Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Luxottica France (Sasu)
Défendeur :
Mouginot, Pôle emploi de Bourgogne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cathala
Rapporteur :
Mme Ala
Avocat général :
Mme Grivel
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano
LA COUR : - Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-21.014 et 17-21.028 ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Mouginot a été engagée par la société Bausch & Lomb le 11 août 1998 en qualité d'attachée commerciale ; qu'à compter du 27 juin 1999, le contrat de travail a été transféré à la société Luxottica France ; que le 28 janvier 2002, les parties ont signé un contrat de travail de voyageur, représentant, placier exclusif ; que, licenciée le 18 octobre 2012, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens du pourvoi de l'employeur et le quatrième moyen du pourvoi de la salariée : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le troisième moyen du pourvoi de l'employeur : Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser une certaine somme au titre d'indemnité pour utilisation du domicile personnel pour raisons professionnelles alors, selon le moyen : 1°) que la prescription quinquennale instituée par l'article L. 143-14 devenu L. 3245-1 du Code du travail s'appliquait à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires et notamment à l'indemnité destinée à compenser la sujétion résultant de l'occupation d'une partie du domicile du salarié à des fins professionnelles ; que la salariée ayant saisi le conseil de prud'hommes le 29 novembre 2012, sa demande en paiement d'une indemnité à ce titre était prescrite pour la période antérieure au 29 novembre 2007 ; qu'en énonçant, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur, que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 avait réduit le délai de prescription de trente à cinq ans pour cette action, et qu'étant entrée en vigueur le 19 juin 2008, le nouveau délai court à compter de cette date de sorte que la salariée pouvait présenter sa demande jusqu'au 18 juin 2013 pour toute sa période d'emploi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 2°) que les VRP, qui travaillent nécessairement en dehors de tout établissement et qui sont remboursés de leurs frais professionnels, n'ont pas à être indemnisés spécifiquement pour la sujétion particulière que représenterait l'utilisation d'une partie de leur domicile à des fins professionnelles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que Mme Mouginot, VRP, était remboursée pour l'ensemble des frais qu'elle exposait au titre de son activité par l'allocation d'une somme forfaitaire égale à 30 % de ses commissions, a cependant considéré qu'elle devait en outre être spécifiquement indemnisée pour l'utilisation de son domicile à des fins professionnelles au prétexte inopérant qu'elle ne disposait pas de bureau fourni par l'employeur, que la salariée ne pouvait que très ponctuellement utiliser son outil informatique sur le terrain et entre deux rendez-vous pour assumer ses tâches administratives et ne pouvait laisser dans son véhicule les échantillons des collections qu'elle présentait, et que la clause contractuelle relative à la prise en charge à hauteur de 30 % des commissions des frais professionnels exposés ne comportait aucune mention de nature à établir que ce montant couvrait la sujétion découlant de l'obligation pour la salariée d'utiliser une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1135 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et les articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du Code du travail ;
Mais attendu d'abord, que le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ; que l'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée du salarié et n'entre pas dans l'économie générale du contrat ; qu'il en résulte que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles ne constitue pas une action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires ;
Attendu ensuite que la cour d'appel qui a relevé que l'action en paiement de l'indemnité d'occupation, qui était soumise auparavant à la prescription trentenaire n'était pas prescrite au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ayant réduit à cinq ans le délai de prescription applicable aux actions personnelles et mobilières de sorte que l'action introduite le 29 novembre 2012 avait été engagée dans le délai de prescription désormais applicable courant à compter de l'entrée en vigueur de la loi précitée, en a exactement déduit que les créances antérieures au 29 novembre 2007 n'étaient pas prescrites ;
Et attendu, enfin, qu'ayant constaté que l'employeur ne mettait pas à la disposition de la salariée un espace pour y réaliser ses tâches administratives et y stocker son matériel, et que par ailleurs la clause contractuelle de prise en charge à hauteur de 30 % des commissions des frais professionnels exposés ne comportait aucune mention de nature à établir que ce montant couvrait également la sujétion découlant de l'obligation pour la salariée d'utiliser une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles, la cour d'appel a exactement retenu que la demande d'indemnisation de cette dernière devait être accueillie ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi de la salariée : - Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rappels de salaire fondée sur l'inopposabilité des avenants ayant réduit son taux de commissions et de sa demande de congés payés afférents, de complément d'indemnité spéciale de rupture, de complément d'indemnité de retour sur échantillonnages, de congés payés afférents, de complément d'indemnité de préavis alors, selon le moyen, que, les dispositions de l'article L. 1222-6 du Code du travail, aux termes duquel le salarié dispose d'un délai d'un mois à compter de la proposition de modification du contrat de travail pour faire connaître son refus, à défaut de quoi il est réputé avoir accepté la proposition de modification de son contrat de travail, ne sont applicables que lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour un motif économique ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme Mouginot de sa demande de rappel de commissions au titre de l'inopposabilité des avenants ayant réduit son taux de commissions, la cour d'appel a relevé que la société Luxottica France avait respecté les formalités prescrites par l'article L. 1222-6 pour permettre à la salariée de se prononcer sur les modifications successivement proposées du contrat de travail, et que Mme Mouginot n'est pas fondée à remettre en cause a posteriori l'existence d'un motif économique à l'origine des modifications qu'elle a acceptées expressément ou tacitement ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans vérifier, comme il lui était pourtant demandé, si les modifications du contrat de travail proposées par l'employeur en vertu de l'article L. 1222-6 du Code du travail et que la salariée étaient réputée avoir acceptées tacitement, reposait effectivement sur un motif économique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1233-3, dans sa version applicable au litige, et L. 1222-6 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait respecté les formalités prescrites par l'article L. 1222-6 du Code du travail pour permettre à la salariée de se prononcer sur la modification proposée du contrat de travail pour motif économique et que la salariée n'avait pas fait connaître son refus concernant la proposition du 15 juin 2005, avait signé l'avenant du 26 juillet 2007, ne démontrait pas qu'à la suite de son refus sa rémunération avait été modifiée après le 1er septembre 2009, a exactement décidé, sans se déterminer par des motifs inopérants, que les modifications de son contrat de travail lui étaient opposables ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi de la salariée : - Vu les articles L. 7313-13 du Code du travail et l'article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 ; - Attendu que pour débouter la salariée de sa demande d'indemnité spéciale de rupture, l'arrêt retient qu'aux termes de l'article L. 7313-13 du Code du travail, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en l'absence de faute grave, le voyageur, représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, qu'il résulte de ce texte légal que si la rémunération spéciale versée par l'employeur, pour indemniser le salarié ayant la qualité de représentant de l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, a la nature d'un salaire qui lui reste acquis, même en cas de faute grave, cette rémunération doit être prise en compte pour le montant net qu'il a perçu, dans le calcul de l'indemnité de clientèle à laquelle il a droit lors de la résiliation du contrat, qu'en l'espèce, il résulte des pièces communiquées que l'employeur a versé à la salariée, de 2003 à 2013, à titre d'avances sur l'indemnité de clientèle une somme très supérieure au montant de l'indemnité spéciale de rupture sollicitée par la salariée, qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnité de clientèle et dit que la provision allouée par le bureau de conciliation viendrait en déduction des condamnations prononcées ;
Qu'en statuant ainsi, alors que si l'article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 dispose que l'indemnité spéciale de rupture qu'il prévoit n'est pas cumulable avec l'indemnité de clientèle, il n'en résulte pas qu'elle ne peut se cumuler avec des rémunérations accordées en cours de contrat pour le même objet que l'indemnité de clientèle et alors qu'elle avait constaté que l'employeur ne s'était pas opposé dans le délai conventionnel au versement de l'indemnité spéciale de rupture tandis que la salariée avait renoncé dans le délai conventionnel au versement de l'indemnité de clientèle, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi de la salariée ; - Vu l'article L. 3141-22 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige et l'article L. 7313-11 du Code du travail ; - Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de congés payés afférents aux commissions de retour sur échantillonnages, l'arrêt retient que ces commissions n'entrent pas dans l'assiette de calcul des congés payés ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les commissions de retour sur échantillonnages, qui sont fonction des résultats produits par le travail personnel du salarié entrent dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il déboute Mme Mouginot de ses demandes de congés payés afférents aux commissions de retour sur échantillonnages, d'indemnité spéciale de rupture et dit que les sommes allouées par le bureau de conciliation viendront en déduction des condamnations, l'arrêt rendu le 5 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; Remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.