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Décisions

CAA Marseille, 6e ch. - formation a 3, 1 avril 2019, n° 18MA00903

MARSEILLE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zupan

Rapporteur :

Mme Steinmetz-Schies

Rapporteur public :

M. Thiele

TA Montpellier, du 29 déc. 2017

29 décembre 2017

LA COUR : - Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Perf a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision, en date du 20 juillet 2015, par laquelle le préfet de l'Hérault lui a enjoint de cesser de présenter, dans les courriers adressés aux débiteurs de ses clients, les " dommages et intérêts à titre transactionnel " mis à leur charge comme étant des frais obligatoires et non comme subordonnés à leur accord.

Par un jugement n° 1506323 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 février 2018, la société Perf, représentée par Me B, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler la décision du préfet de l'Hérault du 20 juillet 2015, ensemble celle du 30 septembre 2015 rejetant son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ;

- la notion de pratiques commerciales trompeuses, au sens des dispositions de l'article L. 121-1 et suivants du Code de la consommation, ne s'applique pas aux sociétés de recouvrement amiable ;

- aucune pratique commerciale trompeuse ne peut lui être reprochée.

Par un mémoire enregistré le 8 juin 2018, le ministre de l'Economie et des Finances conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 ;

- le Code civil ;

- le Code de commerce ;

- le Code de la consommation ;

- le Code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C. Steinmetz-Schies, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. A. Thiele, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 juillet 2015, le préfet de l'Hérault a enjoint, sur le fondement du VII de l'article L. 141-1 du Code de la consommation, à la société de recouvrement amiable Perf, agissant sous le nom commercial " Creancial Méditerranée ", de cesser avant le 31 octobre 2015 la pratique commerciale, jugée trompeuse et donc illicite, consistant à facturer au débiteur de ses clients des " dommages et intérêts à titre transactionnel " présentés comme obligatoires et non comme subordonnés à l'accord de ces débiteurs. Par un jugement du 29 décembre 2017, dont la société Perf relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cette décision ensemble celle du 30 septembre 2015 rejetant son recours gracieux.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si la formation de jugement qui a rendu le jugement attaqué comptait parmi ses membres le magistrat qui, officiant en qualité de juge des référés, avait préalablement rejeté, par une ordonnance du 22 décembre 2015, la requête aux fins de suspension de la décision litigieuse présentée par la société Perf, cela sur le fondement de l'article L. 522-3 du Code de justice administrative et au motif que la demande apparaissait manifestement mal fondée, cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à caractériser le manquement allégué au droit de la requérante à un procès équitable non plus qu'une quelconque autre irrégularité, dès lors que ce juge, qui s'est prononcé " en l'état de l'instruction " conformément aux dispositions de l'article L. 521-1 du même Code et n'est pas allé au-delà de ce qu'implique nécessairement son office, n'a pas alors préjugé l'issue du litige.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005 : " 1. La présente directive s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l'article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit. ". L'article 2 de la même directive définit le terme " produit " comme " tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations ". Par ailleurs, l'article L. 120-1 du Code de la consommation, qui résulte de la transposition de la directive du 11 mai 2005, dispose : " Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle (...) altère (...) le comportement économique du consommateur (...) à l'égard d'un bien ou d'un service. (...) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1 (...) ". Aux termes, par ailleurs, du I de l'article L. 121-1 du même Code : " Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (...) 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...) c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service (...) " . Enfin, l'article 1153 du Code civil prévoit que " Le créancier auquel son débiteur en retard a caus2, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir de dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance ".

4. D'une part, les dispositions précitées du Code de la consommation ne sauraient être interprétées, sans méconnaître les objectifs de la directive dont elles assurent la transposition, comme excluant de leur champ d'application les activités de recouvrement de créances d'un professionnel par un tiers alors même qu'il n'en résulte pas la création d'une relation commerciale directe entre le prestataire de recouvrement et le débiteur. La société Perf ne saurait à cet égard utilement se prévaloir, en tout état de cause, de l'article préliminaire du Code de la consommation définissant le " consommateur " et le " professionnel ", qui est issu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, postérieure à la décision en litige.

5. D'autre part, si la société Perf soutient que les dispositions précitées ne font pas obstacle à ce qu'elle puisse, au nom du créancier, demander au débiteur le paiement de " dommages et intérêts transactionnels ", l'Administration fait valoir, sans être utilement contredite sur ce point par la requérante, laquelle se borne à indiquer qu'elle mentionnait dans ses courriers de recouvrement les termes de l'article 1153 alinéa 4 du Code civil, que le montant de ces prétendus dommages et intérêts était intégré au montant global de la dette, de sorte que les débiteurs n'étaient informés ni du caractère facultatif du paiement réclamé à ce titre ni du fait qu'il correspondait en réalité à un complément de rémunération qu'elle percevait pour son propre compte.

6. En deuxième lieu, si la pratique contestée relève des pratiques commerciales illicites, sanctionnées par l'article L. 122-16 du Code de la consommation, dans sa version alors en vigueur, aux termes duquel " Le fait pour un professionnel de solliciter ou de percevoir d'un consommateur des frais de recouvrement dans des conditions contraires au deuxième alinéa de l'article L. 111-8 du Code des procédures civiles d'exécution est puni par des peines prévues à l'article L. 122-12 du présent Code ", alors que la décision contestée vise l'article L. 121-1 qui concerne les pratiques commerciales trompeuses, l'injonction faite à la société Perf est fondée sur l'article L. 141-1 VII de ce même Code, qui permet à l'Administration d'ordonner qu'il soit mis fin, soit aux pratiques commerciales trompeuses, soit aux pratiques commerciales illicites. Par suite, l'inspecteur aurait pris la même décision s'il s'était fondé exclusivement sur le fait que la pratique en cause était une pratique illicite au sens de l'article L. 122-16 dudit Code dès lors que la base légale de la décision est l'article L. 141-1 VII du Code de la consommation.

7. Il résulte de ce tout ce qui précède que la société Perf n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision du préfet de l'Hérault du 20 juillet 2015, ensemble la décision du 30 septembre 2015 rejetant son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante ou tenue aux dépens dans la présente instance, au titre des frais exposés par la société Perf et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Perf est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Perf, agissant sous le nom commercial " Creancial Méditerrranée ", et au ministre de l'Economie et des Finances.