Cass. com., 27 mars 2019, n° 16-24.630
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Basile (SARL)
Défendeur :
Carrefour hypermarchés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, SCP L. Poulet-Odent
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés Basile et Carrefour hypermarchés (la société Carrefour), qui entretenaient des relations commerciales depuis 1994, ont conclu le 30 janvier 2004 un contrat de prestations de services, lequel s'est renouvelé tacitement d'année en année jusqu'à ce que la société Carrefour y mette fin, par lettre du 15 novembre 2010, avec un préavis de 14 mois, conformément aux stipulations contractuelles ; qu'estimant que la société Carrefour avait méconnu son engagement contractuel de respecter un chiffre d'affaires annuel minimum durant les années 2009 et 2010 ainsi que durant la période de préavis contractuel et invoquant, à titre subsidiaire, l'insuffisance du préavis sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la société Basile l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ; que, devant la cour d'appel, la société Basile a réitéré ses demandes au titre du non-respect par la société Carrefour de son engagement contractuel de chiffre d'affaires et demandé en outre des dommages-intérêts au titre de l'insuffisance du préavis, soutenant que celui-ci aurait dû être de 24 mois ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Basile fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 27 617,81 euros la condamnation de la société Carrefour, au titre de l'insuffisance du chiffre d'affaires en 2009, alors, selon le moyen : 1°) que commet une faute dans l'exécution du contrat le partenaire commercial qui, après avoir entretenu pendant plusieurs années un fournisseur dans la dépendance de ses commandes, diminue subitement leur montant de façon importante et sans raison connue ; qu'en l'espèce, et indépendamment du montant minimum de commandes fixé par la convention des parties, la société Basile recherchait la responsabilité de la société Carrefour pour cette raison que celle-ci avait soudainement divisé par trois le montant de ses commandes entre l'année 2008 et l'année 2009, avant de finalement rompre leur relation commerciale au cours de l'année 2010 ; qu'en se bornant à observer que la société Carrefour n'avait contracté aucune obligation d'assurer un chiffre d'affaires supérieur à celui fixé par contrat du 30 janvier 2004, sans rechercher si le comportement de cette société ne traduisait pas un manquement à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ; 2°) qu'une perte de chiffre d'affaires constitue en soi un préjudice réparable ; qu'en l'espèce, la société Basile s'attachait à démontrer que le volume d'affaires entre la société Carrefour et la société Basile s'était établi bien au-delà du minimum contractuel de 137 205 euros, ce qui n'était pas contesté par la société Carrefour, et que ce chiffre avait subitement baissé à 95 704,69 euros en 2009 puis à 85 624,30 euros en 2010, ce qui a été constaté par les juges eux-mêmes ; qu'en retenant néanmoins que la société Basile ne faisait pas la preuve de son préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
Mais attendu que les faits dénoncés par le moyen caractérisent la rupture partielle d'une relation commerciale établie, laquelle n'a pas été invoquée devant les juges du fond ; qu'en se référant à l'engagement de chiffres d'affaires fixé par le contrat pour évaluer le préjudice dont la société Basile demandait réparation, résultant du non-respect de cet engagement par la société Carrefour, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la première branche ni à indemniser d'autre préjudice, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 4 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cour d'appel infirme le jugement en ce qu'il condamne la société Carrefour à verser à la société Basile les sommes de 37 698, 20 euros et de 21 639,68 euros aux titres, respectivement, de l'insuffisance de chiffre d'affaires en 2010 et durant la période contractuelle de préavis et dit irrecevables ces demandes ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la société Carrefour, dans ses conclusions d'appel, se bornait à demander la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, sa demande d'irrecevabilité ne portant que sur l'indemnité réclamée par la société Basile au titre de la brutalité de la rupture, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle ; - Attendu que pour dire irrecevables les demandes de la société Basile aux titres de l'année 2010 et du préavis de rupture, après avoir relevé que la société Basile poursuivait la réparation de son préjudice au titre de l'insuffisance du chiffre d'affaires réalisé en 2010 ainsi que l'indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, l'arrêt retient qu'une partie ne peut, à peine d'irrecevabilité, fonder ses demandes sur un cumul des actions contractuelle et délictuelle à raison d'un même fait et que le préavis de rupture ayant commencé à courir le 15 novembre 2010, la société Basile ne saurait, en application du principe de non-cumul des actions contractuelle et délictuelle, solliciter au titre tant de l'année 2010 que de la période postérieure, la réparation de son préjudice tout à la fois en application des stipulations du contrat et sur le fondement délictuel ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le principe du non-cumul interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs et, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, sauf en ce que, par confirmation partielle du jugement, il condamne la société Carrefour hypermarchés à payer à la société Basile la somme de 27 617,81 euros au titre de l'insuffisance de chiffre d'affaires en 2009, avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2011, l'arrêt rendu le 1er juillet 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.