Cass. 1re civ., 27 mars 2019, n° 17-26.912
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Miaille (Epoux)
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance, Compagnie européenne de garanties et cautions
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Avel
Avocat général :
M. Chaumont
Avocats :
SCP Gaschignard, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 septembre 2017), que, par acte authentique du 8 août 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme Miaille (les emprunteurs) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvetimmo ; qu'à la suite d'impayés, la banque, poursuivant la saisie immobilière de biens leur appartenant, a assigné les emprunteurs devant un juge de l'exécution ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de fixer au 27 juillet 2012 la date de la déchéance du terme du contrat de prêt, alors, selon le moyen : 1°) que la déchéance du terme ne produit ses effets que du jour où l'emprunteur en a été informé de manière non équivoque ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que le contrat de prêt permettait à la banque, en cas de défaillance de l'emprunteur, d'exiger le remboursement intégral et immédiat du prêt ; que le courrier de la banque, daté du 10 juillet 2012, adressé uniquement à Mme Miaille, se bornait à mettre celle-ci en demeure de payer le solde débiteur du compte dans un délai de quinze jours sous la menace des sanctions contractuelles prévues en cas de défaut de paiement ; qu'il rappelle ces sanctions de manière confuse, en indiquant que le prêt sera transformé en crédit à taux révisable en euros et deviendra définitivement exigible, alors que le contrat envisageait ces deux hypothèses de manière distincte ; qu'il n'indique pas, en tout cas, que la déchéance du terme sera effective à l'issue du délai de quinze jours, sans autre formalité, ni le montant qui serait dû par les emprunteurs en cas de déchéance ; qu'en affirmant, néanmoins, que la déchéance du terme était intervenue, à l'égard de Mme Miaille, mais aussi de M. Miaille, à l'expiration du délai de quinze jours prévu par ce courrier, soit le 27 juillet 2012, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 313-36, devenu L. 313-51, du Code de la consommation ; 2°) que la banque demandait à la cour d'appel de constater que sa créance était exigible et de prendre en compte la déchéance du terme intervenue à la date du 10 mai 2012, tandis que les emprunteurs faisaient valoir que cette déchéance n'avaient jamais été prononcée, de sorte que la créance n'était pas exigible ; qu'aucun des parties ne demandait à la cour d'appel de fixer la date de cette déchéance en tenant compte du courrier du 10 juillet 2012 et/ou en retenant la date du 27 juillet 2012 ; qu'en fixant le prononcé de la déchéance du terme à la date du 27 juillet 2012, cette date correspondant à l'expiration du délai de paiement imparti par le courrier du 10 juillet 2012, cependant qu'aucune des parties ne le demandait, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en tout état de cause, ni la banque ni les emprunteurs ne prétendait que le courrier du 10 juillet 2012 avait eu pour effet d'entraîner la déchéance du terme à l'issue du délai de quinze jours impartis à Mme Miaille, par ce courrier, pour rembourser le solde débiteur du compte courant, et que cette déchéance serait intervenue le 27 juillet 2012 ; qu'en relevant d'office ce moyen, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que les emprunteurs aient soutenu que la déchéance du terme aurait été inefficace en ce que la lettre de la banque en date du 10 juillet 2012, valant mise en demeure, n'aurait été adressée qu'à l'un des deux époux emprunteurs ; que le moyen, mélangé de fait, est nouveau ;
Attendu, ensuite, qu'après avoir relevé que la banque avait indiqué avoir informé les emprunteurs de la déchéance du terme par sa lettre du 10 juillet 2012, l'arrêt retient qu'il ressort de celle-ci que le prêteur, à défaut de règlement du solde débiteur, a fixé la déchéance du terme à l'issue d'un délai de quinze jours à compter de la première présentation de la mise en demeure, de sorte que la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige et qui n'était pas tenue d'inviter les parties à formuler leurs observations, dès lors qu'elle se bornait à vérifier l'exigibilité invoquée de la créance, a pu en déduire que la déchéance du terme était intervenue, compte tenu d'un délai postal de deux jours, le 27 juillet 2012 ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen : - Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer licite et non abusive la clause d'indexation sur l'évolution du taux de change franc suisse/euro insérée au contrat de prêt consenti par la banque, alors, selon le moyen : 1°) que, dans leurs conclusions, les emprunteurs demandaient à la cour de " déclarer abusive la clause d'indexation du prêt sur l'évolution du taux de change franc suisse/euro " et dénonçaient, plus précisément, le caractère abusif des stipulations prévoyant que le taux de change applicable serait celui en vigueur au moment du paiement de chaque échéance et que toute évolution du taux de change se répercuterait sur la durée d'emprunt, contenues dans les clauses " Opérations de change " et " Remboursement du crédit " de l'offre de prêt et de l'acte notarié de prêt, en indiquant qu'il résultait que l'emprunteur, qui n'avait aucune possibilité de convertir le prêt en euros pendant cinq ans, supportait exclusivement le risque d'une dépréciation de l'euro par rapport au francs suisses ; qu'en affirmant que les emprunteurs ne déterminaient pas l'objet de leur demande, qu'ils dénonçaient en réalité le mécanisme du contrat prévoyant le remboursement en euros d'un prêt consenti en francs suisses, et qu'il fallait considérer que l'ensemble du chapitre dénommé " Remboursement de votre crédit " constituerait la clause abusive, la cour d'appel a méconnu les termes dulitige et violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que les emprunteurs faisaient valoir que la clause d'indexation du montant dû au titre du remboursement du prêt créait un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations des parties dès lors que le contrat, qui ne prévoyait pas de plafonnement du taux de change applicable, faisait supporter sur le seul emprunteur les conséquences d'une dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse et l'empêchait pendant une période de cinq ans de solliciter une conversion de son prêt en euros, pour éviter ces conséquences, tandis que la banque, qui ne démontrait pas avoir elle-même souscrit des emprunts en francs suisses pour les besoins de l'opération, l'exposant à une dépréciation identique, pouvait bénéficier, grâce à un allongement de la durée du crédit, d'intérêts et de frais de change supplémentaire ; qu'en statuant comme ci-dessus, alors qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, de sorte qu'il lui incombait de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du Code de la consommation ; 3°) que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, pour déterminer si, dans un contrat de prêt, une clause relève de l'" objet principal du contrat ", au sens de l'article 4, § 2, de la directive n° 93/13 du 5 avril 1993, le juge doit apprécier, eu égard à la nature, à l'économie générale et aux stipulations du contrat de prêt concerné ainsi qu'au contexte juridique et factuel dans lequel ce dernier s'inscrit, si la clause concernée constitue un élément essentiel de la prestation du débiteur consistant dans le remboursement du montant mis à sa disposition par le prêteur (CJUE, arrêt du 26 février 2015, Matei c. SC Volksbank Romania SA, C-143/13, § 54 et 78) ; que, pour dire que les stipulations litigieuses ne pouvaient faire l'objet d'un contrôle au titre des clauses abusives, la cour d'appel se borne à dire que les dispositions relatives au remboursement du prêt qui prévoient le remboursement en euros d'une dette libellée en francs suisses constituent l'objet principal du contrat ; qu'en statuant ainsi, sans constater que les stipulations de ce contrat relatives à l'indexation du prêt sur le taux de change franc suisse/euro, dont le caractère abusif était invoqué, étaient eu égard à la nature, à l'économie générale et aux stipulations du contrat, ainsi qu'au contexte juridique et factuel dans lequel il s'inscrit, relatives à une prestation essentielle du débiteur, et non à une prestation accessoire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du Code de la consommation, interprété conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ; 4°) que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, pour déterminer si une clause est rédigée de façon claire et compréhensible, le juge doit vérifier que le contrat de prêt expose de manière transparente le motif et les particularités du mécanisme de conversion de la devise étrangère, ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte qu'un consommateur puisse prévoir, sur la base de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (CJUE, arrêt du 30 avril 2014, Arpad Kasler, Hajnalka Kaslerne Rabai, c.OTP Jelzalogbank Zrt, C-26/13, § 73 ; arrêt du 20 septembre 2017, Ruxandra Paula Andriciuc e.a., c. Banca Romaneasca SA, C-186/16, § 45) ; que, pour dire que la clause d'indexation du prêt sur le taux de change francsuisse/euro était claire et compréhensible, la cour d'appel se borne à constater que le contrat précise qu'en cas de dépréciation de l'euro, l'amortissement du prêt sera moindre et la durée du prêt sera allongée ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si, d'une part, les emprunteurs étaient réellement informés de l'existence d'un risque de dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse, et d'autre part, s'ils pouvaient en mesurer les conséquences économiques et évaluer le coût total du prêt dans cette hypothèse, notamment grâce à des exemples chiffrés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du Code de la consommation, interprété conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les emprunteurs invoquent le caractère abusif de la clause d'indexation du prêt sur l'évolution du taux de change franc suisse/euro, et soutiennent qu'aucune disposition unique du contrat ne résume le principe d'indexation ainsi retenu qui figure dans l'ensemble du chapitre relatif au remboursement du crédit, lequel prévoit le remboursement en euros d'un prêt consenti en francs suisses ; qu'il énonce que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du Code de la consommation, ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, et retient que l'objet principal du contrat est constitué, d'une part, par la mise à disposition des fonds, d'autre part, par la détermination des modalités de remboursement de ceux-ci et qu'ainsi, les stipulations prévoyant le remboursement en euros d'une dette libellé en francs suisses constituent l'objet principal du contrat ; qu'il ajoute que le contrat explique aux emprunteurs, avec l'usage de caractères gras, les conséquences de deux hypothèses d'évolution de la parité des monnaies sur le remboursement du prêt et précise que, dans le cas d'une évolution défavorable du taux de change de l'euro en franc suisse, l'amortissement du capital sera moins rapide, qu'à l'expiration d'un délai de cinq ans la durée du crédit sera allongée si les règlements sont inférieurs au règlement mensuel théorique résultant du taux d'intérêt révisé, et que, si le remboursement du crédit n'est pas apuré pendant la durée prévue du crédit, celui-ci sera allongé pour une période complémentaire d'un durée limite de cinq ans ; qu'ayant ainsi fait ressortir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du litige et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.