CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 avril 2019, n° 17-03985
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Service 18 (SAS)
Défendeur :
Magirus Camiva (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carrier
Conseillers :
M. Ficagna, Mme Papin
Expose des faits et de la procédure :
La société Magirus Camiva exerce une activité de fabrication, de maintenance et d'entretien d'équipements de secours et de lutte contre l'incendie, notamment des échelles et engins de levage installés sur les véhicules de pompiers et de secours.
Pour les besoins de son activité d'entretien des matériels qu'elle fabrique, la société Camiva a développé en interne des logiciels de diagnostic, notamment des logiciels destinés à identifier les pannes et dysfonctionnements qui peuvent affecter les échelles et les équipements de levage parmi lesquels :
- le logiciel Ladderdiag destiné aux échelles de type EPS ou EPC construites entre 2003 et 2007. La société Camiva édite et diffuse également sous son nom le manuel d'utilisation de ce logiciel.
- les logiciels Eurodiag et Windiag, destinés aux échelles de type Epas construites entre 1998 et 2003.
En mars 2012, M. Josselin T., ancien salarié de la société Magirus Camiva, a créé sa société dénommée Metz-Service 18, aujourd'hui filiale du groupe international Rosenbaeur, ayant pour objet l'entretien d'équipements de lutte contre l'incendie et de secours, dont les équipements et échelles de marque Camiva.
Soupçonnant des actes de contrefaçon de ses logiciels par M. T., la société Magirus Camiva a sollicité une mesure de saisie contrefaçon, laquelle a été autorisée par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Lyon du 27 janvier 2014.
Reprochant à la société Metz-Service 18 d'avoir installé les logiciels sur ses équipements et de les utiliser dans le cadre des prestations d'entretien qu'elle propose à ses clients, la société Magirus Camival'a fait assigner en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le Tribunal de grande instance de Lyon par acte d'huissier du 25 février 2014.
Par jugement du 21 février 2017, le tribunal a :
- débouté la société Metz-Service 18 de sa demande en nullité de l'acte de signification d'ordonnance sur requête du 7 février à 09h12, de l'acte de signification de déclaration de consignation et de récépissé attestant de la bonne réception des fonds du 7 février à 09h25, du procès-verbal de saisie-contrefaçon et de constat sur ordonnance du 7 février à 09h30, ainsi que du procès-verbal de saisie-contrefaçon et constat sur ordonnance complémentaire avec restitution de pièces des 7 février à 21h50 et 10 février à 14h34,
- condamné la société Metz Service 18 à payer à la société Magirus Camiva:
la somme de 159 940, 80 en réparation de son préjudice matériel résultant des faits de contrefaçon de ses logiciels,
la somme de 12 000 en réparation de son préjudice moral résultant des faits de contrefaçon de ses logiciels,
la somme de 70 000 en réparation de son préjudice matériel résultant des faits de parasitisme,
- condamné la société Metz Service 18 à désinstaller de ses équipements informatiques l'ensemble des logiciels de la société Magirus Camiva, et ce à ses frais, et sous contrôle d'huissier, et ce, sous astreinte de 500 par infraction constatée, l'astreinte prenant effet un mois après la signification de la présente décision et courant pendant 5 mois.
- condamné la société Metz Service 18 à restituer à la société Magirus Camival ensemble son savoir-faire et de sa documentation et de supprimer de ses équipements informatiques tout fichier contenant le savoir-faire et la documentation de la société Magirus Camiva, et ce, à ses frais et sous le contrôle d'un huissier,
- Interdit à la société Metz Service 18 l'utilisation du logiciel " Eurodiag " version 4.23, installé le 30 août 2012, du logiciel " Ladderdlag " version 2.18, installé le 25 avril 2012, du logiciel 'WINDIAG' version 2.01, installé le 25 avril 2012, et du logiciel " CamivaPACK ", version 1.25, installé le 30 août 201 et appartenant à la société Magirus Camiva, ainsi que de la documentation qu'elle utilise illicitement, et correspondant aux pièces 7-6-1 à 7-6-41 de la demanderesse, et ce, sous astreinte de 500 par infraction constatée, l'astreinte prenant effet un mois après la signification de la présente décision et courant pendant 5 mois,
- ordonné la publication du dispositif de la décision à intervenir, aux frais avancés par la société Metz Service 18 dans trois publications au choix de la société Magirus Camiva, dans la limite de 5 000 hors-taxes par insertion, augmentés de la TVA au taux en vigueur,
- débouté la société Magirus Camiva de sa demande de condamnation de la société Metz Service 18 à consigner la somme de 25 000 augmentée de la TVA au taux en vigueur entre les mains de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats de Lyon en qualité de séquestre sous astreinte de 500 par jour de retard, 15 jours après la signification du jugement à intervenir,
- dit en conséquence qu'il n'y avait pas lieu de dire que M. le bâtonnier de l'ordre des avocats attribuerait cette somme à la société Camiva au fur et à mesure de la production par celle-ci des commandes pour ces publications à hauteur du montant visé dans ces commandes,
- débouté la société Magirus Camiva de sa demande de publication par toute personne intéressée de l'intégralité du jugement à intervenir,
- débouté la société Magirus Camiva de sa demande d'autorisation de publier la décision à intervenir sur ses sites internet,
- ordonné la déconsignation de la somme de 15 000 séquestrée par la société Magirus Camiva auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations en vertu de l'ordonnance présidentielle du 27 janvier 2014,
- dit qu'il n'y avait pas lieu de se réserver la liquidation des astreintes prononcées dans le cadre du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Metz Service 18 à verser à la société Magirus Camiva la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- condamné la société Metz Service 18 aux dépens de l'instance avec faculté de recouvrement au profit des avocats de la cause.
Par déclaration du 30 mai 2017, la SARL SERVICE18, précédemment dénommée Metz Service 18, a interjeté appel.
Au terme de conclusions notifiées le 15 mars 2018, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- lui donner acte de ce qu'elle reconnaît la commission d'actes limités de contrefaçon des droits d'auteur de la société Camiva portant sur les logiciels Eurodiag version 4.23, Ladderdiag Version 2.18 et Windiag version 2.01,
- dire qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire, ni n'a commis aucun acte de détournement déloyal de la clientèle de la société Camiva,
- débouter la société Camiva de l'intégralité de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale ou le détournement déloyal de clientèle,
- dire que le préjudice matériel résultant de la contrefaçon de logiciels ne saurait excéder la somme de 13 387 ,
- débouter la société Magirus Camiva de sa demande au titre du préjudice moral,
subsidiairement,
- réduire dans de très fortes proportions le préjudice lié à d'éventuels actes de concurrence déloyale et parasitaire qui pourraient être retenus,
- lui donner acte de ce qu'elle a d'ores et déjà désinstallé les logiciels propriété de Camiva sur l'ensemble de ses postes informatiques en attendant l'issue du présent litige, de ce qu'elle est disposée à restituer l'ensemble des documents saisis par l'huissier instrumentaire à l'occasion de son procès-verbal de saisie-contrefaçon du 7 février 2014, dans la mesure où ils proviendraient de Camiva,
- déclarer sa demande reconventionnelle en considération de l'omission de statuer du premier juge,
- condamner la société Camiva à lui délivrer une licence d'utilisation des logiciels Eurodiag version 4.23, Ladderdiag version 2.18 et Windiag version 2.01 dans le délai de trente jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 par jour de retard passé ce délai,
- condamner la société Camiva à lui payer la somme de 100 000 à titre de dommages-intérêts au titre de la non-délivrance des licences portant sur les logiciels Eurodiag version 4.23, Ladderdiag version 2.18 et Windiag version 2.01,
- ordonner en tant que de besoin la compensation des condamnations résultant des condamnations réciproques,
- condamner l'intimé aux entiers dépens des deux instances et à lui payer la somme de
40 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 16 mai 2018, la SAS Magirus Camiva demande à la cour de :
- déclarer irrecevables les demandes reconventionnelles de la société Metz Service 18,
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a :
- réformer le jugement sur l'indemnisation des préjudices nés de la contrefaçon et de la concurrence déloyale et sur l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Service 18 à lui payer :
la somme de 331 215 , subsidiairement la somme de 292 499 ou plus subsidiairement encore, celle de 257 185 , à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel né des actes de contrefaçon réalisés, dont 159 940,80 déjà payés,
la somme de 50 000 à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né des actes de contrefaçon réalisés, dont 12 000 déjà payés,
la somme de 784 533 , à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral né des actes de concurrence déloyale et des faits de parasitisme, dont 70 000 déjà payés,
la somme de 50 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, dont 10 000 déjà payés, outre 30 000 au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, et les dépens avec faculté de distraction au profit de Me N..
Motifs de la décision
Sur les demandes au titre de la contrefaçon
Les faits de contrefaçon de logiciels ne sont pas discutés. La bonne foi est sans incidence sur la caractérisation de la contrefaçon qui constitue une infraction objective par la simple reproduction, représentation ou exploitation d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de propriété intellectuelle.
Sur le préjudice matériel
La société Magirus Camiva fait valoir :
- que, pour le calcul de son préjudice, il y a lieu de prendre en compte la totalité des factures émises au titre des prestations réalisées sur les véhicules équipés de la technologie Buscan et non pas les seules factures pour lesquelles Metz Service 18 indique avoir utilisé les logiciels,
- que selon M. G., directeur de son service après-vente, le chiffre d'affaires tiré des factures impliquant l'utilisation des logiciels diagnostic n'est pas de 449 815,01 comme retenu par le tribunal mais de 572 360,48 ,
- que les factures émises par Metz Service 18 au titre des prestations réalisées sur des véhicules équipés de la technologie Buscan constituent, selon l'attestation de M. G., 68,2 % du chiffre d'affaires de l'entreprise et que les tarifs pratiqués par celle-ci étant inférieurs de 28,25 %, l'assiette de son gain manqué doit être calculée sur les factures majorées de 28,25 % multiplié par son taux de marge à savoir 32,8 %,
- que son gain manqué en 2012 s'établit à 30 506 et en 2013 à 300 709 soit un total de 331 215 ,
- qu'à supposer que la cour n'accepte pas ce calcul et se fonde sur la pièce 31 de la société METZ Service 18, l'assiette de calcul constituée du cumul des factures émises au titre des matériels équipés de la technologie Buscan s'établit à 793 072,51 soit après application d'un taux de marge moyen de 32 % un préjudice de 253 783,20 ,
- que la moyenne entre les deux méthodes 331 215 + 253 783 / 2 aboutit à un préjudice de 292 499 ,
- que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté l'argumentation selon laquelle la perte de gain de Camiva devait être calculée sur la base d'un taux d'utilisation des logiciels diagnostic, qu'en outre le taux d'utilisation allégué, entre 5 et 10 % n'est étayé par aucune pièce,
- que c'est la détention des logiciels diagnostic qui a permis à la société Metz Service 18 de remporter des appels d'offres.
La société Service 18 fait valoir :
- que ce n'est que lors du remplacement de certains capteurs spécifiques que l'utilisation du logiciel s'avère nécessaire et que celui-ci est inutile dans la majorité des opérations de maintenance préventive,
- que l'utilisation du diagnostic à distance ne présente aucun intérêt dans le cadre des opérations de maintenance,
- que seuls les engins dotés de la technologie dite " buscan " peuvent être diagnostiqués avec les logiciels incriminés,
- qu'elle n'a pas procédé à une programmation du boîtier de type C2C,
- que le procès-verbal de saisie contrefaçon, s'il établit la possession illicite des logiciels, n'établit ni leur utilisation ni la fréquence de celle-ci,
- que le tribunal aurait dû arrêter le préjudice matériel à la somme de 449 815,01 x 32 % = 143 940,80 ,
- que seule une mineure partie des interventions pouvait nécessiter l'utilisation des logiciels de diagnostic,
- que le chiffre d'affaires réalisé jusqu'au 7 février 2014 en recourant aux logiciels litigieux s'établit à 44 626 selon le tableau qu'elle verse aux débats,
- qu'il n'est pas établi que les appels d'offres qu'elle a remportés l'auraient été pour la raison déterminante de la possession des logiciels de diagnostic,
- que le taux de marge de 32 % revendiqué par l'appelante n'est pas objectivement établi, que de même ses allégations quant à un taux d'utilisation de 68,20 % et à un différentiel de 28,25 % entre leurs tarifs respectifs ne reposent sur aucune donnée objective,
- que les logiciels incriminés ont tous été désinstallés suite à la saisie contrefaçon du 7 février 2014.
Au terme de l'article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, 'Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte.'
Cette disposition assure la transposition en droit français de l'article 13, intitulé " dommages-intérêts ", de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, qui dispose, en son paragraphe 1 : " Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s'est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l'atteinte. [...] "
Elle n'instaure pas des dommages et intérêts punitifs et ne déroge pas à l'article 9 du Code de procédure civile au terme duquel il appartient à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention et donc à la victime d'une contrefaçon de rapporter la preuve de son préjudice, étant rappelé que les dispositions de l'article L. 331-1-2 de Code de la propriété intellectuelle mettent à sa disposition une procédure spéciale d'obtention de preuves.
C'est par une exacte analyse et de justes motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a retenu que la comparaison entre un seul appel d'offre de chacune des deux sociétés ne permettait pas d'établir la réalité d'un écart de prix de 28,25 % de sorte qu'il n'y a pas lieu d'évaluer le gain manqué par référence au chiffre d'affaires de la société Metz Service majoré de 28,25 %.
Il est acquis que les logiciels Diagnostic ne peuvent être utilisés que sur les véhicules équipés de la technologie dite Buscan et qu'ils constituent un dispositif de sécurité des diagnostics des échelles et engins de levage Camiva utilisés en matière de secours et de lutte contre l'incendie. Leur détention constitue donc un élément de fiabilité et de qualité de la maintenance offerte pour du matériel qui doit être à l'abri de toute défaillance et joue nécessairement un rôle moteur dans l'attribution des marchés.
Il y a donc lieu de considérer que la détention de ces logiciels a permis à la société Metz Service 18 d'accéder aux marchés d'entretien du matériel Camiva et de prendre en compte pour l'évaluation du chiffre d'affaires perdu par la reproduction et l'utilisation contrefaisantes des logiciels l'ensemble des factures relatives à l'entretien de ce matériel, soit 793 072,51 , et non pas les seules factures pour lesquelles l'appelante reconnaît avoir utilisé les logiciels.
L'attestation de son directeur administratif et financier permet de retenir que la société Magirus Camiva a réalisé un taux de marge brut moyen sur la période 2012 à 2014 pour ce type de prestations de 31,85 % de sorte que le manque à gagner subi doit être fixé à la somme de 793 072,51 x 31,85 % = 252 593,60 .
Il convient en conséquence de réformer le jugement sur le montant du préjudice matériel et de faire droit à la demande à hauteur de ce montant.
Sur le préjudice moral
La société Magirus Camivafait valoir que son préjudice moral est constitué par le fait qu'elle a assisté à la reproduction et à l'utilisation de logiciels qu'elle a mis 10 ans à développer et à améliorer ce qui justifie l'allocation de la somme de 50 000 réclamée.
La société Service 18 fait valoir que la condamnation au titre d'un préjudice moral n'est pas justifiée compte tenu du refus de l'intimée de lui délivrer des licences sur ses logiciels.
C'est par de justes motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a retenu l'existence d'un préjudice moral et par une juste appréciation qu'il a fixé l'indemnité le réparant à 12 000 de sorte que le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur la concurrence déloyale
La société Magirus Camivafait valoir :
- que l'appropriation frauduleuse des logiciels constitue un acte de concurrence déloyale,
- que Metz Service 18 a engagé sa responsabilité délictuelle en participant et en se faisant complice de la faute contractuelle commise par M. T. à savoir la violation de son obligation de discrétion et de secret professionnel,
- que la société Metz-Service 18 avait laissé croire aux clients qu'elle était un partenaire de Camiva et qu'elle a profité à moindre coût de la notoriété et de la réputation de Camiva pour développer sa clientèle, créant ainsi nécessairement une confusion dans l'esprit du public,
- que le dirigeant de Metz-Service 18 avait quitté Camiva en emportant avec lui l'ensemble du savoir-faire technique et commercial confidentiel de l'entreprise qui lui avaient permis d'utiliser l'ensemble de son savoir-faire et de proposer des tarifs de service compétitifs lui ayant permis de se développer très rapidement,
- que Metz Service 18 par l'intermédiaire de son dirigeant a incité les employés de Camiva à quitter précipitamment l'entreprise, parmi lesquels trois de ses cinq inspecteurs techniques, que ces manœuvres, qui l'avaient obligée à reconstituer une équipe qualifiée et compétente, avaient gravement désorganisé son activité ce qui s'était traduit par la baisse concomitante de son chiffre d'affaires, qu'elle justifiait de frais de recrutement de 17 910 , de frais de formation de 69 444 ,
- que les faits de parasitisme justifient une indemnité calculée sur le chiffre d'affaires de la société Metz Service 18 majoré de 28,25 % multiplié par le taux de marge brute annuel et un taux de perte de chance dégressif allant de 80 % à 50 % au fil des années variant de 80 % en 2012, de 60 % en 2013 et de 50 % en 2014 soit la somme de 35 784 au titre de l'année 2012, la somme de 264 553 au titre de l'année 2013 et la somme de 396 829 au titre des années 2014 à 2016.
La société Service 18 fait valoir en réponse :
- que le départ des cinq salariés de Camiva s'explique par leur volonté de partir conjuguée à la connaissance qu'ils avaient du projet de M. T. qui n'a pas eu besoin de les débaucher,
- qu'elle a accueilli dix autres salariés licenciés dans le cadre du PSE dont six lui ont été proposés par la cellule de reclassement dès le mois de février 2013,
- qu'en tout état de cause, le premier juge a justement retenu que la preuve d'une désorganisation de l'entreprise n'était pas démontrée,
- que l'installation et l'utilisation illicites des logiciels ne constituent pas des actes de concurrence déloyale distinct des actes de contrefaçon et que le jugement doit être confirmé sur ce point,
- que le caractère confidentiel des documents découverts dans le cadre de la saisie-contrefaçon n'est pas établi, qu'en tout état de cause, l'utilisation de ces documents n'est pas prouvée, que M. T., qui n'était lié par aucune clause de non-concurrence, était légitime à faire usage de son expérience et de ses connaissances acquises dans le cadre de son précédent emploi,
- qu'elle n'avait pas d'intérêt à reproduire le fonctionnement de Camiva en termes de maintenance de véhicules, celui-ci ne donnant pas satisfaction à la clientèle ainsi que l'avait relevé M. T. dès 2011 en préconisant la création d'une structure externe, plus souple, permettant des interventions plus rapides avec un niveau de qualité attendu par la clientèle,
- que les formulaires identiques découvert par l'huissier instrumentaire, utilisés pour répondre à un appel d'offres du SDIS de la Gironde du 1er avril 2012, ne caractérisent pas un acte de concurrence déloyale, la forme et l'intitulé du document étant imposés par le CCTP du client,
- que les calculs de préjudice effectués par l'intimée ne reposent sur aucun élément objectif.
Le premier juge a justement retenu que l'installation et l'utilisation des logiciels Eurodiag, Ladderdiag, Camiva Pack et windiag ne constituaient pas un acte de concurrence déloyale distinct des actes de contrefaçon précédemment sanctionnés. Il importe peu à cet égard que M. T. ait dissimulé " l'appropriation frauduleuse " desdits logiciels.
C'est à bon droit, au regard de la charge de la preuve, que le premier juge a retenu que l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle résultant de l'emploi de ces logiciels n'était pas démontré.
Le départ de salariés pour rejoindre une entreprise concurrente ne constitue pas, en soi, un acte de concurrence déloyale de la part du nouvel employeur envers l'ancien.
En l'espèce, il n'est pas établi que M. T. ait, avec la complicité de la société Metz Service 18, agi dans l'intention de nuire à la société Magirus Camiva.
C'est en tout état de cause par une exacte analyse et de justes motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a retenu que l'existence d'une désorganisation de l'entreprise par le départ des salariés débauchés n'était pas démontrée et qu'il n'y avait pas lieu à indemnité de ce chef.
C'est également par une exacte analyse et par de justes motifs adoptés par la cour qu'il a retenu que l'appropriation et l'utilisation d'un grand nombre de documents comportant des informations confidentielles de la société Magirus Camiva, ayant permis à la société Metz Service 18 de s'immiscer dans le sillage de celle-ci sur le marché du diagnostic et de l'entretien de véhicules de secours et de lutte contre l'incendie en tirant indûment profit et sans bourse délier de son travail et de ses investissements, caractérisaient des actes de parasitisme ouvrant droit à dommages et intérêts.
C'est par une juste appréciation que le premier juge a fixé l'indemnité réparant ce chef de préjudice à 70 000 .
Sur la demande reconventionnelle
La société Camiva soulève l'irrecevabilité des demandes de la société Service 18 tendant à la délivrance d'une licence d'utilisation des logiciels Eurodiag version 4.23, Ladderdiag version 2.18 et Windiag version 2.01 sous astreinte et à l'obtention de la somme de 100 000 à titre de dommages-intérêts au titre de la non-délivrance des licences portant sur lesdits logiciels au motif qu'il s'agit de demandes nouvelles en cause d'appel.
La société Service 18 fait valoir qu'il ne s'agit pas de demandes nouvelles comme virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge, qu'en outre les demandes reconventionnelles sont recevables en cause d'appel, qu'en tout état de cause, elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au tribunal.
Selon l'article 567 du Code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont recevables en cause d'appel.
Les articles 565 et 566 sont étrangers aux conditions de recevabilité de la demande reconventionnelle présentée pour la première fois en cause d'appel qui, conformément à l'article 70 du même Code, s'apprécie au regard du lien que la demande reconventionnelle présente avec les prétentions originaires.
La notion de lien suffisant ne limite pas la recevabilité des demandes reconventionnelles aux demandes " défensives " et une demande reconventionnelle dont le sort est indépendant de la prétention initiale est recevable dès lors qu'elle se rattache à celle-ci par un lien suffisant.
En l'espèce, la demande de délivrance des logiciels et la demande de dommages et intérêts se rattachent à la demande principale par un lien suffisant de sorte qu'elles sont recevables sans qu'il y ait lieu de rechercher si elles étaient 'virtuellement' soumises au premier juge ou si elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes initiales.
La société Service 18 fait valoir au soutien de ses demandes :
- que le refus de Camiva de lui délivrer les licences sur les logiciels de diagnostic constitue une pratique anti-concurrentielle au regard du droit des ententes et des abus de position dominante,
- que le règlement n°461/2010 de la Commission du 27 mai 2010 concernant l'application de l'article 101 par 3 du TFUE dit 'règlement automobile' est applicable aux opérations de service après-vente portant sur des échelles de véhicules dans la mesure où celles-ci sont indissociables des véhicules dans la plupart des cas et que des accords ont été conclus entre Camiva et des réparateurs agréés,
- que la rétention des informations techniques est illégitime en ce qu'elle est susceptible d'avoir un impact notable sur la capacité des opérateurs indépendants à mener leurs activités, la société Camiva ayant organisé une situation de monopole, le fait que les réparateurs agréés soient des sous-traitants renforçant cette situation,
- que les pratiques de Camiva sont anti-concurrentielles par objet en ce qu'elles empêchent une offre concurrente de se créer,
- que les appels d'offres portant sur des prestations de service après-vente sont liés à la marque du constructeur, que Camiva est en position dominante sur les marchés relatives aux échelles, sa part de marché étant a minima de 60 %, que ce marché est nécessairement de dimension nationale dans la mesure où seuls des intervenants français répondent aux appels d'offre auxquels Service 18 a répondu, qu'en tout état de cause, chaque marché passé selon la procédure d'appel d'offres constitue un marché de référence de sorte que la pratique anticoncurrentielle peut être sanctionnée à cette échelle,
- que lorsqu'une société est en position dominante sur un marché donné, une pratique de celle-ci est susceptible de constituer un abus sur un autre marché connexe au premier,
- que l'action intentée par Camiva a pour seul objectif de lui permettre d'éliminer son seul concurrent, tout au moins pour une partie non négligeable des appels d'offres,
- que les logiciels litigieux sont une facilité essentielle, que Camiva a obtenu que les CCTP relatifs aux prestations de service après-vente des échelles prévoient dorénavant un critère tenant à la possession d'un ou plusieurs de ses logiciels, que les pratiques de Camiva rendent l'accès aux logiciels nécessaire pour répondre aux appels d'offres,
- que le refus de Camiva constitue une pratique d'éviction, que Camiva pratique des tarifs prohibitifs pour réaliser les prestations nécessitant l'utilisation des logiciels de diagnostic.
La société Magirus Camiva soutient en réponse :
- qu'elle n'est pas soumise à la réglementation relative au secteur automobile, les équipements et échelles de camions de pompiers étant des accessoires des camions exclus de la réglementation,
- que la société Service 18 ne caractérise pas la position dominante qu'elle lui impute, qu'elle n'effectue aucune analyse concrète permettant de délimiter le marché pertinent pour les produits concernés,
- que sur le marché européen des échelles pivotantes, qui pourrait être considéré comme le marché pertinent, elle ne détient qu'une part de marché inférieure à 40 %, que la clientèle qui procède essentiellement par voie d'appels d'offres, dispose de fait d'un contre-pouvoir important et que les concurrents sont nombreux et issus de groupes puissants,
- que l'accès aux logiciels n'est pas indispensable pour exercer une activité concurrente de maintenance des échelles pivotantes pour camions de pompiers, que le refus de délivrance de licences sur les logiciels Diagnostic n'empêche pas la société Service 18 d'exercer son activité dans des conditions économiquement viables,
- qu'elle ne fournit pas de licences, les sociétés SDVI et 3EM étant des sous-traitants auxquels elle ne délègue pas les activités de diagnostic et de réglage post maintenance nécessitant l'utilisation des logiciels Diagnostic,
- que son refus de délivrer des logiciels est légitime, en particulier pour des raisons de sécurité, que la version accessible aux clients permet la lecture des paramètres mais non la configuration de l'équipement ou la modification des réglages,
- qu'aucune pratique anti-concurrentielle de sa part n'est démontrée.
Le règlement communautaire n°461/2010 édictant des dispositions spéciales au secteur automobile, ne saurait être étendu à la société Magirus Camiva, celle-ci n'étant pas un constructeur automobile et ses équipements ne pouvant être qualifiés d'indispensables à l'utilisation d'un véhicule automobile.
La société Service 18, qui a la charge de la preuve, ne produit aucun élément susceptible de démontrer que la société Magirus Camiva disposerait d'un réseau de réparateurs agréés bénéficiant de l'utilisation des logiciels Diagnostic.
La société Service 18 se fonde en dernier lieu sur la théorie des infrastructures essentielles selon laquelle, si une entreprise en situation de monopole ou de position dominante détient une infrastructure à laquelle les entreprises opérant sur un marché aval doivent nécessairement avoir accès pour concurrencer sur ce marché l'entreprise détentrice de l'infrastructure, elle doit permettre l'accès à cette dernière sur une base équitable et non discriminatoire.
S'agissant d'une restriction au principe de la liberté du commerce, il appartient à celui qui s'en prévaut de démontrer que l'ensemble des conditions suivantes sont réunies :
1- l'infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole ou une position dominante,
2- l'accès à l'infrastructure est strictement nécessaire ou indispensable pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure détient un monopole ou une position dominante,
3- l'infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère,
4- l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées,
5- l'accès à l'infrastructure est possible.
Des considérations générales ne sauraient faire la preuve d'une situation de monopole ou de position dominante.
La société Camiva ne saurait être considérée comme en situation de monopole en présence d'autres opérateurs sur le marché des échelles de camions de pompiers.
La position dominante s'entend comme le pouvoir de s'abstraire de la concurrence des tiers.
Pour caractériser une situation de position dominante, il est nécessaire de déterminer le marché géographique pertinent et d'examiner dans quelle mesure cette entreprise peut s'abstraire des conditions normales de la concurrence sur le marché délimité, ce qui implique une analyse concrète de l'offre et de la demande relative aux produits concernés, de leur degré de substituabilité, de leurs fonctionnalités et de leurs caractéristiques.
La société Service 18 ne produit aucun élément susceptible de démontrer que le marché pertinent pour déterminer l'éventuelle situation de position dominante de la société Camiva serait le marché national ou local de la distribution et de l'après-vente des équipements de lutte contre l'incendie de marque Camiva.
Elle ne démontre pas que l'accès aux logiciels Diagnostic serait indispensable pour exercer une activité concurrente de maintenance des échelles et engins de levage pour camions de pompiers ni que le refus de délivrance de licences sur lesdits logiciels l'empêcherait d'exercer son activité dans des conditions économiquement viables.
Pas plus elle ne démontre l'impossibilité de créer des produits ou services alternatifs ou que la création de ces produits ou services ne serait pas économiquement rentable pour une production à une échelle comparable à celle de l'entreprise contrôlant le produit ou le service existant.
La position dominante de la société Magirus Camiva n'est dès lors caractérisée.
Il ne ressort pas du document intitulé " tarifs fournitures annexes " de l'année 2007 que la société Magirus Camiva concéderait des licences à des concurrents leur permettant de procéder à la configuration des équipements ou à la modification des réglages.
Aucune pratique anticoncurrentielle de la part de la société Magirus Camiva n'est dès lors démontrée.
Le simple fait de conserver l'avantage que lui procure sur la concurrence l'usage des logiciels qu'elle a créés ne saurait justifier de lui imposer de conférer l'accès à ceux-ci à un concurrent.
Il convient en conséquence de débouter la société Service 18 de ses demandes reconventionnelles.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société METZ SERVICE 18 à payer à la société MAGIRUS CAMIVA la somme de 159 940,80 en réparation du préjudice matériel résultant des faits de contrefaçon de ses logiciels ; Statuant à nouveau, Condamne la société SERVICE 18 à payer à la société MAGIRUS CAMIVA la somme de 252 593,60 ; Donne acte aux parties de ce qu'elles reconnaissent que la désinstallation des logiciels litigieux et la suppression de fichiers contenant le savoir faire et la documentation de la société MAGIRUS CAMIVA a été constatée amiablement ; Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ; Y ajoutant, Déclare la société SERVICE 18 recevable en ses demandes reconventionnelles mais l'en déboute ; Condamne la société SERVICE 18 à payer à la société MAGIRUS CAMIVA la somme supplémentaire de 30 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile ; La condamne aux dépens ; Autorise Me NOUVELLET à recouvrer directement à son encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.