pratique décisionnelle, déjà fournie s'agissant du secteur des taxis, pour retenir que ces pratiques du GIE avaient eu pour objet de faire obstacle au jeu de la concurrence sur le marché, et ce plus particulièrement dès lors que le GIE regroupait depuis sa constitution l'ensemble des taxis de la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs (à l'exception du membre exclu).
En sus de la sanction pécuniaire infligée, l'Autorité a enjoint au GIE de publier un résumé de la décision dans la revue professionnelle, " Taxi Mag ", et de modifier son contrat constitutif afin de se conformer au droit de la concurrence.
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
I. Constatations
1. Dans les développements ci-dessous, seront présentés successivement :
- la procédure (A) ;
- le secteur d'activité (B) ;
- les acteurs du secteur (C) ;
- les pratiques concernées (D) ;
- le rappel des griefs notifiés (E).
A. LA PROCÉDURE
2. Par courrier enregistré le 15 avril 2015 sous le numéro 15/0034 F, le ministre de l'économie a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") en application des dispositions de l'article L. 464-9 et de l'article R. 464-9-3 du Code de commerce, de pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins (cotes 2 et 3).
3. La saisine est fondée sur le rapport administratif d'enquête de la brigade interrégionale d'enquête de concurrence de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon et Corse. Cette enquête ministérielle a été initiée par une plainte déposée par la Fédération des Taxis Indépendants (ci-après " FTI ") relative, d'une part, à l'interdiction faite par le GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins à ses membres d'exercer des activités annexes à leur activité de taxi et, d'autre part, à l'exclusion d'un de ses membres, M. X..., pour non-respect de cette règle (cotes 6 à 23 et cotes 24 à 143).
4. Afin de sanctionner certaines pratiques contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après " la DGCCRF ") a proposé au GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins une transaction assortie d'injonctions, par courrier du 14 janvier 2015.
5. Le GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins a refusé cette proposition. Le ministre de l'économie a alors saisi l'Autorité. Une notification de griefs a été adressée par l'Autorité au GIE Radio taxi Antibes Juan-les-Pins (ci-après " le GIE ") le 9 octobre 2018. Enfin, le GIE a produit sur demande du collège lors de la séance tenue le 12 février 2019 une note en délibéré le 20 février 2019.
B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ
6. L'activité de transport de personnes par route peut être exercée aussi bien par des conducteurs de taxi (1) que par des conducteurs LOTI (statut découlant de la Loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'Orientation des Transports Intérieurs, dite loi LOTI) ou des conducteurs de VTC (Voiture de Tourisme avec Chauffeur) (2).
1. L'ACTIVITÉ DE TAXI
7. La profession de chauffeur de taxi est soumise à un encadrement réglementaire strict qui se justifie par le fait que cette activité s'exerce sur la voie publique. La réglementation fixe ainsi des conditions spécifiques liées au véhicule (a), à l'accès à la profession (b) et à la délivrance des autorisations de stationnement sur la voie publique (c).
a) Les caractéristiques d'un taxi
8. Aux termes de l'article L. 3121-1 du Code des transports, " les taxis sont des véhicules automobiles comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum, munis d'équipements spéciaux et d'un terminal de paiement électronique, et dont le propriétaire ou l'exploitant est titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique, en attente de la clientèle, afin d'effectuer, à la demande de celle-ci et à titre onéreux, le transport particulier des personnes et de leurs bagages ".
9. Les véhicules de taxi doivent notamment être équipés des éléments suivants :
- d'un taximètre : un compteur qui enregistre le parcours, la durée et qui indique la somme à payer. Le cadran du taximètre doit être lisible pour les passagers ;
- d'un dispositif extérieur lumineux portant la mention " taxi ", l'indication de la commune de rattachement et l'information selon laquelle le taxi est disponible ou non ;
- d'un terminal de paiement, en état de marche et visible du passager, permettant au passager de régler la course par carte bancaire.
b) L'accès à la profession
10. Depuis la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi, complétée par le décret n° 95-935 du 17 août 1995 portant application de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi, l'accès à la profession de chauffeur de taxi est subordonné à l'obtention du certificat de capacité professionnelle, matérialisé par une carte professionnelle délivrée par la préfecture (document de couleur rose apposé sur le pare-brise). Ce certificat s'obtient après une formation sanctionnée par un examen regroupant des épreuves théoriques et pratiques, organisé par les chambres de métiers et d'artisanat depuis le 1er janvier 2017.
c) La délivrance de l'autorisation administrative (ou " licence ")
11. L'activité de chauffeur de taxi s'exerce sur la voie publique. Les chauffeurs de taxi se doivent donc de disposer d'une autorisation de stationnement en attente de clientèle (encore dénommée " ADS "), anciennement appelée " licence " ou " plaque " par la profession. Cette autorisation, qui doit être initialement délivrée gratuitement par le maire de la commune où l'activité sera exercée ou, à Paris, par le préfet de Police, est cessible à titre onéreux, pour des montants parfois élevés. Par exemple, sur la commune d'Antibes Juan-les-Pins, le GIE a indiqué lors de la séance du 12 février 2019 qu'une licence de taxi est cédée moyennant une somme estimée à 200 000 euros.
12. Le nombre d'autorisations de stationnement est fixé par arrêté municipal, après avis de la commission locale des transports publics particuliers. Une entreprise de taxi peut détenir plusieurs autorisations de stationnement et les faire exploiter par des salariés ou des locataires, eux-mêmes titulaires de la carte professionnelle.
13. Forts de cette autorisation, les taxis sont les seuls véhicules légalement autorisés à stationner sur la voie publique et à y charger des clients, sans réservation préalable, pour un transport particulier de personnes à titre onéreux.
14. Au moment des faits dénoncés dans la saisine, l'offre de taxis dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins comptait trente-six véhicules.
2. LES AUTRES TRANSPORTS PUBLICS ROUTIERS DE PERSONNES AVEC CHAUFFEUR
15. En dehors du statut de taxi, il existe deux autres modes d'exercice de l'activité de transport de personnes par route pour compte d'autrui : l'activité de conducteur LOTI (a) et l'activité de conducteur VTC (b). Il est par ailleurs possible de cumuler l'activité de taxi et l'activité de conducteur LOTI et/ou de VTC (c).
a) Les entreprises et conducteurs LOTI
Les services de transport offerts par les LOTI
16. La loi LOTI précitée et le décret n° 85-891 du 16 août 1985 relatif aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes ont créé le statut d'entreprise capacitaire LOTI qui désigne des entreprises proposant du service de transport de personnes en véhicules légers.
17. Les exploitants LOTI peuvent réaliser des services réguliers ou à la demande de transport public, sous couvert d'une convention avec une Autorisation d'Occupation Temporaire (AOT). Ils peuvent également réaliser des services occasionnels, intégralement ouverts à l'initiative privée.
18. Dans le cadre des services réguliers ou à la demande de transport public, le conducteur LOTI n'est pas tenu de justifier d'une réservation préalable : les passagers peuvent acheter un " billet individuel " directement auprès du conducteur après avoir été pris en charge. Cette pratique, courante dans les autobus, est également applicable au transport léger.
19. Dans le cadre des services occasionnels, à l'instar des VTC, les conducteurs LOTI ne sont pas autorisés, comme le sont les taxis, à stationner sur la voie publique en quête de clientèle. Ils sont soumis à une obligation de réservation préalable, matérialisée par un " billet collectif ". Dans ce cas, le transport LOTI ne peut pas charger moins de deux personnes conformément à l'article R. 3112-1 du Code des transports (le billet collectif doit au moins comporter deux noms).
L'accès au statut de LOTI
20. La profession de transporteur LOTI exige, d'une part, la constitution d'une entreprise auprès de laquelle la clientèle loue les services et, d'autre part, la détention de la capacité de transport. Il existe deux types de licence LOTI : une pour le " transport lourd " (véhicules de 10 places ou plus) et une pour le " transport léger " (véhicules de moins de 10 places).
21. Par ailleurs, l'accès à la profession est conditionné par une obligation de qualification, à l'issue d'une formation sanctionnée par une épreuve ou par la preuve d'une expérience professionnelle.
22. Cependant, une entreprise LOTI peut recourir à des conducteurs sans que ces derniers soient détenteurs du statut de LOTI. Les conducteurs salariés des entreprises LOTI " transport léger " ne sont soumis à aucune obligation de formation initiale ou continue pour entrer dans la profession : ils doivent uniquement être détenteurs d'un permis B et être estimés aptes à la suite d'une visite médicale. Ils ne sont pas non plus soumis à des obligations d'honorabilité (aucun contrôle du casier judiciaire) ni à un régime disciplinaire administratif (aucune carte professionnelle). Ils exercent donc leur profession uniquement sous la responsabilité de l'entreprise LOTI.
b) Les entreprises et conducteurs VTC
Les services de transport offerts par les VTC
23. Les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) sont l'appellation officielle des " voitures de grande remise " depuis la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 qui a considérablement assoupli les conditions d'exercice de cette activité, en supprimant notamment la " licence de grande remise ", qui était jusqu'alors nécessaire, ainsi que la limitation de leur nombre par département.
24. En application de l'article L. 231-3 du Code du tourisme, " les voitures de tourisme avec chauffeur ne peuvent ni stationner sur la voie publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location préalable, ni être louées à la place ". Seuls les taxis ont cette possibilité puisqu'ils disposent de l'autorisation administrative nécessaire. Par conséquent, les VTC ne peuvent pas, légalement, charger un client sans réservation préalable, ni marauder sur la voie publique en quête de clients.
L'accès au statut de VTC
25. Depuis la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, la délivrance par la préfecture des licences d'entrepreneur de remise et de tourisme est remplacée par une immatriculation sur un registre des exploitants de voitures de tourisme avec chauffeur, dont la gestion est confiée au ministère chargé des transports.
26. L'accès à la profession de VTC est conditionné, d'une part, à des obligations d'honorabilité professionnelle (contrôle du casier judiciaire sur certains points comme les condamnations pour prise de stupéfiants au volant) et, d'autre part, à des obligations de qualification (réussite d'un examen ou une expérience de chauffeur professionnel, suivi d'une formation continue dans un centre de formation agréé tous les cinq ans) et d'aptitude (attestation d'aptitude physique délivrée par le préfet). Il est également subordonné au respect de mesures de police réglementaire autonome comme l'obligation d'avoir achevé la période probatoire du permis de conduire.
27. Ces trois catégories d'obligations sont vérifiées par les préfectures lors de la délivrance de la carte professionnelle de VTC, qui permet l'exercice de la profession sur l'ensemble du territoire national et peut être suspendue ou retirée pour des motifs disciplinaires et ce, même si les conditions de délivrance initiale restent remplies (par exemple, un conducteur de VTC qui maraude).
c) La possibilité de cumuler l'activité de taxi et les activités de conducteur LOTI ou VTC
28. Tout chauffeur de taxi peut exercer une activité accessoire de LOTI. L'article 5 du décret n° 85-891 du 16 août 1985 précité prévoit en effet un régime dérogatoire pour les entreprises de taxi titulaires d'une autorisation de stationnement et de la carte professionnelle qui souhaitent effectuer des services réguliers ou à la demande de transport public routier de personnes, au moyen d'un seul véhicule. L'inscription au registre national des entreprises de transports est de plein droit.
29. Le cumul d'une activité de VTC à celle de taxi est également possible depuis l'adoption de la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016, dont l'article 9 supprime les dispositions de l'article L. 3121-10 du Code des transports qui prévoyaient une incompatibilité entre ces activités. Cette abrogation fait elle-même suite à la décision n° 2015-516 QPC du 15 janvier 2016 du Conseil constitutionnel censurant cette disposition, jugée contraire à la liberté d'entreprendre.
C. LES ACTEURS DU SECTEUR
1. LE GIE
a) Création et finalités du GIE
30. Créé le 23 janvier 2008, le GIE a notamment pour objet, d'une part, de constituer et gérer un central radiotéléphonique de taxis avec numéro d'appel unique, accessible 24h/24 et, d'autre part, de promouvoir l'activité de ses membres auprès du grand public et des professionnels du tourisme d'Antibes Juan-Les-Pins (cf. article 2 du contrat constitutif du GIE).
31. Selon M. Z..., président de la FTI de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur : le GIE est " un mode de fonctionnement pratique pour centraliser les demandes des clients et leur attribution et redistribution côté professionnel ". Cela permet ainsi de " créer une habitude de consommation pour les utilisateurs, et même devenir une normalité quotidienne, bien ancrée dans la vie locale. De ce fait, l'exploitant taxi de la commune (la municipalité lui a accordé une autorisation de stationnement pour son activité de taxi) trouve dans le GIE une part non négligeable de ses revenus " (cote 161).
32. À l'époque de sa création, le GIE comptait la totalité des taxis de la commune d'Antibes Juan-les-Pins, soit trente-six taxis. Depuis le 28 avril 2011, M. X... en ayant été exclu, il n'en compte plus que trente-cinq.
33. Le GIE succède à " Allo Taxis Antibes ", association qui existe encore aujourd'hui, mais dont l'objet est désormais circonscrit à la gestion de l'interface de communication par talkie-walkie entre ses membres. Lors de son audition, M. Y..., actuel président du GIE, a par ailleurs précisé que : " Allo Taxis était ce qui gérait avant la gestion et le fonctionnement du central téléphonique de taxis sur la commune, et le GIE lui succède. Cette association est depuis en sommeil à défaut d'être dissoute. Le passage sous forme de GIE avait pour sens de permettre, après avis d'un juriste, d'installer un nouveau central radio et d'avoir une levée de fond (possibilité d'emprunt) auprès d'une banque et de mettre en place des règles de fonctionnement un peu plus précises (pas d'abandon de courses...) " (cote 171). À trois exceptions près sur trente-six (cotes 80 à 82, et 143), les mêmes membres composent l'association Allo Taxis Antibes et le GIE.
b) Fonctionnement du GIE
34. Le fonctionnement du GIE est essentiellement précisé par le contrat constitutif du 23 janvier 2008 (cotes 79 à 104). L'article 33 du contrat constitutif renvoie à un règlement intérieur qui n'a toutefois jamais été adopté (cote 141).
35. Le GIE est doté d'un conseil d'administration composé de quatre à six membres (article 16 du contrat constitutif), chargé d'élire un président. Ces deux instances sont " investi[es] des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom du groupement " (articles 18 et 19 du contrat constitutif). Depuis le 14 juin 2013, M. Y... est président du GIE.
36. Chacun des membres du GIE détient une part du capital sur trente-six - ramenée à une part sur trente-cinq depuis l'exclusion de M. X.... Chaque part est attribuée moyennant un apport de 250 euros (cote 13).
37. Par ailleurs, chaque membre verse mensuellement une contrepartie financière pour couvrir, d'une part, les frais de fonctionnement du central radiotéléphonique - d'un montant de 225,76 euros en 2017 - et, d'autre part, des frais ponctuels tels que des opérations ponctuelles de publicité - d'un montant de 50 euros en 2017 (cote 171).
2. LA FÉDÉRATION DE TAXIS INDÉPENDANTS (FTI) DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR
38. La FTI de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur est située Place Revelly, 04240 ANNOT. Elle a été créée par M. Z..., son actuel président, qui occupait déjà cette fonction au moment des pratiques reprochées. Elle est indépendante de la FNTI (Fédération Nationale des Taxis Indépendants) et a notamment pour objet d'assurer la liaison et la coordination entre ses adhérents.
3. LES ÉPOUX X..., CONDUCTEURS DE TRANSPORTS PUBLICS ROUTIERS DE PERSONNES AVEC CHAUFFEUR
39. M. X... est artisan taxi depuis 1er juillet 1997, date à laquelle la mairie d'Antibes lui a délivré une autorisation de stationnement lui permettant d'exercer son activité au sein de la commune (cote 65). En 1997, M. X... était membre de l'association Allo Taxis Antibes, à laquelle le GIE a succédé.
40. M. X... a en outre obtenu une autorisation préfectorale de transport à but touristique (LOTI), le 8 avril 2009. C'est son épouse, en tant que salariée, qui exerçait cette activité annexe, chacun possédant son propre véhicule.
41. Le 5 avril 2011, M. X... a obtenu une immatriculation pour une activité de VTC. Cette activité est exercée par son épouse en lieu et place de l'activité de LOTI exercée jusqu'alors.
42. M. X... est par ailleurs le seul adhérent de la Fédération des taxis indépendants (à laquelle il a adhéré en 2010 - cote 65) à faire également partie du GIE (auquel il a adhéré en 2008, date de création du groupement).
D. LES PRATIQUES CONCERNÉES
43. Les pratiques reprochées au GIE sont relatives, en vertu de son contrat constitutif, aux conditions d'admission de nouveaux membres (1) et d'exclusion d'un membre du GIE en raison de l'exercice d'une activité concurrente (2). Il est enfin reproché au GIE d'avoir mis en œuvre, de manière effective, cette possibilité d'exclure un membre du GIE (3).
1. L'ADMISSION DE NOUVEAUX MEMBRES DANS LE GIE EN VERTU DE SON CONTRAT CONSTITUTIF
a) L'admission de nouveaux membres en vertu du contrat constitutif initial de 2008
44. Le contrat constitutif du GIE conclu le 23 janvier 2008 traite, en son article 12, de la possibilité d'admettre de nouveaux membres dans le groupement au cours de son existence.
Les critères d'admission
45. Les conditions à respecter pour admettre de nouveaux membres, personnes physiques ou morales, au sein du groupement, sont au nombre de quatre.
46. En premier lieu, le candidat doit exercer son activité dans le domaine visé à l'article 2 du contrat constitutif, c'est-à-dire une activité de taxi.
47. En deuxième lieu, il doit être parrainé par au moins deux membres du groupement. Le contrat constitutif prévoit en effet que : " Toute candidature, présentée par deux membres du groupement au moins, devra être remise par écrit au président du conseil d'administration accompagnée de tous documents justificatifs de l'activité professionnelle du candidat ".
48. En troisième lieu, la candidature de l'intéressé ne sera admise que si l'unanimité des membres du groupement se prononce en sa faveur lors d'une assemblée générale chargée de statuer, dans les deux mois, sur sa demande d'admission.
49. En quatrième et dernier lieu, l'admission peut être subordonnée au versement d'un droit d'entrée décidé et fixé par l'assemblée générale. Ce droit d'entrée ne doit pas être confondu avec la cotisation que doit verser chaque membre du groupement à échéances régulières.
50. Sur le plan formel, l'article 12 du contrat constitutif précise que " l'admission devient définitive vis-à-vis des autres membres du groupement à l'issue de l'assemblée la prononçant, sous réserve que les conditions posées par elle et par le présent contrat soient respectées. Elle ne devient opposable aux tiers qu'après sa publication au Registre du commerce ".
L'absence de voie de recours en cas de refus d'admission
51. L'article 12 du contrat constitutif pose que " toute décision d'admission ou de rejet de candidature est notifiée au postulant par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle est souveraine, sans recours, et n'a pas besoin d'être motivée ".
52. Le candidat à l'entrée dans le groupement qui se voit opposer une décision de refus ne dispose donc d'aucun recours à son encontre.
b) L'admission de nouveaux membres en vertu du contrat constitutif modifié de 2014
53. À la suite d'une enquête initiée par la Direccte PACA de septembre 2012 à février 2013, et du rapport administratif qui en a résulté, une procédure d'injonction et de transaction a été proposée le 4 juillet 2014 par le ministre de l'économie au GIE, afin de clore l'affaire.
54. Parmi les mesures d'injonctions proposées, il était notamment demandé au GIE de :
" c) modifier la rédaction de l'article 12 de son contrat constitutif en retirant les dispositions qui ont pour objet ou pour effet de limiter l'accès au marché des taxis de la commune d'Antibes Juan-Les-Pins. Les conditions d'accès au groupement devront présenter un caractère objectif, transparent et non discriminatoire. Ainsi, les décisions de refus d'entrée au GIE devront être motivées et pourront faire l'objet d'un recours. La disposition permettant à l'assemblée générale qui a statué sur la candidature de subordonner l'admission d'un nouveau membre au versement d'un droit d'entrée fixe au cas par cas sera supprimée " (cote 1204).
55. Le GIE a refusé la proposition de transaction du ministre de l'économie. Toutefois, certaines clauses litigieuses de son contrat constitutif ont été modifiées à l'occasion de l'assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 (cotes 306 à 342).
56. Ainsi, s'agissant de la possibilité pour le groupement d'admettre de nouveaux membres au cours de son existence, la condition relative à la possibilité pour l'assemblée générale de subordonner l'admission au versement d'un droit d'entrée a été supprimée (cote 180).
57. Par ailleurs, s'agissant de la décision d'admission ou de rejet de candidature notifiée au postulant, le contrat constitutif stipule qu'elle doit désormais être motivée (cote 180).
58. Enfin, la mention selon laquelle le candidat ne dispose d'aucun droit de recours contre cette décision a été supprimée (cote 180).
2. L'EXCLUSION D'UN MEMBRE DU GIE EN RAISON DE L'EXERCICE D'UNE ACTIVITÉ CONCURRENTE
a) Les conditions d'exclusion d'un membre du GIE en raison d'une activité concurrente
Les conditions d'exclusion en vertu du contrat constitutif initial de 2008
59. L'article 15.1 du contrat constitutif du GIE, dans sa version initiale de 2008, énumérait un certain nombre de motifs d'exclusion. Parmi eux, figurent notamment :
- l'" adhésion à un groupement ou à une société quelconque dont l'activité serait concurrente de celle du groupement ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens, le tout selon le jugement de l'assemblée " ;
- et " de façon générale, tout motif jugé grave par l'assemblée ".
Les conditions d'exclusion en vertu du contrat constitutif modifié le 30 juin 2009
60. Le 30 juin 2009, soit quelques semaines après que M. X... a obtenu une autorisation de transport à but touristique (LOTI), l'assemblée générale extraordinaire du GIE a décidé d'ajouter aux conditions d'exclusion prévues par l'article 15-1 du contrat constitutif l'interdiction et l'obligation suivantes (cote 61) :
" Les membres du GIE ne pourront pas demander et exploiter un transport annexe T.P.R.P. [Transport Public Routier de Personnes], ainsi que L.O.T.I. (loi orientation des transports intérieurs) ;
les membres du GIE doivent obligatoirement respecter une période d'inactivité quotidienne de leur autorisation de stationnement de sept heures, si celle-ci est exploitée avec des salariés ou un conjoint collaborateur ".
Les conditions d'exclusion en vertu du contrat constitutif modifié le 2 septembre 2014
61. Parmi les mesures d'injonction proposées par le ministre de l'économie le 14 juillet 2014, accompagnant la proposition de transaction précitée au paragraphe 53, il a été notamment demandé au GIE de :
" c) modifier la rédaction des articles 15-1,15-2 et 16 de son contrat constitutif pour en supprimer les dispositions qui ont objet ou pour effet de limiter l'accès au marché des taxis de la commune d'Antibes-Juan-Les-Pins. Ainsi, les motifs d'exclusion du groupement seront désormais limitativement énumérés (...)
d) modifier la rédaction de l'article 15-1 de son contrat constitutif pour en supprimer les dispositions qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher ou de dissuader les adhérents du GIE de développer ou d'acquérir une clientèle propre en concurrence avec le groupement. Ainsi seront supprimées :
- les dispositions qui interdisent aux membres d'adhérer à un autre " groupement ou à une société quelconque dont l'activité serait concurrente de celle du groupement ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens " durant leur participation au GIE ;
- les dispositions qui interdisent aux membres de " demander et exploiter un transport annexe TPRP, ainsi que LOTI " les dispositions qui imposent aux membres de respecter une période d'activité quotidienne de leur autorisation de stationnement de sept heures, si celle-ci est exploitée avec, des salariés ou un conjoint collaborateur " (cote 1204).
62. Si le GIE a refusé la proposition de transaction, les clauses litigieuses de son contrat constitutif ont toutefois été modifiées dans le sens précité à l'occasion de l'assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 (cotes 306 à 342).
63. Depuis cette date, le fait d'adhérer à un groupement ou à une société dont l'activité serait concurrente de celle du GIE, ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens ne constitue plus un motif d'exclusion. La formule selon laquelle " de façon générale, tout motif jugé grave par l'assemblée " peut constituer un motif d'exclusion a également été supprimée à cette occasion.
64. Par ailleurs, il a été décidé, lors de cette même assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 " d'annuler les délibérations des précédentes Assemblées Générales relatives à l'interdiction d'exploiter une activité de transport LOTI ou un transport annexe TRPP ", du 30 juin 2009 précitées. Les membres du GIE peuvent ainsi exploiter un transport annexe TPRP (Transporteur Public Routier de Personnes) ou LOTI, et ne sont plus dans l'obligation de respecter une période d'inactivité quotidienne de leur autorisation de stationnement de sept heures.
b) Les modalités d'exclusion d'un membre du GIE
Les modalités d'exclusion en vertu du contrat constitutif initial de 2008
65. L'article 15-2 du contrat constitutif prévoyait les modalités d'exclusion suivantes :
" Dans tous les cas où l'assemblée générale doit se prononcer sur l'exclusion, le membre susceptible d'être exclu y est convoqué par le président du conseil d'administration un mois au moins à l'avance, par lettre recommandée avec accusé de réception ;
cette convocation contiendra l'exposé détaillé des motifs de l'exclusion envisagée. Le membre concerné peut faire valoir ses moyens de défense lors de l'assemblée, il peut s'y faire assister d'un conseil de son choix. Il est procédé à l'examen de son exclusion tant en sa présence qu'en son absence. S'il est présent, il pourra donner toutes explications qu'il jugera utiles ;
la régularisation de sa situation avant l'assemblée peut ne pas être considérée par elle comme susceptible d'éviter l'exclusion ;
lors de cette assemblée, les voix de l'intéressé et la personne de l'intéressé lui-même ne sont prises en considération ni pour le calcul du quorum ni pour celui de la majorité.
L'intéressé ne peut donner ni recevoir aucun mandat à cette assemblée ;
le vote sur l'exclusion aura lieu en l'absence de l'intéressé et éventuellement de son conseil. Il est pris à la majorité de 85 % des membres présents et représentés ;
la décision de l'assemblée n'est susceptible d'aucun recours et ne peut en aucune façon entraîner l'allocation de dommages-intérêts de la part du groupement ;
l'exclusion prend et produit ses effets dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que le retrait. " (cotes 78 à 104).
Les modalités d'exclusion en vertu du contrat constitutif modifié le 2 septembre 2014
66. Parmi les mesures d'injonction proposées par le ministre de l'économie le 14 juillet 2014, accompagnant la proposition de transaction précitée au paragraphe 53, il a été notamment demandé au GIE de :
" c) modifier la rédaction des articles 15-1,15-2 et 16 de son contrat constitutif pour en supprimer les dispositions qui ont objet ou pour effet de limiter l'accès au marché des taxis de la commune d'Antibes-Juan-Les-Pins. Ainsi, (...) les voies de recours qui font défaut dans la rédaction actuelle devront être introduites ".
67. Si le GIE a refusé la proposition de transaction du ministre de l'économie, il a toutefois modifié la rédaction des articles litigieux dans le sens précité, lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014 (cotes 306 à 342).
68. Il a ainsi été décidé que la décision de l'assemblée pouvait désormais faire l'objet d'un recours devant la juridiction compétente.
3. LA MISE EN OEUVRE EFFECTIVE DE L'EXCLUSION D'UN MEMBRE DU GIE
69. Au-delà des clauses contenues dans son contrat constitutif, le GIE a restreint l'accès d'un de ses membres au central radiotéléphonique (a), avant de l'exclure du GIE (b). Cette mesure a eu un certain impact financier sur ce membre (c), dont l'exclusion était toujours en vigueur, à la date de l'envoi de la notification des griefs en septembre 2018 (d).
a) La restriction de l'accès au central radiotéléphonique
70. Dans leur plainte adressée à M. Z..., président de la FTI de la région PACA, M. et Mme X... retracent l'historique des pratiques qu'ils dénoncent : " nous avons demandé une licence touristique de transport occasionnelle de personnes (LOTI) qui nous a été délivrée en date du 8 avril 2009. Depuis ce jour, ça n'a été que persécution, pression, et chantage de la part des Taxis d'Antibes, ils ont été même jusqu'à modifier les statuts du GIE (central téléphonique) concernant les taxis titulaires d'une LOTI et cela en date du 30 juin 2009, pour couper la centrale téléphonique des taxis d'Antibes à mon époux " (cotes 46 et 47).
71. M. X... explique ainsi : " Lorsque j'ai créé la LOTI pour mon épouse, le central a commencé à faire sauter mon tour pour les prises en charge, cela a duré pendant un an et demi " (cote 66).
72. Selon lui, le GIE se serait ensuite adressé directement au prestataire fournisseur de la centrale radio pour restreindre matériellement son accès : " Ils ont également réussi à me faire couper le central radio en s'adressant au prestataire fournisseur de la centrale téléphonique " (cote 66).
73. Lors de son audition recueillie par des agents de la DGCCRF, le Président du GIE, M. A..., a affirmé que : " Le GIE a été créé pour nous protéger, avoir un règlement pour moraliser la profession sur Antibes, et pouvoir intervenir en interne dans le cas de mauvais comportement ou de fautes effectuées par un taxi sur la commune. Grâce au règlement intérieur, nous pouvons sanctionner un taxi en lui coupant provisoirement l'accès au central radio. L'adhésion au GIE implique le respect du règlement intérieur " (cotes 73 et 74).
74. La lettre de convocation à l'assemblée générale ordinaire du GIE, programmée pour le 16 juin 2010, mentionne à l'ordre du jour " la remise en place de la liste noire " (cote 69). Interrogé sur ce point par les services d'instruction, M. A... a déclaré : " Concernant la convocation à une AGO du 20 mai 2010, la liste noire fait référence à une liste sur laquelle figurent les taxis qui ont fait une faute et sont susceptibles d'être sanctionné par une coupure provisoire du central radio. À ma connaissance elle n'a jamais été utilisée " (cote 74).
75. Il a indiqué par ailleurs qu'être membre du GIE signifiait également respecter les règles qui découlent de son contrat constitutif, sous peine de sanction : " un taxi faisant partie du GIE ne peut pas se faire de la publicité personnelle, même dans les pages jaunes, sauf à mettre le numéro du central. S'il se développe une clientèle personnelle, au-delà du raisonnable, soit quelques clients, il serait sanctionné par le GIE, par exemple par un rappel à l'ordre " (cote 74).
b) L'exclusion d'un membre du GIE
76. L'exclusion de M. X... serait selon lui intervenue pour des motifs particuliers (1), à l'issue de la mise en œuvre de la procédure d'exclusion telle qu'envisagée dans le contrat constitutif du GIE (2). Elle s'est matérialisée par l'impossibilité, pour M. X..., d'exercer en pratique ses droits en tant que membre du GIE (3).
1. Les motifs de l'exclusion
77. Selon M. X..., son exclusion du GIE serait directement liée à la volonté de diversifier ses activités :
" Mon épouse a commencé une activité de LOTI au 1er avril 2009. Cette activité s'est transformée en VTC (véhicule de tourisme avec chauffeur) en 2011. Parallèlement j'ai poursuivi mon activité de taxi. Nous avions donc avec ma femme un véhicule chacun.
J'ai créé cette activité de LOTI parce que j'ai été boycotté par mes collègues taxis qui ne voulaient plus me dépanner pour ma clientèle personnelle lorsque j'étais indisponible. Ce boycott visait à ce que j'oriente ma clientèle personnelle uniquement vers le central radio du GIE Allô Taxi Antibes, ce que je ne souhaitais pas car le central est moins fiable et certains clients souhaitaient que ce soit uniquement moi qui fasse la course. (...)
Le GIE m'a demandé de cesser mon activité de LOTI, et de cesser ma publicité personnelle. Cette publicité consistait en un site internet que j'avais créé avec mon épouse, Transport Fulconis. Ce site n'a jamais vraiment fonctionné, je leur ai signalé que je l'avais abandonné mais le site reste cependant en ligne pendant un an après sa suppression.
Le GIE m'a également reproché de détourner la clientèle du central sur le VTC de mon épouse, ce qui n'a jamais été le cas et que je leur avais demandé de prouver à plusieurs reprises. " (cotes 65 et 66)
78. M. Z..., président de la Fédération des Taxis Indépendants de la région PACA, auditionné par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence le 6 septembre 2017, explique pour sa part :
" Nous avons estimé (...) les pratiques de ce GIE comme abusives à l'égard de notre adhérent consistant à le menacer et l'avoir en définitive exclu pour un motif d'activité annexe de transports en dehors de ce GIE.
Et plus encore, lorsque ce GIE a procédé à la modification de la clause d'exclusion par le GIE lors de l'AGE du 30 juin 2009, modification qui ne peut être que précisément en réponse à l'activité annexe (LOTI) qu'exerçait son épouse, activité qui a commencé en avril 2009. Or une activité de transports touristiques de personnes par ailleurs ne crée aucune concurrence déloyale aux taxis existants sur la commune d'Antibes " (cote 161).
79. C'est en substance ce qu'a confirmé le président du GIE lui-même, lors de son audition par les services d'instruction le 15 novembre 2012. À cette occasion, il a déclaré que :
" Les VTC sont un fléau sur Antibes car ils sont ingérables et incontrôlables notamment du fait qu'ils n'ont pas de lamparo. Ils arrivent à s'introduire dans les hôtels et court-circuitent le central radio des taxis d'Antibes. Les LOTI nous gênent moins s'ils restent dans leur créneau. (...) Concernant l'interdiction pour les taxis d'avoir un transport annexe, LOTI ou VTC, pour nous cette possibilité entraînerait la mort du central radio car il ne serait plus efficace pour répondre à la demande. Si tout le monde exploite un taxi annexe c'est la mort de notre profession " (cotes 73 et 74).
2. La mise en œuvre de la procédure d'exclusion
L'envoi d'un courrier préalable adressé à l'intéressé
80. Dans un courrier du 12 mars 2011 adressé à M. X..., le GIE relève l'activité de transport annexe à celle de taxi exercée par M. X..., ainsi que la publicité faite par ce dernier sur internet :
" (...) Le principe du central téléphonique veut que chacun d'entre nous réponde aux sollicitations faites par les clients et que nous soyons tous disposés à répondre et à jouer le jeu.
Manifestement, nous avons constaté que vous faites une publicité importante sur internet dans le cadre d'une activité de transport de personnes, mise en œuvre par votre taxi, ainsi que le transport annexe que vous avez obtenu et qui est exploité par votre épouse.
Or ce mode opératoire est exclu par nos statuts.
Je vous renvoie à la résolution prise en Assemblée Générale extraordinaire du 30 juin 2009 aux termes de laquelle nous avons adopté la deuxième résolution (...) " (cote 57).
81. Cette lettre s'achève par une mise en demeure adressé à M. X... de cesser cette activité de transport annexe, ainsi que la publicité s'y rapportant, sous peine d'exclusion :
" Nous vous rappelons que nos statuts prévoient des modalités d'exclusion des membres en cas de non-respect de nos règles.
Notre objectif n'est pas d'envisager des sanctions mais de vous faire mesurer l'impérative nécessité d'avoir à vous conformer aux règles décidées ensemble.
Cependant, le non-respect de ces règles nous conduirait inévitablement à devoir envisager une voie disciplinaire, ce que nous espérons pouvoir éviter.
La présente a vocation à vous mettre en demeure de cesser votre activité annexe et, par voie de conséquence, la publicité s'y rapportant.
À l'évidence, si vous décidiez de ne pas vous conformer à ces règles, vous vous excluriez vous-même de notre système de central téléphonique en nous conduisant inévitablement à envisager une exclusion du GIE ".
82. M. X... explique avoir ensuite : " reçu la convocation pour la réunion de changement de statuts, changements qui ont été adoptés à la majorité " (cotes 65 et 66).
83. Sur ce point, M. Z..., président de la FTI de la région PACA, explique que :
" Depuis [l'] accroissement économique [de M. X...], le GIE s'est réuni et a décidé de modifier ses statuts afin de procéder unilatéralement à l'exclusion de M. X.... (...)
Nous constatons que ces modifications d'articles de résolution des statuts du GIE " Allo Taxis Antibes " ont été effectuées postérieurement à l'inscription de Monsieur X... en transport occasionnel " (cotes 43 et 44).
Le vote de l'assemblée générale extraordinaire du GIE
84. Par un courrier du 26 mars 2011, les membres du GIE ont été convoqués à une assemblée générale extraordinaire le 28 avril 2011 (cote 71). L'ordre du jour était le suivant : " la décision à prendre au sujet de l'exclusion du taxi N°4 [en l'occurrence, M. X...] pour non-respect de notre règlement et concurrence déloyale " (cotes 122 et 123).
85. M. X... décrit alors le déroulé de cette réunion : " Je me suis rendu à cette réunion avec M. Z..., président de la FTI. Nous n'avons pu nous exprimer et avons été expulsé de cette réunion " (cotes 65 et 66).
86. Le compte-rendu de l'assemblée générale indique qu'à l'issue du vote, trente-deux membres du GIE se sont exprimés en faveur de l'exclusion de M. X..., deux membres contre et un membre s'est abstenu (cotes 122 et 123).
3. La matérialisation de l'exclusion
87. À l'issue de l'assemblée générale extraordinaire, M. X... a constaté qu'il était, de fait, exclu du central radio :
" J'ai compris que j'avais été exclu du GIE d'Antibes lorsque j'ai constaté que je n'étais pas sur la liste du nouveau prestataire pour le central radio, la société TESSA.
Depuis, le GIE est revenu au prestataire précédent, PRECEPTEL. La bascule chez TESSA pendant une année a été faite uniquement pour m'exclure du central radio " (cote 66).
88. Toutefois, M. X... n'a jamais été officiellement informé par le GIE de son exclusion : " Je n'ai jamais reçu ni de lettre d'exclusion ni de compte rendu de cette réunion après l'avoir demandé plusieurs fois au président M. A... " (cote 66).
89. Lors de son audition par les agents de la DGCCRF, M. A..., président du GIE de juin 2010 à juin 2013, a néanmoins confirmé cet élément factuel :
" Nous avons rajouté une nouvelle clause d'exclusion en 2009 interdisant l'exploitation d'un transport annexe. Cette clause est toujours d'actualité.
Nous avons exclu un taxi sur ce motif car ce taxi ne répondait pas au central et s'était constitué sa propre clientèle, à mon avis en se faisant de la publicité avec des cartes publicitaires. (...)
Jusqu'alors il n'y a eu qu'un cas d'exclusion.
Aucun autre taxi n'a eu la volonté de prendre un taxi annexe de type LOTI ou VTC " (soulignement ajouté) (cotes 73 et 74).
90. Lors de la séance qui s'est tenue devant le Collège de l'Autorité le 12 février 2019, il a été confirmé que le taxi exclu par le GIE et dont fait mention M. A... dans son audition est bien M. X....
c) Les conséquences de l'exclusion
91. Selon M. X..., son exclusion se serait traduite par une diminution de son chiffre d'affaires : " La 1ère année suivant mon exclusion, d'avril à octobre 2011, j'ai perdu entre 150 et 200 euros par jour " (cote 66).
92. M. Z..., Président de la Fédération des Taxis Indépendants, confirme cette perte financière : " Le fait qu'il n'ait plus accès à la centrale radio du GIE lui a fait perdre un chiffre d'affaires d'environ 150 euros par jour sur 5 jours ouvrables par semaine " (cote 40).
93. Par ailleurs, cette exclusion aurait eu pour effet, selon M. X..., de dissuader d'autres artisans taxis d'exercer des activités concurrentes de transport public de personnes en dehors du GIE ou de créer tout nouveau groupement :
" Lors de mon exclusion, trois autres taxis du GIE avaient une autorisation pour une LOTI. Par crainte, ils ne l'ont en conséquence jamais exploitée.
Actuellement, il y a 36 taxis sur la commune, et je suis le seul à ne pas faire partie du GIE et du central radio Allô Taxis Antibes.
Il y a pu avoir des velléités de créer un autre regroupement sur Antibes, mais les menaces de couper le central radio ont suffi à décourager ces initiatives " (cote 66).
d) La continuité de l'exclusion
94. Lors de son audition par les services d'instruction le 16 octobre 2017, M. Y..., actuel président du GIE, a confirmé que M. X... était toujours exclu du GIE :
" Notre GIE intègre, depuis sa création, l'ensemble des taxis en fonction sur la commune, y compris les nouveaux entrants (c'est-à-dire les nouveaux possesseurs d'une ADS, à savoir une autorisation de stationnement, délivrée par la mairie). La seule exception est constituée, encore à l'heure actuelle, par M. X... (taxi ADS n°4) " (cote 171).
95. SelonM. Z..., Président de la Fédération des Taxis Indépendants, auditionné par l'instruction le 6 septembre 2017 :
" Depuis qu'il a été exclu, M. X... et son épouse continuent son activité de taxi, de VTC et de LOTI " (cote 40).
96. Il est constaté que l'exclusion de M. X... était toujours en vigueur à la date d'envoi de la notification des griefs en octobre 2018.
E. RAPPEL DES GRIEFS NOTIFIÉS
97. Au vu des éléments de faits exposés dans la notification de griefs, les griefs suivants ont été notifiés :
" Grief n° 1 :
- il est fait grief au GIE d'avoir inclus, entre 2008 et 2018, au sein de son cadre contractuel, des conditions d'accès au GIE non objectives, non transparentes et discriminatoires.
- cette pratique a eu pour objet de faire obstacle au libre jeu de la concurrence sur le marché d'exploitation d'une activité de transport de particuliers dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs.
- elle est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Grief n° 2 :
- il est fait grief au GIE d'avoir inclus, entre 2008 et 2018, au sein de son cadre contractuel, des motifs d'exclusion du GIE destinés à interdire à ses adhérents le développement d'une activité et d'une clientèle personnelle, et de les avoir mis en œuvre de façon effective en allant jusqu'à l'exclusion d'un de ses membres du GIE et de l'accès au central taxi.
- cette pratique a eu pour objet de faire obstacle au libre jeu de la concurrence sur le marché d'exploitation d'une activité de transport de particuliers dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs.
- elle est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
98. Il convient d'examiner successivement le marché pertinent (A), le bien-fondé des griefs notifiés (B), la durée (C), l'imputabilité des pratiques (D) et les sanctions (E).
A. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
99. Il résulte de la pratique décisionnelle constante de l'Autorité et de la jurisprudence que lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes, comme c'est le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment caractérisé pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en place (décisions n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28 ; n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme, paragraphe 65 et n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, paragraphe 214).
100. En l'espèce, les pratiques sont observées sur les marchés de transports de personnes par taxi et par des véhicules LOTI et VTC, exclusivement dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans une définition plus fine du marché.
B. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
1. L'EXISTENCE D'UN ACCORD DE VOLONTÉ
Rappel des principes applicables
101. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les ententes, pratiques concertées et décisions d'association d'entreprises restrictives de concurrence qui résultent d'accords de volonté entre entités autonomes.
102. En droit national, s'agissant des pratiques d'organismes collectifs (syndicats, associations, ordres professionnels, etc.), la Cour de cassation a jugé par un arrêt de principe du 16 mai 2000 (Ordre national des pharmaciens, 98-12612) que ces organismes représentent " la collectivité de [leurs] membres et (...) [qu'] une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre ses membres ".
103. Le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité, a précisé dans la décision n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 relative à des pratiques s'opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l'occasion d'appels d'offres en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques " (...) qu'une entente peut résulter de tout acte émanant des organes d'un groupement professionnel, tel qu'un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire. Ainsi, l'élaboration et la diffusion, à l'initiative d'une organisation professionnelle, d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents constituent une action concertée ".
104. Il résulte de ce qui précède que les décisions des organismes collectifs, bien que se présentant comme des actes unilatéraux, résultent d'un accord de volonté de leurs membres et sont, à ce titre, susceptibles de relever des règles de prohibition des ententes.
105. En ce qui concerne le standard de preuve de la participation d'une entreprise à une entente horizontale, il ressort de la pratique décisionnelle de l'Autorité que la preuve de pratiques anticoncurrentielles peut résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes, soit d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction (arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, Raffali & Cie, n° 2009/24 813, page 7, décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, point 313).
Application au cas d'espèce
106. En l'espèce, le GIE est une association qui regroupe la totalité des artisans taxis de la ville et dont le fonctionnement est essentiellement précisé par le contrat constitutif du 23 janvier 2008 (cotes 79 à 104).
107. S'agissant du grief n° 1, les conditions d'accès au GIE, édictées à l'article 12 du contrat constitutif du GIE dans sa version initiale du 23 janvier 2008, ont été modifiées à l'occasion de l'assemblée générale extraordinaire du 2 septembre 2014. Les conditions et modalités d'exclusion d'un membre du GIE sont précisées aux articles 15 et 16 du contrat constitutif, et ont été modifiées par les assemblées générales extraordinaires du 30 juin et du 2 septembre 2014.
108. S'agissant du grief n° 2 relatif à la mise en œuvre effective d'un membre du GIE, M. X... a fait l'objet d'une procédure d'exclusion, qui s'est traduite dans les faits par le vote de son exclusion lors de l'assemblée générale extraordinaire du 28 avril 2011.
109. Ces décisions d'adoption et de modification des statuts constitutifs du GIE, bien que se présentant comme des actes unilatéraux, résultent d'un accord de volonté de leurs membres et sont, à ce titre, susceptibles de relever des règles de prohibition des ententes.
2. LE CARACTÈRE ANTICONCURRENTIEL DES PRATIQUES
a) Les restrictions contractuelles à l'accès au GIE
Rappel des principes applicables
110. Selon une jurisprudence constante, rappelée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 27 mai 2003 (Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France), les conditions d'adhésion à une association professionnelle peuvent porter atteinte à la libre concurrence si, d'une part, cette adhésion est une condition d'accès au marché ou si elle constitue un avantage concurrentiel et si, d'autre part, ces conditions d'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire.
111. S'agissant du premier critère, le Conseil de la concurrence, dans sa décision n° 01-D-70 du 24 octobre 2001 relative au secteur de la mélasse et du rhum à la Réunion, a considéré : " que la fermeture d'un groupement, c'est-à-dire le fait d'en réserver l'adhésion à ses fondateurs ou à des entreprises acceptées par eux, n'est susceptible d'entraver le libre jeu de la concurrence que si la participation au groupement est la condition de l'accès au marché ". La pratique décisionnelle du Conseil puis de l'Autorité admet aussi que la restriction de concurrence est établie si l'adhésion au groupement est une condition de " l'accès à une part essentielle du marché " (décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE " groupement des Taxis amiénois et de la métropole), ou qu'elle est " un facteur essentiel de contact avec la clientèle ", ce qui a pour conséquence que le refus d'admission peut " limiter l'accès des artisans exclus du groupement à la clientèle " (décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Saint-Laurent-du-Var). En l'espèce, le Conseil a expliqué que les statuts du GIE " doivent être appréciés au regard de la position économique du GIE (...) " (décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001 précitée).
112. S'agissant du second critère, relatif à des conditions d'adhésion non objectives, non transparentes ou discriminatoires, le Conseil de la concurrence a sanctionné les pratiques de groupement de taxis visant à imposer des critères non objectifs et discriminatoires aux nouveaux adhérents par l'application d'un droit d'entrée élevé aux candidats qui ne succèdent pas à un membre dudit groupement (décisions n° 00-D-78 du 21 mars 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des taxis à Besançon et n° 00-D-79 du 21 mars 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des taxis à Belfort).
113. Dans la décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Saint-Laurent-du-Var, le Conseil a par ailleurs relevé que le fait de subordonner l'adhésion au groupement à un parrainage par deux membres de ce groupement, c'est-à-dire deux concurrents directs sur le marché, ne reposant sur aucun critère objectif, constituait une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce. De même, le Conseil a jugé que l'absence de critères objectifs de sélection et le caractère discrétionnaire des décisions, traduit par l'absence de motivation des décisions de refus d'admission, constituaient des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce :
" Considérant qu'il résulte de l'article 10 des statuts que l'adhésion au groupement est subordonnée à un parrainage des adhérents du GTL, c'est-à-dire à l'accord de deux concurrents directs sur le marché ; que cette même adhésion ne repose sur aucun critère objectif permettant d'apprécier le caractère éventuellement discriminatoire de la décision prise par le groupement ; qu'en outre, le refus d'une demande d'adhésion n'a pas à être motivé ; que ces dispositions doivent être appréciées au regard de la position économique du GIE qui, à l'époque des faits, réunissait treize des dix-sept artisans taxi habilités à exercer dans la commune, réalisait la quasi-totalité des prestations de courses sur le marché des transports par taxi à Saint-Laurent-du-Var et ses environs et, surtout, disposait seul d'un système de radiotéléphone, représentant un facteur essentiel de contact avec la clientèle ; que, dès lors, l'obligation de parrainage, l'absence de critères objectifs de sélection et le caractère discrétionnaire de la décision du GIE, traduit par l'absence de motivation des décisions de refus d'admission, ont pu faire obstacle à l'accès d'un nouvel entrant au marché concerné ou, du moins, ont pu limiter l'accès des artisans exclus du groupement à la clientèle ; que de telles pratiques, mises en œuvre par un groupement d'entreprises de nature à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence, sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce. (...) ".
114. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence a eu l'occasion de préciser dans l'affaire des taxis de Belfort précitée que la simple présence de telles dispositions dans les statuts du groupement constituait une infraction au droit des ententes, sans qu'il soit besoin qu'elles aient fait l'objet d'une application effective (décision n° 00-D-78 du 21 mars 2001 précitée).
Application au cas d'espèce
115. Au cas présent, l'appartenance au GIE a conditionné l'accès au marché dans la mesure où elle peut être considérée comme un facteur essentiel de contact avec la clientèle locale.
116. En effet, la totalité des taxis de la commune d'Antibes Juan-les-Pins, à l'exception de M. X... depuis le 28 avril 2011, adhère à ce mode de fonctionnement dont le but est, au moyen d'un central radiotéléphonique accessible 24h/24, de centraliser les demandes des clients et de les répartir entre les taxis disponibles. Comme le souligne M. Z..., président de la FTI de la région PACA, cela permet ainsi de " créer une habitude de consommation pour les utilisateurs, et même de devenir une normalité quotidienne, bien ancrée dans la vie locale. De ce fait, l'exploitation [d'un] taxi [sur] la commune (...) trouve dans le GIE une part non négligeable de ses revenus " (cote 161).
117. Or, il ressort de l'analyse du contrat constitutif du GIE que l'adhésion au groupement est subordonnée, dès le 23 janvier 2008, date du contrat constitutif initial, d'une part, à un parrainage par au moins deux membres du GIE, d'autre part, à un vote à l'unanimité se prononçant en faveur de l'intégration dans le GIE du candidat. Entre le 23 janvier 2008 et le 2 septembre 2014, date de modification du contrat constitutif à la suite de l'intervention de la Direccte, l'admission au sein du GIE pouvait en outre être subordonnée au versement d'un droit d'entrée, décidé et fixé discrétionnairement par l'assemblée générale du GIE. Aucun recours n'était par ailleurs admis à l'encontre de la décision se prononçant sur la demande d'adhésion d'un nouveau membre dans le GIE.
118. La condition de parrainage par au moins deux membres du GIE, concurrents directs sur le marché, et la nécessité de recueillir un accord unanime de tous les membres du GIE comportent un risque de discrimination arbitraire entre les candidats.
119. De plus, la possibilité d'appliquer un droit d'entrée dans l'association, dont le mode de calcul n'est pas fixé dans le contrat constitutif dans des conditions objectives et est laissé à l'appréciation de l'assemblée générale, peut être utilisée de façon arbitraire pour faire obstacle à l'accès d'un nouvel entrant sur le marché des taxis dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins.
120. Il résulte de ce qui précède que les conditions d'accès au GIE sont non objectives, non transparentes et discriminatoires, et ce d'autant plus que la décision du GIE en la matière ne peut faire l'objet d'aucun recours. Eu égard à la position économique du GIE, qui constitue un intermédiaire essentiel pour accéder à la clientèle, ces conditions sont anticoncurrentielles par objet et prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
b) Les restrictions au développement d'une activité concurrentielle et leur mise en œuvre
Rappel des principes applicables
121. Selon une pratique décisionnelle constante, la constitution d'un groupement entre concurrents, et notamment d'un groupement d'intérêt économique, n'est pas en soi constitutive d'une pratique concertée prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce (décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 précitée).
122. Cependant, ce type de structure ne doit pas restreindre la liberté commerciale de ses membres au-delà du raisonnable, notamment pour se livrer à des pratiques concertées interdites (décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001 précitée).
123. Concernant le secteur des taxis, la pratique décisionnelle du Conseil puis de l'Autorité a mis en évidence de nombreuses situations dans lesquelles un groupement de taxis avait pu porter atteinte à la concurrence par le biais notamment de clauses restrictives prévues par ses statuts.
L'interdiction de concurrencer le groupement de taxis
124. Le Conseil de la Concurrence, dans sa décision n° 01-D-32 du 27 juin 2001, a sanctionné un groupement de taxis pour avoir empêché ses membres de se constituer une clientèle propre en dehors du groupement, au travers de règles de fonctionnement (statuts, règlement intérieur ou autre) qu'il a établies.
125. En l'espèce, le groupement avait exclu un de ses membres sur la base de son règlement intérieur qui prévoyait que : " chacun des membres du groupement s'engage à ne maintenir ou à n'entreprendre aucune action de quelque nature que ce soit, qui aurait pour conséquence de concurrencer le groupement ".
L'interdiction d'exercer un mode de transport concurrent
126. Le Conseil de la Concurrence a indiqué dans sa décision n° 96-D-53 du 17 septembre 1996 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'exploitation des taxis à Cannes que :
" Considérant que selon une note du vice-président de la société Allo Taxi, il "convenait d'éviter le développement et la prolifération des transporteurs occasionnels (dits loi LOTI)"; que toujours selon cette même note, "M. B... auquel a succédé M. C..., voulait entrer dans la coopérative ce [qui a été] refusé par crainte de voir nos taxis cannois vendre leurs licences et se mettre en loi LOTI" ;
(...) ; que la société Allo Taxi visait, par là, à empêcher le développement d'une offre de transports occasionnels concurrente de celle des exploitants de taxi ; qu'une telle pratique, qui avait pour objet et a pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché et le libre jeu de la concurrence, est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ".
127. Par ailleurs, l'Autorité rappelle que la loi prévoit en tout état de cause la possibilité pour les taxis de cumuler l'activité de taxi et les activités de conducteur LOTI ou VTC (paragraphes 28 et 29).
L'interdiction de réaliser une publicité personnelle
128. Par une décision n° 97-D-54 du 9 juillet 1997 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de l'exploitation des taxis à Toulon, le Conseil de la Concurrence a sanctionné un groupement de taxis pour avoir inséré des dispositions contractuelles dans son règlement intérieur interdisant à ses membres de recourir à de la publicité personnelle sur " les annuaires, aussi bien que sur la commune de Toulon que sur la commune de leur résidence ".
129. Par ailleurs, dans sa décision n° 00-D-78 du 21 mars 2001, le Conseil de la Concurrence a indiqué que :
" Considérant, toutefois, que, même si la disposition relative à l'interdiction de la publicité personnelle n'a pas donné lieu à sanctions, sa simple présence dans les statuts a été de nature à restreindre la liberté commerciale des membres de l'association en les dissuadant de se constituer une clientèle propre ".
Application au cas d'espèce
130. Au cas présent, le contrat constitutif du GIE a inclus différentes clauses visant à restreindre la concurrence sur les marchés de transports de personnes par taxi et par des véhicules LOTI et VTC.
131. En premier lieu, le contrat constitutif du GIE dans sa version initiale du 23 janvier 2008 contenait une clause visant à limiter de manière générale l'exercice d'une activité concurrente au groupement. L'article 15.1 procédait en effet à l'énumération des motifs pouvant justifier une exclusion du GIE dont : " l'adhésion à un groupement ou à une société quelconque dont l'activité serait concurrente de celle du groupement ou dont les objectifs seraient préjudiciables aux siens ", mais également " de façon générale, tout motif jugé grave par l'assemblée (...) ". L'article 15.2 ne prévoyait par ailleurs aucune voie de recours contre les décisions d'exclusion.
132. En deuxième lieu, la décision de M. X... de développer de nouveaux modes de transport et une clientèle personnelle, en dehors du GIE, a conduit ce dernier à ajouter des motifs supplémentaires d'exclusion au sein de l'article 15.1, le 30 juin 2009. Ont ainsi été votées et largement adoptées deux clauses : l'une vise à interdire expressément le recours à une autre possibilité de modes de transport pourtant autorisés par la loi, en édictant que " les membres du GIE ne pourront pas demander et exploiter un transport annexe T.P.R.P., ainsi que L.O.T.I. " ; la seconde vise à contenir le recours à un salarié ou un conjoint collaborateur puisque " les membres du GIE doivent obligatoirement respecter une période d'inactivité quotidienne avec des salariés ou un conjoint collaborateur ".
133. En troisième lieu, le GIE a explicitement souligné, au travers d'un courrier adressé à M. X... le 12 mars 2011 que la publicité qu'il pratiquait, tant pour son activité de taxi en dehors du GIE que pour le transport annexe exercé par son épouse, contrevenait aux règles mises en place par le GIE le 30 juin 2009. Les déclarations du président du GIE, M. A..., vont dans le même sens (cotes 57 et 58).
134. L'ensemble de ces mesures s'apparentent à une pratique de boycott et avaient pour but d'empêcher toute concurrence nouvelle, que ce soit par la mise en place d'une activité parallèle de LOTI ou de VTC ou par le recours à une publicité personnelle. Elles ont finalement abouti, à partir d'avril 2011, à l'exclusion de fait de M. X... du GIE, au motif qu'il ne respectait pas les restrictions imposées. M. X... a ainsi été dans l'impossibilité pratique d'accéder au central radio, facteur essentiel de contact avec la clientèle.
135. Sur ce point, le GIE conteste l'effectivité de l'exclusion de M. X... en précisant que :
- la décision formelle d'exclusion du 28 avril 2011 n'aurait jamais été notifiée à M. X... (cote 1237) ;
- cette décision aurait été annulée à la suite d'une décision de l'assemblée générale du GIE du 2 septembre 2014 (cote 1199) ; et
- l'exclusion de M. X... du GIE n'aurait jamais été formalisée dans les différents actes juridiques, pas plus qu'au registre du commerce et des sociétés. Il en découlerait dès lors que M. X... figure toujours sur la liste au registre Kbis des membres ayant constitué le GIE ainsi que sur les tours de rôle du GIE (cote 1199).
136. Toutefois, il est patent qu'à la suite de la décision formelle d'exclusion prise par le GIE le 28 avril 2011, M. X... n'a plus eu accès en pratique au central radio à compter de cette date (paragraphe 87). Cette exclusion a d'ailleurs engendré une perte significative de chiffre d'affaires la première année suivant son exclusion (paragraphes 91 et 92).
137. La circonstance par ailleurs que le GIE ne perçoit plus de cotisations de sa part depuis 2012 peut constituer un indice supplémentaire attestant de l'effectivité de son exclusion du central radio (cote 1237).
138. Enfin, au cours de leurs auditions respectivement du 16 octobre 2017 et 6 septembre 2017, M. Y..., actuel président du GIE, et M. Z..., Président de la FTI, ont confirmé l'exclusion dans les faits de M. X... (cotes 171 et 40).
139. Il résulte des développements précédents que les stipulations du contrat constitutif du GIE, relatives aux conditions d'exclusion d'un membre tout comme la mise en œuvre de ce principe à l'encontre de l'un des membres du GIE, révèlent l'existence d'une concertation visant à faire obstacle au libre exercice de la concurrence.
140. Il n'est en outre pas contestable que l'adhésion au GIE constitue, compte tenu de sa prédominance dans le secteur des taxis d'Antibes et de ses environs ainsi que de son contrôle sur le central radio, un avantage déterminant pour l'accès à l'activité de réservation préalable. Les restrictions statutaires ainsi apportées au libre exercice de la profession de taxi ont pour conséquence de limiter l'accès à la clientèle des artisans exclus du GIE et la liberté de l'artisan-taxi exerçant dans cette commune et ses environs.
141. L'ensemble de ces agissements constitue donc une pratique anticoncurrentielle par objet, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
C. SUR LA DURÉE DES PRATIQUES
142. Les clauses contractuelles, objet de cette décision, ont été mises en place dès le contrat constitutif du GIE du 23 janvier 2008. La date de début de chacune des deux pratiques analysées ci-dessus est donc le 23 janvier 2008.
143. Si certaines de ces clauses ont été modifiées le 2 septembre 2014, ces modifications n'ont néanmoins pas permis de rendre les conditions d'accès au GIE totalement objectives, transparentes et non discriminatoires. En effet, le parrainage par au moins deux membres du GIE et l'obligation pour l'unanimité des membres de se prononcer pour l'intégration du nouveau candidat restaient en cours au jour de la notification des griefs.
144. De même, l'exclusion effective du GIE de l'un de ses membres a perduré, à tout le moins jusqu'à la notification des griefs.
145. Ces éléments permettent de retenir, pour les deux griefs, une durée des pratiques du 23 janvier 2008 au 24 septembre 2018, soit 10 ans et 8 mois.
D. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
146. Il ressort des éléments qui précèdent que le conseil d'administration du GIE a pris une part déterminante dans la mise en œuvre des pratiques qui font l'objet des griefs notifiés.
147. Dans la décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, le Conseil de la concurrence a estimé devoir imputer des pratiques d'ententes au niveau du groupement et non à celui de ses membres en ces termes : " considérant que le G.I.E. InterDem, à qui le grief a été notifié, estime que celui-ci ne le concernerait pas, mais ses membres ; que si le pacte social par lequel plusieurs entreprises décident d'unir une partie de leurs moyens dans un but commun ne saurait être considéré en lui-même comme anticoncurrentiel, les décisions prises par le G.I.E. InterDem sont la manifestation de l'accord de volontés des membres de cette structure commune, dont il n'est pas contesté qu'ils sont des entreprises juridiquement distinctes, poursuivant des objectifs économiques distincts et en situation de se faire concurrence ; que le G.I.E. InterDem doit être mis en cause parce que ce sont les organes dirigeants de ce G.I.E. en tant que tel, quoique par délégation, qui apparaissent comme étant les auteurs des pratiques d'ententes entre ses membres ".
148. Par identité de motifs et compte tenu des éléments d'appréciation retenus dans la présente affaire, il y a lieu, en l'espèce, d'imputer les pratiques au GIE.
E. SUR LES SANCTIONS
149. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 du Code de commerce. L'objet d'un groupement d'intérêt économique est de " faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même " (article L. 251-1 du Code de commerce). Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros ".
150. L'article L. 464-5 du Code de commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code de commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce Code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.
151. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibée par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
152. Il ressort de la pratique décisionnelle de l'Autorité que lorsque plusieurs griefs ont été notifiés, l'Autorité peut imposer à chaque entreprise mise en cause plusieurs sanctions correspondant à plusieurs infractions (arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, société Bouygues Télécom, n° 07-10303), en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce (voir, en ce sens l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge, n° 10-17482).
153. Mais l'Autorité peut aussi décider, pour chaque entreprise mise en cause, une sanction unique correspondant à plusieurs infractions (voir, en ce sens, les arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2005, société Dexxon Data Media, n° 04-19102 et de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, EPSE Joué Club, n° 2008/00255 et la décision n° 16-D-09 du 12 mai 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs des armatures métalliques et des treillis soudés sur l'île de la Réunion, paragraphes 426-427, confirmée sur ce point par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mars 2018, n° 16/14231, points 140 et 156).
154. En l'espèce, les pratiques visés par les deux griefs ont été mises en œuvre par le GIE dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins et visaient, à travers le contrat constitutif du GIE, à fausser le libre jeu de la concurrence sur les marchés de transports de personnes par taxi et par des véhicules LOTI et VTC dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs.
155. Partant, une seule sanction sera prononcée au titre des deux griefs.
156. Seront successivement abordés :
- la possibilité de s'écarter du communiqué sur les sanctions (1) ;
- la gravité des faits (2) ;
- le dommage à l'économie (3) ;
- la situation individuelle du GIE (4) ;
- le montant de la sanction (5) ; et
- les injonctions (6).
1. LA POSSIBILITÉ DE S'ÉCARTER DU COMMUNIQUÉ SANCTIONS
157. Au point 7 de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après " le communiqué sanctions "), l'Autorité indique que la méthode qu'elle expose dans ce texte lui est opposable " sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné ".
158. C'est donc au terme d'une analyse globale tenant compte du fonctionnement du secteur économique en cause, de la nature des pratiques sanctionnées et dans les circonstances particulières de la présente affaire, que l'Autorité peut apprécier, au cas d'espèce, s'il y a lieu ou non de s'écarter des méthodes de détermination et réduction de sanction décrites respectivement dans le communiqué sanctions.
159. Compte tenu du fait que le GIE ne dispose pas d'un chiffre d'affaires propre ou de valeur des ventes, sa sanction pécuniaire doit être déterminée selon des modalités propres au cas d'espèce.
160. Par conséquent, l'Autorité s'écartera de la méthode décrite dans le communiqué sanctions pour y substituer un mode de fixation forfaitaire.
2. LA GRAVITE DES FAITS
161. Pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte, en fonction de leur pertinence, de la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser, de la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, de leur combinaison, de la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises, consommateurs vulnérables, etc.) et des caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions.
162. En premier lieu, les clauses en cause ont visé à dissuader les membres du GIE de se développer et de se différencier en termes de variété ou de qualité de service, en dehors du groupement, au risque de se voir in fine interdire l'accès au central radio. La gravité de ces pratiques est d'autant plus forte qu'elles portent sur la totalité des taxis de la commune d'Antibes Juan-les-Pins et de ses environs.
163. En deuxième lieu, les clauses en cause ont également visé à empêcher l'essor de nouveaux modes de transport (LOTI et VTC) dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs, alors même que la loi les autorisait expressément. En effet, tout chauffeur de taxi peut exercer une activité accessoire de LOTI, tandis que et le cumul d'une activité de VTC à celle de taxi est également possible depuis décembre 2016.
164. En troisième lieu, doit être relevé que des pratiques similaires ont déjà été sanctionnées dans ce secteur et que certaines décisions ont été assorties d'une mesure de publication dans des quotidiens de la région PACA ou professionnels (voir notamment les décisions de l'Autorité n° 10-D-15 du 11 mai 2010, n° 97-D-54 du 27 juin 2001, n° 96-D-53 du 17 septembre 1996).
165. En quatrième lieu, les pratiques reprochées au GIE se sont écoulées sur une période particulièrement longue (10 ans et 8 mois).
166. L'Autorité relève toutefois que la gravité de la pratique a été atténuée, à la suite de l'assemblée générale du GIE du 2 septembre 2014. En effet, en réponse à la lettre de la Direccte PACA du 4 juillet 2014, le GIE a pris la décision de modifier la rédaction des articles 12, 15-1, 15-2 et 16 du contrat constitutif et de supprimer plusieurs dispositions créant des conditions d'adhésion non objectives et discriminatoires.
3. LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
167. Le dommage à l'économie s'analyse comme la conséquence d'une allocation sous-optimale des ressources et d'un détournement de tout ou partie du surplus collectif au profit des auteurs des pratiques anticoncurrentielles, et ne se réduit pas à une perte objectivement mesurable qui serait facteur de l'étendue du marché concerné, de la durée de la pratique et de son effet sur le marché.
168. Ainsi que l'a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 avril 2010, il résulte des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce " que le montant de la sanction d'une pratique, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, doit être proportionné à l'importance du dommage causé par cette pratique à l'économie et [que] ce dommage ne saurait être présumé " (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Bouygues Telecom e.a., n° 09-12.984 ; n° 09-13.163 ; n° 09-65.940).
169. Dans le cas d'espèce, la neutralisation de la concurrence par le GIE est intervenue dans un secteur déjà fortement contraint par la réglementation, que ce soit en termes d'accès au marché ou d'exercice de la profession. Outre ces contraintes administratives et règlementaires d'ordre général, les conditions d'organisation locale de la profession de taxi sont déterminées par la mairie d'Antibes Juan-les-Pins, qui a limité à trente-six le nombre de taxis dans la commune.
170. Cette neutralisation de la concurrence a été d'autant plus dommageable que le GIE dispose d'une organisation solidement implantée qui prime sur les activités individuelles de taxis, comme le souligne son président : " Notre système est bien organisé. Ainsi pour les hôtels, nous nous sommes débrouillés pour qu'ils n'appellent que le central et pas un taxi en direct " (cote 74). En particulier, l'adhésion au GIE conditionne l'accès au central radio, facteur essentiel de contact avec la clientèle.
171. En outre, si le dommage à l'économie ne peut être assimilé au préjudice subi par une partie, il peut être toutefois relevé que la mise en place des clauses critiquées et leur application par le GIE ont conduit dans les faits à l'exclusion d'un de ses membres, qui s'est vu ainsi privé de l'accès au central radio. Selon les déclarations non contestées de M. X..., son exclusion se serait traduite par une diminution substantielle de son chiffre d'affaires : " La 1ère année suivant mon exclusion, d'avril à octobre 2011, j'ai perdu entre 150 et 200 euros par jour " (cote 66). Les déclarations non contestées de M. Z..., Président de la Fédération des Taxis Indépendants, viennent confirmer cette perte financière : " Le fait qu'il n'ait plus accès à la centrale radio du GIE lui a fait perdre un chiffre d'affaires d'environ 150 euros par jour sur 5 jours ouvrables par semaine " (cote 40).
172. L'exclusion de M. X... a eu également pour effet de dissuader d'autres membres du GIE de développer une clientèle personnelle ou d'exercer une activité complémentaire de LOTI ou de VTC. Cet effet dissuasif ressort notamment des déclarations, non contestées, de M. X... :
" lors de mon exclusion, trois autres taxis du GIE avaient une autorisation pour une LOTI. Par crainte, ils ne l'ont en conséquence jamais exploitée.
actuellement, il y a 36 taxis sur la commune, et je suis le seul à ne pas faire partie du GIE et du central radio Allô Taxis Antibes.
il y a pu avoir des velléités de créer un autre regroupement sur Antibes, mais les menaces de couper le central radio ont suffi à décourager ces initiatives " (cote 66).
173. En excluant l'un de ses membres de l'accès au central radio et en dissuadant les autres membres du GIE de développer une activité concurrente, les pratiques mises en œuvre ont ainsi créé un dommage concret sur le marché.
174. Le dommage au cas d'espèce est d'autant plus important que les pratiques du GIE se sont poursuivies sur plus de 10 ans.
4. LA SITUATION INDIVIDUELLE DU GIE
175. Les produits d'exploitation du GIE pour 2017, tels qu'ils ressortent des liasses fiscales, s'établissent à hauteur de 21 341 euros.
176. Lors de son audition de 2017, le président du GIE a déclaré que chaque membre versait chaque mois une contrepartie pour le service de central téléphonique, composée de frais fixes et de frais ponctuels : " En contrepartie du service de central téléphonique, qui permet de mutualiser les commandes et une distribution équitable des courses, chaque membre verse désormais une contrepartie de 225,76 euros par mois. Notre central téléphonique a en effet changé et évolué (recours désormais à des opératrices). Ce sont les seuls frais fixes (à l'instar d'une cotisation) que nous faisons payer à nos membres. Il y a aussi des frais ponctuels que nous répartissons à égalité pour chacun des membres (opérations ponctuelles publicitaires,...) qui représentent environ 50 euros par mois " (cote 171).
177. Rapportées aux trente-cinq membres du GIE, de telles contreparties représentent environ 9 650 euros par mois et environ 115 800 euros par an.
178. Le président du GIE a également indiqué : " que depuis peu (fin 2016), cherchant à développer notre activité, nous avons mis en place avec la G7 (qui ne travaille à ma connaissance qu'avec des groupements) des courses en compte, c'est-à-dire que les sommes encaissées transitent par le GIE, mais sont reversées intégralement au taxi ayant réalisé la prestation. Le GIE ne touche aucune rémunération pour son intermédiation " (cote 171).
179. En l'espèce, le montant de la sanction sera déterminé conformément à la pratique décisionnelle constante. Ainsi, dans sa décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille, le Conseil avait fait application de la jurisprudence selon laquelle " le préjudice d'une association d'entreprises doit être apprécié[e] en prenant en compte la situation de ses membres, lorsque les intérêts objectifs de l'association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent ". Le Conseil ajoutait que si les faibles moyens financiers des associations d'entreprises étaient appréciés " sans que les moyens financiers de leurs membres soient pris en compte, les entreprises envisageant des comportements anticoncurrentiels auraient intérêt à constituer une association d'entreprises pour conclure des accords contraires au droit de la concurrence ". Dès lors, le Conseil avait considéré que les amendes en l'espèce devaient être " proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entité sanctionnée, ce dernier critère incluant la possibilité pour elle de répercuter ou non le montant de la sanction sur ses adhérents par une cotisation exceptionnelle, dans le respect des capacités financières de ces derniers " (soulignement ajouté).
180. Le GIE pourrait donc, en tant que de besoin, faire face au paiement de la sanction en demandant à ses adhérents de procéder à un appel de cotisation exceptionnelle, en fonction de leurs capacités financières (arrêt de la cour d'appel de Paris 29 janvier 2008, UFOP, n° 2007/04524, pages 7 et 8).
181. Au demeurant, l'article L. 251-6 du Code de commerce prévoit que les adhérents d'un groupement d'intérêt économique garantissent les dettes de leur groupement.
5. LE MONTANT DE LA SANCTION
182. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d'imposer une sanction de 75 000 euros au GIE.
183. Ce montant est inférieur aux plafonds légaux mentionnés aux paragraphes 149 et 150 ci-dessus.
6. LES INJONCTIONS
184. Par application de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité peut également ordonner " la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée ".
185. À ce titre, il est enjoint au GIE d'insérer à ses frais dans la revue " Taxi Mag " la publication suivante :
" Par décision du 28 mars 2019, l'Autorité de la concurrence a infligé une sanction de 75 000 euros au GIE Radio-taxi Antibes Juan-les-Pins, pour avoir enfreint les dispositions sur la prohibition des ententes visées à l'article L. 420-1 du Code de commerce, en se rendant auteur de pratiques d'entente en incluant entre 2008 et 2018, au sein de son contrat constitutif, des conditions d'accès au GIE non objectives, non transparentes et discriminatoires et en mettant en pratique, après les avoir inclus dans son contrat constitutif,des motifs d'exclusion destinés à interdire à ses adhérents le développement d'une activité concurrentielle.
Ces pratiques ont eu pour objet de limiter la concurrence sur les marchés de transports de personnes par taxi et par des véhicules LOTI et VTC, dans la commune d'Antibes Juan-les-Pins et ses environs.
Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est accessible sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr ".
186. Le GIE adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le 28 juin 2019.
187. Par ailleurs, toujours aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité peut également ordonner " aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières ". Ces injonctions visent à s'assurer que l'entreprise sanctionnée modifiera son comportement pour l'avenir afin de faire cesser l'atteinte portée à la concurrence. Elles doivent être proportionnées au regard de l'objectif ainsi poursuivi.
188. En l'espèce, l'Autorité demande au GIE de mettre en conformité son contrat constitutif en vigueur avec le droit de la concurrence et d'ainsi supprimer ou modifier toute stipulation qui y contreviendrait.
189. Le GIE adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de la nouvelle version du contrat constitutif, au plus tard le 28 juin 2019.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que le GIE a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est infligé au GIE une sanction pécuniaire de 75 000 euros.
Article 3 : Il est enjoint au GIE d'insérer à ses frais le texte figurant au paragraphe 185 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans la revue " Taxi Mag ". Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-05 du 28 mars 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Le GIE adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le 28 juin 2019.
Article 4 : Il est enjoint au GIE de supprimer du contrat constitutif en vigueur les conditions d'accès au GIE non objectives, non transparentes et discriminatoires ainsi que les stipulations limitant l'exercice d'une activité concurrentielle du GIE par ses membres. Le GIE adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de la nouvelle version du contrat constitutif, au plus tard le 28 juin 2019.
Délibéré sur le rapport oral de M. Didier Pallandre, rapporteur et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe vice-président, président de séance, Mme Reine-Claude Mader et Mme Marie-Laure Sauty de Chalon, membres.