CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 avril 2019, n° 18-01395
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lavergne Contal
Conseillers :
M. Desalbres, Mme Delaquys
Avocats :
Mes Fouillet, Lataillade
FAITS ET PROCÉDURE
Le 8 juillet 2004, M. F X et Mme Y A épouse X ont acquis de M. D un immeuble à usage d'habitation situé ... pour le prix de 243 918.
Entre 2011 et 2012, se plaignant de l'apparition de fissures sur les plafonds, murs intérieurs et extérieurs outre les carrelages, ils ont informé par courrier en date du 26 mars 2013 M. D de leur intention d'intenter une action judiciaire pour vice caché.
Une expertise amiable a été réalisée par le cabinet Polyexpert mandaté par l'assureur des époux X qui a refusé la prise en charge du sinistre faute de classement de la commune en catastrophe sécheresse.
En 2012, la commune a été classée en zone sécheresse et une nouvelle expertise amiable était organisée le 9 janvier 2014. L'expert a conclu que les fissures seraient liées à des tassements différentiels intervenus avant l'acquisition de l'immeuble.
Face au refus de la compagnie d'assurance de prendre en charge le sinistre, les époux X ont saisi le juge des référés le 8 avril 2014 qui, par ordonnance en date du 14 août 2014, a ordonné une expertise judiciaire.
L'expert a déposé son rapport le 3 juin 2015.
Par acte d'huissier en date du 7 août 2015, M. et Mme X ont fait assigner M. D aux fins de :
- voir reconnaître le dol commis par le vendeur et de dire qu'il constitue un vice du consentement des époux X,
- obtenir la condamnation de M. D à leur payer la somme de 159 627,83 à titre de dommages et intérêts correspondant aux frais de reprises des désordres chiffrés par l'expert
- à titre subsidiaire, constater l'existence d'un vice caché connu du vendeur et condamner ce dernier au paiement de la même somme au titre de la restitution d'une partie du prix outre une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par un jugement en date du novembre 2016, le Tribunal de grande instance de Libourne a :
- déclaré recevable l'action engagée par M. et Mme X pour vices cachés,
- débouté M. et Mme X de leurs demandes à l'encontre de M. D,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires,
- condamné M. et Mme X aux dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire.
LA COUR
Vu la déclaration d'appel de M. et Mme X ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre chargé de la mise en état en date 7 mars 2018 qui a ordonné la radiation de l'affaire faute pour l'appelante d'avoir satisfait à l'injonction délivrée ;
Vu les conclusions de reprise d'instance en date du 19 mars 2018 de Mme X et de M. E X, M. G X et M. C X venant en qualités d'ayants droit de F X décédé le 18 mai 2017 dans lesquelles ils demandent à la cour de :
- déclarer l'appel enregistré par M. et Mme X recevable et bien fondé
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE en date du 03 novembre 2016 seulement en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par M. et Mme X
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté au fond M. et Mme X de leurs demandes à l'encontre de M. D
Statuant à nouveau :
- à titre principal, constater que la vente de l'immeuble sis 5, La Lagüe à ..., intervenue entre M. D et les époux X, est viciée par un dol commis par le vendeur
En conséquence,
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 159 627,83 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice financier
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 5 000 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice de jouissance
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 5 000 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral
- à titre subsidiaire, constater que le consentement des époux X a été vicié par une erreur portant sur les qualités substantielles de l'immeuble sis 5, La Lagüe à MOULON
(33420)
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 159 627,83 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice financier
- condamner Monsieur B Z D à payer aux époux X la somme de 5 000 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice de jouissance
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 5 000 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral
- à titre infiniment subsidiaire, constater que l'immeuble vendu par M. D aux époux X, sis 5, la Lagüe à ..., est affecté d'un vice caché
- constater que la clause exclusive de la garantie des vices cachés n'est pas opposable aux époux X dès lors où le vendeur avait connaissance du vice et s'est sciemment abstenu d'en informer les acquéreurs et l'a même maquillé
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 159 627,83 représentant la restitution d'une partie du prix de vente
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 5 000 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice de jouissance
- condamner M. D à payer aux époux X la somme de 5 000 de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral
En toute hypothèse,
- débouter purement et simplement M. D en toutes ses demandes, fins et conclusions
- condamner M. D à payer à M. et Mme F X la somme de 5 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner M. D aux entiers dépens, en ce compris les frais de la procédure de référé, de l'expertise judiciaire et de l'action au fond ;
Vu les conclusions de M. D en date du 17 mai 2018 dans lesquelles il demande à la cour de :
- lui donner acte de la recevabilité de son appel incident et limité ;
- in limine litis, réformer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des consorts X sur le fondement de la garantie des vices cachés
- déclarer cette action irrecevable
- constater la forclusion de l'action en garantie des vices cachés
- à titre subsidiaire, débouter les consorts X de l'ensemble de leurs demandes
- les condamner à lui payer une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- les condamner aux entiers dépens en ce compris les frais de première instance, de référés et d'expertise ;
SUR CE
Sur la recevabilité de l'action des consorts X
M. D sollicite la réformation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action en garantie des vices cachés des époux X. En effet, il relève que la date d'apparition des fissures peut être fixée vers le 4 mai 2011 et que l'assignation en référé n'étant intervenue que du 14 avril 2014, l'action des consorts X est forclose pour ne pas avoir été intentée dans le délai de deux ans après la découverte du vice invoqué.
Les consorts X font valoir quant à eux que leur action principale est fondée sur la réticence dolosive du vendeur et sur l'existence d'une erreur sur les qualités substantielles de l'immeuble. Ils soutiennent que la prescription est donc quinquennale avec un point de départ au jour où le dol ou l'erreur ont été découverts.
En ce qui concerne leur action sur le fondement du vice caché, ils indiquent que l'apparition des fissures en mai 2011 n'était pas de nature à les alarmer mais que ce ne sont que les nouveaux dégâts apparus en septembre 2012 qui leur ont permis de prendre conscience de l'existence de vices cachés. Dans ces conditions, ils affirment que leur assignation en référé en date du 14 avril 2014 est bien intervenue dans le délai de deux ans de la prescription.
C'est par une exacte appréciation des faits de la cause que la cour adopte que le premier juge a relevé que même si les consorts X ont constaté l'apparition de fissures dès le mois de mai 2011, ils n'ont pris conscience de l'ampleur de ce désordre qu'à compter du 24 septembre 2012 avec l'aggravation dans de notables proportions des fissures et l'apparition de nouveaux désordres.
En conséquence, il y a lieu de constater que la découverte du vice affectant l'immeuble vendu n'a été connue des époux X qu'à compter du 24 septembre 2012 et que l'assignation en référé du 14 mai 2014 est donc bien intervenue dans le délai de deux ans prévus par l'article 1648 du Code civil. L'action des consorts X sur le fondement des vices cachés est donc recevable.
D'autre part, les actions principales des consorts X se fondent sur l'existence d'un dol ou d'une erreur substantielle et qu'elles se prescrivent quant à elles dans un délai de 5 ans à compter du jour où ils ont eu connaissance de l'erreur ou du dol.
En l'espèce, la connaissance de l'erreur ou du dol doit être fixée au jour de l'apparition des désordres en l'espèce le 24 septembre 2012 et dans ces conditions, l'assignation en référé étant en date du 14 mai 2014, l'action des consorts X est donc recevable.
Sur l'action pour dol,
Les consorts X relèvent que l'expert judiciaire a constaté que des désordres ont dû apparaître rapidement après la construction de la maison par M. D et il a ajouté qu'il paraît inévitable qu'avant le 8 juillet 2004, l'immeuble était affecté de fissures. Ils soutiennent que les fondations réalisées par M. D sont insuffisantes et que ce dernier en avait connaissance puisque l'expert a noté l'existence de réparations de fissures anciennes.
Ils reprochent à M. D de leur avoir vendu l'immeuble en affirmant qu'il était en parfait état et qu'il a ainsi violé l'obligation d'information qui lui incombait avec l'intention évidente de les tromper ce qui caractérise une déloyauté manifeste.
Ils demandent en conséquence la réparation du préjudice qu'ils ont subi correspondant au coût des travaux de réfection de l'immeuble soit la somme de 159 627,83 euros outre un trouble de jouissance à hauteur de 5 000 euros et une somme de 5 000 euros pour leur préjudice moral.
M. D soutient que les appelants ne démontrent pas l'existence du dol qu'ils invoquent. Il fait valoir que les désordres ne lui sont pas imputables, ceux-ci ayant une origine liée au sous-sol de l'immeuble ou à des fondations insuffisantes qui ne peuvent lui être imputées.
Il relève que si l'expert indique la présence de fissures ayant été réparées, il constate que l'expert n'est pas en mesure de dater ces réparations. Or il affirme qu'il n'a jamais procédé à de telles réparations.
Il produit plusieurs attestations témoignant que l'immeuble vendu avait toujours été en parfait état sans fissure avant la vente.
Dans ces conditions, il demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de constater que les consorts X sont défaillants dans la preuve de manœuvres dolosives de sa part.
Aux termes de l'article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Le dol ne se présume pas et doit être prouvé.
Il ressort du rapport d'expertise que les causes des désordres de la maison ne sont pas imputables à un problème de sécheresse et qu'elle provienne d'un tassement des fondations dû à un vice caché de construction consécutif à un manque de compactage de remblais hétérogènes sous l'ensemble des fondations de la maison, à une absence de fondation conforme aux règles de la notamment pour l'extension de la cuisine et certainement pour l'extension de la salle à manger et à une absence de blocage de ses remblais entraînant un mouvement de terrain notamment sous l'extension de la cuisine et de la façade avant de la maison du à une forte déclivité de 26 %. L'expert indique qu'il a constaté l'existence de travaux anciens de reprise mais qu'il est impossible à 10 ans près de dater les anciens désordres et reprises. Il ajoute qu'en ce qui concerne les fissures du carrelage de la salle à manger, elles apparaissent relativement récentes et postérieures à la vente dû à des mouvements de terrain récents.
Il apparaît donc ainsi qu'il est impossible d'établir la date d'apparition des fissures reprises tel que constaté par l'expert et notamment de démontrer que ces fissures préexistaient nécessairement à la vente et qu'elles avaient été reprises avant celle-ci par le vendeur.
Les consorts X versent également aux débats diverses attestations afin d'étayer leurs dires. Cependant l'examen de ces attestations permet simplement de constater que l'immeuble vendu était en parfait état au jour de la vente et même durant plusieurs années après celle-ci. Ces seuls éléments ne permettent pas de démontrer que M. D serait l'auteur des reprises des fissures relevées par l'expert.
Dans ces conditions, aucun élément ne permet d'établir que les fissures litigieuses seraient apparues très rapidement après la construction de l'immeuble par M. D et que ce dernier, malgré la connaissance qu'il aurait eue de ces fissures, aurait omis volontairement d'en donner connaissance aux acquéreurs.
Les consorts X ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d'une réticence dolosive de la part du vendeur.
Les consorts X invoquent également l'existence d'une erreur sur les qualités substantielles de l'immeuble du fait de l'existence de fissures reprises et masquées. Cependant outre le fait que la préexistence des fissures reprises à la vente ne soit pas établie, il convient de rappeler que les qualités substantielles sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. Or en l'espèce, les époux X en signant l'acte de vente qui comprenait une clause aux termes de laquelle il prenait le bien vendu en l'état où il se trouvera le jour de l'entrée en jouissance sans aucune garantie de la part du vendeur pour raison :
- soit de l'état des constructions, de leurs vices mêmes cachés, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires contraires analyser le cas échéant ci-après
- soit de l'état du sol et du sous-sol en raison de fouilles ou d'excavations qui auraient pu être pratiquées sous le BIEN, de mitoyenneté, d'erreur ou d'omission dans la désignation qui précède...
ont ainsi démontré que la possibilité de l'existence de désordres affectant la construction ne constituait pas pour eux une qualité essentielle de leur acquisition.
Il y a lieu de les débouter de leur action sur le fondement de l'erreur.
À titre infiniment subsidiaire les consorts X invoquent l'existence d'un vice caché affectant l'immeuble vendu. Cependant compte tenu de l'existence de la clause rappelée ci-dessus et du fait qu'ils ne rapportent pas la preuve de la connaissance d'un vice caché affectant l'immeuble par le vendeur, ils ne peuvent rechercher la garantie du vendeur au titre des vices cachés.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris.
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Déboute les consorts X de leur action fondée sur l'erreur sur les qualités substantielles du bien vendu. Condamne les consorts X à verser à M. D la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne les consorts X aux entiers dépens de référé, d'instance et d'appel en ce inclus les frais d'expertise. La présente décision a été signée par madame Marie Jeanne Lavergne Contal, présidente, et madame Nathalie Belingheri, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Le Greffier La Presidente Composition de la juridiction : Marie Jeanne Lavergne Contal, Alain Desalbres, Annie Blazevic, Julien Bouzerand, Céline Fouillet, Me Arnaud Lataillade, Me Céline Fouillet, Me Dominique Laplagne, Me Julien Bouzerand, SELARL Juris, Dominique Laplagne