CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 avril 2019, n° 16-15116
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Roux (SAS)
Défendeur :
Michel Odic (SARL), Same Deutz Fahr France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Comte
Avocats :
Mes Kalifa, Corgas, Cheviller, Lagrange, Regnier, Guillin
FAITS ET PROCÉDURE
La société Le Roux avait pour activité la commercialisation de tracteurs et matériels agricoles.
La société Same Deutz Fahr France (ci-après dénommée " SDFF ") commercialise en France des tracteurs et machines agricoles des marques Same, G et Deutz Fahr, ainsi que leurs pièces détachées via un réseau de concessionnaires.
En 1993, la société Le Roux a signé un premier contrat de concession avec la société SDFF, renouvelé le 26 octobre 2011, portant sur la distribution exclusive de tracteurs de la marque " Deutz Fahr " sur un secteur géographique défini entre les parties.
Le 1er janvier 2007, les deux sociétés ont également conclu un contrat de concession exclusive de la marque de tracteurs " Same " pour une durée d'un an. Aux termes de ces différents contrats, la relation commerciale entre les parties s'est poursuivie dans les mêmes conditions.
Le 26 octobre 2011, la société SDFF a renouvelé pour un an, du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, les contrats Deutz Fahr et Same, jusqu'alors pluriannuels, proposés à la société Le Roux. En 2013, les relations ont été maintenues, la société SDFF s'étant bornée à proposer à la société Le Roux des objectifs de vente, le 8 février 2013.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 septembre 2013, la société SDFF a notifié à la société Le Roux la rupture de leur relation commerciale portant sur la distribution des marques Deutz Fahr et Same ; cette rupture devait prendre effet le 31 mars 2015, la société SDFF ayant octroyé à la société Le Roux un préavis de 18 mois.
Par lettre recommandée du 2 octobre 2013, la société Le Roux faisait part à la société SDFF de son désappointement devant la fin des relations commerciales et de sa surprise relativement à la communication du concédant sur son nouveau concessionnaire, la société Odic, lors de plusieurs salons en août et septembre 2013 (Salon national des Cuma, Space). Elle relevait que la large diffusion de cette nouvelle allait inévitablement entraîner de graves difficultés pour son entreprise et, exposant que l'exécution normale du préavis était compromise, sollicitait une réduction de celui-ci avec l'allocation d'un dédommagement.
Elle adressait également une lettre recommandée à la société Odic, le 6 novembre 2013, pour lui rappeler son exclusivité jusqu'à la fin du préavis et que, pendant cette période, elle ne pouvait ni vendre ni faire la promotion des marques Same et Deutz Fahr sur son territoire.
La société SDFF a répondu à la société Le Roux, par lettre recommandée du 4 novembre 2013, lui rappelant que son investissement sur la base de Y L en 2008 serait largement amorti en 2015 et que la communication, diffusée le 23 septembre 2013, pour annoncer l'arrivée de la société Odic dans le réseau n'était nullement incompatible avec la poursuite des relations, la société Odic disposant de deux bases en dehors du secteur d'exclusivité de la société Le Roux. Elle estimait dans cette lettre que cette communication, purement interne, n'avait en aucun cas pu avoir les conséquences évoquées.
Soutenant que la société Odic, qui était également spécialisée dans la commercialisation d'engins et tracteurs agricoles, intervenait sur le territoire qui lui avait été concédé à titre exclusif jusqu'au 31 mars 2015, et sur ordonnances des présidents des tribunaux de commerce de Brest et de Lorient de février 2014, prises sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, la société Le Roux a fait diligenter le 18 février 2014 des constats d'huissier sur les sites de <adresse>, Guiscriff et K de la société Odic. Selon elle, ces constats démontrent que la société Odic commercialisait depuis plusieurs mois des tracteurs de la marque " Deutz Fahr " en violation de l'exclusivité consentie à la société Le Roux, et qu'un contrat de concession était d'ores et déjà signé entre la société Odic et la société SDFF.
Le 26 février 2014, la société SDFF informait la société Le Roux de la rupture définitive et immédiate de leur relation commerciale en raison de retards de paiement qui revêtaient, selon la société SDFF, le caractère de manquements graves, les impayés non régularisés s'élevant à 264 403,44 euros.
Par exploit d'huissier du 8 juillet 2014, la société Le Roux a fait assigner les sociétés SDFF et Odic devant le tribunal de commerce de Paris.
En cours de procédure la société Le Roux a déposé le bilan. Suivant jugement du 2 septembre 2015, le tribunal de commerce de Saint Brieuc a ouvert au bénéfice de la société le Roux une procédure de liquidation judiciaire et a nommé Maître A liquidateur judiciaire.
Par conclusions du 13 novembre 2015, Maître A, ès qualités de liquidateur judiciaire, est intervenu volontairement à la procédure devant le tribunal de commerce de Paris.
Monsieur X, Madame Y et Madame Z formaient également une intervention volontaire.
Par jugement du 3 mai 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté Maître A, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y et Madame Z de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la société Michel Odic,
- débouté Maître A, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux de ses demandes d'indemnisation à l'encontre de la société SDFF au titre de la perte de marge brute de 918 064 euros augmentée des frais financiers,
- débouté Maître A, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux de sa demande d'indemnisation à l'encontre de la société SDFF concernant les conditions d'exécution du préavis jusqu'à février 2014 et une perte de marge brute de 87 655 euros,
- débouté Maître A, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux de l'ensemble de ses autres demandes de dommages et intérêts,
- débouté Monsieur X, Madame Y, et Madame Z de l'ensemble de leurs demandes,
- dit qu'il n'y avait pas lieu à statuer à nouveau sur les demandes subsidiaires, fussent-elles désormais fondées sur l'action délictuelle prévue par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- condamné Maître A, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux à payer à la société SDFF la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné Maître A, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux à payer à la société Michel Odic la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné in solidum Maître A, ès qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y et Madame Z aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 171,38 euros dont 28,34 euros de TVA.
Suivant déclaration au greffe de la cour enregistrée le 13 juillet 2016, Maître A, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Le Roux, la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y, et Madame Z ont interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions de la Maître A, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Le Roux, la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y, Madame Z, appelantes, déposées et notifiées le 11 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1381 (anciens) du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement critiqué,
- juger que la société SDFF, avec la complicité de la société Odic, a violé son obligation d'exclusivité à l'égard de la société Le Roux, représentée par Maître A, et a rompu abusivement la période de préavis,
- juger que la société Odic s'est rendu complice des défaillances contractuelles de la société SDFF,
- juger que la société SDFF a rompu abusivement le préavis contractuel qu'elle avait octroyé à la société Le Roux jusqu'au 31 mars 2015,
- juger que la société Odic s'est en outre rendu coupable de concurrence déloyale à l'égard de la société Le Roux, représentée par Maître A,
- juger que la société SDFF a en outre rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Le Roux, représentée par Maître A, depuis plus de 20 ans,
- juger que la société Le Roux, représentée par Maître A, pouvait prétendre à un préavis de 24 mois,
En conséquence,
- juger que les fautes des sociétés Odic et SDFF ont causé un préjudice à la société Le Roux,
- juger que ce préjudice doit être évalué sur une période de 24 mois dès lors que la société le Roux a été dans l'incapacité de commercialiser les produits de la concédante dès l'annonce de la rupture du contrat de concession en septembre 2013,
- juger que le préjudice patrimonial comprend la perte de marge pendant cette période de 24 mois, soit la somme de 918 064 euros,
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à payer à la société Le Roux, représentée par Maître A, ladite somme,
- juger que s'ajoutent à ce préjudice les frais financiers que la société Le Roux, représentée par Maître A, a été contrainte de supporter à raison des manquements des sociétés SDFF et Odic,
- juger que ce préjudice doit être évalué à la somme de 5 416,75 euros,
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à payer à la société Le Roux, représentée par Maître A, ladite somme,
- juger que la société le Roux, représentée par Maître A, subit encore un préjudice du fait de l'obligation dans laquelle elle était d'acheter des pièces détachées à la société SDFF alors qu'elle n'avait aucun espoir de pouvoir commercialiser ces pièces puisque le préavis qui lui a été consenti était rendu sans intérêts,
- juger que la société SDFF doit reprendre ce stock de pièces détachées pour la valeur de 185 439 euros,
- juger que la société Le Roux a encore le droit d'obtenir la compensation de la perte de marge sur ces stocks, que la cour évaluera à 81 408 euros,
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à payer à la société Le Roux, représentée par Maitre A, ladite somme,
- juger que la société Le Roux, représentée par Maître A, subi un préjudice lié à la reprise du tracteur M6150 PL, qui est égal à la valeur dudit tracteur et à la perte de marge sur ce dernier,
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à réparer ces préjudices évalués respectivement à 3 571 euros et 16 000 euros,
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à réparer le préjudice tenant à l'achat d'un relevage pour le tracteur 6150 PL, impossible à revendre à raison de la rupture prématurée des relations commerciales, ce préjudice devant être évalué à la somme de 3 277,69 euros,
- juger que le préjudice lié à l'investissement forcé sur le site de Carhaix s'élève à la somme de 51 359,12 euros ;
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à payer ladite somme à la société Le Roux, représentée par Maître A,
- juger que la société Le Roux, représentée par Maître A, subit une perte de marge depuis l'annonce de la rupture du contrat qui s'élève à 87 655 euros ;
- condamner in solidum les sociétés SDFF et Odic à payer ladite somme à la société Le Roux, représentée par Maître A,
- juger que la société Le Roux, représentée par Maître A, subit encore un préjudice moral important qui doit être évalué à la somme de 100 000 euros,
- condamner in solidum la société Odic et la société SDFF à payer à la société Le Roux, représentée par Maître A, ladite somme,
- juger que les fautes conjuguées des sociétés Odic et SDFF ont causé un préjudice direct à Mmes Y et Z et à M. X,
- juger que le préjudice patrimonial de M. X doit être évalué à la somme de 28 867 euros, tandis que son préjudice moral s'élève à la somme de 50 000 euros,
- juger que le préjudice patrimonial de Mme Y s'élève à la somme de 108 62,95 euros et son préjudice moral à 15 000 euros,
- juger que le préjudice patrimonial de Mme ZX s'élève à la somme de 50 024, 52 euros et son préjudice moral à 15 000 euros,
- condamner in solidum les sociétés Odic et SDFF à payer lesdites sommes à Mme et M. X/Y et à Mme Z,
En toute hypothèse,
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la société Odic et de la société SDFF,
- condamner solidairement les sociétés SDFF et Odic à payer à la société Le Roux, représentée par Maître A, la somme de 10 000 euros, ainsi que 2 000 euros chacun à M. X, Mme Y et Mme Z, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Audrey Kalifa, Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions de la société SDFF, intimée, déposées et notifiées le 8 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
Y ajoutant,
- condamner Maître A, ès qualité de mandataire liquidateur de la société Le Roux, à payer à la société SDDF la somme supplémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum Maître A, ès qualités, M. X, Mme Y et Mme Z aux entiers dépens d'appel ;
Vu les dernières conclusions de la société Michel Odic, intimée, déposées et notifiées le 11 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1382 (anciens) du Code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 30 mai 2016 dont appel,
En conséquence,
- débouter la société Le Roux, Maître A ès qualité de liquidateur de la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y, Madame Z en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner Maître A ès qualité de liquidateur de la société Le Roux, à payer la somme de 8 000 euros à la société Michel Odic au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Maître A, ès qualité de liquidateur de la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y et Madame Z in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
SUR CE, LA COUR,
Sur la rupture de la relation commerciale
La société Le Roux fait grief à la société SDFF d'avoir violé ses engagements contractuels à plusieurs égards. Elle soutient qu'avec la complicité de la société Odic, la société SDFF a méconnu son exclusivité territoriale pendant la durée du préavis. Elle ajoute que cette dernière a également rompu abusivement le contrat de concession pendant la durée du préavis. Enfin, elle fait valoir que la rupture des relations commerciales entre les parties revêt un caractère brutal, en application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
La société Le Roux soutient que, depuis la notification de la rupture du contrat de concession le 26 février 2014, la société Odic prospectait et commercialisait, avec l'autorisation de la société SDFF, des tracteurs de marque Same et Deutz Fahr sur son secteur géographique exclusif via ses établissements de <adresses>.
La société Le Roux fait grief à la société SDFF d'avoir violé son exclusivité territoriale pendant la durée du préavis avec la complicité de la société Odic, d'avoir rompu abusivement le contrat de concession dans l'intention de nuire à la société Le Roux pendant la durée de préavis, et mis abusivement un terme à une relation commerciale établie depuis 20 ans. Elle soutient, en effet, que depuis la notification de la rupture du contrat de concession, la société Odic, avec l'autorisation de la société SDFF, prospecte et vend des produits de marque Same et Deutz Fahr dans ses établissements de <adresses>, soit sur sa zone d'exclusivité. Elle expose en ce sens qu'un contrat de distribution a été conclu en 2013 entre les sociétés Odic et SDFF pour l'ensemble des sites de la société Odic, y compris ceux situés sur la zone d'exclusivité de la société Le Roux. Elle fait à ce titre grief au jugement entrepris d'avoir jugé que ce contrat de concession n'était relatif qu'au seul établissement de <adresse>, alors même que les premiers juges n'ont jamais pris connaissance dudit contrat. La société Le Roux demande à la cour de tirer, à l'inverse, les conséquences du refus des sociétés intimées de produire ledit contrat et d'en déduire l'existence d'un comportement contraire aux obligations des deux sociétés. Elle fait en effet valoir à ce titre qu'il était loisible aux deux sociétés de produire un extrait dudit contrat relatif au champ d'application territorial de ce dernier. De même, elle fait valoir qu'aucun obstacle ne s'oppose à la communication des propositions commerciales.
La société Le Roux soutient également que des contrats de vente ont été signés entre la société SDFF et la société Odic de manière régulière dès le mois d'octobre 2013, ce qui est constitutif d'une violation de l'obligation d'exclusivité de vente à laquelle était tenue la société SDFF à son égard. Elle ajoute que l'argument selon lequel ces ventes auraient été destinées au site de <adresse> n'est pas établi, et, en tout état de cause, que cet argument repose sur un artifice, cet établissement de <adresse> n'ayant pas la personnalité juridique. Elle affirme aussi que la société SDFF a, à deux reprises, annoncé au sein de son réseau et pendant la durée du préavis le fait que la société Odic devenait son concessionnaire y compris sur les sites de <adresses>, territoires relevant pourtant du secteur d'exclusivité de la société Le Roux. Elle souligne que cette note a été largement diffusée.
Elle souligne que le constat d'huissier dressé le 11 octobre 2013 confirme encore une fois la violation par la société SDFF de son obligation d'exclusivité, dès lors qu'il ressort de ce contrat que trois tracteurs neufs de la marque Deutz Fahr étaient indiqués comme disponibles en concession au sein de la société Odic et localisés à <adresse> (commune jouxtant celle de <adresse>). Ce constat confirme, selon elle, que la société Odic a commandé et commercialisé des véhicules neufs de la marque Deutz Fahr en violation de son exclusivité territoriale. Elle relève également que la société Odic aurait, dès décembre 2013, diffusé une publicité dans les journaux spécialisés indiquant qu'elle vendait des tracteurs de la marque Deutz Fahr, sans précision relative au site de <adresse>, et diffusé des annonces à des clients situés sur le territoire exclusif de la société Le Roux, avec le soutien de la société SDFF.
La société Le Roux fait également valoir que les résultats comptables de la société Odic confirment la violation de son exclusivité, la progression de son chiffre d'affaire ne pouvant s'expliquer que par le fait que la relation commerciale entre la société Odic et SDFF durait depuis 2013.
Elle ajoute que la société SDFF ne pouvait rompre unilatéralement le contrat de concession sans préavis dès lors que ne sont nullement caractérisés des manquements graves de la part de la société le Roux. Si elle ne conteste pas l'absence de paiement des échéances au moment de la rupture en février 2014, elle conteste la qualification de " comportement grave ". Elle soutient, en effet, que sa défaillance était due à la rupture de la relation commerciale avec la société SDFF ayant entraîné un effondrement de ses ventes et que cette situation était connue et tolérée par la société SDFF.
Elle affirme donc que la rupture par la société SDFF d'une relation de plus de 20 ans s'est faite en violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
La société SDFF soutient que les impayés accumulés par la société Le Roux pour un montant de près de 400 000 euros au 26 février 2014, et, ce, malgré quatre mises en demeure restées sans effet, constituaient un manquement grave de cette dernière à ses obligations contractuelles, justifiant la résolution unilatérale et sans préavis des contrats opérée par la société SDFF.
Elle réplique à la société Le Roux que ni la violation de l'exclusivité alléguée ni la prétendue collusion entre la société SDFF et la société Odic ne sont établies. En toute hypothèse, elle estime que la société Le Roux a délibérément refusé d'exécuter le préavis ouvert par sa lettre du 12 octobre 2013.
La société SDFF expose qu'il ne saurait lui être reproché la moindre collusion dans les prétendus actes de concurrence déloyale imputés à la société Odic, les attestations produites par la société Le Roux, qui se bornent à faire état de rumeurs, ne pouvant s'analyser comme concordantes et probantes, dès lors qu'aucun acte de vente ou de prospection active n'est établi.
En tout état de cause, elle relève que la société Le Roux n'a jamais dénoncé à la société SDFF la moindre faute commise par la société Odic, notamment le moindre acte de vente ou de prospection active, de septembre 2013 jusqu'en février 2014, de sorte qu'aucune passivité ou collusion avec la société Odic ne saurait être reprochée à la société SDFF.
Elle soutient enfin que la société Le Roux a délibérément pris la décision de ne pas exécuter le préavis de 18 mois ouvert par la lettre de résiliation du 12 septembre 2013 et a délibérément décidé de cesser d'honorer les échéances des pièces de rechange et des tracteurs neufs achetés à la société SDFF. Elle ajoute que la société Le Roux a tenté à plusieurs reprises d'imposer à la société SDFF une rupture anticipée moyennant le versement d'une indemnité tout en laissant s'accumuler des impayés et que les difficultés commerciales et financières alléguées par la société Le Roux ne sont aucunement établies. En tout état de cause, elle fait valoir que la baisse des ventes de tracteurs neufs en 2013 n'a pas eu d'incidence sur sa trésorerie, dès lors que ces ventes n'ont jamais représenté plus du quart de son chiffre d'affaires, et sont sans lien avec les impayés que la société Le Roux a laissé s'accumuler à partir de la fin de l'année 2013.
Elle en conclut que la société Le Roux ne rapporte pas la preuve de ce que le montant des impayés serait la conséquence de la baisse relative des ventes de tracteurs en 2013, par rapport à 2012, ni de ce que ces impayés seraient la conséquence d'une violation de son exclusivité territoriale. La société Le Roux ne saurait donc, selon elle, prétendre à une réparation au titre d'une rupture qu'elle a délibérément provoquée.
La société Odic relève d'une part que la décision de résiliation du contrat de concession en vigueur entre les sociétés Le Roux et SDFF est imputable à la seule société SDFF. Elle affirme qu'il n'est ni prouvé ni allégué que la société Odic puisse être à l'origine de la rupture intervenue entre les deux sociétés, de sorte que le grief émis à l'encontre de la société SDFF consistant en une prétendue rupture brutale ou abusive de la relation commerciale, ne saurait être imputé à la société Odic, tiers à cette relation commerciale et contractuelle. Elle en conclut que les demandes formulées au titre d'une prétendue complicité de la société Odic sont infondées, sinon abusives.
Sur la prétendue violation de la clause d'exclusivité territoriale durant l'exécution du préavis
La société Le Roux ne démontre pas que la société Odic et la société SDFF auraient enfreint son exclusivité territoriale, aucun acte de prospection active de sa clientèle par la société Odic n'étant établi.
La cour approuve les premiers juges d'avoir considéré comme dépourvus de valeur probante à cet égard les différents éléments avancés par la société Le Roux.
Il sera rappelé les faits suivants.
Si la note d'information réseau diffusée par la société SDFF le 23 septembre 2013 annonçait l'arrivée de la société Odic comme nouveau concessionnaire et mentionnait, outre son établissement de <adresse> (29), hors secteur Le Roux, ceux de <adresses> (56), situés quant à eux dans le secteur Le Roux, il s'agissait d'une note purement interne au réseau et non destinée à la clientèle Le Roux, qui n'a pu produire aucun effet, d'autant que dès le 30 octobre 2013, la société Le Roux, elle-même, a relayé cette information auprès de l'ensemble des concessionnaires français DFF pour les informer qu'elle avait " été remerciée par Same Deutz Fahr le 12 septembre 2013 ", et leur proposer la vente immédiate de l'ensemble de ses tracteurs de démonstration et de stock, démontrant qu'elle avait, de son propre chef, décidé de cesser immédiatement toute activité de concessionnaire Deutz Fahr et Same (pièce 25 de SDFF).
Les captures d'écrans effectuées par l'huissier le 11 octobre 2013 (pièce Le Roux n° 12.1) font apparaître, pour trois tracteurs, la " localisation " <adresse>, correspondant à la communauté de communes à laquelle appartient <adresse>, siège de la société Odic. Mais ce constat ne démontre pas que les tracteurs concernés auraient été exposés ou vendus sur ce site.
Il est, en effet, établi que ces trois tracteurs ont été livrés à <adresse> (29), hors zone Le Roux, par la société De Roy, transporteur chargé de les acheminer depuis l'usine allemande Deutz Fahr de Lauingen, le 9 octobre 2013 pour les deux premiers (constat d'huissier pages 15 et 17) et le 22 novembre 2013 pour le troisième (constat d'huissier page 12) (pièce n° 23.a) et que ces trois tracteurs n'ont été vendus par la société Odic qu'entre mai et juin 2014, soit après la résiliation anticipée du contrat de concession en février 2014 (pièce n° 23.b).
Les trois constats effectués simultanément le 18 février 2014 (pièce Le Roux n° 12) dans les trois établissements de la société Odic, en exécution des ordonnances rendues à la requête de la société Le Roux, démentent les allégations de la société Le Roux selon lesquelles la société SDFF aurait intégré de fait, dès septembre 2013, les trois établissements de la société Odic, dont ceux de <adresses>, en tant que concessionnaire de son réseau et lui aurait permis de se présenter comme concessionnaire sur le secteur d'exclusivité Le Roux. En effet, ces constats confirment qu'à cette date :
- il n'existait ni tracteur neuf, ni pièce de rechange, ni signalétique, affiche ou documentation commerciale Deutz Fahr à <adresse> (56), site qui ne détenait en stock et n'exposait que des tracteurs neufs Valtra, ni dans l'établissement secondaire de Guiscriff (56), distribuant essentiellement des matériels dits d'accompagnement (tirés par des tracteurs, tels que herses, presses, tombereaux, ...),
- seul l'établissement de <adresse> (29), hors secteur Le Roux, disposait d'une affiche publicitaire Deutz Fahr et d'un tracteur neuf en stock,
- les trois bons de commande de tracteurs Deutz recueillis par la société Odic datés du 18 février 2014, appréhendés par l'huissier, avaient été recueillis auprès d'agriculteurs du secteur de <adresse>,
- les deux " rapports de contrôle de stock " de tracteurs Deutz Fahr établis contradictoirement entre la société Odic et la société SDFF, mentionnent de façon manuscrite que les contrôles avaient bien été effectués sur le site de <adresse>.
Les témoignages (pièces 29 à 33 de la société Le Roux) censés établir que la société Odic aurait indiqué, à partir de l'automne 2013, qu'elle allait " remplacer " la société Le Roux, dès le début de l'année 2014, ne font état que de ouï dire et ne sauraient, en tout état de cause, pas démontrer la violation effective de l'exclusivité, mais tout au plus une simple intention.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a estimé qu'aucun manquement ne pouvait être imputé aux intimées dans l'exécution du préavis consenti le 12 septembre 2013 et débouté la société appelante de sa demande au titre de la perte de marge.
Sur la résiliation anticipée du 26 février 2014
Il résulte des pièces du dossier :
- l'existence d'impayés de la part de la société Le Roux
- non justifiés par les circonstances de l'espèce,
- qui a motivé la résiliation du contrat.
En effet, alors que l'article 6.4 des contrats de concession prévoyait l'obligation pour le concessionnaire de payer les produits contractuels conformément aux conditions générales de paiement de la société SDFF, soit à 60 jours de la facture en général pour les tracteurs et à 30 jours fin de mois le 15 sur relevé mensuel pour les pièces de rechange (pièce n° 21 de SDFF), la société SDFF a du adresser quatre mises en demeure successives pour impayés à la société Le Roux, sans que celle-ci propose à aucun moment de les régler :
- le 24 octobre 2013, les impayés de la société Le Roux s'élevant dès cette date à 104 355,94 euros, du fait notamment du non-règlement pour une somme de 29 861,73 euros d'un tracteur déclaré vendu à client, exigible le 29 septembre 2013, et d'une échéance pièces de rechange d'un montant de 36 204,98 euros, exigible au 15 octobre 2013 (pièce n° 15.1),
- le 29 décembre 2013, les impayés de la société Le Roux s'élevant à cette date à 213 176 euros, quatre factures de tracteurs venues à échéance s'étant ajoutées au tracteur vendu à client le 29 septembre 2013 et à l'échéance pièces de rechange du 15 octobre 2013 (pièces n° 15.2),
- le 16 janvier 2014, les impayés de la société Le Roux s'élevant à cette date à 278 755 euros, le tracteur vendu à client le 29 septembre 2013 et l'échéance pièces de rechange du 15 octobre 2016 restant toujours impayés à cette date (pièce n° 17),
- le 19 février 2014, les impayés de la société Le Roux s'élevant toujours à cette date 264 403 euros ; à cette quatrième mise en demeure était joint un relevé de compte rappelant à la société Le Roux une nouvelle échéance pièces de rechange impayée au 15 décembre 2013 pour 26 681,03 euros, s'ajoutant à celle de 36 040,82 euros impayée depuis le 15 octobre 2013, ainsi qu'une échéance pièces de rechange exigible au 15 février 2014 et deux factures de tracteurs exigibles respectivement aux 21 et 24 février 2014 dont le non règlement était susceptible de porter ses impayés sensiblement à 400 000 euros (pièce n° 19).
La société SDFF a donc pu se prévaloir de ce manquement grave pour résilier les contrats à effet immédiat.
Les premiers juges ont, à cet égard, justement écarté, aux termes d'une motivation que la cour adopte, les justifications apportées par la société appelante. Il sera simplement rappelé que :
- la société Le Roux ne peut faire état d'une tolérance de la société SDFF l'ayant habilitée à retarder le paiement de ses dettes, nonobstant quatre mises en demeure,
- elle n'a jamais sérieusement envisagé de régler les sommes dues, ni même sollicité des délais, ainsi qu'en atteste la pièce 25 de SDFF,
- elle a délibérément décidé de cesser d'honorer les échéances des tracteurs et pièces de rechange afin de contraindre son concédant à lui consentir une indemnité de résiliation, ainsi que l'établissent ses courriers en réponse aux mises en demeure de SDFF,
- elle n'établit à aucun moment de ses difficultés commerciales, ne démontrant pas d'effondrements de ses ventes par rapport à celles réalisées antérieurement, depuis longtemps très en deça des objectifs de vente (pièces 6 et 7 de SDFF),
- elle ne démontre pas davantage que ses difficultés financières résulteraient de sa baisse des ventes de 4 tracteurs DF (13 tracteurs vendus en 2012, 9 en 2013), alors que les ventes Same Deutz Fahr ne représentaient que le quart de son chiffre d'affaires global,
- l'importance de l'impayé n'est pas justifié au regard de l'état de sa trésorerie (pièce 38 de l'appelante),
- elle ne démontre aucune corrélation entre les 397 094,01 euros d'impayés qu'elle a laissé s'accumuler à l'égard de la société SDFF entre octobre 2013 et février 2014 et l'incidence qu'aurait pu avoir sur sa trésorerie la baisse toute relative de ses ventes de tracteurs en 2013 par rapport à 2012.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a estimé non fautive la rupture intervenue et a débouté l'appelante de l'ensemble de ses demandes.
La rupture, intervenue sans préavis, n'est pas davantage brutale, car elle justifiée par des fautes suffisamment graves et le jugement sera également confirmé sur ce point.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Succombant au principal, Maître A, ès qualités de liquidateur de la société Le Roux, M. Le Roux, Mme Le Roux et Mme X seront condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer la somme de 10 000 euros à la société SDFF et celle de 8 000 euros à la société Odic.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement déféré, condamne Maître A, ès qualités de liquidateur de la société Le Roux, Monsieur X, Madame Y et Madame Z in solidum aux entiers dépens d'appel, les condamne in solidum à payer la somme de 10 000 euros à la société SDFF et celle de 8 000 euros à la société Odic.