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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 avril 2019, n° 16-07328

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroen (SA), Commerciale Citroen (Sasu), PSA Retail France (SAS)

Défendeur :

Auto Ritz (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

Avocats :

Mes Flauraud, Munnier, Grappotte Benetreau, Bertin

T. com. Paris, du 25 sept. 2015 ; T. com…

25 septembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Automobiles Citroën assure la construction et la commercialisation des véhicules automobiles et des services de la marque Citroën.

La société PSA Retail France SA (anciennement dénommée Société Commerciale Citroën " SCC ") est filiale à 100 % de la société Automobiles Citroën et a pour activité la commercialisation des véhicules automobiles et des services de la marque Citroën.

La société Auto Ritz SA a été concessionnaire Citroën dans le 13e arrondissement de Paris depuis 1973, en vertu de plusieurs contrats de distribution exclusive successifs.

La société Automobiles Citroën a souhaité reprendre toutes les concessions de Paris et confier la distribution de ses véhicules à la société SCC.

Par courrier du 19 juin 2002, la société Automobiles Citroën est entrée en contact avec la société Auto Ritz, afin de négocier la reprise de son fonds de commerce. Toutefois, aucun accord n'est ressorti de cette négociation.

A la suite de l'entrée en vigueur du Règlement n° 1400/2002 du 31 juillet 2002, la société Auto Ritz a conclu avec la société Automobiles Citroën trois contrats à durée déterminée entrés en vigueur le 1er octobre 2003 et à échéance au 30 septembre 2008 :

- deux contrats de distribution sélective à la fois qualitative et quantitative portant sur la vente de véhicules neufs et la vente de pièces de rechange,

- un contrat de distribution sélective purement qualitative de réparateur agréé Citroën portant sur les prestations de services après-vente (réparation et entretien des véhicules de la marque).

Cependant, à la suite de la dégradation de sa situation commerciale et financière, la société Auto Ritz s'est trouvée dans l'impossibilité de continuer à respecter les critères de sélection financiers d'appartenance au réseau Citroën.

C'est ainsi que, le 28 juin 2005, Automobiles Citroën a annoncé à la société Auto Ritz que ses contrats de concession Citroën de véhicules neufs et pièces de rechange seraient résiliés " 'de plein droit et immédiatement, à vos torts et griefs " au 31 décembre 2005 si elle n'était pas en mesure, à cette date, de se conformer aux critères financiers et si elle n'engageait pas les investissements nécessaires avant le 31 octobre 2005 pour obtenir sa certification ISO.

Le 3 février 2006, la société Auto Ritz a conclu un accord de rupture anticipée de son bail moyennant une indemnité d'éviction et a cessé son activité au printemps 2006, la société Automobiles Citroën consentant à la société Auto Ritz une prolongation de son contrat jusqu'au 30 avril 2006, par courrier du 22 décembre 2005 : " Nous vous indiquons que de manière tout à fait exceptionnelle, nous sommes disposés, alors même que vous ne remplissez pas le critère susmentionné (critère de sélection relatif au fonds de roulement), à prolonger jusqu'à l'arrêt d'activité de votre entreprise, soit jusqu'au 30 avril 2006 au plus tard, la poursuite de vos contrats conclus avec Citroën ".

En raison du refus des sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën, de poursuivre les contrats de travail des salariés de la société Auto Ritz, diverses procédures judiciaires ont été engagées donnant gain de cause à cette dernière, qui s'est vue remboursée des indemnités de rupture dont elle avait fait l'avance à ses salariés jusqu'à ce que la cour d'appel de Paris condamne la société SCC pour violation de l'obligation légale de reprise des salariés (le 21 septembre 2010).

Pensant alors que les sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën étaient directement responsables de la dégradation de sa propre situation commerciale et financière entre 2002 et 2006, elle a obtenu, par ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris du 22 octobre 2010, l'autorisation de se procurer, par l'intermédiaire d'un huissier de justice, une copie des documents BRAMS et C portant sur les exercices 2002 à 2006. Ces documents ont été placés sous séquestre.

Par ordonnance de référé du 24 mars 2011, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de mainlevée de ce séquestre, formée par la société Auto Ritz. Mais cette décision a été intégralement infirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 novembre 2011, qui a ordonné la mainlevée de celui-ci au profit d'Auto Ritz.

C'est ainsi que la société Auto Ritz a assigné la société Automobiles Citröen le 29 juillet 2011 aux fins de la voir condamnée, au visa des articles 1134 alinéa 3 du Code civil, L. 420-1 et L. 442-6 du Code du commerce, à lui payer la somme de 13 812 342 euros, sauf à parfaire, outre 30 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

En raison de difficultés qu'aurait rencontrées le mandataire d'audience qui aurait tardé à déposer des conclusions pour la société Auto Ritz, la société Automobiles Citroën s'est prévalue d'une péremption d'instance à laquelle la société Auto Ritz a acquiescé. Par jugement du 10 novembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a constaté cette péremption d'instance.

Cependant, la société Auto Ritz a fait réassigner la société Automobiles Citroën ainsi que la société SCC devant le tribunal de commerce de Paris, par exploit signifié le 25 juin 2014, pour les mêmes causes et fins.

Par jugement du 28 septembre 2015, le tribunal de commerce a estimé que les demandes de la société Auto Ritz n'étaient pas prescrites et a fixé un calendrier de procédure en vue de l'instruction au fond de l'affaire.

Puis, par jugement du 29 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- n'a pas donné suite à la demande de rejet de la pièce n° 22 de la SA Auto Ritz,

- mis la société SAS Société Commerciale Citroën hors de cause,

- condamné la SA Automobile Citroën à payer à titre de dommages et intérêts à la SA Auto Ritz, la somme de 4 700 000 euros,

- ordonné l'exécution provisoire dans la limite de 2 000 000 euros sauf constitution de garantie pour le surplus,

- condamné la SA Automobiles Citroën à payer à la SA Auto Ritz la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en a déboutées.

Le tribunal, au vu du rapport de MM. X et Z, a estimé que la société Citroën avait eu un comportement déloyal à l'encontre de la société Auto Ritz en exigeant de sa part le respect des critères de sélection, alors qu'elle acceptait des pertes d'exploitation très importantes de ses trois succursales directement concurrentes d'Auto Ritz. Il a évalué son préjudice à la somme de 7 325 105 euros, moins l'indemnité d'éviction de 2 600 000 euros perçue par Auto Ritz, soit à la somme de 4 700 000 euros. Il a débouté Auto Ritz de sa demande pour rupture brutale.

La cour est saisie de l'appel interjeté par les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France SA.

Vu les dernières conclusions de la société Automobiles Citroën et de la société PSA Retail France SA, appelantes, déposées et notifiées le 7 janvier 2019, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire les sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën, recevables et bien fondées en leurs conclusions,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de paris le 28 septembre 2015,

Vu les articles 2224 et suivants du Code civil, 26-1 de la loi 2008-561, L. 110-4 du Code de commerce, et 389 du Code de procédure civile,

- constater la prescription du droit d'action de la société Auto Ritz à l'encontre des sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën,

depuis le 18 juin 2013 s'agissant des demandes fondées sur une prétendue brusque rupture des relations commerciales entre les parties,

depuis le 18 juin 2013 s'agissant des demandes fondées sur une exécution déloyale du contrat et une rupture abusive de celui-ci,

depuis le 7 septembre 2013, au plus tard, s'agissant des seules demandes fondées sur une prétendue concurrence déloyale,

subsidiairement,

- constater que les sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën ne se sont livrées à aucune concurrence déloyale, ni n'ont commis de faute de nature à engager leur responsabilité,

- infirmer le jugement rendu le 29 février 2016 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société Automobiles Citroën au paiement de la somme de 4 700 000 euros à titre de dommages intérêts, outre 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile,

- débouter la société Auto Ritz de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Auto Ritz à payer à la société Automobiles Citroën et à la société Commerciale Citroën la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, conformément aux dispositions de l'article 699 Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Auto Ritz SA, intimée, déposées et notifiées le 11 janvier 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France SAS venant aux droits de la société Commerciale Citroën recevables mais mal fondées en leur appel,

- les débouter de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

Vu les articles 2244 ancien, 2224 et suivants, 2239, 2214 et suivants, 2241 et suivants du Code civil,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement mixte rendu le 28 septembre 2015 ayant rejeté l'exception de la prescription soulevée par les appelantes et jugé l'action d'Auto Ritz non prescrite,

Vu les articles 1134 alinéas 1 et 3 et 1382 du Code civil,

- confirmer partiellement le jugement au fond du 29 février 2016 en ce qu'il a :

jugé que la société Automobiles Citroën avait engagé sa responsabilité au préjudice de la société Auto Ritz,

condamné la société Automobiles Citroën à réparer partiellement le préjudice subi par la société Auto Ritz en lui payant la somme de 4 700 000 euros de dommages et intérêts et celle de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- l'infirmer pour le surplus de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire que la société Automobile Citroën a très lourdement engagé sa responsabilité contractuelle au préjudice de la société Auto Ritz :

en ayant feint d'engager de mauvaise foi un simulacre de pourparlers tendant à laisser croire à la société Auto Ritz qu'elle souhaitait négocier le rachat de son fonds de commerce pour le compte de la Société Commerciale Citroën, alors qu'avant même d'initier ces faux pourparlers par courrier du 19 juin 2002, elle avait négocié la prise à bail des locaux de l'ancienne concession B par contrats régularisés dès le 3 juin 2002, à des conditions financières incompatibles avec le rachat de la concession d'Auto Ritz,

en imputant finalement l'échec de ces pourparlers à la société Auto Ritz,

en provoquant sa cessation d'activité,

en créant une situation concurrentielle déséquilibrée consécutivement à l'implantation du point de vente de SCC sur Paris Italie à compter du mois de juillet 2002,

en finançant de façon discriminatoire et inéquitable une stratégie tendant à augmenter significativement entre 2002 et 2005 les pertes nettes d'exploitation des points de vente de sa filiale SCC les plus proches et les plus directement concurrents de la société Auto Ritz, à savoir SCC Paris Sud-Ouest, SCC Paris Italie et SCC Paris Rive Gauche,

en s'abstenant, pour compenser ce déséquilibre, d'octroyer à la société Automobiles Citroën des aides équivalentes afin de la faire bénéficier des mêmes conditions d'exécution de ses contrats que celles accordées à sa filiale,

en dégradant ainsi très fortement la situation commerciale et financière de la société Auto Ritz,

en se prévalant de cette situation qu'elle avait pourtant délibérément provoquée pour reprocher à son concessionnaire de ne plus respecter les critères de sélectivité financiers requis pour continuer à appartenir à ses réseaux sélectifs, et de ne plus pouvoir financer sa certification ISO dans le but de mettre brutalement un terme aux contrats qui la liaient à la société Auto Ritz depuis 33 ans tout en ne lui octroyant qu'un répit de 4 mois,

en s'abstenant d'indemniser Auto Ritz des préjudices qu'elle lui avait indûment causés et en incitant sa filiale SCC à accroitre encore les difficultés de son ancien concessionnaire par le non-respect des dispositions d'ordre public édictées à l'article L. 1224-1 du Code du travail,

- dire que la Société Commerciale Citroën a engagé sa responsabilité délictuelle conjointe et solidaire avec la société Automobiles Citroën en concourant au dommage ainsi causé à la société Auto Ritz en lui livrant une concurrence déloyale qui lui a occasionné de lourdes pertes et l'a contrainte à cesser son exploitation,

en conséquence, et pour les causes sus énoncées,

ajoutant au jugement déféré,

- condamner solidairement les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France SAS venant aux droits de la Société Commerciale Citroën à payer à titre de dommages intérêts complémentaires à la société Auto Ritz la somme de 2 600 000 euros, au titre de son préjudice d'exploitation subi entre 2003 et 2005 afin de porter celui-ci à la somme de 7 300 000 euros retenue par le tribunal avant la déduction injustifiée de la somme de 2 600 000 euros correspondant à l'indemnité de rupture anticipée de bail perçue de son bailleur par Automobiles Citroën, déduction à laquelle il a à tort procédé pour les causes sus énoncées,

- condamner en outre la société Automobiles Citroën à payer à Auto Ritz la somme de 4 528 075 euros correspondant à 50 % de 29 mois de marge brute en réparation du dommage consécutif à la rupture abusive et brutale de ses contrats de distributeur et de réparateur Citroën, en référence à la marge brute moyenne dégagée au cours des trois derniers exercices contractuels non perturbés (1999 - 2001) à titre de dommages et intérêts complémentaires,

- condamner solidairement les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France SAS qui ont évalué leurs propres frais irrépétibles à ce même montant, au paiement d'une somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les appelantes au paiement des entiers frais et dépens d'instance et d'appel ;

SUR CE, LA COUR,

Sur la prescription

Les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France SAS soulèvent à titre principal une exception de prescription de l'action de la société Auto Ritz intentée le 25 juin 2014. Elles soutiennent à cet effet que :

- le point de départ du délai de prescription est au plus tard constitué par la date du 25 juillet 2007, date de dépôt des comptes de la société Automobiles Citroën pour l'exercice clos au 31 décembre 2006, s'agissant des demandes fondées sur l'inexécution déloyale du contrat et les mesures de recapitalisation de SCC par Automobiles Citroën,

- ce point de départ est la date de fin du contrat pour les demandes fondées sur la rupture brutale ou la rupture abusive du contrat, soit le 1er avril 2006,

- en vertu de ces données, toutes ces demandes étaient donc prescrites le 18 juin 2013,

- seule une suspension de prescription est intervenue du 22 octobre 2010, date de la demande d'ordonnance sur requête du 20 octobre 2010 de la société Auto Ritz, tendant à obtenir la désignation d'un huissier aux fins de se procurer certains documents, jusqu'au 11 janvier 2011, date d'exécution de la mesure par l'huissier instrumentaire,

- cette suspension n'est de nature à reculer la date d'acquisition de la prescription qu'au 7 septembre 2013,

- aucune interruption du délai de prescription ne saurait découler de la saisine du juge des référés, statuant sur une levée de séquestre des pièces saisies en vertu de l'ordonnance sur requête précitée du 20 octobre 2010.

La société Auto Ritz soutient qu'à supposer même retenue la date du 1er mai 2006 comme point de départ de la prescription, la prescription a été interrompue le 16 novembre 2011, ouvrant un nouveau délai quinquennal expirant le 16 novembre 2016, de sorte que son action, signifiée le 24 juin 2014, n'était pas prescrite.

Sur le point de départ de la prescription

Selon l'article 2224 du Code civil, " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".

La société Auto Ritz fonde ses demandes sur l'exécution déloyale des contrats par la société Automobiles Citroën, donc sur le fondement de la responsabilité contractuelle de cette société, mais également sur la responsabilité délictuelle de la société SCC pour tierce complicité (cf pages 39 et 40 de ses conclusions).

La société intimée prétend que le délai de prescription de l'action ne pouvait courir avant la remise des documents de gestion interne BRAMS (Brochures de Résultats et Analyses Mensuels des succursales) et C (Tableaux d'Analyse de Marge) de la société Citroën, saisis par l'huissier, qui auraient révélé le soutien abusif et discriminatoire de la société SCC par la société Automobiles Citroën sur la période 2002-2006.

Mais c'est à la victime qui soutient que le dommage lui aurait été révélé postérieurement à sa survenance d'établir qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Or, la société Auto Ritz avait déjà en sa possession, lorsqu'elle a saisi le juge d'une requête fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile, les éléments démontrant le subventionnement, par la société Automobiles Citroën, de la société SCC ; dès lors, elle ne peut prétendre, comme elle le fait, n'avoir appris cet état de fait que lorsqu'elle a été mise en possession de ces documents internes, dénommés BRAMS et C, relatifs aux résultats commerciaux des succursales de la société Automobiles Citroën des années 2002-2006, sa requête étant motivée non par la nécessité de démontrer les faits, mais par la nécessité de calculer son préjudice sur ces années (pièce 35 de la société appelante).

Les sociétés appelantes soulignent à juste raison que les mesures de recapitalisation prises par la société Automobiles Citroën à l'égard de la société SCC, en 2000 et 2003, étaient connues depuis le dépôt de ses comptes, régulièrement chaque année, de 2002 à 2006, le dernier dépôt afférent aux comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2006, étant du 25 juillet 2007, et que la société Auto Ritz ne démontre pas qu'elle n'était pas en mesure d'exercer son action sans avoir eu connaissance de ces documents de gestion interne BRAMS et C, de sorte qu'elle aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, au plus tard le 25 juillet 2007.

Conformément à l'article 2222 du Code civil régissant les dispositions transitoires de l'entrée en vigueur de la loi de 2008, qui prévoit qu' " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai (de cinq ans) court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ", soit le 18 juin 2008, le délai de prescription expirant donc le 18 juin 2013.

Sur l'interruption ou la suspension de la prescription

Par ailleurs, l'assignation du 29 juillet 2011, ayant donné lieu à un jugement de péremption de l'instance, n'a pu interrompre la prescription, en vertu de l'article 389 du Code civil.

Il résulte de l'article 2239 du Code civil que :

" La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ".

En vertu de cette disposition, la prescription a été suspendue du 22 octobre 2010, date à laquelle le juge des requêtes a fait droit à la demande de désignation d'un huissier effectuée par la société Auto Ritz, tendant à la conservation des documents BRAMS, et le 11 janvier 2011, date d'exécution de sa mission par l'huissier, Maître Van Kemmel.

Cette suspension a donc repoussé la date d'acquisition de la prescription de deux mois et 20 jours, au 7 septembre 2013.

La société Auto Ritz ne peut soutenir que sa saisine du juge des référés, qui avait pour finalité exclusive la levée du séquestre, a interrompu la prescription.

En effet, si l'article 2241 du Code civil prévoit que " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ", cette demande interrompt exclusivement la prescription du droit qui en est l'objet. Relative dans la présente espèce à la seule procédure sur requête et à la mainlevée des séquestres, elle ne vaut pas demande relative à l'exécution déloyale du contrat.

Ainsi que le relèvent les sociétés appelantes, n'importe quelle demande en référé n'est pas de nature à interrompre le délai de prescription au sens de l'article 2241 du Code civil.

La société Auto Ritz ne peut en conséquence se fonder sur une jurisprudence relative à l'obtention, par voie d'une demande en référé, d'une mesure d'instruction in futurum, selon laquelle en application des articles 2241 et 2242 du Code civil, le délai de la prescription est interrompu par la requête jusqu'au prononcé de l'ordonnance de référé y faisant droit ou encore des décisions de justice ultérieures mettant fin à l'instance, qu'elles soient afférentes à cette procédure ou aux actions liées ayant le même objet (Cass. civ., 1re 5 oct. 2016 n° 15-25.459 et note n° 50 sous art. 2241 Code civil Dalloz 2019 p. 2615) et selon laquelle, ce délai est parallèlement suspendu entre le prononcé de l'ordonnance et la fin de l'exécution de la mesure d'instruction et ne recommence à courir qu'à compter du jour où la mesure a été exécutée et pour un délai qui ne peut être inférieur à 6 mois, conformément à l'article 2239 du Code civil.

Ici, en effet, contrairement au litige ayant donné lieu à l'arrêt susvisé, la mesure d'instruction in futurum a été demandée par voie de requête et non par celle d'une assignation en référé.

L'action de la société Auto Ritz est donc prescrite.

Le jugement entrepris sera donc infirmé.

Succombant au principal, la société Auto Ritz devra s'acquitter des dépens de première instance et d'appel et payer aux sociétés Automobiles Citroën et SCC la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris, déclare prescrite l'action de la société Auto Ritz, la déboute de toutes ses demandes, la condamne aux dépens de première instance et d'appel, la condamne à payer aux sociétés Automobiles Citroën et SCC la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.