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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 avril 2019, n° 16-14991

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tôlerie Industrielle (SAS)

Défendeur :

R. Boutin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

Avocats :

Mes Delmas, Grognard, Sona, Baudry

T. com. Rennes, du 28 avr. 2016

28 avril 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société R. Boutin (ci-après Boutin), créée en 1930, est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'appareils ménagers, de jardinage, et de tôlerie ; elle fabrique également des conduits de fumée, des accessoires et gaines de ventilation.

La société Tôlerie Industrielle est spécialisée dans la fabrication, la distribution et la pose de gaines de ventilations.

Les sociétés Boutin et Tôlerie Industrielle ont entretenu une relation commerciale pendant plusieurs années, la société Boutin fournissant des accessoires et gaines de fabrication à la société Tôlerie Industrielle.

Le courant d'affaire entre les deux sociétés aurait d'abord connu une baisse en termes de commandes et de chiffre d'affaires en 2010 avant de cesser complètement à partir de 2012. Soutenant que la société Tôlerie Industrielle aurait rompu leur relation commerciale de manière brutale, la société Boutin a, par acte introductif d'instance du 22 avril 2014, assigné la société Tôlerie Industrielle devant le tribunal de commerce de Niort.

Par jugement en date du 3 septembre 2014, le tribunal de commerce de Niort s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement du 28 avril 2016, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Rennes a :

- débouté la société Tôlerie Industrielle de sa demande de sursis,

- débouté la société R Boutin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société R Boutin à payer à la société Tôlerie Industrielle la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société Tôlerie Industrielle du surplus de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société R Boutin aux entiers dépens de l'instance,

- liquidé les frais de greffe à la somme de 81,65 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

Par déclaration au greffe du 7 juillet 2016, la société Boutin a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société R. Boutin, appelante, déposées et notifiées le 15 janvier 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 442-6 du Code de commerce, 1382 et 1383 (anciens) du Code civil, 9, 10, 56, 143, 146, 232, 827 et 861-2 du Code de procédure civile, de :

En la forme,

- dire que la société Boutin est recevable en son appel,

Au fond,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 28 avril 2016 en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

- juger que la rupture, par la société Tôlerie Industrielle, des relations commerciales établies avec la société Boutin, est fautive du fait de la brutalité et de l'absence de préavis écrit,

- en réparation du préjudice subi, condamner la société Tôlerie Industrielle au paiement des sommes suivantes :

* 230 242 euros en réparation du préjudice financier subi par la société Boutin au titre de la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires manqué consécutivement à la rupture fautive des relations commerciales,

* 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par la société Boutin,

* 4 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Tôlerie Industrielle aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions de la société Tôlerie Industrielle, intimée, déposées et notifiées le 28 janvier 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 442-6 du Code de commerce, 1315 et 1382 (anciens) du Code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 26 avril 2016,

- condamner la société Boutin à payer à la société Tôlerie Industrielle la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Boutin aux entiers dépens ;

SUR CE, LA COUR,

Sur la sommation de produire des pièces aux débats

La société Tôlerie Industrielle soutient que, dans le cadre de la procédure engagée à l'encontre de la société TFVM, la société Boutin faisait valoir un préjudice financier consistant en la perte du chiffre d'affaires dû à une désaffectation d'une partie de sa clientèle, alors qu'elle sollicite également dans le cadre de la présente instance la réparation de la perte de chiffre d'affaires due à la rupture des relations avec la société Tôlerie Industrielle. Elle estime que le préjudice allégué dans la présente instance est nécessairement inclus dans la perte de chiffre d'affaires qu'elle prétend avoir subi du fait des agissements de la société TFVM et demande donc à la cour de faire sommation à la société Boutin d'avoir à produire aux débats ses dernières conclusions et ses pièces visées dans le litige l'opposant à la société TFVM, les conclusions de la société TFVM, et la décision du tribunal de commerce d'Angoulême ou le cas échéant l'état de la procédure, dès lors qu'existe, selon elle, un lien indéniable entre l'action engagée par la société Boutin à l'encontre de la société Tôlerie Industrielle et celle, en concurrence déloyale, engagée à l'encontre de la société TFVM.

Mais cette demande n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions, qui seul, lie la cour, de sorte qu'elle ne sera pas examinée.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

La société Boutin invoque les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et fait valoir que la rupture de la relation commerciale avec la société Tôlerie Industrielle a revêtu un caractère brutal et fautif.

La société Tôlerie Industrielle considère que les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sont pas réunies en l'espèce.

Si, aux termes de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, " les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Les deux sociétés s'accordent sur l'existence de relations commerciales établies, caractérisées par un flux continu d'affaires, mais s'opposent sur le caractère brutal de la rupture, la durée du préavis et sur les préjudices.

Sur le caractère brutal de la rupture

La société Boutin soutient que la durée des relations commerciales entre les parties est de plus de 25 ans. Elle ajoute que cette relation était stable, les parties n'ayant jamais connu de période de rupture, même lors du placement en redressement judiciaire de la société Boutin, régulière, pour avoir duré de 1987 à 2011 et significative, dès lors que le courant d'affaires entre les deux sociétés était constant depuis 2002 et que le chiffre d'affaires généré variait entre 135 000 et 456 451 euros. Elle affirme, par conséquent, que le caractère établi de la relation commerciale litigieuse n'est pas contestable.

La société Boutin fait valoir que la société Tôlerie Industrielle a rompu la relation commerciale établie avec elle en réduisant de manière drastique ses commandes à compter de l'année 2010, pour cesser définitivement en 2012. Elle indique qu'alors que le chiffre d'affaires pour l'exercice 2009 entre les deux sociétés s'élevait à 185 932,01 euros, celui-ci n'était plus que de 32 169,90 euros en 2010, puis de 1 704,30 euros en 2011, et enfin, de 0 euro en 2012. Elle affirme que cette réduction brutale et drastique des commandes suffit à caractériser une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Elle soutient que la société Tôlerie Industrielle a, partant, opéré un basculement unilatéral, brutal et sans équivoque d'un fournisseur vers un autre, basculement attesté, selon elle, par le chiffre d'affaires de la société TFVM, nouveau fournisseur de la société Tôlerie Industrielle.

Elle expose que la rupture a été brutale pour n'avoir pas bénéficié d'un préavis écrit, alors qu'un préavis de deux ans aurait dû lui être octroyé eu égard à la durée et aux spécificités de la relation entretenue avec la société Tôlerie Industrielle. Elle affirme en outre que la société Tôlerie Industrielle n'a avancé aucun motif afin de justifier cette rupture, et qu'en tout état de cause, elle n'a jamais reçu la moindre mise en demeure faisant état d'une inexécution contractuelle ou d'un retard dans l'exécution de ses obligations.

Elle soutient également que les juges de première instance ne pouvaient rendre la société Boutin responsable de cette rupture au motif qu'elle aurait dû s'aligner sur les prix prétendument plus bas de son concurrent, la société TFVM. A cet égard, elle souligne que les tarifs pratiqués par la société TFVM sur l'année 2012 étaient loin d'être inférieurs à ceux pratiqués par la société Boutin. Elle affirme qu'en tout état de cause l'intimée ne pouvait valablement s'affranchir d'un préavis écrit pour mettre fin aux relations commerciales avec la société Boutin, quand bien même ses tarifs auraient été moins compétitifs, ce qui n'est, au demeurant, pas établi.

Elle fait aussi grief au jugement entrepris d'avoir considéré que la société Boutin ne pouvait ignorer les intentions de son cocontractant de mettre un terme à leur relation commerciale. A contrario, elle estime que, d'une part, il n'y a pas eu de diminution du courant d'affaire entre 2006 et 2009 mais une forte progression, et d'autre part, que la société Tôlerie Industrielle n'a jamais démontré sur cette période ses intentions de rompre la relation commerciale, et enfin, que si des négociations ont été menées, elles l'ont conduite à offrir des remises importantes à son cocontractant, les frais de port ayant été supportés par la société Boutin pour toutes les commandes livrées quel qu'en fut le montant ou la destination. En tout état de cause, elle soutient que la seule circonstance qu'elle ait pu connaître la concurrence de la société TFMV ne saurait suffire à prouver qu'elle a été informée des intentions de la société Tôlerie Industrielle de mettre un terme à leur relation commerciale établie. En tout état de cause, elle expose que le caractère prévisible d'une rupture n'est pas nécessairement de nature à exclure sa brutalité.

Elle en déduit que les motifs adoptés par les premiers juges ne sont conformes ni à la lettre ni à l'esprit des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et qu'en écartant ses demandes, sans rechercher si la brutalité de la rupture ne constituait pas une faute civile délictuelle, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.

Elle conclut qu'en rompant brutalement ses relations commerciales établies avec la société Boutin, la société Tôlerie Industrielle a commis une faute engageant sa responsabilité civile délictuelle et doit être tenue à réparer le dommage causé.

La société Tôlerie Industrielle réplique que le désengagement progressif d'un partenaire contractuel ne saurait constituer une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Or, elle soutient à cet égard que le chiffre d'affaires de la société Boutin réalisé avec la société Tôlerie Industrielle, qui a toujours été fluctuant, a diminué de manière progressive à compter de 2005, passant de 146 934 euros en 2004 à 91 802 euros en 2005 puis à 70 621 euros en 2006. Ce même chiffre aurait également continué à fluctuer entre 2007 et 2011, l'année 2009 devant être considérée comme une exception (185 932 euros de chiffre d'affaires). Elle expose également que ce désengagement progressif se justifiait par des raisons économiques, la société Boutin pratiquant des tarifs plus élevés que la concurrence, et qu'elle ne pouvait continuer à s'approvisionner auprès de cette dernière au péril de sa compétitivité. Or, elle rappelle que n'est pas fautive la rupture qui est justifiée par un contexte économique.

Ensuite, elle affirme que la rupture ne peut être considérée comme fautive, dès lors que la diminution des commandes était causée par le propre fait de la prétendue victime. Elle expose en ce sens avoir subi de nombreuses difficultés de traitement de ses commandes avec la société Boutin, l'obligeant à diversifier, à partir de l'année 2005, ses fournisseurs. En outre, elle fait valoir qu'elle aurait à plusieurs reprises informé la société Boutin de ce que les prix pratiqués par cette dernière n'étaient pas compétitifs, sans que la société Boutin accepte de s'aligner sur les tarifs de ses concurrents. Elle en déduit qu'il ne peut lui être reproché d'avoir réorienté ses commandes vers d'autres fournisseurs plus compétitifs.

En tout état de cause, elle soutient que la société Boutin ne pouvait ignorer, à compter de 2009, que les relations entre les parties ne pouvaient perdurer en raison des tarifs pratiqués, et que, partant, l'absence de préavis est sans effet. Elle en conclut que la rupture de la relation commerciale entre les parties, progressive, causée par la désorganisation de la société Boutin et ses tarifs trop élevés, et annoncée depuis 2009, ne saurait être jugée brutale ou abusive.

Il est constant que l'arrêt des relations commerciales a tout d'abord été partiel, dès 2010, manifesté par la baisse des commandes de la part de la société Tôlerie Industrielle, puis total en 2012, par l'absence de commandes, sans qu'aucun préavis n'ait jamais été consenti à la société Boutin par son partenaire.

Cette baisse, puis cet arrêt total des commandes ne sont pas justifiés par la société Tôlerie Industrielle par un changement dans ses propres conditions économiques et commerciales, de sorte que la rupture, intervenue sans préavis, est brutale.

La circonstance que la société Tôlerie Industrielle ait souhaité changer de partenaire au profit d'une société aux tarifs plus avantageux est indifférente dans cette qualification.

De même, la baisse progressive des commandes, non pas depuis 2005, comme le prétend la société intimée, mais depuis 2010, ne pouvait rendre prévisible la rupture intervenue et donc lui faire perdre son caractère brutal. En outre, la prévisibilité de la rupture n'est pas de nature à dispenser de la délivrance d'un préavis écrit d'une durée raisonnable.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point et de dire que la rupture a été brutale.

Sur la durée du préavis

La société Boutin estime qu'en raison de la durée et de la stabilité de la relation commerciale entretenue par les parties, de ce que la société Tôlerie Industrielle se fournissait exclusivement auprès de la société Boutin jusqu'en 2010, de l'engagement pris par la société Boutin auprès de la société intimée dans le cadre de leur relation commerciale de n'effectuer aucune démarche commerciale directe sur la zone de chalandise et de limiter ses ventes aux produits de négoce, circonstances qui caractérisent selon elle une exclusivité de fait, elle aurait dû bénéficier d'un préavis raisonnable de deux ans. Par conséquent, elle estime que le préjudice direct, personnel et certain qu'elle a subi en raison de la rupture brutale de la relation commerciale avec la société Tôlerie Industrielle doit être évalué sur la base d'un préavis de 24 mois.

La société Tôlerie Industrielle (à titre subsidiaire) soutient que la durée de préavis de deux années réclamées par la société Boutin est injustifiée et excessive. Elle affirme que dans le cadre de leur relation commerciale, la société Boutin n'a jamais bénéficié d'aucune exclusivité ni de garantie portant sur un volume de commande.

Elle expose en ce sens que :

- la société Tôlerie Industrielle se fournit depuis 2005 auprès de fournisseurs concurrents de la société Boutin,

- le montant des chiffres d'affaires réalisé entre les deux sociétés a toujours été fluctuant, voire relativement bas à certaines périodes,

- le geste commercial accordé à la société Tolerie sur les frais de transport n'a été en vigueur que pour une période de 6 mois à compte de 2008 et dans des conditions habituelles dans leur secteur d'activité, de sorte que la société appelante ne justifie en rien de ce que la prétendue suppression d'un chauffeur livreur serait imputable à la société Tôlerie Industrielle,

- la société Boutin, qui ne produit pas de comptes annuels postérieurs à la date de rupture ou tout autre élément tangible permettant d'apprécier les difficultés qu'elle aurait rencontrées pour réorganiser son activité, a été en mesure de se réorganiser dans un délai inférieur au délai de 2 ans sollicité.

Elle en déduit que la société Boutin ne justifie pas de la nécessité d'un préavis de deux ans.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.

En l'espèce, la société Boutin n'établit pas une situation de dépendance à l'égard de la société Tôlerie Industrielle, ni l'existence de relations d'exclusivité ou d'investissements spécifiques. Aucun élément n'est davantage communiqué à la cour sur le marché concerné. Compte tenu de ces éléments et de la durée des relations commerciales, de plus de 25 années, il y a lieu de fixer à 18 mois la durée du préavis qui aurait dû être consenti à la société Boutin.

Sur le préjudice

La société Boutin fait valoir que le caractère brutal de la relation commerciale établie lui a causé un préjudice personnel, direct et certain, constitué par la perte de marge brute qu'elle pouvait espérer réaliser avec son partenaire si la période de préavis raisonnable de 24 mois avait été exécutée. Elle sollicite par conséquent la condamnation de la société Tôlerie Industrielle à lui verser la somme de 230 242 euros en réparation de son préjudice matériel. Elle soutient en outre avoir subi un préjudice moral dans l'atteinte à sa notoriété au sein du secteur d'activité dans lequel elle intervient et réclame à ce titre la somme de 30 000 euros.

La société Tôlerie Industrielle soutient que la société Boutin ne démontre pas la réalité du préjudice subi. Elle expose que la société Boutin ne rapporte aucun élément probant et tangible appuyant sa demande de préjudice matériel d'un montant de 230 242 euros, qui est par conséquent injustifiée.

Elle avance en ce sens que malgré la sommation de la société intimée, la société Boutin ne produit ni ses bilans ni ses comptes de résultats sur la période concernée. Le caractère probant de l'attestation de l'expert-comptable de la société Boutin n'est pas, selon elle, établi dès lors que d'une part la somme indiquée au titre de la perte de marge brute correspond exactement au montant du chiffre d'affaires, et d'autre part, l'auteur dudit document n'est pas identifié. Elle explique qu'en tout état de cause, la société Boutin ayant manqué à ses obligations de dépôt de ses comptes annuels sur plusieurs exercices, il est impossible de vérifier l'exactitude des chiffres avancés par cette dernière. Elle en déduit que la demande de la société Boutin est d'une part injustifiée et d'autre part surévaluée. Elle estime également que le préjudice moral allégué ne repose sur aucun élément de preuve tangible. En conséquence, elle demande à la cour de débouter la société Boutin de ses demandes d'indemnisation.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

Sur la base de la moyenne annuelle des chiffres d'affaires réalisés de 2003 à 2009 (136 397 euros), ceux-ci étant fluctuants, et en l'absence de démonstration de la marge sur coûts variables de la société Boutin, celle-ci ne versant aux débats qu'une attestation d'expert-comptable faisant état d'une marge de 65 %, nullement étayée par d'autres pièces du dossier, la cour fixera à 102 000 euros le préjudice résultant de la rupture brutale.

La société Boutin ne démontrant pas l'existence d'un préjudice moral, cette demande sera rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Tôlerie Industrielle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Boutin la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, juge que la rupture, par la société tôlerie industrielle, des relations commerciales établies avec la société Boutin, est brutale, du fait de l'absence de préavis écrit, condamne la société tôlerie industrielle à payer à la société Boutin la somme de 102 000 euros en réparation du préjudice économique subi par elle au titre de la perte de marge, la déboute de sa demande de réparation au titre du préjudice moral, condamne la société tôlerie industrielle aux dépens de première instance et d'appel, la condamne à payer à la société Boutin la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.