CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 4 avril 2019, n° 19-03274
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Google Ireland Ltd (Sté) , Google LLC (Sté), Google France (SARL)
Défendeur :
Amadeus (SARL), Autorité de la concurrence , Ministre chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Avocat général :
Mme Guidoni
Conseillers :
Mme Treard, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Moisan, Cabinet Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton LLP, Baechlin, Wilhelm
Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus ; Vu l'assignation délivrée le 15 février 2019 et déposée au greffe de la cour le 19 février 2019 par les sociétés Google Ireland Ltd, Google LLC et Google France et leurs conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour le 14 mars 2019 ; Vu les observations de la société Amadeus déposées au greffe de la cour le 11 mars 2019 ; Vu les observations de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe de la cour le 11 mars 2019 ; Vu l'avis écrit du ministère public en date du 13 mars 2019, communiqué le même jour aux requérantes, à la société Amadeus, au ministre chargé de l'économie et à l'Autorité de la concurrence ; Après avoir entendu à l'audience publique du 14 mars 2019 le conseil des requérantes, qui a été mis en mesure de répliquer, celui de la société Amadeus ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Économie et le ministère public ;
FAITS ET PROCÉDURE
1. La cour est saisie du recours formé par les sociétés Google France (ci après la "société Google"), Google Ireland Ltd et Google LLC contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus (ci-après la " décision attaquée "). Par cette décision, l'Autorité de la concurrence (ci-après l'"Autorité") a prononcé à l'encontre de ces sociétés quatre mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce.
2. Cette affaire a pour cadre le service de publicité en ligne liée aux recherches sur le moteur de recherche Google. Ce service, dénommé Google Ads, anciennement Google AdWords, permet aux annonceurs d'associer un ou plusieurs mots clés à leurs annonces, de telle sorte que, lorsqu'un utilisateur fait une requête, s'affichent les résultats de la recherche issus des algorithmes de Google, mais aussi des publicités en ligne, identifiées par le label "Annonces". Pour utiliser ce service, l'annonceur doit ouvrir un "compte Google Ads", lui permettant d'accéder à une interface à travers laquelle il peut créer et administrer plusieurs sous comptes gérant des campagnes publicitaires.
3. Créée en 2010, la société Amadeus exploite, depuis novembre 2015, un service de renseignements téléphoniques utilisant, conformément à la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ci-après l'"ARCEP") n° 05-1085 du 15 décembre 2005, une "tarification à la durée avec une charge d'établissement d'appel", et est attributaire des numéros à tarification majorée 118 001 et, depuis le 11 octobre 2018, 118 512 ; elle a également été attributaire du numéro 118 333 entre le 28 juillet 2016 et le 8 mars 2018. Cette société est utilisatrice du service Google Ads et, à cette fin, a ouvert plusieurs comptes depuis 2016. Dans ce cadre, elle avait été sélectionnée, le 20 avril 2016, par la société Google comme bénéficiaire du programme d'accompagnement personnalisé "Google Digital Growth", ou "Google Growth Accelerator" (GGA), d'une durée de 90 jours. Elle a ensuite bénéficié du programme d'accompagnement personnalisé "Mid Market Sales" qui vise "'à apporter aux annonceurs un soutien de haute qualité sur le long terme ".
4. Le 10 janvier 2018, la société Google, qui explique avoir été alertée par les pouvoirs publics sur les pratiques publicitaires de certains services de renseignements téléphoniques, a informé la société Amadeus de la suspension de son compte le plus actif "en raison de déclarations trompeuses". La société Amadeus a formé un recours interne, rejeté dans ces termes le 13 janvier 2018 : " Il a été confirmé que votre compte ne respectait pas les règles AdWords. Cette décision étant irrévocable, il ne sera pas réactivé. Evitez de créer d'autres comptes AdWords, car ils seront également suspendus".
5. Entre le 15 et le 29 janvier 2018, la société Google a informé la société Amadeus de la suspension de l'ensemble de ses comptes actifs, "en raison de déclarations trompeuses" ou parce qu'ils présenteraient "'des cas graves ou récurrents de non-respect de nos règles en matière de publicité'".
6. En réaction, la société Amadeus a créé de nouveaux comptes Google Ads, qui ont à leur tour été suspendus, au motif intitulé "Contournement des systèmes".
7. Le 14 février 2018, la société Amadeus a adressé un courriel à la société Google pour obtenir des explications sur ces suspensions. Les 15 et 16 mars 2018, la société Google a informé la société Amadeus de la réactivation de ses comptes, mais la plupart des annonces diffusées ont été refusées au motif intitulé "Vente d'articles gratuits".
8. Le 28 mars 2018, la société Amadeus a mis en demeure la société Google "'d'autoriser la publication des annonces attachées aux comptes (suspendus), dès lors qu'elles sont licites et respectent les conditions d'utilisation Adwords, et ce au plus tard dans les 48 heures'".
9. Par lettre du 4 avril 2018, la société Google a apporté à la société Amadeus des éléments d'explication sur la suspension de ses comptes et les refus d'annonces, en lui indiquant que ses comportements seraient contraires tant à la règle relative à la "Vente d'articles gratuits" qu'à l'ensemble des règles relatives aux "Déclarations trompeuses".
10. Les 2 mai, 18 juin et 20 août 2018, la société Google a suspendu à nouveau les principaux comptes de la société Amadeus au motif intitulé "Contournement des systèmes". La société Amadeus a conservé trois comptes non suspendus, mais elle a indiqué que les annonces qu'elle voulait diffuser à travers ces comptes étaient systématiquement refusées par la société Google.
11. Par lettre enregistrée le 4 mai 2018, la société Amadeus a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google Ireland Limited et Google Inc., devenue Google LLC. Elle soutient que celles-ci disposent d'une position dominante sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches et ont mis en œuvre des pratiques abusives en suspendant certains de ses comptes Google Ads, ainsi qu'en refusant la plupart de ses annonces publicitaires depuis janvier 2018.
12. Accessoirement à cette saisine au fond, elle a sollicité, par lettre enregistrée le même jour, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce.
13. Par la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, attaquée dans le cadre du présent recours, l'Autorité a prononcé contre les sociétés Google LLC, Google Ireland et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, quatre injonctions à exécuter dans le mois suivant la notification de la décision. Ces injonctions consistent à :
- clarifier les règles Google Ads applicables aux services payants de renseignements par voie électronique, en en définissant certaines notions ; ces règles ainsi clarifiées devront être mises à la disposition des annonceurs dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ;
- prévoir, dans les procédures Google Ads pouvant conduire à la suspension du compte d'un annonceur actif dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique, un avertissement qui précisera la nature des manquements reprochés ;
- organiser une formation en présentiel des personnels chargés de l'accompagnement personnalisé des entreprises actives dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique ;
- entreprendre une revue manuelle de la conformité aux règles clarifiées des campagnes proposées par les comptes non suspendus de la société Amadeus ; si cette revue révèle que ces annonces sont conformes, autoriser la société Amadeus à les diffuser.
14. Par assignation délivrée le 15 février 2019 et déposée au greffe de la cour le 18 février 2019, les sociétés Google Ireland Ltd, Google LLC et Google France ont formé un recours en annulation ou, à défaut, en réformation de cette décision.
MOTIVATION
15. A l'appui de leur recours, les requérantes exposent, au préalable, que les règles Google Ads, en cause dans la présente affaire, ont pour objet de protéger les utilisateurs de leur moteur de recherche contre les annonces trompeuses, inappropriées ou dangereuses. Ces règles, que les annonceurs doivent accepter pour ouvrir un compte Google Ads et bénéficier ainsi de ce service, sont regroupées en quatre catégories : les règles relatives aux contenus interdits ou soumis à restriction qui limitent la possibilité pour les annonceurs de promouvoir certains produits ou services ; les règles relatives aux pratiques interdites, qui comprennent des règles concernant les "'Déclarations trompeuses'" visant à tromper les utilisateurs sur l'identité de l'annonceur, la nature des biens ou des services proposés ou leur coût ; les règles relatives au contenu à diffusion contrôlée portant, par exemple, sur des boissons alcoolisées ou des jeux d'argent ; les règles relatives aux exigences rédactionnelles et techniques des annonces, sites internet et applications.
16. Les requérantes affirment ensuite que les pratiques de la société Amadeus exposent les utilisateurs à des risques significatifs qui ont attiré l'attention des associations de consommateurs et des pouvoirs publics. Elles soutiennent qu'alors que le secteur des renseignements téléphoniques connaît un déclin significatif et que ces services ne présentent plus d'intérêt réel, puisque les coordonnées des particuliers et des entreprises sont désormais accessibles gratuitement sur internet, cette société est parvenue à rentabiliser son service de renseignements téléphoniques par divers moyens consistant, essentiellement, à induire les utilisateurs en erreur sur la nature du service proposé. La société Amadeus aurait ainsi mis en place une stratégie utilisant Google Ads pour faire croire aux internautes cliquant sur ses publicités qu'ils appellent directement le numéro recherché, et non le numéro de renseignements téléphoniques surtaxé. A l'appui de ces allégations, les requérantes font état de centaines de plaintes, d'une alerte de la Direction interministérielle du numérique et d'enquêtes menées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
17. Elles exposent que, face à ces abus, et à la suite des réactions négatives d'internautes, la société Google a décidé, à la fin de l'année 2017, de passer en revue les comptes de plusieurs opérateurs concernés et a constaté que les pratiques de certains d'entre eux, dont la société Amadeus, n'étaient pas conformes aux règles Google Ads. Ce constat les a amenées, en janvier 2018, à suspendre certains comptes de la société Amadeus, qui en a été informée. Bien qu'elles aient accepté, en mars 2018, de réactiver les comptes suspendus, la société Amadeus a, selon elles, continué à mettre en œuvre des pratiques trompeuses et n'a pas tenu compte de leurs recommandations, ce qui les a conduites à refuser les annonces non conformes aux règles Google Ads.
18. En ce qui concerne la décision attaquée, les requérantes font valoir que le prononcé de mesures conservatoires est soumis à des conditions strictement définies par l'article L. 464-1 du Code de commerce, dont aucune n'est remplie en l'espèce, l'Autorité ayant, en fait, entendu réguler d'une façon générale les modalités d'utilisation de la plateforme Google Ads par les opérateurs de renseignements téléphoniques. Elles soutiennent que la décision attaquée n'établit pas que le comportement qui leur est reproché était susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel et d'enfreindre les règles de la concurrence, qu'elle ne caractérise aucune situation d'urgence de nature à justifier l'octroi de mesures conservatoires et que les mesures conservatoires prononcées ne sont ni nécessaires ni proportionnées. Elles concluent que la décision doit être annulée ou, à défaut, réformée.
19. Enfin, les requérantes prétendent que l'Autorité a violé leur droit à la protection du secret des affaires lors de la publication de la décision attaquée et demandent à la cour d'enjoindre à l'Autorité de la republier en supprimant les passages contenant des informations confidentielles.
Sur la demande d'annulation ou de réformation de la décision attaquée
Sur l'existence de pratiques susceptibles d'être contraires à l'article L. 420-2 du Code de commerce
20. Dans la décision attaquée, l'Autorité a considéré, d'une part, qu'"à ce stade de l'instruction", la société Google était susceptible de détenir une position dominante sur le marché français de la publicité en ligne liée aux recherches et, d'autre part, que les pratiques dénoncées par la société Amadeus présentaient un caractère potentiellement anticoncurrentiel.
21. En effet, elle a jugé, en premier lieu, que ces pratiques étaient "susceptibles de caractériser une rupture brutale des relations commerciales dans des conditions qui ne sont ni objectives, ni transparentes". A ce titre, elle a relevé que les suspensions de compte n'avaient pas fait l'objet d'un avertissement préalable, que les chargés de compte de la société Google étaient informés des modalités et du fonctionnement des campagnes de la société Amadeus, à l'élaboration desquelles ils avaient activement participé, qu'ils lui avaient apporté des garanties sur leur conformité aux règles Google Ads et que les refus d'annonces n'étaient pas justifiés par une violation de ces règles.
22. Ayant, en second lieu, rappelé qu'un abus de position dominante pouvait, selon les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le " TFUE "), consister dans, respectivement, des "conditions de vente discriminatoires" ou l'application "à l'égard de partenaires commerciaux de[s] conditions inégales à des prestations équivalentes", l'Autorité a considéré qu' "en l'état des éléments produits au débat", les pratiques dénoncées devaient être regardées comme susceptibles d'être discriminatoires et d'avoir eu, comme telles, des effets anticoncurrentiels. Elle a, en particulier, souligné que l'absence d'objectivité et de transparence dans l'application des règles Google Ads ne permettait pas d'attester de leur mise en œuvre dans des conditions non discriminatoires, que d'autres opérateurs avaient pu diffuser des annonces rédigées en des termes identiques à celles de la société Amadeus ou avaient obtenu de la part de la société Google une information plus complète et plus rapide sur la portée des règles Google Ads.
23. Se référant à l'importance significative de Google Ads dans la concurrence entre fournisseurs de services de renseignements et aux effets des suspensions sur les volumes d'appel, le chiffre d'affaires et la profitabilité de la société Amadeus, l'Autorité a conclu I Y K de l'instruction", le comportement de la société Google était susceptible d'avoir entraîné des effets anticoncurrentiels.
24. Les requérantes contestent cette analyse.
25. En premier lieu, elles rappellent que, comme le juge la Cour de cassation, des mesures conservatoires ne peuvent être décidées que si les faits dénoncés, et visés par l'instruction, dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce et que, comme l'a jugé la cour d'appel de Paris, la mise en œuvre de mesures conservatoires réclame que la pratique reprochée soit susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle. Or les requérantes considèrent qu'en l'espèce, rien ne démontre que leur comportement était susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel. A cet égard, elles relèvent que l'Autorité n'a, dans la décision attaquée, consacré qu'un seul paragraphe aux effets potentiellement anticoncurrentiels des pratiques en cause, en s'appuyant de façon laconique sur l'"importance significative revêtue par Google Ads dans la concurrence entre fournisseurs de services de renseignements" et les "'effets importants'" que les suspensions de compte ont eu sur le volume d'appels, le chiffre d'affaires et la profitabilité de la société Amadeus.
26. S'agissant de l'argument tiré de l''"importance significative" que revêtirait, dans la concurrence entre opérateurs, le service Google Ads, les requérantes considèrent qu'il est factuellement faux, puisqu'il est établi que de nombreux opérateurs n'y ont pas recours pour promouvoir leur activité. S'agissant des "effets importants" des suspensions de compte, elles soutiennent que l'Autorité n'a procédé à aucune analyse de l'impact que ces suspensions auraient entraîné, au-delà de la situation particulière de la société Amadeus, sur la concurrence dans le secteur des renseignements téléphoniques. Elles soulignent que l'Autorité n'a, dans la décision attaquée, pas donné d'indications sur la part de marché de la société Amadeus ni sur son importance dans la dynamique concurrentielle du secteur, et concluent qu'elle n'a apporté aucun élément démontrant que la sortie éventuelle de cette société aurait un effet sur la concurrence ou les consommateurs.
27. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que le caractère brutal de la rupture des relations commerciales avec la société Amadeus n'est pas établi. Elles soulignent, en effet, que les comptes qui avaient été suspendus en janvier 2018 ont été rétablis dès le mois de mars 2018 et que, depuis, la société Amadeus peut faire de la publicité via Google Ads, dont cependant elle continue à violer les règles. Elles font valoir, par ailleurs, qu'il convient, pour apprécier le caractère brutal d'une rupture de relations commerciales, d'en examiner les motifs, ce dont l'Autorité s'est en l'espèce dispensée, alors qu'ils consistent dans des violations manifestes, graves et répétées des règles Google Ads.
28. En troisième lieu, les requérantes Google soutiennent que l'existence de pratiques discriminatoires n'est pas établie. Elles font valoir que le constat de l'Autorité, selon lequel d'autres opérateurs ont été en mesure de diffuser des annonces sur Google Ads alors que la société Amadeus était dans l'impossibilité de le faire, ne suffit pas à caractériser une pratique discriminatoire qui serait constitutive d'un abus de position dominante, dès lors qu'il est de jurisprudence constante que la discrimination s'entend du traitement différent de "situations identiques ou comparables". Dès lors, pour conclure à une possible discrimination, l'Autorité aurait dû, selon les requérantes, examiner la conformité aux règles Google Ads des campagnes publicitaires de la société Amadeus. Elles précisent d'ailleurs avoir pris les mêmes mesures à l'égard des opérateurs ayant violé les règles Google Ads et qu'ainsi, depuis la fin de l'année 2017, plusieurs centaines de comptes ont été suspendus pour de telles violations. Sur ce point, elles soulignent que, compte tenu du grand nombre d'annonces à traiter " des centaines de millions d'annonces étant postées chaque année en France ", un décalage dans le temps du traitement de ces annonces est inévitable et qu'on ne saurait leur reprocher de ne pas avoir attendu d'identifier toutes les annonces non conformes avant de les suspendre. Enfin, elles soutiennent qu'une discrimination abusive doit résulter nécessairement d'une volonté de discrimination de la part de l'entreprise en position dominante, laquelle fait défaut en l'espèce.
29. Les requérantes concluent que la décision attaquée ne contient aucun élément de nature à démontrer que leur comportement était "susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle" et qu'en conséquence, la première condition requise pour le prononcé de mesures conservatoires n'est pas remplie.
30. La société Amadeus rappelle, au préalable, que le standard de preuve requis pour le prononcé de mesures conservatoires est moins strict que celui requis en matière d'injonctions dans le cadre d'une procédure au fond et qu'il suffit à l'Autorité de caractériser l'existence, non de pratiques anticoncurrentielles, mais seulement de pratiques susceptibles d'être anticoncurrentielles.
31. Elle fait valoir ensuite, et en premier lieu, que la société Google détient une position dominante sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches et, à ce titre, est soumise à une responsabilité particulière sur ce marché. Elle souligne qu'au demeurant, les requérantes ne remettent pas en cause l'analyse de l'Autorité concernant cette position dominante.
32. En deuxième lieu, elle soutient que les pratiques en cause sont abusives en ce que la société Google, d'une part, a rompu de manière brutale les relations commerciales en suspendant les comptes et, d'autre part, a mis en place des mesures discriminatoires.
33. En ce qui concerne la brutalité alléguée de la rupture des relations commerciales, la société Amadeus fait valoir que la société Google a suspendu ses comptes en janvier 2018 sans avertissement préalable ni explication. Elle souligne, à cet égard, qu'est indifférente la circonstance, invoquée par les requérantes, que ces comptes ont été rétablis en mars 2018, un tel rétablissement ne pouvant faire disparaître le caractère brutal de la suspension précédemment mise en œuvre, et qu'en outre, la quasi-totalité de ses annonces ont été refusées après cette date, ce qui démontre la fausseté de l'affirmation des requérantes selon laquelle elle aurait, depuis cette date, posté plus de 500 annonces non conformes. Elle rappelle, par ailleurs, que l'exploitation du numéro 118 512 n'ayant, en fait, commencé qu'en janvier 2019, elle ne prouve pas que la relation commerciale a été maintenue. La société Amadeus expose, en outre, que le courrier électronique et les messages automatiques qu'elle a reçus, outre qu'ils sont postérieurs à la suspension de ses comptes, font état du motif intitulé "Déclarations trompeuses", mais ne comportent pas de description des comportements qui lui étaient reprochés. Elle dénonce l'opacité des règles dont la violation est alléguée, en ce qui concerne en particulier leur sanction, et souligne qu'elles ont évolué dans le temps, de sorte qu'elles sont "particulièrement compliquées à comprendre". Enfin, la société rappelle que les chargés de compte de la société Google validaient ses annonces et la conseillaient sur leur conformité aux règles Google Ads.
34. La société Amadeus soutient, par ailleurs, que cette rupture n'était pas justifiée et que c'est à tort que les requérantes s'appuient sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et la jurisprudence rendue sur son fondement, puisque cet article n'est pas relatif aux abus de position dominante. Elle relève qu'en revanche, les requérantes passent sous silence une précédente décision par laquelle l'Autorité a, dans une procédure relative à une suspension de compte Google Ads susceptible de constituer un abus de position dominante, prononcé à leur encontre des mesures conservatoires (décision n° 10- MC-01 du 30 juin 2010 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société NavX), et à la suite desquelles elles ont pris des engagements prévoyant que la suspension de comptes serait précédée de deux avertissements préalables. Enfin, la société Amadeus soutient que les requérantes ne prouvent pas avoir reçu, comme elles le prétendent, une alerte de la Direction interministérielle du numérique et qu'elles affirment de façon mensongère que son comportement poserait des problèmes au regard de la protection du consommateur, à travers de prétendues pratiques de "ping call", de surfacturation et de mise en œuvre d'un "stratagème destiné à tromper les internautes" ; elle souligne, à cet égard, que les commentaires tirés des forums doivent être écartés et que les captures d'écran produites par les requérantes ne la concernent pas.
35. En ce qui concerne la mise en place de pratiques discriminatoires, la société Amadeus soutient que la société Google, contrairement à ce qu'elle affirme, l'a traitée différemment des autres opérateurs de renseignements téléphoniques, puisqu'elle a systématiquement et sans raison refusé toutes ses annonces, alors que ses concurrents ont continué à utiliser le service Google Ads en publiant des annonces identiques aux siennes, comme le démontrent, selon elle, plusieurs captures d'écrans et constats d'huissiers auxquels elle a fait procéder en août 2018 ainsi que janvier et février 2019. Elle ajoute qu'il est indifférent, pour caractériser des pratiques discriminatoires, que la discrimination soit volontaire ou, à l'inverse, qu'elle résulte d'une erreur.
36. En troisième lieu, la société Amadeus considère que les pratiques de la société Google sont a minima susceptibles d'avoir produit des effets anticoncurrentiels sur le marché en cause. Elle fait valoir que ces pratiques ont eu pour conséquence une distorsion de concurrence, puisque ses annonces ont été refusées alors que celles ' identiques ' d'autres opérateurs étaient acceptées et qu'il en est résulté une chute de son chiffre d'affaires. Elle souligne qu'aucune solution de promotion n'est comparable au service Google Ads en termes d'efficacité rapportée aux coûts.
37. L'Autorité rappelle, au préalable, que, pour prononcer des mesures conservatoires, il lui incombe de démontrer qu'une pratique est "susceptible d'être anticoncurrentielle" et que, selon sa pratique décisionnelle, non remise en cause par les juridictions de contrôle, "une décision de mesures conservatoires, rendue en l'état de l'instruction, constitue une décision provisoire qui ne constate pas d'infraction".
38. En ce qui concerne le caractère brutal de la rupture des relations commerciales, elle souligne, d'abord, que les comptes ont été suspendus sans avertissement préalable, ensuite, que la société Google était impliquée dans l'élaboration des campagnes publicitaires et, enfin, que la société Amadeus n'a pas été informée des motifs de cette suspension. Elle soutient que la réactivation des comptes en mars 2018 ne fait pas disparaître la brutalité de cette rupture et que, de surcroît, elle ne constitue pas une reprise de la relation commerciale dès lors que la plupart des annonces ont été refusées. Elle se défend d'avoir, comme le prétendent les requérantes, passé sous silence le fait que la société Amadeus disposait encore de deux comptes, mais constate que ceux-ci n'ont pas permis de diffuser des annonces.
39. En ce qui concerne la justification de la rupture, l'Autorité soutient que, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, elle n'a pas ignoré les motifs que celles-ci invoquent et qui tiennent à des "violations manifestes, graves et répétées d'Amadeus aux Règles Google Ads'". Cependant, elle fait valoir que la société Amadeus n'a pas reçu d'information claire sur ces motifs et que les équipes de la société Google ont joué un rôle actif dans la mise en place des campagnes dont les requérantes prétendent qu'elles étaient contraires aux règles Google Ads. L'Autorité souligne que ces équipes sont intervenues auprès de la société Amadeus en ce qui concerne la rédaction de ses annonces, la fourniture de mots clés, l'organisation et le contenu des pages et sont allées jusqu'à lui donner des garanties de conformité. Dans ces conditions, l'Autorité refuse d'admettre la pertinence des motifs invoqués par les requérantes pour justifier la suspension des comptes de la société Amadeus ; à l'inverse, elle considère que, alertées par les pouvoirs publics sur les pratiques de certains opérateurs de renseignements téléphoniques, elles ont, par cette suspension, entendu "'donner des gages quant au contrôle des publicités diffusées sur [leur]'moteur de recherche'", leur comportement témoignant ainsi d'une "duplicité" de leur part.
40. En ce qui concerne le caractère discriminatoire des pratiques de la société Google, l'Autorité rappelle que, selon le standard de preuve applicable, il lui incombe, non d'établir l'existence d'une discrimination abusive, mais de démontrer que ces pratiques sont susceptibles de constituer un abus, et elle soutient avoir fait cette démonstration dans la décision attaquée. Elle fait ainsi valoir qu'elle a examiné les campagnes de la société Amadeus et de certains de ses concurrents et qu'elle a pu valablement en conclure, au paragraphe 161 de la décision attaquée, que "des fournisseurs de services de renseignements par voie électronique ont effectivement été en mesure de diffuser des annonces via Google Ads alors même qu'Amadeus était privée de cette possibilité". A cet égard, l'Autorité récuse l'argument des requérantes tiré d'un décalage dans le temps de la détection des annonces non conformes ; elle affirme, en effet, que, si de tels décalages peuvent exister, il n'est pas démontré qu'ils étaient inévitables et justifiés, compte tenu de l'importance des moyens que la société Google met en œuvre pour contrôler les publicités diffusées via Google Ads. Enfin, elle soutient que la démonstration d'une volonté de discrimination n'est nullement nécessaire à la qualification de pratiques discriminatoires au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.
41. En ce qui concerne la rupture de la relation commerciale, il est établi que les comptes Google Ads de la société Amadeus ont été suspendus en janvier 2018 et que la société a été informée, après que cette mesure a été mise en œuvre, qu'elle avait été décidée "en raison de déclarations trompeuses" ; il est également établi que ces suspensions n'ont pas été précédées d'un avertissement qui en aurait fait connaître les motifs à la société et lui aurait permis, le cas échéant, de remédier aux irrégularités détectées. Ces circonstances suffisent à considérer que la politique de contenu Adwords n'a pas été mise en œuvre dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, de sorte que la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Amadeus est susceptible de caractériser une pratique anticoncurrentielle. A cet égard, la réactivation ultérieure de ces comptes, opérée au mois de mars 2018, est sans effet sur cette qualification puisqu'elle ne peut, par définition, rectifier rétroactivement les conditions dans lesquelles les suspensions sont intervenues deux mois plus tôt.
42. Les requérantes soutenant que ces suspensions sans avertissement étaient justifiées par leur motif même, tenant aux "violations manifestes, graves et répétées" de la société Amadeus aux règles Google Ads, il appartiendra à l'Autorité, au terme de la procédure au fond, de déterminer si tel est le cas ; mais, à ce stade de l'instruction de l'affaire, les éléments du dossier, ne permettent pas de conclure que les motifs allégués par les requérantes justifiaient que les comptes fussent suspendus sans avertissement préalable.
43. En effet, l'Autorité a relevé, sans que les requérantes le contestent, que la société Amadeus avait bénéficié d'un accompagnement personnalisé et que les collaborateurs de la société Google chargés des comptes de la société Amadeus avaient activement participé à l'élaboration des campagnes publicitaires de celle-ci et lui avaient apporté des garanties quant à leur conformité aux règles Google Ads (décision attaquée, § 150 à 152). Force est d'en conclure qu'il leur était loisible, dès lors qu'ils avaient identifié des manquements à ces règles, de le faire savoir à la société Amadeus et de la mettre en garde avant de procéder, si ces manquements persistaient, à la suspension de ses comptes.
44. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que les pratiques reprochées à la société Google étaient susceptibles de caractériser une pratique abusive, résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Amadeus dans des conditions ni objectives ni transparentes, étant observé que de telles pratiques sont susceptibles d'entraîner des effets anticoncurrentiels avérés ou potentiels.
45. En ce qui concerne les pratiques discriminatoires, l'Autorité a, dans la décision attaquée, rappelé qu''"[i]l appartiendra à l'instruction au fond de rechercher si les faits reprochés révèlent effectivement des pratiques discriminatoires vis-à-vis d'autres fournisseurs de services de renseignement par voie électronique, et si ces pratiques ont engendré des distorsions de concurrence entre ces fournisseurs de services" (décision attaquée, § 163) ; elle a considéré qu''"'[e]n l'état des éléments produits au débat, les pratiques dénoncées par Amadeus doivent cependant être regardées comme susceptibles d 'être discriminatoires e t d'avoir eu, comme telles , des effets anticoncurrentiels" (décision attaquée, §158).
46. Il convient donc de déterminer si les éléments du dossier confirment ce constat et démontrent que la suspension, en janvier 2018, des comptes de la société Amadeus et le refus d'un grand nombre de ses annonces à partir de mars 2018, dont la réalité n'est pas contestée, sont, au vu des éléments du dossier, susceptibles de constituer des pratiques discriminatoires par rapport aux autres utilisateurs du service Google Ads.
47. A cet égard, les captures d'écran et constats d'huissier produits par la société Amadeus, sur lesquels l'Autorité s'est appuyée, établissent que d'autres comptes Google Ads ont présenté les mêmes irrégularités que les comptes de la société Amadeus, sans avoir fait l'objet de mesure de suspension. Il appartiendra aux services d'instruction de déterminer si cette situation établit une différence de traitement appliquée à la société Amadeus par la société Google ou si elle révèle simplement que celle-ci, si elle s'emploie à détecter les irrégularités commises par tous les titulaires de comptes Google Ads, n'est pas toujours en mesure de toutes les détecter à un instant donné.
48. A ce stade de la procédure, il ressort de ces éléments, ajoutés à ceux rappelés aux paragraphes 160 et 162 de la décision attaquée, consistant, d'une part, dans un courrier électronique interne d'un salarié de la société Google s'inquiétant des conditions dans lesquelles les comptes d'Amadeus ont été suspendus dès lors que la règle est la même pour l'ensemble du secteur et devrait conduire à suspendre tous les annonceurs qui y contreviennent et, d'autre part, dans des échanges internes établissant que certains acteurs ont obtenu une information plus complète et rapide sur la portée des règles Google Ads, que les pratiques en cause sont, ainsi que l'Autorité l'a relevé au paragraphe 158, "susceptibles d'être discriminatoires et d'avoir eu, comme telles, des effets anticoncurrentiels".
Sur l'existence d'une situation d'urgence
49. Les requérantes soulignent que la condition d'urgence constitue le fondement même des mesures conservatoires que peut prendre l'Autorité sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce. Elles soutiennent qu'en l'espèce, cette condition n'est pas remplie puisque, contrairement à ce qu'a affirmé l'Autorité dans la décision attaquée, il n'est nullement démontré que la société Amadeus pourrait être exclue du marché à court terme et qu'en outre, la situation de cette société est la conséquence, non des mesures prises pour appliquer les règles Google Ads, mais de sa propre stratégie commerciale.
50. Sur le risque de sortie du marché de la société Amadeus, rien n'indique, selon les requérantes, qu'elle pourrait disparaître à court terme ou être empêchée de maintenir et développer son activité d'exploitation de numéros surtaxés de renseignements téléphoniques. Elles soulignent, en premier lieu, que cette société n'a que 500 euros de capital, qu'elle n'emploie qu'un collaborateur et supporte des coûts fixes minimaux, ce qui lui permet de poursuivre son activité même avec des revenus limités, et que d'ailleurs, elle est toujours présente sur le marché plus d'un an après la suspension initiale de ses comptes et plus de neuf mois après la saisine de l'Autorité. Elles affirment, en outre, que, contrairement à ce que soutient l'Autorité, la fourniture de services payants de renseignements téléphoniques n'est pas la seule activité de la société Amadeus qui exploite également un service vocal payant pour les personnes en détresse ressentant le besoin de parler. En deuxième lieu, elles considèrent que la profitabilité passée de la société Amadeus était liée principalement aux pratiques trompeuses qu'elle mettait en œuvre via Google Ads et que la baisse de son chiffre d'affaires et de ses profits ne peut être analysée indépendamment de la nature de ces pratiques. En troisième lieu, elles font valoir que la société Amadeus a toujours accès aux services de Google Ads et qu'elle s'est vu attribuer par l'ARCEP un nouveau numéro, le 118 512, avec lequel elle poursuit son activité. Enfin, et en quatrième lieu, les requérantes soutiennent que Google Ads n'est pas l'unique source de revenus de la société Amadeus, dont les services sont disponibles via d'autres canaux en ligne.
51. Sur le lien de causalité entre la situation de la société Amadeus et les mesures prises par la société Google, les requérantes soutiennent que les mesures imposées par l'Autorité n'ont, en réalité, pas le caractère de mesures conservatoires dans la mesure où loin d'être temporaires et de tendre à remédier à une atteinte grave et immédiate à la concurrence, elles traitent de questions de fond et visent à réguler les conditions dans lesquelles le secteur des renseignements téléphoniques peut accéder au service Google Ads.
52. Selon la société Amadeus, la décision attaquée démontre qu'elle peut sortir du marché et qu'il existe une atteinte grave et immédiate au secteur et à l'intérêt des consommateurs. Elle fait valoir qu'elle ne dispose pas d'autres sources de revenus que ceux issus de son service de renseignements téléphoniques, dont le chiffre d'affaires a chuté de plus de 90 %, sans que ses coûts aient baissé, et qu'elle a enregistré une perte cumulée de 392 000 euros entre les mois de janvier et mars 2018. Elle précise, par ailleurs, que le numéro 118 512 dont elle est attributaire n'est exploitée que depuis janvier 2019 et est donc sans effet sur l'atteinte résultant de la suspension des comptes correspondant au numéro 118 001. Enfin, elle prétend que, quoique la décision attaquée n'en ait pas entrepris l'examen, les pratiques de la société Google ont porté une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur et aux consommateurs, dans la mesure où elle détenait, en juin 2017, 23,38 % du marché des renseignements téléphoniques, récemment ouvert à la concurrence et donc fragile. Elle soutient que cette situation est la conséquence directe et certaine des pratiques de la société Google et elle rappelle, à cet égard, que le service Google Ads représente une part très significative de son chiffre d'affaires et est indispensable à sa survie concurrentielle.
53. L'Autorité convient qu'un simple manque à gagner est insuffisant à caractériser une atteinte grave et immédiate justifiant le prononcé de mesures conservatoires, mais rappelle que, selon sa pratique décisionnelle, une telle atteinte est établie lorsqu'est mise en péril l'existence même de l'opérateur. Elle observe qu'en l'espèce, la société Amadeus a subi, entre 2017 et 2018, une baisse de plus de 90 % de son chiffre d'affaires et a enregistré en août 2018 une perte de 392 000 euros.
54. S'agissant des autres activités qu'exercerait la société Amadeus, l'Autorité souligne que le service vocal payant pour personnes en détresse n'existait plus à la date de la décision attaquée, puisqu'il n'a été exploité que de février à mars 2018, et qu'il n'a d'ailleurs généré qu'une marge de 253 euros. Elle fait valoir, par ailleurs, que le numéro 118 512 attribué par l'ARCEP n'est exploité que depuis le 7 janvier 2019 et qu'à la date de la décision, la société Amadeus n'était pas en mesure de fournir des éléments quant à la pérennité et la profitabilité de cette nouvelle activité. Elle en conclut qu'elle ne pouvait que constater que l'exploitation du numéro 118 001 constitue l'activité quasi exclusive de la société Amadeus.
55. Enfin, l'Autorité précise que la question de savoir si le recours à Google Ads est indispensable à l'exercice de son activité par la société Amadeus est sans pertinence dans le cadre de l'appréciation du caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à cette société par les pratiques en cause, et qu'elle ne se poserait que dans le cadre de la qualification d'une pratique de refus d'accès.
56. S'agissant de l'activité et de la situation financière de la société Amadeus à l'époque des pratiques dénoncées, l'Autorité a relevé des données chiffrées qui ne sont pas, en elles-mêmes, l'objet de contestation de la part des parties. Ainsi, il résulte des paragraphes 171 à 173 de la décision attaquée que, de janvier à août 2018, le volume d'appels vers le numéro 118 001, correspondant aux comptes de la société Amadeus suspendus en janvier 2018, s'est élevé à 115 934 appels, alors qu'il était, sur la même période de l'année 2017, de 1 201 495 appels, ce qui représente une baisse de 90 %. De façon corrélative, le chiffre d'affaires réalisé par la société Amadeus a baissé dans la même proportion de 90 %, puisqu'il s'est établi, de janvier à août 2018, à 820 109 euros, contre 8 381 500 euros l'année précédente, le détail de cette évolution figurant dans un tableau produit en pièce n° 3 par cette société. Cette chute d'activité et de recettes, qui, selon ce tableau, s'est poursuivie tout au long de l'année 2018, a conduit à une perte cumulée de 392 000 euros, de janvier à août 2018, alors que, sur la même période de l'année précédente, la société avait réalisé une marge bénéficiaire d'environ 1, 3 million d'euros.
57. En revanche, les parties et l'Autorité s'opposent sur le point de savoir si ces données caractérisent une situation justifiant, au regard des conditions requises par l'article L. 464-1 du Code de commerce, les mesures conservatoires imposées aux requérantes. L'Autorité a considéré que tel était le cas puisqu'il en ressortait que, du fait des pratiques en cause, la société Amadeus se trouvait dans une "situation critique" et qu'elle risquait d'être conduite à sortir prochainement du marché sur lequel elle opérait. Les requérantes prétendent, à l'inverse, que rien ne démontre que cette société pourrait disparaître à court terme ou être empêchée de maintenir et développer son activité.
58. Aucun des arguments que développent les requérantes à cet égard ne saurait être retenu.
59. Elles soutiennent d'abord que la société Amadeus est une petite structure, qui ne supporte que des coûts fixes minimaux et peut donc poursuivre son activité même avec des revenus limités, et qu'au demeurant, elle est toujours présente sur le marché plus d'un an après la suspension de ses comptes. Mais, outre que ces assertions sont contestées par la société Amadeus, qui indique employer de nombreux salariés et prestataires pour ses centres d'appels, la cour relève qu'elles sont démenties par les données figurant dans le tableau produit en pièce n° 3 par la société Amadeus, d'où il ressort que ses coûts, loin d'être couverts par ses revenus, sont à partir de février 2018, très supérieurs à son chiffre d'affaires, entraînant une perte cumulée de 392 000 euros au mois d'août 2018. Par ailleurs, le constat que la société Amadeus est toujours présente sur le marché démontre, non qu'il n'y avait pas, à l'époque des pratiques en cause, de risque qu'elle en sorte, mais seulement que ce risque ne s'est pas, à ce jour, réalisé.
60. Ensuite, l'allégation des requérantes selon laquelle la société Amadeus disposerait d'autres sources de revenus, tirés de l'exploitation d'un service vocal payant pour personnes en détresse et du nouveau numéro 118 512 attribué par l'ARCEP, manque en fait. En effet, comme le relèvent, sans être contredites, la société Amadeus et l'Autorité, le service vocal n'a été exploité que de février à mars 2018, et n'a généré qu'une marge de 253 euros, et le numéro 118 512 n'est exploité que depuis le mois de janvier 2009, de sorte que l'attribution de ce nouveau numéro par l'ARCEP est, par définition, sans effet sur l'atteinte immédiatement portée par la suspension des comptes en janvier 2018. Force est d'en conclure que la société Amadeus ne disposait pas d'autres sources de revenus susceptibles de compenser la chute d'activité et de revenus intervenue à partir du mois de janvier 2018 et qui s'est poursuivie tout au long de l'année 2018.
61. Enfin, on ne saurait contester, ce qu'au demeurant les requérantes s'abstiennent de faire, que la chute d'activité subie par la société Amadeus à partir du mois de janvier 2018 a pour cause directe la suspension de ses comptes puisque, comme la cour vient de le relever, la quasi-totalité de son activité procédait de l'exploitation de ces mêmes comptes. A cet égard, les requérantes se bornent à prétendre que la situation de cette société résulte de sa propre stratégie commerciale, concentrée sur le service Google Ads et sans mise en place de solution alternative ; mais, à supposer qu'il ait effectivement existé sur le marché l'offre d'un autre service, équivalent sur le plan technique et économique à Google Ads, ce qui n'est pas établi en l'état des éléments du dossier, la circonstance que la société Amadeus a choisi de ne pas y recourir est indifférente à la question de savoir s'il est résulté des pratiques dénoncées une atteinte grave et immédiate aux intérêts de cette société conditionnant le bénéfice de mesures conservatoires.
62. Il résulte de ces constatations que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que la société Amadeus courait le risque de sortir du marché et que ce risque était la conséquence de la suspension de ses comptes Google Ads, caractérisant ainsi une atteinte grave et immédiate aux intérêts de cette société.
Sur le caractère conservatoire des mesures prononcées
63. Les requérantes considèrent que les mesures prises à leur encontre n'ont pas le caractère de mesures conservatoires dans la mesure où elles ne sont pas temporaires, comme l'exige l'article L. 464-1 du Code de commerce, mais consistent en des injonctions atypiques qui vont au delà des principes posés par cet article et témoignent de la volonté de l'Autorité, non de remédier à une atteinte grave et immédiate à la concurrence, mais de prendre d'ores et déjà position sur des questions de fond afin de réguler, d'une façon générale, les conditions d'utilisation du service Google Ads par les opérateurs de renseignements téléphoniques. A l'appui de cette allégation, elles soulignent que ces mesures n'emportent ni suspension de la pratique concernée ni retour à l'état antérieur, au sens de l'article L. 464-1 du Code de commerce dont, en conséquence, elles méconnaissent les termes.
64. L'Autorité expose que les mesures conservatoires qu'elle a prononcées n'ont pas de caractère irréversible et, par ailleurs, qu'elle ne pouvait en limiter l'application à la seule société Amadeus, sauf à donner un caractère discriminatoire aux règles Google Ads.
65. La critique des requérantes méconnaît tant le sens des dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce que la lettre même des mesures prononcées.
66. D'une part, si le dernier alinéa de l'article L. 464-1 dispose que les mesures conservatoires que prend l'Autorité "'peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur'", il ne s'agit que d'exemples, de sorte qu'il est loisible à l'Autorité de prendre, en fonctions des circonstances de l'affaire, des mesures conservatoires ne suspendant pas la pratique concernée ou n'enjoignant pas aux parties de revenir à l'état antérieur.
67. D'autre part, en l'espèce, les mesures conservatoires prises par l'Autorité ont précisément pour objet de rectifier les pratiques que l 'Autorité a considérées comme susceptibles d'être anticoncurrentielles. En outre, l'allégation des requérantes selon laquelle elles n'auraient pas de caractère temporaire est démentie par leur libellé même : chacune d'entre elles, en effet, a été imposée " à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond", et voit donc son application dans le temps limitée au terme de l'examen de la saisine au fond de la société Amadeus, sans présenter, ainsi que le souligne l'Autorité, aucun caractère irréversible.
Sur la nécessité et la proportionnalité des mesures conservatoires
68. Les requérantes font valoir que les mesures conservatoires prononcées ne sont ni nécessaires ni proportionnées à l'urgence alléguée.
69. S'agissant de la première mesure conservatoire n°1, elles soutiennent que la "'clarification'" des règles Google Ads demandée par l'Autorité n'a aucun impact sur la situation de la société Amadeus, puisqu'elle n'a pas pour effet de rendre conformes à ces règles les annonces de cette société qui ne le sont pas, et qu'elle n'est pas proportionnée à l'urgence alléguée dans la mesure où lesdites règles ont pour objet d'édicter des principes généraux, afin de saisir l'infinie variété de comportements potentiellement dangereux pour les utilisateurs, alors qu'il est illusoire de penser qu'elles pourraient régir le détail de chaque type d'annonceur et de chaque type d'activité.
70. Les requérantes font valoir que l'avertissement préalable prévu par la mesure conservatoire n° 2 est, par définition, sans effet sur les comptes de la société Amadeus déjà suspendus comme sur les comptes actifs de cette société, lesquels ne sont pas sous la menace d'une suspension à court terme ; elles ajoutent qu'il n'est pas proportionné puisqu'il s'applique à tous les annonceurs et non pas seulement à la société Amadeus.
71. Elles soulignent que la formation des personnels prévue par la mesure conservatoire n° 3 n'avait pas été demandée par la société Amadeus et qu'elle est sans rapport avec l'urgence alléguée.
72. Enfin, elles indiquent qu'elles ont, dans le cadre du présent contentieux, vérifié à plusieurs reprises la conformité des annonces de la société Amadeus et qu'en conséquence, la revue manuelle imposée par la mesure n° 4 n'est pas nécessaire.
73. La société Amadeus, qui se réfère de nouveau à la décision n° 10-MC-01 du 30 juin 2010, par laquelle l'Autorité a prononcé contre les sociétés Google Ireland et Google Inc. des mesures conservatoires similaires, soutient que chacune des mesures prises en l'espèce est nécessaire pour faire face à l'urgence de sa situation, d'une part, en conduisant la société Google à procéder d'une manière transparente et objective à l'examen de la conformité de ses comptes et, d'autre part, en rendant les règles Google Ads plus précises et intelligibles, lui permettant, ainsi qu'aux autres annonceurs, de s'y conformer sans risquer une suspension brutale de leurs comptes. Elle soutient, par ailleurs, que ces mesures sont toutes proportionnées, puisqu'elles imposent seulement de clarifier les règles Google Ads, qu'elles ne remettent pas en cause la notion de "'violation grave", qui ouvre une exception à la procédure d'avertissement préalable, et qu'elles limitent l'examen de conformité aux comptes subsistants.
74.L'Autorité soutient que chacune des mesures conservatoires qu'elle a prononcées est strictement limitée à ce qui était nécessaire pour faire face à l'urgence.
75. Il convient de déterminer, pour chacune des mesures prononcées par la décision attaquée, si elle satisfait aux critères de nécessité et de proportionnalité posés par l'article L. 464-1 du Code de commerce, aux termes duquel les mesures conservatoires "doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence".
Sur la mesure conservatoire n° 1
76. La mesure conservatoire n° 1, objet de l'article 1er de la décision attaquée, est ainsi libellée : " Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de clarifier, dans le mois suivant la notification de la présente décision, les Règles Google Ads applicables aux services payants de renseignements par voie électronique en définissant en termes clairs les notions générales de " déclarations trompeuses ", de " comportements non fiables ou promotions indignes de confiance ", de " pratiques commerciales inacceptables ". Ces définitions seront accompagnées d'exemples précis, mais non limitatifs, des comportements interdits les plus fréquents (mots clés, texte de l'annonce, page de destination, etc.) relevant de chacune de ces catégories.
Les Règles Google Ads ainsi clarifiées devront être mises à la disposition des annonceurs, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires."
77. Les requérantes soutiennent que cette mesure conservatoire ne présente aucun caractère de nécessité puisqu'elle ne saurait rendre conformes aux règles Google Ads les annonces de la société Amadeus qui ne le seraient pas. Mais tel n'est pas l'objet de cette mesure qui ne vise nullement à modifier les règles existantes pour permettre à la société Amadeus de s'y conformer plus aisément ; elle tend, en revanche, à faciliter la compréhension de ces règles afin que les annonceurs identifient avec certitude les comportements qui, relevant de "déclarations trompeuses", de " comportements non fiables ou promotions indignes de confiance " ou de " pratiques commerciales inacceptables ", constituent des manquements et les exposent aux conséquences qui en découlent.
78. Par ailleurs, les requérantes remettent en cause le caractère proportionné de cette mesure en faisant valoir qu'elle oblige à détailler les règles Google Ads, alors que celles-ci sont de portée générale et ont vocation à s'appliquer à une multitude de comportements. Cette critique n'est cependant pas fondée ; en effet, il est imposé, par cette mesure, non de préciser les détails d'application des règles Google Ads, mais d'en clarifier la teneur par une définition, "en termes clairs", et des exemples illustratifs des catégories libellées "déclarations trompeuses", " comportements non fiables ou promotions indignes de confiance " et " pratiques commerciales inacceptables ", qui recouvrent les manquements susceptibles d'être reprochés aux annonceurs. Cette obligation, par conséquent, ne porte en rien atteinte au caractère général des règles Google Ads, pas plus qu'à leur capacité d'adaptation aux pratiques, en constante évolution, des annonceurs et ne conduit pas à les dénaturer.
79. Enfin, la portée générale de la mesure, qui s'applique à toutes les relations nouées par la société Google avec les titulaires de comptes Google Ads, ne révèle en elle-même aucune disproportion. En effet, dès lors que l'obligation de clarification des règles Google Ads est nécessaire, le bénéfice d'une telle mesure ne saurait être réservé à certains opérateurs seulement, sans introduire une discrimination injustifiée.
80. Il s'ensuit que la mesure n° 1 est proportionnée, étant limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence.
Sur la mesure conservatoire n° 2
81. Cette mesure, objet de l'article 2 de la décision attaquée, est ainsi libellée : "Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Limited et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de prévoir, dans le mois suivant la notification de la présente décision, dans les procédures Google Ads pouvant conduire à la suspension du compte d'un annonceur actif dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique, un avertissement se référant aux Règles Google Ads clarifiées, qui précisera la nature du ou des manquements reprochés, justifiant la suspension du compte Google Ads envisagée. Cet avertissement prévoira un délai suffisant, avant toute suspension du compte, permettant à l'annonceur, le cas échéant, de justifier ce manquement, d'y remédier ou de demander des explications sur la nature de ce qui lui est reproché. La suspension d'un compte pourra intervenir sans avertissement ni délai, en cas de risque pour la sécurité des personnes ou des biens ou d'atteinte grave à l'ordre public, notamment si l'annonce est constitutive d'une infraction pénale."
82. En imposant aux requérantes de mettre en place un avertissement préalable à la suspension d'un compte, qui a fait défaut en l'espèce, cette mesure garantit la transparence de la procédure, permettant à l'annonceur de prendre connaissance du manquement reproché et d'y remédier, sans s'exposer à une rupture brutale qu'il n'a pas été en mesure d'anticiper. Certes, ainsi que le font valoir les requérantes, elle est dépourvue d'effet rétroactif et ne peut, par définition, remédier à l'absence d'avertissement préalable aux suspensions décidées en janvier 2018 ; mais elle n'en est pas moins nécessaire dès lors que la société Amadeus est toujours titulaire de deux comptes et utilisatrice du service Google Ads. A cet égard, c'est en vain que les requérantes soulignent qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que ces deux comptes "seraient sous la menace d'une suspension à court terme" puisque la fermeture de nombreux comptes que détenait la société Amadeus rend au contraire plausible la suspension de ces comptes subsistants.
83. Cette mesure, par ailleurs, apparaît proportionnée à la situation de la société Amadeus, dans la mesure où l'exception à l'obligation d'avertissement préalable est suffisamment encadrée et de nature à prévenir toute suspension arbitraire de comptes Google Ads ; en particulier, la pertinence des hypothèses fondant cette exception ne peut être sérieusement discutée dès lors qu'elles se fondent sur des impératifs de sécurité publique, tenant à un risque pour la "'sécurité des personnes ou des biens'" ou à une "'atteinte grave à l'ordre public'", qui doivent permettre une suspension des comptes Google Ads en cause, immédiate et sans avertissement préalable.
84. Enfin, la portée générale de la mesure, qui s'applique à toutes les relations nouées par la société Google avec les titulaires de comptes Google Ads, ne révèle en elle-même aucune disproportion. En effet, dès lors que l'obligation d'avertissement préalable est nécessaire, le bénéfice d'une telle mesure ne saurait être réservé à certains opérateurs seulement, sans introduire une discrimination injustifiée.
85. Il s'ensuit que la mesure n° 2 est proportionnée, étant limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence.
Sur la mesure conservatoire n° 3
86. Cette mesure, objet de l'article 3 de la décision attaquée, est ainsi libellée :
"Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Limited et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, d'organiser, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, une formation en présentiel, à destination des personnels chargés de l'accompagnement personnalisé des entreprises actives dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique. Cette formation devra permettre à ces équipes commerciales d'informer les entreprises du contenu et de la portée des Règles Google Ads et de les mettre en garde sur les conséquences de leur violation."
87. Compte tenu des mesures précédemment prises de clarification des règles et de mise en place d'un avertissement préalable, la mise en place d'une formation spécifique des personnels chargés de l'accompagnement personnalisé des entreprises actives dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique n'apparaît pas nécessaire pour répondre à la situation de la société Amadeus résultant de l'atteinte grave et immédiate portée à ses intérêts.
88. La décision attaquée est donc réformée en tant qu'elle a institué, à son article 3, cette mesure conservatoire.'
Sur la mesure conservatoire n° 4
89. Cette mesure, objet de l'article 4 de la décision attaquée, est ainsi libellée :
"Il est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Limited et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, d'entreprendre, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, une revue manuelle de la conformité des campagnes proposées par les comptes non suspendus d'Amadeus aux Règles ainsi clarifiées et, si cette revue révèle que ces annonces sont effectivement conformes, d'autoriser Amadeus à diffuser ses annonces publicitaires dans des conditions non discriminatoires. Si cette revue devait révéler que les annonces ne sont pas conformes, Google en informera Amadeus dans des conditions intelligibles, lui permettant le cas échéant de modifier ses campagnes publicitaires afin de les mettre en conformité avec les Règles Google Ads."
90. Les requérantes contestent la nécessité de cette mesure au motif que plusieurs revues manuelles ont déjà été faites. Mais, même à supposer que tel soit le cas, cette mesure n'en est pas moins nécessaire, car, dans le cas où la revue révélerait que les annonces de la société Amadeus ne sont pas conformes aux règles Google Ads, elle oblige les requérantes à en informer cette société, "dans des conditions intelligibles" qui, précisément, ont fait défaut en l'espèce.
91. Elles font valoir, par ailleurs, que la mesure n'est pas proportionnée, dans la mesure où elle est "particulièrement vague" et imprécise quant à son champ d'application. Mais tel n'est pas le cas puisqu'il ressort de ses termes mêmes que l'obligation imposée aux requérantes consiste à procéder, "dans le délai d'un mois" à compter de la notification de la décision attaquée, à une revue manuelle de conformité des " campagnes proposées par les comptes non suspendus d'Amadeus" et porte donc, comme le souligne l'Autorité dans ses observations, sur les "campagnes actives" à la date de la décision attaquée. L'exécution de cette mesure permettra donc, ainsi que le fait valoir à juste titre l'Autorité, de prévenir des refus d'annonces procédant des systèmes automatiques de contrôle de la société Google et, dans le cas où la revue manuelle conclurait à des défauts de conformité, de délivrer à la société Amadeus une information "intelligible" la mettant à même de modifier en conséquence ses campagnes.
92. La critique, qui n'est pas fondée, doit être rejetée.
Sur la demande tendant à enjoindre à l'Autorité de procéder à une nouvelle publication de la décision attaquée respectueuse du secret des affaires
93. Les requérantes rappellent que la décision attaquée que l'Autorité a publiée, d'une part, cite in extenso, dans ses paragraphes 55, 152 et 160, des extraits d'échanges internes entre certains de ses collaborateurs et, d'autre part, se réfère, dans son paragraphe 58, au niveau de dépense que les annonceurs doivent atteindre pour intégrer le programme d'accompagnement personnalisé. Elles font valoir que le rapporteur avait accordé à ces informations le bénéfice de la protection du secret des affaires, par deux décisions de classement n° 18- DSA-442 du 6 décembre 2018 et n° 19- DSA-023 du 4 janvier 2019 (pièces Google n° 33 et 35). Elles considèrent que l'Autorité a ainsi violé leur droit à la protection du secret des affaires et privé d'effet utile les dispositions des articles L.'463-4 et R. 463-13 à R.'463-15 du Code de commerce, qui protègent ce droit et sur la base desquelles ont été prises les décisions de classement.
94. Elles soulignent qu'elles ont été privées de tout recours effectif contre la décision de divulgation de ces informations, puisque l'Autorité ne les en a pas informées préalablement. Elles rappellent qu'elles ont, le jour même de la publication de la décision attaquée, protesté contre cette divulgation, que le service juridique de l'Autorité a justifiée en invoquant, à tort, les dispositions de l'article L. 470-7-1 du Code de commerce (devenu l'article L. 490-11 du même Code) et en affirmant que la donnée chiffrée à laquelle le paragraphe 58 de la décision attaquée fait référence avait été communiquée au cours de la séance, alors que celle-ci n'était pas publique.
95. Les requérantes en concluent que l'Autorité a violé leur droit à la protection de leurs secrets d'affaires et gravement porté atteinte à leurs intérêts commerciaux. Elles font valoir que, si ce préjudice est irréparable, il convient de le limiter au maximum en enjoignant à l'Autorité de publier à nouveau la décision attaquée en en supprimant les paragraphes contenant les informations confidentielles en cause.
96. L'Autorité soutient que la demande des requérantes est irrecevable aux motifs, d'une part, que la cour, si elle peut, dans le cadre du recours dont elle est saisie, annuler ou réformer la décision attaquée, ne dispose pas du pouvoir de prononcer une injonction à son encontre et, d'autre part, que les mesures de publication de ses décisions, régies par les articles L. 490-11 et D. 464-8-1 du Code de commerce, ne relèvent pas de la compétence de la cour d'appel de Paris.
97.La compétence de la cour d'appel est définie par les articles L. 464-7, L. 464-8 et L. 464-8-1 du Code de commerce, aux termes desquels, saisie d'un recours en ce sens, elle peut annuler ou réformer les décisions prises par l'Autorité sur le fondement des articles L. 464-1, L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 725-27 ainsi que celles prises par son rapporteur général en application de l'article L. 463-4 de ce même Code.
98. En l'espèce, la cour a été saisie, sur le fondement de l'article L. 464-7 du Code de commerce, d'un recours dirigé contre une décision prise en application de l'article L. 464-1 du même Code. La demande des requérantes, qui n'a pas pour objet l'annulation ou la réformation d'un chef de dispositif relatif aux conditions de publication de la décision attaquée, mais tend à voir constater la défaillance de l'Autorité dans la mise en œuvre d'une mesure de protection accordée par son rapporteur et à voir adresser une injonction à cette autorité administrative indépendante afin qu'elle procède à une nouvelle publication de la décision attaquée sur son site, après en avoir occulté certains passages, excède les limites de la saisine de la cour.
99. Dès lors, et en l'absence de texte le prévoyant, la cour est incompétente pour apprécier les conditions dans lesquelles l'Autorité a appliqué les dispositions de l'article D. 464-8-1 du Code de commerce, comme pour lui enjoindre de modifier la publicité de sa décision. Par suite, et conformément à l'article 96 du Code de procédure civile, les requérantes sont invitées à mieux se pourvoir.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
100. Les requérantes qui succombent partiellement dans leur recours doivent supporter la charge des dépens. L'équité ne commande pas de prononcer de condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Dit que la mesure conservatoire prévue à l'article 3 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus n'est pas nécessaire; En conséquence, Dit n'y avoir lieu au prononcé de cette mesure conservatoire; Rejette pour le surplus la demande d'annulation ou de réformation de la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019; se Déclare incompétente pour statuer sur la demande des sociétés Google Ireland Ltd, Google LLC et Google France tendant à enjoindre à l'Autorité de la concurrence de republier la décision n° 19- MC-01 de façon à occulter les paragraphes de cette décision contenant des secrets d'affaires et les renvoie à mieux se pourvoir ; Rejette les demandes de condamnation fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Google Ireland Ltd, Google LLC et Google France aux dépens de l'instance.