CA Grenoble, ch. com., 11 avril 2019, n° 16-00464
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
JC Matériels (SARL)
Défendeur :
Curty Matériels (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Clozel Truche
Conseillers :
Mmes Pages, Blanchard
Avocats :
Mes Kanedanian, Moreira, Grimaud, Meilhac
La société Curty Matériels commercialise du matériel pour travaux publics et notamment des machines pour l'extraction, la construction et le génie civil.
La société JC Matériels a pour activité la représentation commerciale et le négoce de matériel de travaux publics.
Selon contrat en date du 2 octobre 2011, la société Curty Matériels et la société JC Matériels concluent un contrat d'agent commercial aux termes duquel la première confie à la seconde et de manière exclusive la commercialisation de matériels pour travaux publics sur le territoire constitué par l'Isère (38) et la Loire (42) et à durée indéterminée.
Par courrier recommandé en date du 29 mars 2013, la société Curty Matériels indique à son agent commercial qu'elle met fin au contrat et à compter de la réception de la présente lettre et refuse de lui verser la moindre indemnisation faisant valoir des fautes de l'agent commercial, refuse de lui verser les commissions demandées au titre de ventes réalisées en violation de l'exclusivité prévue au contrat.
En réponse, la société JC Matériels prend acte de la rupture puis fait citer la société Curty Matériels devant le tribunal de commerce de Vienne par assignation en date du 4 février 2014 en vue de sa condamnation en paiement de commissions impayées à hauteur de la somme de 14 800 euros, d'une indemnité compensatrice de préavis de 2 538 euros, d'indemnité compensatrice de rupture de 30 466 euros, de dommages et intérêts de 5 000 euros, de frais non remboursées de 6 800 euros et une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le jugement du tribunal de commerce de Vienne en date du 25 juin 2015
- déclare recevable et bien fondée la demande de la société JC Matériels
- dit que la société JC Matériels n'a pas commis de faute grave dans l'exécution de son mandat
- déboute la société JC Matériels de sa demande au titre du paiement de commissions sur les ventes réalisées en direct par la société Curty Matériels
- condamne la société Curty Matériels à verser à la société JC Matériels la somme de 800 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis soit deux mois et pour un montant moyen mensuel de commissions de 400 euros
- déboute la société JC Matériels de sa demande d'indemnité compensatrice de rupture
- déboute la société JC Matériels de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive
- déboute la société JC Matériels de sa demande en paiement au titre des frais non remboursés
- ordonne l'exécution provisoire
- condamne la société Curty Matériels à payer à la société JC Matériels la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
La SARL JC Matériels relève appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 29 janvier 2016 et intime la SA Curty Matériels.
Par un jugement en date du 14 juin 2016, le tribunal de commerce de Vienne saisi d'une requête en omission de statuer dit sur la demande reconventionnelle de la SA Curty Matériels que cette dernière est déboutée de sa demande en remboursement de la somme de 30 800 euros au titre de règlement indu des factures de frais non justifiés de novembre 2011 à décembre 2012.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 29 avril 2016, la SARL JC Matériels fait valoir la recevabilité et le bien-fondé de son appel
elle demande de constater qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat d'agent commercial la liant à la SA Curty Matériels.
Par conséquent, elle demande l'infirmation du jugement contesté
elle demande de
- condamner la SA Curty Matériels à lui payer la somme de 14 800 euros au titre de commissions restées impayées
- condamner la SA Curty Matériels à lui payer la somme de 2 538 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- condamner la SA Curty Matériels à lui payer la somme de 30 466 euros à titre d'indemnité compensatrice de rupture
- condamner la SA Curty Matériels à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
- condamner la SA Curty Matériels à lui payer la somme de 6 800 euros pour des frais non remboursés
- débouter la SA Curty Matériels de l'ensemble de ses demandes
- condamner la SA Curty Matériels à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle conteste avoir commis l'exécution d'une quelconque faute dans l'exécution de son mandat.
Elle fait valoir que l'absence de comptes rendus hebdomadaires ne peut justifier d'une faute grave de nature à permettre la rupture du contrat d'agent commercial.
Elle précise qu'elle justifie au contraire de l'envoi six mois avant la rupture de la relation contractuelle de comptes rendus mensuels à son mandant et que son gérant rendait chaque semaine compte oralement de l'état de ses démarches auprès de la clientèle.
Elle conteste la mauvaise qualité des comptes rendus et la falsification de documents pour émettre des offres de prix avantageuses.
Elle ajoute que l'exercice d'une activité concurrente n'est pas justifiée.
Elle demande le paiement des frais en application du contrat d'agent commercial prévus dans la limite de la somme de 2 200 euros HT par mois, sans avoir à produire de justificatifs et restés impayés de décembre 2012 à mars 2013, soit la somme de 6 800 euros.
Elle fait valoir le caractère abusif de la résiliation du contrat en l'absence de grief sérieux et brutale faute de préavis.
Elle demande le paiement des commissions par la partie adverse correspondant aux ventes effectuées directement par son mandant et ce, contrairement aux dispositions contractuelles.
Elle conteste l'opposabilité de l'annexe 3 n'étant pas signée par elle et ne lui ayant pas été communiquée, ne permettant dès lors pas à la partie adverse de s'en prévaloir.
Elle sollicite une indemnité compensatrice de rupture chiffrée à hauteur de la somme de 30 466 euros, soit une moyenne de commissions sur deux ans, la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu des circonstances de la rupture, une indemnité compensatrice de préavis de 2 538 euros, soit deux mois de commissions.
Elle conclut enfin à la confirmation de la demande reconventionnelle de la SA Curty Matériels au titre du remboursement des frais.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 24 juin 2016, la SA Curty Matériels demande la confirmation du jugement contesté en ce qu'il déboute la SARL JC Matériels de ses demandes en paiement au titre de commissions réalisées par la SA Curty Matériels, au titre de l'indemnité compensatrice de rupture, en dommages et intérêts pour rupture et en paiement de frais non remboursés et son infirmation pour le surplus.
Elle demande de dire et juger que la SARL JC Matériels a commis des fautes graves dans l'exécution de son mandat justifiant la résiliation sans indemnité.
Elle demande la condamnation de la SARL JC Matériels à lui payer la somme de 30 800 euros au titre de règlement de factures indues de novembre 2011 à décembre 2012.
À titre subsidiaire, elle demande de limiter l'indemnité compensatrice de préavis sur la base du montant mensuel moyen de commissions de 400 euros HT.
Elle demande la condamnation de la SARL JC Matériels à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'annexe 3 du contrat d'agent commercial conclu entre les parties mentionne la liste des clients historiques de la SA Curty Matériels, opposable à l'agent commercial bien que non signée par les parties car visée par le contrat ne permettant dès lors pas à l'agent commercial de solliciter le paiement des commissions relatives aux ventes faites par son mandant aux clients visés à cette annexe.
Elle conteste devoir prendre en charge les frais demandés en l'absence de justificatifs produits.
Elle fait valoir l'existence de fautes graves justifiant le défaut de paiement d'une indemnité de rupture à son agent commercial soit l'absence de comptes rendus hebdomadaires et le défaut d'informations de ces comptes rendus et l'exercice d'une activité concurrente.
Elle demande de faire droit à sa demande reconventionnelle rejetée par le jugement du 14 janvier 2016 au titre du remboursement des frais versés.
L'affaire est clôturée par ordonnance en date du 25 octobre 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande en paiement de commissions par la SARL JC Matériels à la SA Curty Matériels à hauteur de la somme de 14 800 euros :
Il est constant que la SA Curty Matériels a vendu 12 matériels objet du contrat durant la période d'exécution du contrat d'agent commercial entre les parties.
Le contrat d'agent commercial conclu entre les parties en date du 2 octobre 2011 prévoit une exclusivité au profit de l'agent commercial pour la vente des matériels objet de ce contrat sur le territoire de l'Isère et la Loire et mentionne en page 4 article 3 au titre des obligations de l'agent commercial que "le mandant souhaite conserver la vente directe auprès des clients dont la liste figure en annexe", que l'agent commercial aura l'exclusivité "hormis pour les clients de Curty Matériels désignés au point 1 ci-dessus", et en page 7 au titre des obligations du mandant que le mandant s'interdit de vendre des matériels objet du contrat sur le secteur de l'agent commercial "hormis pour les clients désignés à l'article 3-1, ce que l'agent commercial accepte expressément" et en page 11 mentionne l'annexe 3 intitulée liste des clients dont Curty Matériels conserve la vente directe sur le territoire contractuel.
Dans ces conditions le contrat d'agent commercial en date du 2 octobre 2011 prévoyant explicitement la possibilité pour le mandant de procéder à des ventes de matériels objet de ce contrat aux clients mentionnés sur la liste de l'annexe 3 est opposable à l'agent commercial signataire du contrat mentionnant expressément cette annexe.
La vente des 12 matériels par le mandant à des clients mentionnés par cette annexe ne peut dès lors être contraire aux dispositions contractuelles et justifier la demande en paiement des commissions correspondantes par l'agent commercial.
Le jugement contesté ayant rejeté ce chef de demande sera confirmé de ce chef.
Sur la demande en remboursement de frais :
Le contrat d'agent commercial conclu entre les parties mentionne en page 5 au titre des frais que le mandant s'engage à prendre en charge une partie des frais de fonctionnement engagés par l'agent dans le cadre de sa mission (frais de représentation...), dans la limite d'un montant de 2 200 euros HT par mois.
La SA Curty Matériels est dès lors obligée au paiement de la somme mensuelle prévue au contrat à sa charge au titre des frais, les parties n'ayant pas conditionné ce versement par ailleurs plafonné à la production de justificatifs par l'agent commercial et le mandant ayant procédé à ce versement mensuel en exécution du contrat sans exiger un quelconque justificatif et jusqu'au mois de décembre 2012.
Il sera dès lors fait droit à la demande en paiement à ce titre soit les frais de décembre 2012 à mars 2013 et à hauteur de la somme de 2 200 euros par mois soit la somme totale de 6 800 euros.
Le jugement contesté ayant rejeté cette demande sera infirmé de ce chef.
Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de rupture :
L'article L. 134-12 du Code de commerce énonce qu'en cas de cessation des relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi et l'article L. 134-13 que la réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
La faute grave et de nature à exonérer le mandant du versement de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi lors de la cessation du contrat d'agent commercial est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel et non pas le simple manquement aux obligations contractuelles qui justifient la rupture du contrat.
L'article 5 du contrat prévoit l'obligation à la charge de l'agent commercial de rendre compte au mandant chaque semaine par un compte rendu d'activité ainsi qu'un relevé indiquant les commandes passées pour le compte du mandant, la nature des produits et le prix d'acquisition, les modalités de paiement et la date de conclusion des commandes.
Il résulte des pièces versées aux débats qu'en exécution de cette obligation, l'agent commercial a établi 5 comptes rendus (juin 2012, octobre 2012, décembre 2012, janvier 2013 et février 2013) et au cours des six derniers mois du contrat et ne mentionnant pas l'ensemble des informations prévues par l'article susvisé et justifiant d'un manquement contractuel de l'agent commercial s'agissant de simples négligences de la part de l'agent commercial dans son obligation de rendre compte, tolérées par son mandant pendant plusieurs mois faute de demandes ou reproches émanant de ce dernier réclamant ces comptes rendus mais n'est dès lors pas de nature à porter atteinte à la finalité du mandat.
La SA Curty Matériels ne justifie par aucun élément l'exercice par la SARL JC Matériels d'une activité concurrente soit la vente de matériel de marque Hyunday et non acquis auprès de son mandant par ailleurs, l'appelante peut exercer une autre activité que celle d'agent commercial.
Il n'est dès lors pas justifié par la SA Curty Matériels de l'exercice par la SARL JC Matériels d'une activité concurrente de son mandant.
Il n'est dès lors pas démontré par la SA Curty Matériels d'une quelconque faute grave à l'encontre de son agent commercial mais un simple manquement justifiant la rupture mais non pas la privation de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi qui devra être chiffrée à hauteur de la somme de 400 euros, soit la moyenne mensuelle des commissions fois deux, compte tenu de la durée de la relation contractuelle soit la somme totale de 800 euros.
Compte tenu de la faute retenue à l'encontre de la SARL JC Matériels justifiant la rupture du contrat, les autres demandes d'indemnisation seront rejetées.
Le jugement contesté ne retenant que l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi et à hauteur de la somme de 800 euros sera confirmé de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de la SA Curty Matériels :
Il est constant que la SA Curty Matériels ni aucune des parties n'a interjeté appel du jugement rectificatif en date du 14 janvier 2016 déboutant la SA Curty Matériels de sa demande de remboursement de la somme de 30 800 euros au titre du paiement des frais non justifiés de novembre 2011 à décembre 2012.
Cette décision est par conséquent définitive et la SA Curty Matériels ne peut solliciter que la cour saisie du seul appel à l'encontre du jugement du 25 juin 2015 statue sur ce chef de demande dès lors irrecevable.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par décision contradictoire prononcée publiquement et par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la SARL JC Matériels au titre des frais. Statuant à nouveau, Condamne la SA Curty Matériels à payer à la SARL JC Matériels la somme de 6 800 euros au titre des frais. Confirme le jugement contesté pour le surplus. Déclare la SA Curty Matériels irrecevable en sa demande de remboursement des frais à l'encontre de la SARL JC Matériels et à hauteur de la somme de 30 800 euros. Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SA Curty Matériels aux entiers dépens.