CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 9 avril 2019, n° 17-01978
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Casino Restauration (SAS)
Défendeur :
Poppins (Sté), Agir (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Greiner
Conseillers :
Mmes Fouchard, Real Del Sarte
Avocats :
Selarl Juliette Cochet Barbuat Lexavoué Chambéry, Mes Semoun, Fillard, Tiquant, SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon
Le 13/02/2001, la société Casino Cafeteria a donné mission à la société Gira Sic Conseil, conseil en marketing et développement en restauration, de procéder dans les meilleurs délais à une étude de marché dans le cadre de l'implantation de son enseigne de restauration dans la galerie commerciale des Flâneries, située à côté du centre commercial Carrefour de la Roche-sur-Yon, indiquant que, créée en 1996, cette galerie a été agrandie récemment par son propriétaire, lequel lui a proposé un local de 700 à 750 m² à son extrémité.
En mars 2001, la société Gira Sic Conseil, a réalisé cette étude en mesurant le potentiel de repas pouvant être servis par une Cafeteria Casino sur la commune de Roche-sur-Yon (85) sur la zone d'activités Acti'Nord, et a abouti aux conclusions suivantes :
- le site prévu est attractif, étant situé entre le centre commercial des Flâneries et l'hypermarché Carrefour, et étant visible et facile d'accès ;
- en raison d'une pénurie de restaurants sur l'agglomération, la population de la zone de chalandise midi peut être évaluée à 22 000 salariés, la zone d'activités étant la plus dynamique de l'agglomération ;
- le potentiel moyen peut être estimé à 1 000 repas par jour dégageant un chiffre d'affaires annuel HT de 13,9 millions de francs ;
- toutefois, il faut tenir compte d'une restauration commerciale peu développée sur la zone, d'un pouvoir d'achat légèrement inférieur à la moyenne nationale, et d'un pourcentage de personnes travaillant dans la zone supérieure à la moyenne nationale (+ 9 %) ;
- un concurrent direct est déjà installé sur le site, la cafétéria Y, intégrée au centre commercial Carrefour, réalisant un chiffre d'affaires d'environ 10 millions de FF pour 380 places assises et devant s'agrandir pour passer à 450 places ;
- néanmoins, l'hypermarché Carrefour devrait être rénové, et être rattaché au centre commercial, avec une liaison entre les deux bâtiments, ce nouvel environnement étant favorable, la future cafeteria devenant le premier opérateur du centre commercial en venant de l'hypermarché.
Le 04/07/2001, était conclu entre la société Casino Cafeteria et M. X un contrat de formation préliminaire aux termes duquel M. X, candidat à l'obtention d'une franchise, effectue un stage de 3 jours dans l'établissement de Marseille Barnéoud, avant d'intégrer un programme de formation de 12 semaines, période à l'issue de laquelle un contrat de franchise pourra être conclu.
Par divers avenants ce contrat a été étendu à des employés de M. X ou de sa société en cours de formation, la société Poppins.
Le 24/10/2001, était remis à M. X par la société Casino Cafeteria un document d'information pré contractuelle (DIP).
Le 16/04/2002, était signé entre la société Casino Cafeteria et la société Poppins, créée par M. Y, un contrat de franchise, relatif à un établissement sis à La Roche-Sur-Yon, aménagé et décoré selon les normes du franchiseur de type " Halles trois stands et Coeur de blé ", l'établissement ouvrant ses portes deux jours plus tard.
Le 07/05/2002, un avenant était conclu entre les parties, pour que soit remédié à des dysfonctionnements relevés par le franchiseur le 25/04/2002 et admis par M. X dans une lettre du lendemain, un cadre opérationnel d'assistance étant délégué par le franchiseur, le franchisé supportant les frais, cette mission prenant fin au 30/06/2002.
Les 19 et 20/02/2003, le franchiseur faisait réaliser un audit, dont les conclusions sont les suivantes :
- à l'intérieur du centre, ne se trouve qu'un concurrent, une brasserie, mais la cafétéria Y, située à moins de 50 mètres, doit rouvrir avant l'été, lorsque la rénovation de l'hypermarché Carrefour sera terminée ;
- M. X était absent à l'arrivée de l'auditeur, l'inventaire de novembre était introuvable, celui de décembre n'était pas valorisé ;
- des écarts ne sont pas justifiables.
Le 20/02/2003, la société Poppins a demandé à son franchiseur l'autorisation de ne pas régler les redevances, faisant état de la disparition de ses fonds propres et de la mise en place d'un plan de sauvetage, le franchiseur accordant une suspension du paiement des redevances durant 2 années avec report à compter du 02/01/2005, avec un règlement échelonné sur 48 mois, ce qui sera refusé par le franchisé.
Le 02/04/2003, la société Casino Cafeteria a résilié le contrat de franchise, avec suspension des livraisons de marchandise.
Le même jour, la société Poppins a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon, Me Pelletier étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Par ordonnance du 05/04/2003, le juge commissaire a autorisé la société Poppins à poursuivre le contrat de franchise, et a admis la créance de la société Casino Cafeteria par ordonnance du 02/06/2004 à hauteur de la somme de 74 470,21 euros à titre chirographaire.
Suite à l'assignation du 18/07/2003 de la société Poppins et de Me Pelletier, ès qualité, par la société Casino France Cafeteria, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a, par jugement du 26/02/2004, constaté la résiliation du contrat de franchise au 15/07/2003 du fait de l'inexécution de ses obligations par la société Poppins et a condamnée celle-ci à payer la somme de 8 798,36 euros au titre des redevances de franchise outre 1 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile.
Le 16/07/2004, les parties ont ensuite conclu un protocole transactionnel, réglant " entre les parties, définitivement et sans réserve, à compter du 16/07/2004, tout litige relatif à la résiliation du contrat de franchise ".
Le 07/09/2005, la société Poppins a été placée en liquidation judiciaire, après qu'un plan de redressement ait été adopté le 03/12/2004.
Suite à l'assignation de la société Casino Cafeteria par la société Poppins et à l'intervention volontaire de Me Pelletier, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Poppins, en présence de la société Gira Conseil, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a, par jugement du 07/11/2013 :
- donné acte à Me Pelletier de son intervention volontaire en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Poppins ;
- constaté la validité du contrat de franchise et la résiliation d'un commun accord et anticipée du contrat de franchise le 16/07/2004 ;
- dit que la société Casino Restauration, anciennement Casino Cafeteria, a engagé sa responsabilité civile à l'encontre de la société Poppins ;
- débouté la société Gira Sic Conseil de ses demandes ;
- condamné la société Casino Restauration à payer à la société Poppins la somme de 1,2 millions d'euros au titre des amortissements non amortis outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation avec capitalisation des intérêts ;
- débouté la société Poppins de sa demande au titre du manque à gagner ;
- condamné la société Casino Restauration à relever et garantir M. X de l'exécution par ce dernier de son engagement de caution dans la limite de 200 000 euros ;
- débouté M. X de sa demande en paiement au titre du compte courant ;
- condamné la société Casino Restauration à payer à M. X la somme de 20 000 euros de dommages intérêts au titre du préjudice moral ;
- rejeté les autres demandes de M. X ;
- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Casino Restauration ;
condamné la société Casino Restauration au paiement de la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- condamné la société Gira Sic Conseil à relever et garantir la société Casino Restauration à concurrence de 50 % des condamnations prononcées.
Par arrêt du 28/05/2015, la Cour d'appel de Lyon a :
- dit recevables les demandes d'irrecevabilité présentées par la société Casino Restauration ;
- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Casino Restauration a engagé sa responsabilité civile à l'encontre de la société Poppins et l'a condamnée au paiement à cette dernière de la somme de 1 200 000 euros outre intérêts ;
- déclaré irrecevable les demandes de la société Poppins ;
- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Casino Restauration à relever et garantir M. X de l'exécution de son engagement de caution dans la limite de 200 000 euros et à payer la somme de 20 000 euros de dommages intérêts pour préjudice moral ;
- débouté M. X de ses demandes indemnitaires ;
- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Casino Restauration au paiement de la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
- dit que la condamnation de la société Agir exerçant sous l'enseigne Gira Sic Conseil est devenue sans objet ;
- confirmé le jugement déféré pour le surplus ;
- condamné in solidum la société Poppins, Me Pelletier et M. X à payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par arrêt du 28/04/2017, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes indemnitaires formées par Me Pelletier ès qualité à l'encontre de la société Casino, au titre d'un manquement à son obligation d'information pré-contractuelle, l'affaire étant renvoyée devant la cour d'appel de Chambéry.
Dans ses conclusions d'appel n° 5 du 24/01/2019, la société Casino Restauration conclut à l'infirmation du jugement déféré, et demande à la cour de :
- constater que la cassation n'est que partielle, les dispositions de l'arrêt cassé concernant le rejet des demandes de M. X et de Me Pelletier ès qualité, au titre d'une rupture brutale de relation commerciale établie a force de chose jugée ;
- déclarer la fin de non-recevoir invoquée recevable ;
- constater que la société Poppins et M. X font preuve d'une incohérence manifeste, ce qui rend leur demande irrecevable, en ce qu'ils invoquent avoir subi un préjudice du fait de la conclusion du contrat de franchise tout en reprochant à la société Casino de ne pas l'avoir poursuivi jusqu'à son terme ;
- sur le fond, constater que pendant toute la relation contractuelle, durant toutes les procédures antérieures, à aucun moment il n'a été émis de grief concernant l'étude de marché communiquée préalablement à la conclusion du contrat de franchise, cette étude reposant sur une méthodologie sérieuse et éprouvée ;
- dire que la société Casino Restauration a été sincère et loyale dans la phase pré contractuelle, et débouter la société Poppins et M. X de leurs demandes ;
- à titre subsidiaire, constater que la société Gira Conseil savait pertinemment qu'elle devait évaluer un chiffre d'affaires prévisionnel et la condamner à la relever et garantir de toute éventuelle condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;
- à titre infiniment subsidiaire, statuer ce que de droit sur la demande d'expertise formée par la société Gira Conseil ;
- constater que plus aucune demande n'est formée à ce titre dans les dernières conclusions, que cette demande se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à la transaction du 13/07/2004 ;
- en toute hypothèse, constater qu'il n'a pas été mis fin au contrat de franchise le 02/04/2003 mais le 15/07/2003 ;
- constater que la société Casino Restauration avait mis un terme au contrat de franchise en raison des non paiements des factures dues par la société Poppins postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective ;
- constater qu'elle-même n'a pas rompu brutalement les relations conclues entre les parties ;
- débouter la société Poppins, Me Pelletier ès qualité et M. X de leurs demandes au titre de la prétendue rupture brutale de la relation commerciale entretenue entre les sociétés Casino Restauration et Poppins ;
- à titre subsidiaire, sur les préjudices invoqués, constater que n'est pas justifié un préjudice réparable correspondant à une perte de chance et débouter la société Poppins et M. X de ses demandes ;
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que :
- M. X était diplômé en matière de gestion, avait une expérience solide en marketing, et s'est engagé après avoir suivi une formation lui transmettant le savoir-faire de la gestion d'une cafétéria ;
- très rapidement, de graves dysfonctionnements ont été constatés dans l'exploitation de l'établissement, ce qui était reconnu par M. X dans sa lettre du 26/04/2002, ce qui a conduit à dépêcher un responsable de cafétéria du 7 mai au 30 juin 2002, aucun inventaire n'étant réalisé, ni aucun suivi de la masse salariale, ni de tenue d'une comptabilité analytique journalière, empêchant toute analyse pertinente ;
- si le franchiseur doit donner au franchisé l'état du marché, c'est à dire l'indication du périmètre de la zone de chalandise, il n'est pas tenu de faire réaliser une étude de marché ;
- la société Gira Conseil a réalisé une véritable étude de marché, en appliquant une méthodologie éprouvée ;
- malgré les dysfonctionnements relevés, le chiffre d'affaires dégagé la première année a atteint 70 % de celui prévu, pour baisser ensuite, ce qui démontre l'incidence d'une gestion chaotique par M. X ;
- le préjudice réparable n'est constitué que par la perte d'une chance de ne pas conclure le contrat.
Dans ses conclusions du 24/01/2019, la société Poppins, représentée par son liquidateur, Me Pelletier, conclut à la confirmation de la décision entreprise, sauf à voir majorer le montant des sommes allouées, au débouté des sociétés Agir et Casino Restauration de leurs demandes, et demande à la cour de :
- dire que le document établi par la société Agir à la demande de la société Casino Restauration et remis par Casino à Poppins n'a pas été établi dans les règles de l'art ;
- dire qu'il comporte notamment des approximations, des erreurs de calcul, une minoration excessive de la concurrence de la C, une exagération de l'influence positive de Casino, des approches subjectives et non étayées, une anticipation de faits non établis ;
- dire que la société Casino Restauration a engagé sa responsabilité civile à l'encontre de la société Poppins en lui présentant une étude erronée sur l'appréciation de la rentabilité du futur restaurant ;
- dire qu'elle a présenté un compte d'exploitation prévisionnel inatteignable, ne correspondant pas à la réalité du terrain et en tout état de cause exagérément optimiste ;
- plus généralement dire qu'elle n'a pas communiqué des informations loyales, pertinentes et sincères sur l'état du marché local et l'état du marché national ;
- dire que ces manquements portant sur un élément déterminant du consentement a vicié le consentement de la société Poppins ;
- dire que la société Poppins et Me Pelletier es qualité sont recevables à réclamer des dommages intérêts en réparation de leurs préjudices ;
- dire que les sociétés Agir et Casino Restauration ont agi avec une légèreté blâmable dans l'élaboration et la présentation de cette étude de marché, des chiffres d'affaires prévisionnel et des autres informations pré contractuelles d'information ;
- statuer ce que de droit sur l'appel en garantie de la société Agir par la société Casino Restauration.
- condamner la société Casino Restauration au paiement des sommes suivantes à la société Poppins :
1 034 190 euros au titre des investissements non amortis au bilan clos au 31/12/2003 ;
530 000 euros au titre de la perte d'une chance de réaliser un gain et subsidiairement, au titre de la perte d'une chance de faire une meilleure utilisation de ses fonds ;
38 112 euros de droits d'entrée ;
252 296 euros de pertes d'exploitation pour 2002 ;
297 704,67 euros de pertes d'exploitation pour 2003 ;
- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation ;
- condamner la société Casino Restauration au paiement de la somme de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Poppins expose en substance que :
- M. X, qui n'avait aucune expérience dans le domaine de la restauration, s'est adressé en toute confiance au groupe Casino, qui lui a vanté le potentiel exceptionnel de la ville de la Roche-sur-Yon en lui présentant l'étude de marché réalisée par la société Gira Conseil ;
- c'est sur la base de cette étude que la société Casino va établir un compte d'exploitation prévisionnel en évaluant le chiffre d'affaires prévisionnel à 9,9 millions de francs la première année avec un résultat de plus de 350 000 FF ;
- M. X a effectué un apport de 1,3 millions de francs, soit l'intégralité de ses économies, la société Poppins souscrivant un emprunt de 6 millions de francs ;
- la société Casino n'a pas prévu toutes les dépenses nécessaires (surveillance, sprinklers supplémentaires) et lui a délivré une formation trop pauvre, le logiciel Planexa de gestion du personnel ne lui étant pas fourni ;
- seulement après 15 jours d'ouverture, lui a été adressée une mise en demeure visant la clause résolutoire, ce qui montre que la société Casino voulait reprendre à son compte le projet, une fois les investissements réalisés ;
- le potentiel réel du restaurant était de 250 couverts/jour, et les opérations commerciales engagées par la société Casino n'ont pas été probantes, la distribution de cartes de réduction diminuant la marge commerciale ;
- la société Casino était tenue d'établir une étude de marché, d'autant qu'elle avait un réseau de plus de 200 restaurants en propre, avec un chiffre d'affaires moyen de 900 000 euros ;
- elle n'a pas indiqué que son chiffre d'affaires était en baisse depuis plusieurs années, le concept de la restauration libre-service étant dépassé et n'a pas tenu compte du concurrent Y, présent sur le site depuis 30 ans, et faisant partie du réseau Carrefour, ce qui rendait inatteignables les prévisions de chiffre d'affaires ;
- les fautes commises par le franchiseur sont ainsi directement à l'origine du préjudice allégué.
Dans ses conclusions du 21/01/2019, la société Agir (Gira Conseil) conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
- statuer ce qu'il appartiendra sur l'appel interjeté par la société Casino Restauration, sauf en ce qu'il tend à titre subsidiaire, à la condamnation de la société Gira Conseil ;
- décharger en toute hypothèse la société Agir de toutes condamnations :
- dire qu'elle-même ne saurait avoir engagé sa responsabilité au titre d'une étude de marché effectuée en mars 2001 à la demande de la société Casino Restauration et utilisée ultérieurement par cette dernière dans le cadre d'un projet ayant conduit en date du 16/04/2005 à la signature du contrat de franchise ;
- constater qu'elle-même est demeurée étrangère à toute discussion et analyse dans le cadre des pourparlers entre la société Casino Restauration et M. X ès qualité de gérant de la société Poppins ;
- constater qu'elle n'est pas intervenue dans le cadre de la mise en œuvre et de l'exécution du contrat de franchise ;
- dire que la société Agir ne saurait être tenu pour responsable d'avoir fourni une étude de marché irréaliste à M. X ès qualité de gérant de la société Poppins ;
- dire que la non obtention des résultats prévisionnels que M. X gérant de la société Poppins aurait fait siens en signant son contrat de franchise en avril 2002 ne saurait permettre d'inférer l'irréalisme des hypothèses avancées en mars 2001 par la société Agir ;
- subsidiairement, désigner un expert aux fins de donner son avis sur la pertinence et la rigueur scientifique de la méthode de travail utilisée par la société Agir et examiner si les conclusions de l'étude restaient pertinentes entre mars 2001 et avril 2002, date de l'ouverture du restaurant et si la société Casino Restauration devait actualiser l'étude de marché ;
- en tout état de cause, condamner la société Casino Restauration au paiement de la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle indique que :
- il ne s'agissait que d'une étude préliminaire à la fois compte tenu du laps de temps imparti et du fait que la commande était déconnectée de tout projet de franchise ;
- il a été indiqué la présence d'un concurrent, la cafétéria Y ;
- la société Casino était la mieux placée pour déceler la présence d'hypothèses irréalistes dans l'étude ;
- il ne pouvait, faute de précision, être tenu compte des produits à proposer à la clientèle, de leur prix, de la communication envisagée, alors que ces questions sont essentielles dans le cadre d'une véritable étude de marché ;
- la conjoncture économique avait sensiblement évolué depuis l'étude en raison de la survenance des attentats aux États Unis le 11/09/2001.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité de la société Casino Restauration
Au préalable, il sera constaté que seules sont déférées à la cour les demandes indemnitaires au titre du manquement par le franchiseur à son obligation d'information pré-contractuelle. Dès lors, il ne sera pas statué sur la rupture des relations contractuelles et ses conséquences.
L'article L. 330-3 du Code de commerce impose seulement au franchiseur de donner au candidat franchisé dans son document d'information pré-contractuelle toutes indications utiles quant à " l'état et les perspectives de développement du marché concerné ", ce qui le dispense de délivrer une véritable étude de marché ou des comptes prévisionnels.
Néanmoins, en l'espèce, les parties s'accordent sur le fait qu'ont été communiqués à M. X, avant la signature du contrat de franchise ((page 6 des conclusions Poppins et page 10 des conclusions Casino) par la société Casino Restauration l'étude réalisée par la société GIRA d'une part, et des comptes prévisionnels d'autre part, faisant état d'un chiffre d'affaires de 9,9 millions d'euros.
Dès lors, la société Casino Restauration, qui avait décidé de fournir au candidat franchisé ces études et comptes, se devait d'en vérifier leur caractère réaliste, puisque ces documents étaient destinés à permettre à M. X d'apprécier réellement et en toute connaissance de cause la rentabilité de son entreprise, étant relevé qu'elle possédait nécessairement une connaissance exacte de son marché, puisqu'elle exploitait en propre un grand nombre d'établissements similaires, qu'elle avait des franchisés gérant des établissements importants, et qu'elle les approvisionnait elle-même en marchandises, ce qui lui donnait ainsi une connaissance fine des contraintes de ce type d'établissement.
Par ailleurs, s'agissant d'un franchisé profane, (M. X a travaillé dans le secteur commercial, notamment dans les assurances, et était vendeur chez Carrefour depuis 2000 dans le secteur de l'informatique, sa formation étant le marketing, la logistique et la distribution), la société Casino Restauration était la mieux à même d'appréhender les perspectives de rentabilité de l'entreprise envisagée.
Il résulte des pièces du dossier que :
- l'étude GIRA ne pouvait qu'être sommaire, étant plus une étude exploratoire qu'une étude de marché précise, puisqu'elle [sic] concept de restauration n'était pas précisé dans le détail, (la société Casino Restauration a plusieurs types de cafétérias, de plus ou moins grande importance, avec divers types de produits servis à la clientèle, qui peuvent en outre être couplées avec un service de restauration rapide, " Cœur de Blé ", comme en l'occurrence, ou un bar), avec une incidence sur le chiffre d'affaires et le type de clientèle attendu ;
- de même, la surface réelle exploitable n'était pas connue avec précision, alors que chaque place assise en plus ou en moins a une répercussion économique ;
- depuis la réalisation de l'étude, le marché de la restauration sur la Roche-sur-Yon avait profondément évolué : la chambre de commerce et d'industrie de la Vendée a réalisé une étude sur " la restauration en pays yonnais " (pièce 29 Poppins) en janvier 2001, d'où il ressort que si le nombre d'habitants par restaurant est largement supérieur à la moyenne des villes françaises similaires (679 pour une moyenne de 339), ce qui laissait supposer un marché potentiel important, cette situation n'avait pas échappé à des franchises, puisque un établissement Quick a ouvert en janvier 2001, un restaurant " La Boucherie " devait ouvrir en mai 2001, un " Tex Mex " en avril, avec un outre la volonté du centre Leclerc des Oudairies d'implanter une petite restauration rapide ;
- une lecture attentive de l'étude GIRA montrait que des risques importants étaient à prendre en compte : les habitants de l'agglomération peuvent facilement rentrer déjeuner chez eux, travaillant en moyenne plus près de leur domicile que les autres français, la ville de Roche-sur-Yon ne fait pas partie de la Vendée touristique, ce qui rend problématique la restauration du soir, la configuration des lieux était à améliorer par la création d'un passage sous verrière reliant la galerie commerciale et l'hypermarché Carrefour (projet qui ne s'est pas réalisé) et surtout il y est souligné qu'existe sur dans la même zone commerciale, à une cinquantaine de mètres, une cafétéria importante, Y, intégrée à l'hypermarché Carrefour, réalisant un chiffre d'affaires d'environ 10 millions de francs pour 380 places assises, avec un agrandissement prévu à 450 places ;
- le site sur lequel a été implanté la cafétéria n'était pas très visible de la clientèle, puisque situé en bout de galerie marchande, les commerces de celle-ci ferment à 19 heures, ce qui rend illusoire toute restauration le soir, le nombre de places réelles est inférieur à celles théoriques de 288, puisque 24 sont dédiées au stand de restauration rapide Cœur de Blé, et que 24 sont dans le couloir de la galerie marchande, ce qui limite la capacité du magasin à un peu plus de 550 couverts à midi, alors que les calculs prévisionnels étaient fondés sur plus de 900 couverts/jour ;
- c'est la société Casino qui a déterminé le nombre de salariés nécessaires ainsi que le volume des marchandises à acheter, ces chiffrages ayant été effectués d'après ses comptes prévisionnels, ce qui est à l'origine des pertes d'exploitation des premiers mois, alors pourtant que la cafeteria concurrente, Y, n'avait pas encore réouvert.
Or, si dès l'ouverture, la société Poppins s'est trouvée en difficulté, c'est en raison de ses sureffectifs (38 salariés au lieu de 28 suffisants) et d'achats inutiles (il est indiqué dans la pièce 31 Poppins, non utilement contredite sur ce point que des marchandises d'une valeur de 61 000 euros avaient dû être jetées), étant relevé qu'en vertu du contrat de franchise, la société Casino Restauration avait délégué une équipe pour lancer la cafétéria, M. X étant assisté par son franchiseur jusqu'au 01/07/2002.
Cette situation est à même d'expliquer le désarroi de M. X, qui a demandé à la société Casino de l'aide, étant observé que le manager délégué n'a pas pris les décisions de restructuration nécessaires. En effet, selon les ratios du franchiseur, la marge opérationnelle devait être de 70 % alors qu'elle n'atteignait que 52 % et la masse salariale ne devait pas dépasser 30 % du chiffre d'affaires, alors qu'elle a dépassé 40 %.
De même, il n'est pas expliqué en quoi l'absence d'inventaires était de nature à empêcher toute analyse de la rentabilité.
La faute ou la carence du dirigeant de la société Poppins ne pourront donc être retenues.
Dans ces conditions, même si la cafétéria a dégagé un chiffre d'affaires honorable, (5 133 860 FF au 31/12/2002), il n'a représenté que 72 % du chiffre d'affaires prévisionnel, présenté pourtant comme étant l'hypothèse prudente, ce qui a compromis la viabilité de l'exploitation, la trésorerie de la société Poppins ne pouvant faire face aux pertes d'exploitation qui l'ont amenée à se déclarer en cessation de paiement.
Dans ces conditions, la société Casino a manqué à son devoir d'informer exactement et sérieusement le candidat franchisé, et doit être tenue pour responsable du préjudice subi à ce titre par la société Poppins.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur le préjudice subi par la société Poppins
Il s'analyse en la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à d'autres conditions, étant observé que le projet, dimensionné autrement, aurait pu être viable, la réparation d'une perte de chance devant être mesurée à la chance perdue et ne pouvant être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
En l'espèce, la société Poppins a réalisé des investissements importants qu'elle n'a pas amortis et elle a réglé un droit d'entrée, pour un montant total de 1 072 302 euros. Si elle avait été pleinement informée, elle n'aurait eu que 1/3 de chance de contracter selon les modalités du contrat de franchise signé et d'engager ces investissements qui se sont avérés perdus. Dans ces conditions, la société Casino Restauration sera condamnée à payer à la société Poppins, représentée par son liquidateur, la somme de 714 868 euros à titre de dommages intérêts. En revanche, il ne sera pas tenu compte des pertes d'exploitation, qui n'ont pas trait à la conclusion du contrat lui-même, mais à ses suites.
Sur la responsabilité de la société GIRA
Il résulte du dossier que si celle-ci a rédigé une étude aboutissant à des perspectives très optimistes, cette étude n'était pas destinée à un franchisé, mais à permettre à la société Casino de s'assurer de la viabilité d'un projet de cafétéria dans la galerie marchande des Flâneries à la Roche-sur-Yon.
Malgré ses conclusions faisant état d'un chiffre d'affaires potentiel très élevé, cette étude ne comporte pas d'erreurs majeures, puisque :
- au printemps 2001, la zone de chalandise à prendre en compte comptait environ la moitié moins de restaurants par rapport à la population que dans le reste du territoire français, ce qui augurait de perspectives encourageantes ; du reste, d'autres chaînes de restaurants ne s'y sont pas trompées, en s'implantant dans la région à la même époque ;
- les difficultés auxquelles s'est heurtée la société Poppins par la suite ont pour origine au moins partielle des risques énoncés dans l'étude de nature à minorer fortement le chiffre d'affaires attendu, qu'une lecture attentive faite par un professionnel comme l'est la société Casino Restauration pouvait mettre en évidence : la concurrence directe de la cafétéria Y, les travaux à réaliser pour une bonne visibilité et accessibilité du commerce à implanter, le peu de potentiel d'une restauration le soir, le fait que beaucoup de salariés sur la zone peuvent déjeuner chez eux ;
- la réussite d'un établissement tient à son format, qui implique un nombre de salariés correspondant et un volume d'achat adéquat ; or, il n'a pas été communiqué à la société GIRA le type de cafétéria envisagé, alors que la société Casino Restauration a élaboré plusieurs modèles, générant des chiffres d'affaires différents, ni le positionnement en matière de prix, ni la communication et la démarche commerciale envisagées ;
- il ne s'est agi ainsi que d'une étude préparatoire, qui devait nécessairement être complétée lors de l'élaboration d'un projet d'implantation précis, tenant compte de l'évolution de la situation au moment de la signature du contrat de franchise, notamment concernant l'évolution de la conjoncture économique, du mode de vie des consommateurs, de la concurrence locale et des travaux de rénovation de l'hypermarché et de la galerie commerciale.
Dans ces conditions, la société GIRA, qui n'était débitrice que d'une obligation de moyen, s'est acquittée de sa mission en appliquant une méthodologie classique, en mettant en évidence les points forts et faibles du projet envisagé, et en rédigeant une étude permettant à un décideur averti comme l'était son commanditaire, de poursuivre ou non son projet, la société Casino Restauration ne pouvant se contenter de cette étude sommaire pour établir un plan d'affaires prévisionnel précis.
Elle sera en conséquence mise hors de cause, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles
L'équité commande une application modérée des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile exposés par les intimés.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Réforme partiellement le jugement déféré mais statuant sur le tout pour une meilleure compréhension de la décision, Dit que la société Casino Restauration a commis une faute dans l 'information pré-contractuelle de la société Poppins, La condamne à réparer le préjudice subi par la société Poppins résultant de la perte de chance de ne pas contracter, Condamne la société Casino Restauration à payer à la société Poppins, représentée par son liquidateur, Me Pelletier, les sommes suivantes : - 714 868 euros à titre de dommages intérêts, - 10 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile, Met hors de cause la société Agir, Condamne la société Casino Restauration à payer à la société Agir la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens, Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer les dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.