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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 21 mars 2019, n° 18-01056

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SARL M.A.J.U.

Défendeur :

SAS CDHC Productions

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Rochette, M. Gagnaux

Avocats :

Mes Alcade, Chabaud, Barre

T. com. Nîmes, du 23 janv. 2018

23 janvier 2018

Vu l'appel interjeté le 19 mars 2018 par la S.A.R.L M.A.J.U à l'encontre du jugement prononcé le 23 janvier 2018 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2017J133 ;Vu les dernières conclusions déposées le 14 juin 2018 par l'appelante la S.A.R.L M.A.J.U et le bordereau de pièces qui y est annexé ; Vu les dernières conclusions déposées le 21 août 2018 par la S.A.S CDHC Productions intimée et le bordereau de pièces qui y est annexé ;Vu l'ordonnance de clôture de procédure à effet différé au 24 janvier 2019 en date du 13 septembre 2018.

EXPOSÉ

La SARL MAJU exploite un fonds de commerce de restaurant gastronomique à Nîmes, à l'enseigne "Jérôme NUTILE".

A l'occasion d'un salon professionnel de l'hôtellerie pour ses travaux de restauration du Mas de Boudan, où est exploité son nouveau fonds de commerce et en lequel des travaux étaient en cours, elle a rencontré la société CDHC Productions (enseigne " Z "), et dénommée parfois en les écritures 'société A X et a commandé un mobilier de classe, spécifique " outdoor " pour sa terrasse extérieure, en cuir et bois traités spécialement.

Le vendeur spécifie en sa documentation publique :

"Nos mousses, nos bois, nos coutures ainsi que le revêtement n'est absolument pas le même afin de garantir dans le temps une parfaite conformité du produit.

L'ensemble de ces produits possède une garantie de dix ans " et ce matériau de prestige figure sur le site Internet du vendeur avec précisément des images de la terrasse de la S.A.R.L M.A.J.U.

Les caractéristiques revendiquées en sont un cuir développé pour les bateaux et résistant aux aléas climatiques (pluie, soleil etc....), un cadre en métal galvanisé et un piétement revêtu d'un vernis spécial protecteur.

Le 19 décembre 2014 un devis sur ces bases a été établi notamment pour 45 fauteuils de ce type, et accepté le 8 janvier 2015 par la S.A.R.L M.A.J.U un acompte de 16.000 €, avec un nuancier spécifique adressé le même jour par le vendeur, qui a accusé réception du choix définitif le 9 février 2015, avant de livrer les fauteuils, d'ailleurs en retard, mi-mars 2015.

Dès un premier weekend d'utilisation en extérieur, la S.A.R.L M.A.J.U dit avoir constaté une usure ou détérioration anormale des sièges, avec notamment des fentes sur l'habillage en bois des pieds : elle s'en plaint auprès du vendeur dès le 24 mars 2015 en lui adressant des photographies des fissures, avant de signaler deux jours plus tard - 26 mars 2015- que tous les fauteuils extérieurs étaient concernés.

Le 15 avril 2015, la S.A.S CDHC Productions a annoncé vouloir remplacer tous les cadres métalliques des sièges présentant des traces de rouille et remplacer tous les pieds des fauteuils.

Le vendeur n'est intervenu en définitive que le 23 juin 2015, après avoir été intégralement payé, L'acheteur dénonçait de nouvelles fissures sur les fauteuils, par courrier du 11 août 2015 resté sans réponse, comme une lettre de rappel du 8 septembre 2015.

L'architecte d'aménagement du restaurant adressait à son tour le 8 octobre 2015 une lettre recommandée avec avis de réception à la S.A.S CDHC Productions, pour dénoncer la situation persistante avec 8 photographies, avec mise en demeure d'intervention.

Le 15 décembre 2015, la S.A.R.L M.A.J.U a fait constater par Maître H C, Huissier de Justice à Nîmes, les désordres dénoncés, en un procès-verbal contenant de très nombreuses photographies.

La S.A.R.L M.A.J.U en l'état de la situation qui s'aggravait et de l'inaction de son vendeur, a pris une première initiative procédurale en demandant en référé le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile une expertise judiciaire, qui a été ordonné par le président du tribunal de commerce de Nîmes selon ordonnance du 13 avril 2016, confiée à l'architecte expert F D qui a déposé son rapport le 6 octobre 2016.

Malgré quelques perspectives limitées de rapprochement et des recherches minimes de solution, aucune réponse satisfaisante n'était alors donnée par le vendeur, selon la S.A.R.L M.A.J.U .

Le 27/03/2017, la SARL M. A.J. U a assigné devant le tribunal de commerce de Nîmes la SAS CDHC Productions principalement en résolution de la vente et en paiement de la somme de 26 460 € TTC en principal, 15 000 € à titre de dommages et intérêts, 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour l'essentiel, la S.A.S CDHC Productions faisait valoir en défense l'utilisation inappropriée des fauteuils, leurs conditions d'entreposage malgré les prescriptions du fabricant, la nécessaire protection d'une housse après le service, sollicitant subsidiairement sa propre condamnation hors taxes, avec un coefficient de vétusté, des frais de restitution à la charge de l'acheteur, et l'absence de dommages intérêts.

Le Tribunal de Commerce de NÎMES, par jugement en date du 23 janvier 2018, a jugé :

'Vu les articles 1604 et suivants du Code Civil,

Vu les pièces et conclusions versées aux débats,

Condamne la SAS CDHC Productions à récupérer, à ses frais, les 45 fauteuils objet de la facture du 19/12/2014, auprès de la SARL M. A.J.U.

Condamne la SAS CDHC Productions à payer à la SARL M. A.J. U la somme de 17 800,00 €, déduction faite des 20 % de vétusté

Dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts,

Condamne la SAS CDHC Productions à payer à la SARL M. A.J. U la somme de 1 500 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

REJETTE toutes autres demandes, fins et conclusions contraires ;

Condamne la SAS CDHC Productions aux dépens de l'instance (...) '

La S.A.R.L M.A.J.U - appelante - demande à la Cour au dispositif de ses dernières écritures :

'Recevant l'appel et le déclarant bien fondé.

Vu les articles 1604 et suivants du Code Civil.

Débouter la société CDHC Productions Duvivier de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

Réformer le jugement du Tribunal de commerce de Nîmes du 3 janvier 2018.

Condamner la société CDHC Productions Duvivier à rembourser à la société MAJU la somme de 26 460 € TTC en principal outre intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2015 jusqu'à parfait paiement.

Condamner en outre la société CDHC Productions Duvivier au paiement de 15 000 € de dommages intérêts pour atteinte à l'image et à la réputation de l'établissement exploité par la société M.A.J.U.

La condamner au paiement de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première Instance et d'appel, l'ensemble comprenant, outre le constat d'huissier dressé à la requête de la société M.A.J.U. le 15 décembre 2015, l'intégralité des frais d'expertise judiciaire.'

La S.A.S CDHC Productions - intimée demande à la Cour au dispositif de ses dernières écritures :

'Vu les articles 1604, 1641, 1229, 1352-1 et 1352-3 du Code Civil,

A titre principal :

Déclarer la société MAJU mal fondée en son appel ainsi qu'en toutes ses demandes, fins et conclusions,

Accueillir la société C.D.H.C en son appel incident et l'y déclarer bien fondée,

En conséquence,

Reformer le Jugement rendu le 23 janvier 2018 par le Tribunal de Commerce de Nîmes en ce qu'il a condamné la société C.D.H.C à payer à la société MAJU la somme de 17 800 € en principal, celle de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, l'a condamnée aux dépens et l'a condamnée à récupérer à ses frais les 45 fauteuils objet de la facture du 19 décembre 2014,

Le confirmer pour le surplus et statuant à nouveau,

Dire Et Juger que la société C.D.H.C a respecté son obligation de délivrance conforme et qu'aucun vice n'affecte les fauteuils.

En conséquence,

Déclarer la société M. A.J. U mal fondée en toutes ses demandes, fin et conclusions,

L'en Débouter purement et simplement.

Subsidiairement :

Si la Cour devait considérer que la société CDHC a manqué à ses obligations,

Confirmer le Jugement entrepris en ce qu'il a appliqué un coefficient de vétusté de 20 % sur le montant des condamnations pouvant être mise à la charge de la société C.D.H.C et dire et juger que la somme due, vétusté déduite, s'élève à la somme de 17 640,00 €.

Ordonner la restitution des 45 fauteuils par la société MAJU et à ses frais, à première demande et sans délai à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100,00 € par jour de retard.

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société MAJU de sa demande de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

Condamner la société M.A.J.U à payer à la société C.D.H.C la somme de 4 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner la société M. A.J.U aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise. '

Pour plus ample exposé des faits de la cause et le développement des moyens de droit ou de fait des parties au soutien de leurs prétentions, il est renvoyé à leurs dernières écritures exposées dans leurs développements essentiels infra par la Cour en la motivation du présent arrêt.

MOTIVATION

Sur les obligations du vendeur S.A.S CDHC Productions

Le devis des 19 décembre 2014 désigne les biens en cause de la façon suivante, pour un prix unitaire de 490 € hors taxes :

" Bridges Maria outdoor L 62 cm L62X P.59XH.80 cm cuir SPECIAL OUTDOOR / coloris selon échantillons à recevoir piétement BOIS/ finition Canaletto '

Outre la définition, il n'est pas sans intérêt de découvrir dans les pièces communiquées qu'un retard est intervenu à la livraison du fait du refus de certains cuirs jugés insuffisants par l'usine de fabrication.

Dans un mail du 12 février 2015 à son client, le vendeur insiste sur le fait qu'ils sont " très pointilleux sur la qualité irréprochable de la matière première " : nous n'imaginons pas un instant vous livrer des produits qui ne seraient pas conformes à 300 %. Notre réputation été faite grâce à cette qualité et à ce suivi exceptionnels (...) '

Par ailleurs, sur le site même du vendeur ('E canapés A X la réalisation faite pour la S.A.R.L M.A.J.U a été présentée comme un modèle de qualité et de réponse à des exigences d'extérieur.

Il est expressément question avec des photographies d'un site extérieur de la livraison des fauteuils modèle Maria Y, avec l'indication suivante

'- 45 en version outdoor, dans un cuir spécifiquement développé pour les bateaux, à savoir résistant aux aléas climatiques (pluie, soleil, etc....) Le cadre est en métal galvanisé pour éviter la rouille et le piétement boit a reçu un vernis spécial pour le protéger'.

Le prix, les circonstances du choix, la revendication lors des retards de livraison, les prétentions qualitatives revendiquées sur son propre site Internet, démontrent la hauteur des obligations que la S.A.S CDHC Productions entendait parvenir contractuellement à assumer dans le cadre de ses obligations de vendeur, et que son client en attendait.

Sur les manquements du vendeur à ses obligations contractuelles

À la hauteur de ses obligations revendiquées par elle-même comme contractuelles et a minima, il faut poser la constatation très rapide en mars 2015, en réalité quelques jours dès après la livraison, d'une grave détérioration de l'ensemble des composantes des fauteuils en cause.

À cet égard le procès-verbal de constat d'huissier du 15 décembre 2015 et les nombreuses photographies qui y sont jointes sont particulièrement édifiants.

Le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur F D, dont le contradictoire et les constatations matérielles ne sont pas contestés, décrit :

- sur l'assise en cuir de multiples défauts avec un cuir distendu sur le dossier et sur les côtés des accoudoirs,

- des taches et défauts de surface sur la galette d'assises,

- un cuir devenu rigide

- des coussins qui ne sont plus utilement attachés par leur fixation, avec une sous face en mousse imbibée d'eau, des traces de saleté et moisissure

- des piètements pour la plupart fendus sur toute leur longueur avec des embouts de protection fixée par une simple vis cruciforme et qui ont disparu déjà sur 50 % des pieds.

La constatation matérielle de ces défauts pouvait déjà suffire à justifier l'issue du présent litige, mais recherchant à analyser les causes, l'expert explique qu'il n'a obtenu du fournisseur aucune explication sur le procédé d'imperméabilisation du cuir, ni la fiche technique et classement au feu de la mousse type bultex employé, dénonçant un montage des pieds effectué à la structure par l'intérieur, des embouts fauteuils en polyéthylène inadaptés à ce type d'utilisation, avec le choix de bois du hêtre connu pour être un bois dur et lourd, qui tend à se fissurer, de durabilité faible et sensible aux intempéries.

L'expert conclut qu'il y a un problème de conception générale des sièges, qui ne sont pas réparables et inadaptés à leur usage en extérieur.

Il propose le remboursement intégral du coût d'acquisition par le vendeur à l'acheteur.

Il n'existe aucune critique pertinente du rapport d'expertise, ni aucun élément de droit ou de fait qui pourrait exonérer la S.A.S CDHC Productions de même partie de ses obligations contractuelles et la preuve est rapportée qu'elle ne les a pas respectées.

Sur la résolution de la vente : fondement et conséquences

L'action a été engagée à bon droit sur le fondement incontournable du vice caché et ne peut l'être sur le fondement de l'obligation de livraison qui en droit est absorbé par le vice caché s'il est démontré.

Il n'est pas contestable, et en l'espèce moins que jamais, que la S.A.S CDHC Productions se présente comme un vendeur professionnel particulièrement au fait du produit qu'il vend et en tout état de cause présumé connaître en qualité de vendeur professionnel le vice la chose vendue, avec l'obligation de réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant.

Il en résulte que lorsque l'acheteur exerce l'action rédhibitoire pour vice caché, le vendeur est tenu de restituer l'intégralité du prix reçu et n'a droit à aucune compensation financière pour un temps d'usage ou pour l'usure résultant d'un temps d'usage, ou tout abattement pour vétusté.

Il en résulte en l'espèce qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a, sur la demande formulée subsidiairement en ce sens en première instance par le vendeur, appliqué un coefficient d'abattement de 20 % pour vétusté.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la restitution des fauteuils sans qu'il ne soit nécessaire d'assortir cette disposition d'une astreinte pour en assurer l'exécution.

Sur la demande de dommages intérêts

Il n'est pas contestable sérieusement pour un restaurant panoramique de luxe, d'ailleurs perçu par la S.A.S CDHC Productions elle-même comme tel en sa propre publicité, de souffrir de la livraison de meubles mal conçus et présentant de si grave défectuosités y compris esthétiques si patentes à l'usage, a fortiori dans une période d'une reprise intégrale d'un nouveau fonds de commerce et d'un besoin d'image publique lors d'une ouverture ou réouverture.

À cet égard, en prenant en considération les délais avant solution définitive de ce litige, il y a lieu d'allouer à la S.A.S CDHC Productions la somme de 5000 € à titre de dommages intérêts.

Sur les frais et dépens

Le jugement du tribunal de commerce de Nîmes a déjà statué sur les dépens de première instance.

Il convient d'y ajouter une condamnation au paiement des frais d'huissier du constat de Me H C du 15 décembre 2015 et au paiement des frais de l'expertise judiciaire F D ordonnée le 13 avril 2016 en référé qui est à l'origine du rapport d'expertise du 6 octobre 2016.

La S.A.R.L M.A.J.U est enfin recevable et bien fondée en équité retenir en cause d'appel une indemnité complémentaire de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, La Cour Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris sauf sur le quantum de la condamnation de la S.A.S CDHC Productions au profit de la S.A.R.LM.A.J.U Statuant à nouveau sur ce point Condamne la S.A.S CDHC Productions à rembourser à la société MAJU la somme de 26 460 € TTC en principal, outre intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2015 Condamne la S.A.S CDHC Productions à payer à la S.A.R.L M.A.J.U la somme de 5 000 € de dommages intérêts Condamne la S.A.S CDHC Productions à payer à la S.A.R.L M.A.J.U le constat d'huissier dressé à sa requête le 15 décembre 2015 et les frais d'expertise judiciaire de Mr F D Déboute les parties de leurs autres ou plus amples prétentions Condamne la S.A.S CDHC Product à payer à la S.A.R.LM.A.J.U une indemnité complémentaire de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile s et aux entiers dépens d'appel La minute du présent arrêt a été signée par Madame Christine Codol Présidente et par Madame Patricia Siourilas, greffière présente lors de son prononcé. LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE Composition de la juridiction : Christine Codol, Jean noël Gagnaux, Patricia Siourilas, Me Alcade, Me Liliane Barre.