CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 5 avril 2019, n° 17-14933
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
GL Events Exhibitions (SA)
Défendeur :
One 8 Media (SARLU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaber
Conseillers :
Mmes Lehmann, Barutel
Avocats :
Mes De Moulins Beaufort, Hugot
Sur ce, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées de la société GL.
Il sera simplement rappelé que la société GL, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Lyon depuis le 31 janvier 1991 est une société spécialisée dans l'événementiel.
En 2007, la société GL est venue aux droits d'une société Agor qui avait embauché suivant contrat à durée indéterminée du 2 juin 2002, M. B F, en qualité de responsable commercial.
Le contrat de travail de M. F a été poursuivi par la société GL qui l'a promu par avenant à son contrat de travail, à compter du 1er septembre 2013, directeur d'établissement. L'avenant prévoyait une clause de confidentialité, une clause de non-concurrence et une clause de secret professionnel.
La société GL indique animer trois fois par an depuis 15 ans, aux mois de janvier, mai et septembre, un salon dénommé "J", en région parisienne, destiné aux importateurs dans le domaine du marché de la maison, de la famille et du jardin et précise que depuis 2009 le salon propose un "univers Destock by Tradexpo", espace consacré au déstockage et à la démarque. Elle précise que sous ses différents titres et fonctions, M. F a été l'organisateur et le responsable des salons J de 2002 à mars 2014.
Le 10 mars 2014, la société GL a notifié à M. F son licenciement pour faute grave lui reprochant son refus de suivre la politique de l'entreprise. Au terme de sa lettre de licenciement, Monsieur F a été expressément relevé de l'application de la clause de non-concurrence figurant dans son contrat de travail en ces termes : " Par la présente, nous vous délions de toute clause de non-concurrence qui pourrait exister. En conséquence, aucune contrepartie de non-concurrence ne vous sera due. "
Par jugement du 30 octobre 2015, le conseil de prud'hommes n'a pas retenu la faute grave mais le seul caractère sérieux du licenciement et a condamné la société GL à payer diverses sommes à M. G
Le 30 avril 2014, M. F a créé la société One 8 spécialisée dans l'organisation de foires, de salons professionnels et de congrès.
Par un courriel en date du 5 mai 2014, dont l'envoi lui est reproché par la société GL dans le cadre de la présente procédure, la société One 8 a annoncé sous la plume de M. F le départ de celui-ci de la société GL, la création de One 8 et la tenue à venir de deux salons Welc'home et Stock Free du 5 au 7 septembre 2014.
Par courrier du 16 mai 2014, Maître Jean Marc Moinard, avocat de la société GL reprochait à M. F et à sa société de vouloir créer une manifestation concurrente à J dont il avait la charge pour la société GL et les mettait en demeure de cesser ces agissements consistant à désorganiser la société GL. Il terminait son courrier en indiquant qu'il en adressait copie à tous les membres du syndicat CGI dont il est l'avocat.
Le 10 juillet 2014, Maître Moinard adressait un courrier aux adhérents du syndicat CGI rappelant son attachement aux salons J et les informant qu'il allait intenter une action en justice à l'encontre de M. E à la demande de la société LG.
Par acte d'huissier du 28 juillet 2014, la société GL a fait assigner la société One 8 devant le Tribunal de commerce de Paris en concurrence déloyale. Aux termes de ses dernières écritures devant le tribunal, elle lui reprochait un détournement de fichiers clients et prospects par M. H, la lettre circulaire du 5 mai 2014 qualifiée de dénigrement, la volonté de vouloir créer la confusion entre J et les salons organisés par la société One 8. La société One 8 formait une demande reconventionnelle en dénigrement du fait des courriers des 16 mai et 10 juillet adressés par Maître Moinard.
Le jugement déféré du 19 juin 2017 a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société One 8, débouté la société GL de l'intégralité de ses demandes, condamné la société GL à payer à la société ONE 8 la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dénigrement, celle de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
Sur les demandes formées par la société GL à l'encontre de la société One 8
Sur la concurrence déloyale
La société GL impute à la société One 8 des actes de concurrence déloyale sous quatre angles, le dénigrement, le détournement de clientèle et prospects, des annonces trompeuses de salons fictifs et l'utilisation illicite de la dénomination Stocklots.
Sur le dénigrement et le détournement de clientèle et prospects
La société GL reproche l'envoi le 5 mai 2014, par mails, d'une lettre circulaire adressée par M. F au nom de la société One 8 annonçant son départ de la société GL, la création de One 8 et présentant deux salons organisés par One 8 Welc'home et Stock Free en ces termes :
"Comme vous le savez, je ne travaille plus chez GL events et je souhaitais vous remercier de la confiance que vous m'avez accordée au long des 12 années que j'ai passées sur J.
Pendant ces 12 années, j'ai toujours cherché à rester à votre écoute pour apporter les meilleures solutions à vos besoins. Pour autant, et même en tant que patron de ce salon, il me fallait concilier avec les intérêts du groupe qui m'employait. Mais face à certaines décisions incohérentes en interne, les relations se sont dégradées et une page s'est tournée.
Et voici une nouvelle page qui s'ouvre !
En tant que fondateur de la Société One 8 Media, j'ai souhaité mettre à votre profit mes 18 années d'expérience dans l'organisation d'évènements, ainsi que mon expertise marché, grâce à ces 12 dernières années passées dans l'univers de la distribution.
En tant qu'indépendant, et grâce à un modèle économique adapté, je suis dans une logique commerçante et cohérente avec le marché. En effet, One 8 Media n'a de compte à rendre qu'à ses clients, et son seul objectif est d'investir dans ses salons pour en faire une place de marché accélératrice de business.
Vous pourrez constater sur les contrats de participation ci joints que les tarifs appliqués défient toute concurrence, sans pour autant lésiner sur les services exposants/visiteurs, bien au contraire, comme vous pourrez le voir sur les présentations jointes.
Je suis ravi de partager cette nouvelle opportunité avec vous, et de poursuivre une relation, qui, j'en suis sûr, dans ce nouveau contexte, ne pourra qu'être encore plus fructueuse.
En vous remerciant de votre confiance inaltérée, je me tiens à votre disposition pour plus d'informations et vous prie de recevoir, Y exposant, Y partenaire, mes salutations les plus sincères ".
M. F qui n'était tenu par aucune clause de non-concurrence vis à vis de la société GL était en droit de créer la société One 8, de poursuivre avec elle une activité concurrente à la société GL et d'adresser aux contacts qu'il a constitués tout au long de sa carrière professionnelle un courrier pour leur annoncer sa nouvelle situation professionnelle, la création de son entreprise et présenter l'activité qui serait la sienne.
Ainsi que l'a retenu le tribunal le seul fait de mentionner par ce courrier l'existence au sein de la société GL de " certaines décisions incohérentes en interne" ne constitue pas à lui seul un dénigrement des dirigeants ou des produits de la société GL mais a pour but d'expliquer les raisons de son départ qu'il expose ensuite dans les limites acceptables de la promotion de sa société qu'il décrit comme "un modèle économique adapté, ' dans une logique commerçante et cohérente avec le marché.... n'a de compte à rendre qu'à ses clients, et son seul objectif est d'investir dans ses salons pour en faire une place de marché accélératrice de business. " et proposant des tarifs qui "défient toute concurrence, sans pour autant lésiner sur les services exposants/visiteurs".
La société GL prétend que la société One 8 a utilisé ses fichiers clients et prospects d'exposants et de visiteurs transmis par M. F en violation de ses obligations contractuelles, et a ainsi pu détourner la clientèle de la société GL.
Pour autant, la société GL n'apporte pas la preuve que le courrier du 5 mai 2014 ait été adressé par l'utilisation de son fichier client et non comme l'indiquait la société One 8 en première instance en raison du savoir-faire et des contacts de M. D sans que les les clients de la société GL aient été ciblés spécifiquement.
Elle ne justifie pas non plus que ce courrier ait eu un effet négatif sur ses clients ni que ceux ci aient cessé de travailler avec elle pour rejoindre la société One média.
La société GL a par ailleurs fait constater, en cause d'appel, par un constat d'huissier de justice en date du 1er août 2017 qu'une enveloppe non ouverte jusqu'au jour du constat adressée le 1er août 2014 à " CGI, M. A B C " contenait une invitation pour les salons organisés par la société One 8 du 3 au 5 septembre, alors que M. A B C était l'avocat de la société GL et que son nom n'était associé à la Confédération Générale des Importateurs (CGI), dont il n'est pas un dirigeant, que dans le fichier GL.
Cependant, Maître Moisnard s'était clairement présenté, notamment dans son courrier de mise en demeure du 16 mai 2014 adressé à M. F, comme l'avocat du syndicat CGI et avait indiqué envoyer copie de sa lettre à l'ensemble des membres de ce syndicat.
Ainsi, le fait qu'une invitation a été reçue par Maître Moinard en cette qualité, n'est pas le signe d'une utilisation illicite du fichier client de la société GL.
Sur les annonces trompeuses de salons fictifs
La société GL reproche encore à la société One 8 d'avoir annoncé l'organisation d'un certain nombre de salons Welc'home et Stock Free qui ne se sont finalement pas tenus s'agissant notamment de salons annoncés pour septembre 2014, janvier 2015, novembre 2016 et février 2017.
Pour autant aucun des éléments produits aux débats ne permettent de justifier d'une intention frauduleuse ou d'une intention de nuire, ni de tromper, de la société One 8 s'agissant des agissements décrits.
Sur l'utilisation illicite de la dénomination Stocklots
De même l'utilisation fautive du terme Stocklots par la société One 8 n'est pas justifiée par les éléments produits aux débats, et ce alors même que la société GL n'en avait pas fait état en première instance et n'a formé aucune demande au titre de la contrefaçon des marques française et internationale Stocklots qu'elle justifie avoir déposées respectivement les 2 août et 21 décembre 2012.
En outre aucun risque de confusion entre les salons de la société One 8 et ceux de la société GL n'est justifié du fait de l'utilisation reprochée.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société GL de ses demandes au titre de la concurrence déloyale.
Sur le parasitisme
La société GL reprend à l'encontre de la société One 8 les reproches déjà étudiés au titre de la concurrence déloyale, de faits de dénigrement par l'envoi de la lettre du 5 mai 2014, de reprise de dénomination Stocklots, pour lesquels il sera renvoyé aux précédents développements concluant à l'absence de faute.
Elle y ajoute le reproche d'avoir créé des salons similaires aux siens et d'avoir tenté de travailler avec les mêmes partenaires qu'elle alors même que la confusion entre les deux activités au yeux du public n'est pas démontrée et qu'il a déjà été indiqué que la société One 8 était en droit d'exercer une activité concurrente, de rechercher la même clientèle et de conclure avec les mêmes partenaires sauf à démontrer un comportement fautif, ce qu'elle échoue à établir.
Elle allègue enfin que la société One 8 aurait repris les conditions générales de participation par elle établies.
Toutefois, outre le fait que non l'intégralité mais seulement des parties de celles-ci sont identiques, la cour constate que ces conditions sont banales, ne sont l''œuvre d'aucune originalité et que leur reprise partielle ne peut dès lors être considérée comme fautive, ni constitutive d'un préjudice particulier subi par la société GL
La société GL sera donc déboutée de ses demandes au titre du parasitisme, le jugement dont appel étant également confirmé de ce chef.
Sur la violation de sa base de données
La société GL invoque nouvellement en cause d'appel l'application à son profit des articles L112-3 du Code de la propriété intellectuelle protégeant au titre du droit d'auteur une base de données et de l'article L342-1 du même Code protégeant le producteur de cette base.
Elle soutient que sa demande ne constitue pas une demande nouvelle au sens de l'article 563 du Code de procédure civile et serait ainsi recevable en cause d'appel dès lors qu'elle avait déjà dans le cadre des reproches formulés au titre de la concurrence déloyale fait état devant le tribunal de commerce d'un détournement de son fichier clients.
Pour autant si l'action en concurrence déloyale exige une faute au sens de l'article 1240 du Code civil, les actions fondées sur les articles susvisés du Code de la propriété intellectuelle concernent l'atteinte à des droits privatifs, ces deux actions procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins. Au surplus de telles actions mettant en jeu le Code de la propriété intellectuelle ne pouvaient au surplus être présentées devant un tribunal de commerce, étant de la compétence exclusive de certains tribunaux de grande instance.
Dès lors, et contrairement aux allégations de la société GL, ces demandes sont nouvelles au sens de l'article 563 du Code de procédure civile et irrecevables en cause d'appel.
Sur la condamnation pour dénigrement de la société GL par le jugement
La société GL demande l'infirmation de la condamnation pour dénigrement prononcée à son encontre par le jugement.
Le tribunal a condamné la société GL à payer à la société One 8 une somme de 100 000 euros en ces termes :
" Attendu que l'envoi par GL Events aux membres de la CGI le 10 Juillet 2014 a jeté le discrédit sur One 8 Media en informant ceux-ci d'agissements frauduleux de One 8 Media et de l'action judiciaire en cours ; que ce courrier adressé à un public potentiellement client de One 8 Media va plus loin qu'une simple information ;
Attendu que One 8 Media a lancé en mai 2014 un salon 'Stock Free' dont la première édition a eu lieu en septembre 2014 et que cette appellation n'a pas été abandonnée lorsque ce salon a été rebaptisé Welc'Home ; que GL Events, qui disposait d'une marque déposée en 2009 'Destock'Expo' a renommé son salon J en 'I Z X J' en juin 2015 et a organisé son salon de déstockage en se rapprochant géographiquement de One 8 Média, ce qu'elle justifie par des considérations économiques qu'elles avaient pourtant déniées à One 8 Media;
Attendu qu'en dénigrant One 8 Media, GL Events a commis une faute ...".
Ainsi, le tribunal a retenu que l'envoi par la société GL aux membres de la CGI le 10 Juillet 2014 a jeté le discrédit sur la société One 8 en les informant d'agissements frauduleux et de l'action judiciaire en cours et que ce courrier adressé à un public potentiellement client de la société One 8 va plus loin qu'une simple information.
Pour autant, la cour constate que rien ne permet d'imputer à la société GL l'envoi de ce courrier qui émane de Maître Moisnard et est adressé aux adhérents du syndicat dont il semble être l'avocat, lequel n'indique à aucun moment écrire au nom ou dans l'intérêt de la société GL.
Le tribunal énonce par ailleurs que la société One 8 a lancé en mai 2014 un salon Stock Free dont la première édition a eu lieu en septembre 2014 et que cette appellation n'a pas été abandonnée lorsque ce salon a été rebaptisé Welc'home et que la société GL a renommé son salon J en I Z X J en juin 2015 et a organisé son salon de déstockage en se rapprochant géographiquement de la société One 8, sans d'ailleurs expressément retenir une faute de parasitisme qu'il semble pourtant évoquer.
La société GL dément fermement ces affirmations et précise que la société One 8 n'a organisé de salon Stock Free ni en 2014 ni en 2015, contrairement à ses annonces trompeuses, et n'a organisé son premier salon Stock Free qu'en juin 2016, soit un an après le salon I Z X J. Elle justifie en outre que l'utilisation par elle de la dénomination I Z X J s'inscrit dans la lignée des appellations qu'elle utilisait antérieurement telles Stock lots, Destock by tradexpo ou encore Destock'Expo.
La cour n'est par ailleurs pas en mesure de savoir sur quels éléments communiqués en première instance par la société One 8, le tribunal s' est fondé pour évoquer le parasitisme, qu'au demeurant il n'a pas spécifiquement retenu.
Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il a condamné la société GL à des dommages et intérêts au profit de la société One 8.
Sur les autres demandes
A titre subsidiaire, la société GL demande à la cour que si, malgré toutes les preuves qu'elle considère avoir apportées, elle l'estime approprié, elle enjoigne à la société One 8 de communiquer ses fichiers exposants/visiteurs et désigne un expert judiciaire afin d'en effectuer une comparaison avec les siens.
Pour autant, il appartient à la société GL, demanderesse et appelante de supporter la charge de la preuve des faits qu'elle allègue sans qu'il puisse y être remédié par des injonctions données à la partie adverse ou par une mesure d'expertise.
Il ne sera dès lors pas fait droit à ces demandes.
La société GL sera condamnée aux dépens d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société GL Events Exhibitions à payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts à la société One 8 Média, et le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau sur le chef infirmé, et y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à condamnation de la société GL Events Exhibitions à paiement de dommages et intérêts, Rejette toutes autres demandes de la société GL Events Exhibitions contraires à la motivation, Condamne la société GL Events Exhibitions aux dépens.