CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 mars 2019, n° 16-24294
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Etablissements E. Cholet (SA)
Défendeur :
Valérie Distribution (SARL), Torelli (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Soudry, Moreau
Avocats :
Mes Fromantin, Ribière, Vaillant
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Valérie Distribution a une activité de solderie.
La société Etablissements E. Cholet a pour activité la vente et la fabrication de fournitures et accessoires d'uniformes.
La société Valérie Distribution a procédé pendant plusieurs années à des commandes d'uniformes auprès de la société Établissements E. Cholet.
La société Établissements E. Cholet a informé la société Valérie Distribution, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 novembre 2011, de son intention de ne plus l'approvisionner en produits destinés au marché de la police municipale.
S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la société Valérie Distribution a, par acte en date du 9 février 2012, assigné la société Établissements E. Cholet devant le tribunal de commerce de Nîmes aux fins d'obtenir la somme de 56 585,24 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au caractère brutal de la rupture ainsi que le paiement de diverses autres sommes.
Par jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 21 mars 2012, la société Valérie Distribution a été placée en liquidation judiciaire.
Me Torelli est intervenu volontairement à l'instance et a sollicité devant le tribunal de commerce la condamnation de la société Etablissements E. Cholet à lui régler une somme de 56 585,24 euros TTC à titre d'indemnisation résultant de la rupture brutale des relations commerciales, une somme de 5 000 euros au titre d'un préjudice d'image et une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Par jugement contradictoire du 17 mai 2013, le tribunal de commerce de Nîmes, a :
- donné acte de son intervention volontaire à Me Torelli en qualité de mandataire liquidateur de la société Valérie Distribution,
- condamné la société Établissements E. Cholet à payer à Maître Torelli en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Valérie Distribution la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive de relations commerciales,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts au titre de la perte d'image,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes,
- condamné la société Établissements E. Cholet aux dépens de l'instance.
La société Établissements E. Cholet a interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel de Nîmes le 23 avril 2015.
Par arrêt contradictoire du 10 novembre 2016, la cour d'appel de Nîmes a :
- déclaré irrecevable l'appel formé devant elle par la société Etablissements E. Cholet ainsi que l'appel incident de Me Torelli ès qualités au motif que les dispositions des articles L. 442-6 III alinéa 5 et D. 442-3 du Code de commerce ont pour conséquence de priver toute autre cour d'appel que celle de Paris du pouvoir juridictionnel de connaître des demandes fondées sur les dispositions du premier de ces textes,
- dit que la société Etablissements E. Cholet supporterait les dépens de première instance et d'appel sans application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Établissements E. Cholet a interjeté un nouvel appel du jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 17 mai 2013 devant la cour d'appel de Paris le 2 décembre 2016.
La déclaration d'appel a été signifiée à Me Torelli ès qualités le 24 janvier 2017 à domicile.
Prétentions et moyens des parties :
Dans ses conclusions déposées au greffe le 28 février 2017 et signifiées à Me Torelli ès qualités par exploit du 10 mars 2017 à personne, la société Établissements E. Cholet demande à la cour de :
À titre principal,
- prononcer la nullité du jugement rendu le 17 mai 2013 par le tribunal de commerce de Nîmes n°2012J121
Très subsidiairement et sur le fond,
- réformer le jugement entrepris,
- débouter Me Torelli en qualité de liquidateur de la société Valérie Distribution de l'intégralité de ses demandes,
Encore plus subsidiairement,
- limiter le montant du préjudice revendiqué par Me Torelli en qualité de liquidateur de la société Valérie Distribution à la somme de 1 043 euros HT,
En tout état de cause,
- condamner Maître Torelli, en qualité de liquidateur de la société Valérie Distribution, aux entiers dépens de l'instance,
- condamner Maître Torelli, en qualité de liquidateur de la société Valérie Distribution, à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A l'appui de sa demande de nullité du jugement entrepris, la société Etablissements E. Cholet fait valoir que le tribunal de commerce de Nîmes a méconnu les dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce fixant le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes pour appliquer les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Elle expose que l'assignation délivrée par la société Valérie Distribution était fondée sur ces dispositions et que le liquidateur judiciaire de cette société avait repris ce fondement dans le cadre de son intervention volontaire de sorte que le tribunal de commerce de Nîmes a excédé ses pouvoirs en statuant sur le litige.
Sur le fond, la société Établissements E. Cholet fait valoir que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la relation commerciale entre elle et la société Valérie Distribution ne présentait pas de caractère établi. Elle rappelle tout d'abord qu'elle a interrompu la fourniture à la société Valérie Distribution des seuls produits destinés au marché de la police municipale et qu'il s'agit donc d'une rupture partielle. Elle soutient ensuite que le caractère établi d'une relation commerciale ne saurait consister en la seule durée des relations et que d'autres paramètres doivent caractériser la stabilité des relations. Or elle prétend que le marché de la police municipale présentait un caractère désordonné et erratique, ce qui a motivé la création d'un véritable réseau de distributeurs. Elle ajoute que les relations commerciales avec la société Valérie Distribution n'étaient encadrées par aucun contrat cadre et qu'il n'existait aucune exclusivité ni garantie quant au chiffre d'affaires. Elle invoque encore la baisse spectaculaire des commandes entre 2010 et 2011 manifestants l'instabilité des relations et leur caractère précaire. A titre subsidiaire, sur la durée du préavis et le quantum du préjudice, la société Etablissements E. Cholet soutient que la société Valérie Distribution ne réalisait que 10 % de son chiffre d'affaires avec des produits du marché de la police municipale et que l'essentiel de son activité consistait en la fourniture de produits et équipements destinés à la gendarmerie. Or elle affirme que ce marché s'est effondré à la suite d'une directive européenne sur les marchés publics de l'habillement. Elle prétend qu'eu égard à l'absence d'exclusivité ainsi qu'au flux peu important et déclinant des relations, le préavis de douze mois fixé par les premiers juges est excessif et une durée de six mois était suffisante. Elle soutient encore que le tribunal de commerce n'aurait pas dû apprécier le préjudice invoqué sur le chiffre d'affaires réalisé par la société Valérie Distribution en 2010 mais sur celui réalisé en 2011 et concernant exclusivement les produits destinés au marché de la police municipale. Elle soutient enfin que le préjudice invoqué lié à la prétendue rupture abusive des relations commerciales présente un caractère incertain dans la mesure où c'est la restructuration du marché de fourniture de la gendarmerie consécutive à une directive européenne qui est à l'origine des difficultés rencontrées par la société Valérie Distribution et de son placement en liquidation judiciaire.
Me Torelli en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Valérie Distribution n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2019.
MOTIFS :
Considérant qu'il y a lieu de relever, à titre liminaire sur la compétence de la présente cour pour statuer sur l'appel formé par la société Établissements E. Cholet, que si, depuis un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 mars 2017, les recours formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, y compris dans l'hypothèse où celles-ci ont à tort, statué sur de tels litiges, relèvent des cours d'appel dans le ressort desquelles ces juridictions sont situées, ce revirement de jurisprudence ne doit pas nuire au droit d'accès au juge d'appel; que la cour d'appel de Nîmes ayant, par arrêt du 10 novembre 2016 rendu antérieurement audit revirement, déclaré irrecevable l'appel de la société Établissements E. Cholet en application des dispositions des articles L. 442-6 III alinéa 5 et D. 442-3 du Code de commerce, la cour ne peut qu'admettre sa compétence pour connaître du présent appel;
Sur la nullité du jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 17 mai 2013
Considérant qu'en application de l'article L. 442-6 III du Code de commerce, les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ;
Considérant que selon l'article D. 442-3 du Code de commerce, pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre ; qu'aux termes de cette annexe, le tribunal de commerce de Marseille est compétent pour connaître desdits litiges pour les ressorts des cours d'appel d'Aix en Provence, Bastia, Montpellier et Nîmes ;
Considérant que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 ;
Considérant qu'en l'espèce, il échet de constater que le tribunal de commerce de Nîmes n'avait pas le pouvoir de statuer sur l'action diligentée par la société Valérie Distribution sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que dès lors, il convient d'annuler le jugement du 17 mai 2013 ;
Sur les effets de la nullité du jugement
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 562 du Code de procédure civile, la dévolution du litige à la cour d'appel s'opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ;
Considérant qu'il s'ensuit qu'en l'espèce, la cour est saisie de l'entier litige tel qu'il résulte de l'assignation du 9 février 2012, des prétentions de la société Valérie Distribution représentée par son liquidateur formulées devant le tribunal de commerce de Nîmes et des dernières conclusions de la société Établissements E. Cholet ;
Sur la rupture brutale des relations commerciales
Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;
Considérant que la relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel ; que le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial ;
Considérant qu'en l'espèce, la société Etablissements E. Cholet dénie le caractère établi de la relation commerciale la liant à la société Valérie Distribution; qu'il sera tout d'abord relevé que l'absence de contrat-cadre n'est pas exclusif d'une relation commerciale établie; qu'ensuite, à l'inverse de ce que soutient l'appelante, la relation d'affaires doit s'apprécier dans sa globalité, c'est-à-dire sur l'ensemble des marchandises échangées, et non sur les seuls équipements destinés à la police municipale même si la rupture n'a porté que sur ces seuls équipements; que dès lors, il importe peu que le marché des équipements de la police municipale ait été " désordonné et erratique ", ce qui n'est au demeurant pas établi; que la société Etablissements E. Cholet reconnaît dans ses écritures que la société Valérie Distribution lui commandait des marchandises depuis 1998; que les factures produites aux débats démontrent l'existence d'un flux continu d'affaires pendant plusieurs années, portant en 2009 et 2010 sur des volumes de l'ordre de 100 000 euros HT; qu'il est ainsi justifié une relation commerciale établie entre les parties depuis 1998 ;
Considérant toutefois que lorsque le courant d'affaires se poursuit et donc n'est pas complètement interrompu, seules des modifications substantielles de la relation peuvent revêtir un caractère fautif et caractériser une rupture brutale partielle des relations commerciales ;
Considérant qu'en l'espèce, il est établi que les commandes d'équipements de la police municipale représentaient seulement 10 % du volume d'affaires réalisé entre les sociétés Valérie Distribution et la société Etablissements E. Cholet; qu'ainsi sur les exercices 2009 et 2010, les commandes concernant les produits de la police municipale se sont élevées à 10 873 euros sur 107 071 euros de commandes au total en 2009 et 9 190 euros sur un total de 85 808 euros de commandes en 2010; que dès lors, l'arrêt de cet approvisionnement ne constitue pas une modification substantielle de la relation commerciale et n'est pas de nature à caractériser une rupture partielle donnant lieu à indemnisation au titre des dispositions susvisées ;
Considérant qu'il convient donc de débouter Me Torelli en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Valérie distribution de sa demande d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales ;
Considérant qu'en l'absence de rupture fautive imputable à la société Etablissements E. Cholet, la demande au titre du préjudice d'image sera rejetée ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que Me Torelli ès qualités succombe à l'instance ; qu'il sera donc condamné aux dépens de l'instance d'appel ; qu'il apparaît inéquitable de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Annule le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 17 mai 2013; Déboute Me Torelli en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Valérie distribution de sa demande d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales; Déboute Me Torelli en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Valérie distribution de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'image ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne Me Torelli en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Valérie distribution aux dépens de l'instance d'appel.