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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 10 avril 2019, n° 18-00311

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SAJ Dis (SARL)

Défendeur :

Carrefour Proximité France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thaunat

Conseillers :

Mmes Prigent, Gil

Avocats :

Mes Guizard, Guerre, Cosse

T. com. Paris, du 13 nov. 2017

13 novembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 3 octobre 2002, la SARL Saj Dis (ci-après la société Sajdis) dont le gérant est M. X acquiert auprès de la société Reuilly Dis un fonds de commerce de supermarché et de station-service sous enseigne "Shopi" situé à Reuilly (Indre) moyennant le prix de 228 674 euros. Les associés de la société Sajdis sont convenus à la même date d'un pacte d'associés prévoyant notamment la méthode de valorisation des parts sociales. Des travaux d'aménagement ayant été réalisés par la société Sajdis, un nouveau pacte d'associés a été conclu le 9 août 2005 avec un ratio d'investissement réévalué.

Le 29 septembre 2014, la SAS Carrefour Proximité France (ci-après la société Carrefour) achète à la société Sajdis le fonds de commerce d'alimentation générale de type supermarché et station-service que celle-ci exploite à Reuilly (Indre) pour 197 000 euros. Le 29 septembre 2014, la société Carrefour conclut avec la société Sajdis un contrat de location-gérance de ce fonds.

A partir de 2015, l'activité se révèle insuffisante et la société Saj Dis rencontre des difficultés qui la conduisent à déposer une déclaration de cessation des paiements le 6 avril 2016.

Le 23 mai 2016, la société Carrefour résilie le contrat de location-gérance avec effet au 31 août 2016.

Par un jugement du 31 octobre 2016, le tribunal de commerce de Paris juge que la rupture aurait dû être précédée d'un préavis de treize mois expirant le 30 juin 2017 ; il invite les parties à rechercher un accord sur une durée de la poursuite de leurs relations et dit, qu'à défaut d'accord, la relation commerciale devra être poursuivie jusqu'au 30 janvier 2017.

Le 11 janvier 2017, le tribunal de commerce de Châteauroux homologue le plan de redressement de la société Saj Dis.

Par un jugement du 20 février 2017, le tribunal de commerce de Paris constate l'accord intervenu entre les parties prévoyant que le préavis s'exécutera par un maintien dans les lieux jusqu'au 30 juin 2017.

La société Sajdis se maintient dans les lieux au-delà de cette date et par ordonnance du 5 juillet 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Châteauroux prononce son expulsion ; cette décision sera confirmée le 21 décembre 2017 par arrêt de la cour d'appel de Bourges.

Par arrêt du 30 avril 2018, la cour d'appel de Bourges accorde à la société Saj Dis un délai de12 mois, soit jusqu'au 30 avril 2019 pour quitter les lieux.

Par acte d'huissier de justice du 24 mai 2017, la société Saj Dis a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris la société Carrefour en annulation de la vente du fonds de commerce.

Par jugement rendu le 13 novembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SARL Saj Dis de sa demande de nullité de la vente du fonds de commerce,

- débouté la SARL Saj Dis de sa demande indemnitaire sur le fondement du déséquilibre significatif prévu par l'article L. 442-6 I-2° du Code de commerce,

- condamné la SARL Saj Dis à payer à la SAS Carrefour Proximité France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire,

- condamne la SARL Saj Dis aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA.

Par déclaration du 21 décembre 2017, la SARL Saj Dis a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 6 décembre 2018, la société Saj Dis demande à la cour sur le fondement des articles anciens 1131 et 1591 du Code civil, et de l'article L. 442-6, I 2° du Code de commerce de :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Saj Dis de sa demande de nullité de la vente sur le fondement de l'article 1591 du Code civil (ancien)

Statuant à nouveau,

- Constater que le prix de 197 400 euros prévu à l'acte de cession ne constitue pas un prix au sens de l'article 1591 du Code civil ;

A titre principal :

- Prononcer la nullité de la vente du fonds de commerce intervenue entre la société Sajdis et la société Carrefour Proximité France suivant acte du 29 septembre 2014 ;

- Ordonner, en conséquence, la restitution par la société Carrefour Proximité France du fonds de commerce cédé et la restitution par la société Sajdis de la somme de 197 400 euros correspondant au prix de vente ;

- Prononcer, en conséquence, la nullité des actes intervenus subséquemment et notamment celle du contrat de location-gérance du 29 septembre 2014 ;

- Ordonner, en conséquence, à la société Carrefour Proximité France de restituer les montants perçus au titre des redevances de location-gérance en vertu dudit contrat à savoir la somme de 322 249,02 euros TTC arrêtée à la date de mars 2017 (à parfaire), et la condamner à payer ladite somme ;

- Débouter la société Carrefour Proximité France de ses demandes en paiement autres que la restitution du prix de vente ;

- Ordonner la compensation entre les condamnations à paiement réciproques ;

A défaut de restitution en nature, ordonner la restitution par équivalent et condamner en conséquence la société Carrefour Proximité France à payer la somme de 1 064 000 euros en règlement du solde restant dû sur la valeur du fonds à la date de septembre 2014 avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2014 ;

- Ordonner, en conséquence, à la société Carrefour Proximité France de restituer les montants perçus au titre des redevances de location-gérance en vertu dudit contrat à savoir la somme de 322 249,02 euros TTC arrêtée à la date de mars 2017 (à parfaire), et la condamner à payer ladite somme ;

Si la cour s'estime insuffisamment informée :

- Ordonner avant dire droit une mesure d'expertise de nature à déterminer la valeur du fonds au jour de la vente ;

A titre subsidiaire :

- Faire droit à la demande indemnitaire de la société Sajdis sur le fondement du déséquilibre significatif prévu par l'article L. 442-6 2° du Code de commerce ;

- Condamner, en conséquence, la société Carrefour Proximité France au paiement de la somme de 1 064 000 euros à la société Sajdis outre le remboursement des redevances de location-gérance pour un montant de 322 249,02 euros TTC ;

En tout état de cause :

- Condamner la société Carrefour Proximité France au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 7 janvier 2019, la SAS Carrefour Proximité France demande à la cour de :

- Dire et juger que le prix a été fixé en application d'un barème accepté par les parties ;

- Dire et juger que la prévision du contrat de location-gérance constituait un avantage complémentaire ;

- Dire et juger que le prix convenu était sérieux ;

- Dire et juger qu'il n'existe pas de déséquilibre significatif concernant la fixation convenue et négociée du prix du fonds de commerce ;

- Débouter la société Saj Dis de toutes ses demandes ;

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- Dire et juger mal fondé l'appel de la société Saj Dis ;

- Subsidiairement, si la Cour annulait la vente intervenue le 29 septembre 2014,

- Constater que les redevances de location-gérance versées par la société Saj Dis à la société Carrefour Proximité France représentent un total de 295 618 euros ;

- Dire et juger que la société Saj Dis devrait restituer à la société Carrefour Proximité France :

Prix versé : 197 400 euros

Travaux : 244 002 euros

Loyers au 30 octobre 2018 : 392 525 euros

TOTAL : 833 927 euros

- Dire et juger après compensation que la société Saj Dis est débitrice au 30 octobre 2018 d'un montant de 538 309 euros ;

- La condamner au versement de ce montant à la société Carrefour Proximité France

- Condamner la société Saj Dis au versement à la société Carrefour Proximité France d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION

À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du Code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.

Sur la demande en annulation de la vente du fonds de commerce

La société Saj Dis fait valoir que la vente du fonds de commerce est intervenue au prix fixé par la société Carrefour Proximité France à la somme de 197 400 euros, que ce prix est dérisoire, que les pressions exercées par la société Carrefour Proximité France et les contraintes pesant sur la société Sajdis l'ont amenée à régulariser les actes aux conditions qu'elle lui a imposées dans l'objectif de racheter le fonds de commerce dans un délai de 3 à 4 ans, que le prix payé par la société Carrefour Proximité France ne peut être considéré comme sérieux puisqu'un fonds de commerce de supermarché/station-service se valorise, suivant les usages, sur la base de 3 à 5 mois de chiffre d'affaires TTC du point de vente hors essence (voire 6 à 12 mois pour les magasins urbains parisiens), que selon le barème retenu par l'administration fiscale : la valeur d'un fonds de commerce de supermarché se situe entre 15 et 30 % du CA TTC soit 22,5 % en moyenne, que la méthode retenue par le pacte d'associés aboutit à un vil prix en raison des abattements auxquels il est procédé, méthode aboutissant à une sous-évaluation de l'actif net, que personne ne sait comment cette valeur de 197 000 euros a été déterminée, que la ligne sur laquelle apparaît cette somme a été ajoutée sur le tableau alors qu'elle ne figurait pas sur le pacte d'associés signé entre les époux X et la société Selima.

La société Carrefour réplique qu'elle a utilisé une méthode applicable aussi bien pour le cas où elle vient à céder ou celui où elle acquiert un fonds de commerce, que cette méthode a été proposée et acceptée par la société Saj Dis, que le prix convenu en application de cette méthode était d'autant plus sérieux que la société Saj Dis a bénéficié en complément d'un autre avantage que la seule perception de ce prix, que la comparaison avec des ventes de fonds de commerce similaires à la même époque confirme le caractère sérieux du prix convenu, que l'estimation figurant dans le jugement du tribunal de commerce de Paris frappé d'appel illustre à titre supplémentaire ce caractère sérieux.

Aux termes de l'article 1591 du Code civil, " le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ".

Il est admis que pour apprécier la vileté d'un prix de vente, il convient de rechercher si l'économie générale du contrat révèle ou non que la cession fût causée par une contrepartie réelle.

Il est versé aux débats les courriers échangés entre les parties antérieurement à la vente du fonds de commerce.

Par lettre du 12 décembre 2013, la société Carrefour, évoquant les différents entretiens ayant eu lieu avec son cocontractant, confirme à la société Saj Dis son souhait d'acquérir son fonds de commerce au prix de 197 400 euros prix et de lui consentir un contrat de location-gérance.

Aux termes de sa réponse en date du 4 février 2014, la société Saj Dis conteste le prix proposé, en le qualifiant de dérisoire et précise : "les conditions dans lesquelles vous envisagez cette vente, conditions qui sont reprises dans votre lettre du 12 décembre 2013, et le dossier Z qui m'a été remis ne me permettent pas d'envisager une cession du magasin dans des conditions aussi peu favorables.

Je constate notamment qu'alors que vous avez valorisé le fonds de commerce dans le pacte d'associé à 3,41 mois de chiffres d'affaires soit 956 000 euros, vous envisagez une vente au profit de votre société pour le montant dérisoire de 197 000 euros.

J'ajoute que la proposition de passage sous location-gérance pour une durée d'un an apparaît plus que précaire (...) compte tenu de l'ignorance dans laquelle je me trouve sur les conditions d'activité sous enseigne Carrefour Contact".

La société Saj Dis demande à la société Carrefour de faire une proposition sérieuse de rachat sur la base d'une valorisation pour le commerce conforme à ce qu'elle a elle-même retenu à savoir 956 000 euros, au prix du marché.

Par courrier du 17 février 2014, la société Carrefour répond à la société Saj Dis en lui rappelant les difficultés économiques qu'elle connaît et qui ne sont pas en relation avec l'évolution des différents réseaux de franchise, qu'elle lui propose d'exploiter sous l'enseigne "Carrefour Contact" dans des conditions qui lui permettent de contourner les difficultés économiques qu'elle rencontre, et l'engage à accepter un nouveau rendez-vous.

Par courrier du 1er juillet 2014, M. X, gérant de la société Saj Dis, adresse un courrier à la société Carrefour aux termes duquel il indique accepter la vente du fonds de commerce sous les conditions suivantes :

- prix de vente au moins égal à 197 000 euros (valeur du fonds selon votre estimation)

- mise en location-gérance à moi-même pour une durée contractuelle minimum de trois ans

- possibilité de rachat du fonds de commerce par moi-même, dans un délai maximum de trois ans après ladite vente, et ce à un tarif préférentiel calculé sur les bases du pacte d'associés maximum égal à celui qui a servi de base de calcul pour la vente de SARL Saj Dis à Carrefour.

- remise aux normes et en état à la charge de Carrefour

- horaires d'ouverture similaires

- garantie en termes de chiffres d'affaires, marges et résultats net, conformément au présenté

- salaire minimum garanti, pour le locataire gérant, de 4 000 euros nets mensuel.

Aux termes de ce courrier, la société Saj Dis admet que le prix de vente a été fixé par le pacte d'associé qu'elle accepte. Il sera précisé que M. C, gérant de Saj Dis, est partie à ce pacte d'associé et si la valorisation qu'il contient, est relative aux parts de la société Saj Dis, les parties peuvent d'un commun accord, l'utiliser pour fixer le prix de cession du fonds de commerce.

Compte tenu des termes du courrier adressé par la société Saj Dis à la société Carrefour le 4 juillet 2013, elle ne peut se prévaloir du fait qu'elle n'a pas accepté la méthode de fixation du prix de cession du fonds de commerce sur le fondement de la valorisation du pacte d'associé.

Dès lors, la cour ne peut pas modifier la méthode de fixation du prix choisie par les parties mais vérifier que le prix est sérieux au vu de l'accord intervenu entre elles.

A l'appui de sa demande tendant à démontrer que le prix fixé n'est pas sérieux, la société Saj Dis produit deux rapports d'expertise.

Aux termes de l'expertise réalisée en juin 2017 par M. Y, la valeur du fonds de commerce a été déterminée par la méthode la plus commune soit l'approche par le chiffre d'affaires. L'expert indique que les fonds de commerce de supermarchés alimentaires se vendent entre 10 % et 40 % du chiffre d'affaires moyen hors taxes des trois derniers exercices.

Il relève :

- l'assez bonne situation, sur une route départementale, à proximité immédiate d'un quartier résidentiel pavillonnaire, dans un secteur très recherché pour l'activité de supermarché et de station de service,

- la totalité des agencements appartenant à la société Sajdis (ancien propriétaire du fonds de commerce),

- l'existence d'une cinquantaine de places de stationnement autour du supermarché,

- la stabilité du chiffre d'affaires entre 2013 et 2014,

- l'existence d'une faible valeur de droit au bail,

- l'assez bon entretien général des locaux,

- l'avantage d'une grande capacité de stockage à l'intérieur des bâtiments, comme à l'extérieur,

- l'absence de concurrent dans un rayon de 15 km environ,

- le chiffre d'affaires de 3 638 euros/m² de vente, ce qui est moyen,

- la forte potentialité de l'exploitation,

- la marge brute d'exploitation de 21,45 %,

- les frais de personnel qui représentent 11,83 % du chiffre d'affaires hors taxes,

- la conjoncture économique qui a touché le secteur de la grande distribution alimentaire plutôt fin 2015.

Et, pour évaluer le fonds d'alimentation, compte tenu de l'emplacement dans une petite commune mais sans concurrent dans un rayon de 17 km environ et d'une zone de chalandise de 6 600 clients potentiels environ, de l'ouverture toute la semaine y compris le dimanche, de l'état d'usage du bâtiment partiellement neuf suite à l'extension des locaux financée par le locataire, il retient 25 % du chiffre d'affaires moyen TTC hors carburant des deux derniers exercices 3 278 064 euros X 25 % = 819 516 euros soit 820 000 euros

Les fonds de commerce de station-service se vendant actuellement entre 2 fois et 2,5 la marge brute hors taxe, il propose d'évaluer la partie station-service à la somme de 73 000 euros.

La seconde expertise en date du 12 avril 2018 a été réalisée par M. A, qui conclut que la SARL Saj Dis exerçait au 1er octobre 2014, son activité de vente d'alimentation générale sous l'enseigne Shopi dans un bâtiment de type " supermarché " offrant une vaste surface de vente (780 m² environ), d'importantes zones de réserves (extérieures et intérieures) et de conservation (chambres froides) le tout sur une parcelle de terrain aménagée à usage de parking (environ 50 emplacements) et de station-service (emprise d'environ 200m²), située à la périphérie Sud de la commune de Reuilly (Indre), dans un secteur pavillonnaire, facilement accessible par la RD 918 qui relie la ville de Vierzon à celle d'Issoudun. Il fait observer que dans un rayon d'environ 15 kilomètres autour de cet établissement, aucune autre enseigne de distribution n'est implantée et que le fonds de commerce anciennement exploité par la SARL Saj Dis bénéficie d'une absence totale de concurrence sur une vaste zone de chalandise. Il estime que le fonds bénéficie d'une forte potentialité d'expansion.

Il indique que la valeur de la branche d'activité de supermarché peut être évaluée à 655 613 euros soit 20 % du chiffre d'affaires d'un montant de 3 278 064 euros (moyenne 2013-2014) et que la branche station-service peut être évaluée à la marge brute d'exploitation 36 532 euros X 2,5 = 91 330 euros. Il évalue le fonds de commerce à la somme de 750 000 euros.

Il n'est pas contesté que la valeur du fonds de commerce a été fixée sur la base du mode d'évaluation proposé dans le pacte d'associés pour l'évaluation des parts sociales en cas de cession. Il est joint à ce document une annexe 1 intitulée "valorisation des parts de la SARL Saj Dis". Si les parties peuvent déroger contractuellement au mode d'évaluation habituel du bien, objet de la cession, celui-ci ne doit pas aboutir à sous évaluer de manière disproportionnée au détriment d'une partie, la valeur du fonds.

Il résulte des courriers échangés entre les parties que la société Saj Dis a adhéré, en connaissance de cause, à ce mode d'évaluation. En effet, elle a d'abord protesté en estimant le prix trop bas et en proposant le prix correspondant à une évaluation classique du chiffre d'affaire, ce qui traduisait sa connaissance de la valeur du fonds de commerce cédé.

La société Carrefour fait valoir que la société Saj Dis a bénéficié d'un avantage complémentaire de prix en ce que la société Carrefour a fait réaliser des travaux dans les lieux dont la société Sajdis a bénéficié et que cette dernière a également pu exploiter le fonds dans le cadre d'une location-gérance qu'elle lui a consentie, ce qui était mentionné dans l'acte de cession.

Si le bénéfice de la location-gérance ne peut apparaître seul comme un avantage complémentaire de prix dans le sens où le montant accordé est difficilement évaluable, le fait que des travaux accompagnent ce projet de location-gérance en constitue un.

La société Carrefour produit des factures justifiant qu'au cours du 4e trimestre 2014, elle a fait réaliser pour 405 846,16 euros de travaux de remise en état.

Un contrat de location-gérance a été signé le 29 septembre 2014 entre la société Carrefour et la société Saj Dis pour une durée d'un an renouvelable, reconductible tacitement pour une durée indéterminée. Il n'est pas soutenu que le fonds a été fermé pendant la durée d'exécution des travaux dans les lieux.

Par courrier du 29 septembre 2014, la société Carrefour rappelle à la société Saj Dis l'existence du contrat de location-gérance et précise que "la société Carrefour Proximité France, souhaitant permettre à des candidats de se constituer un capital aux fins d'investir, à court terme, dans l'acquisition d'un fonds de commerce, donne en location-gérance, à ces derniers, des fonds de commerce dont elle a la jouissance (...) Nous vous informons d'ores et déjà que faute pour vous de procéder à l'acquisition d'un fonds parmi ceux que la société Carrefour Proximité France vous présentera, dans un délai maximum de quatre ans, cette dernière se réserve le droit, si bon lui semble, de dénoncer le contrat de location-gérance, à tout moment conformément aux dispositions du contrat".

La société Saj Dis a renvoyé ce courrier signé après avoir apposé la mention "lu et approuvé".

La cour retient que le montant des travaux constitue un avantage dans la mesure où la société Saj Dis bénéficie ensuite d'un contrat de location-gérance dans les lieux rénovés et de la possibilité ultérieure de racheter un fonds de commerce ce qui correspondait aux termes de son courrier du 4 juillet 2013 adressé à la société Carrefour à une partie des conditions qu'elle posait pour vendre le fonds au prix de 197 000 euros. De plus, ce projet lui permettait de redémarrer son activité avec un fonds de commerce rénové, sans avoir à supporter le coût de la rénovation des lieux.

Malgré la forte potentialité du fonds de commerce, relevée par les experts, et malgré les travaux réalisés, les résultats issus de la location-gérance se sont révélés insuffisants, et alors que la société Saj Dis fait part à la société Carrefour par courrier en date du 3 mars 2016, des difficultés qu'elle rencontre et souhaite être conseillée avant de rencontrer celle-ci, la société Carrefour lui propose par courrier du 8 mars 2016, une résiliation amiable du contrat et à défaut lui indique qu'elle fera valoir la résiliation de plein droit et immédiate du contrat.

La société Saj Dis soutient que l'absence de rentabilité du fonds de commerce provient de la politique commerciale de la société Carrefour à son égard et que la rentabilité n'est pas le critère retenu pour évaluer ce type de fonds de commerce, les usages dans le secteur d'activités se référant à un pourcentage du chiffre d'affaires. Elle se plaint également de ne pouvoir vendre son fonds à un tiers compte tenu des conventions la liant à la société Carrefour.

Cependant, la cour relève que ces conventions ne peuvent être appréciées au regard de la seule vente du fonds de commerce car elles ont permis à la société Saj Dis de bénéficier d'une enseigne, d'un contrat d'approvisionnement et reposent sur des avantages et obligations réciproques des parties qui ne sont pas l'objet du présent litige.

Si la société Saj Dis produit deux expertises démontrant que la valeur du fonds de commerce cédé est nettement supérieure au prix de cession obtenu, outre que ces expertises ont été réalisées, non contradictoirement, à la requête du cédant, ces rapports d'expertise produits n'ont pas été établis en tenant compte de la méthode de valorisation choisie par les parties mais selon la méthode d'évaluation traditionnelle qu'elles ont écartée. En outre, M. Y a réalisé l'expertise au mois de juin 2017 et l'expertise de M. A a été réalisée en avril 2018, soit postérieurement aux travaux effectués par la société Carrefour.

De la même manière, à l'appui de leurs dires, les parties produisent, à titre d'exemples, des évaluations de fonds de commerce issues de procédures judiciaires ou de ventes amiables. Celles-ci ne constituent pas des éléments de comparaison utile, l'objet de la procédure étant de déterminer si le prix tel qu'il a été fixé par les parties est sérieux selon la méthode choisie contractuellement et non d'évaluer le montant du fonds de commerce.

Les avantages proposés par la société Carrefour et justifiant ce prix n'ont pas été concluants puisque malgré les travaux réalisés, l'exploitation du fonds sous une nouvelle enseigne, et dans le cadre d'une location-gérance n'ont pas permis à la société Saj Dis d'atteindre les objectifs fixés. Cependant, la cour rappelle que pour apprécier le prix il ne doit pas être tenu compte des résultats obtenus mais des avantages proposés.

En l'espèce, sur le fondement de la méthode d'évaluation choisie par les parties et au vu de l'économie globale de la transaction, comportant outre le prix du fonds de commerce, la réhabilitation des locaux par l'intermédiaire de travaux avec la possibilité pour le cédant de faire fructifier son activité dans le cadre d'un contrat de location-gérance, le prix de cession doit être considéré comme sérieux.

Le jugement sera confirmé pour ces motifs.

Sur la demande au titre du déséquilibre significatif résultant des conditions de la cession

La société Saj Dis fait valoir que la clause relative à la fixation du prix est susceptible de rentrer dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 442-6, 2° du Code de commerce, qu'elle a cédé son fonds de commerce alors qu'elle était dans une position de faiblesse à l'égard de la société Carrefour Proximité France compte tenu des contraintes qui pesaient sur elle :

- contraintes juridiques nées des statuts signés avec la société Selima, du bail commercial limitant l'exploitation d'un supermarché à une enseigne du groupe Carrefour

- contraintes économiques compte tenu des difficultés rencontrées dans son exploitation (dettes à l'égard de CSF, fournisseur, filiale Carrefour) ;

- contraintes commerciales nées de la disparition programmée de l'enseigne Shopi et du refus de la société Carrefour Proximité France de lui consentir l'enseigne " Carrefour Contact ".

La société Carrefour réplique qu'il n'existe pas un prix de marché distinct de celui résultant des méthodes de calcul pratiquées par les professionnels, telle la méthode résultant du pacte d'associés ou celle retenue par le jugement, que l'appréciation d'un éventuel déséquilibre significatif au sujet des prix ne peut intervenir que dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur.

L'article L. 442-6, 2° du Code de commerce dispose que : " I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; ".

Dans la mesure où seules les activités de production, de distribution ou de services entrent dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, ces dispositions ne sont pas applicables à la vente d'un fonds de commerce, le prix de celui-ci résultant de la libre négociation des parties.

Le jugement sera confirmé pour ce motif.

Sur les demandes accessoires

Il est équitable de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles d'appel. La société Saj Dis qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs LA COUR statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Saj Dis aux dépens de la procédure d'appel.