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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 avril 2019, n° 18-00206

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cargo Lines (SAS)

Défendeur :

Carotrans International Inc. (Sté), Mainfreight (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

Avocats :

Mes Catala, Guyonnet, Buchman, Nait Kaci

T. com. Lille, du 7 mai 2014

7 mai 2014

FAITS ET PROCÉDURE :

La société de droit américain Carotrans International Inc. (ci-après " Carotrans ") exerce une activité internationale de commissionnaire de transport aérien, maritime et routier de marchandises. Elle fait partie du groupe Mainfreight.

La société de droit français Cargo Lines exerce une activité de commissionnaire et auxiliaire de transport, et effectue des opérations de manutention, transit, consignation, import, export, achat et vente ainsi que de dédouanement de marchandises dans le domaine du transport international en partance ou en arrivée notamment dans le port du Havre.

Ces deux sociétés ont été en relations à partir de 1995, chacune effectuant des prestations de commissionnaire en transport l'une pour l'autre. Elles ont signé le 1er octobre 2008 un contrat de commissionnaire intitulé " Agency agreement ".

La société Carotrans ayant décidé de s'implanter directement au Havre elle a, le 1er juin 2012, téléphoné à la société Cargo Lines pour lui signifier son intention de mettre un terme à leurs relations moyennant un préavis de trente jours, ce qu'elle a confirmé le même jour par courriel.

La société Cargo Lines a pris acte de cette rupture dans un courriel du 7 juin 2012.

Par exploit du 21 décembre 2012, la société Cargo Lines, s'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies et d'agissements de concurrence déloyale, a assigné les sociétés Carotrans et Mainfreight devant le tribunal de commerce de Lille.

Par jugement rendu le 7 mai 2014, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- dit qu'il n'y a pas eu de rupture brutale d'une relation commerciale au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- débouté la société Cargo Lines de ses demandes,

- condamné la société Cargo Lines à payer à la société Carotrans la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Cargo Lines à payer à la société Mainfreight la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou complémentaires,

- condamné la société Cargo Lines aux entiers frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 93,60 euros en ce qui concerne les frais de greffe.

Vu l'arrêt rendu le 28 janvier 2016 par lequel la cour d'appel de Paris a :

- confirmé le jugement déféré,

- condamné la société Cargo Lines à payer à la société Carotrans et à la société Mainfreight la somme de 4.000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Cargo Lines aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu l'arrêt rendu le 5 juillet 2017 par lequel la Cour de cassation a :

- cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; au motif que la cour d'appel de Paris s'est fondée, pour décider que la rupture des relations commerciales établies entre la concluante et l'appelante n'avait pas été brutale, "sur des éléments de faít postérieurs" à la rupture, "alors que la brutalité de la rupture s'apprécie à la date de notification de cette rupture", et qu'en statuant ainsi, elle a violé le texte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Vu la déclaration de saisine du 19 décembre 2017 par la société Cargo Lines,

Vu les dernières conclusions signifiées le 05 avril 2018 par la société Cargo Lines, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les dispositions de l'article L. 442-6, I,5° du Code de commerce,

Vu les dispositions de l'article 1240 du Code civil (anciennement article 1382),

Vu l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 5 juillet 2017,

- dire et juger recevable et fondée la société Cargo Lines en son appel faisant suite au renvoi de la Cour de cassation devant la cour d'appel de Paris autrement composée, et y faisant droit,

- réformer purement et simplement le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- dire et juger que la société Carotrans International s'est rendue coupable d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie depuis dix-sept années, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale,

- dire et juger que le préavis d'un mois prévu dans le dernier contrat en date du 1er octobre 2008 était insuffisant, n'ayant, de plus, pas été respecté,

- dire et juger que le fait que la société Cargo Lines ait pris acte de la rupture pour interroger la société Carotrans sur les conséquences pour les affaires en cours de celle-ci, sans assigner immédiatement, et alors même qu'elle était en l'attente de la réponse des sociétés Carotrans International et Mainfreight quant à la reprise d'une partie du personnel de son agence du Havre ne constitue en aucune façon une acceptation de la rupture ni une renonciation non équivoque à la contester et à agir,

- dire et juger que c'est à tort que le tribunal de commerce a pu affirmer que le chiffre d'affaires aurait continuellement baissé alors même que la baisse temporaire admise par l'une et l'autre partie correspondait à l'évolution de la parité USD/Euro qui favorisait alors l'importation des produits américains et pénalisait l'exportation des produits français,

- dire et juger de plus que cette baisse d'activité en 2010 n'a fait l'objet d'aucune réclamation ou grief de la part de la société Cargotrans International puisque celle-ci avait au contraire félicité et remercié la société Cargo Lines le 1er février 2011 pour la qualité de ses services, lui annonçant un développement et un renforcement des relations de partenariat,

- dire et juger que le fait d'avoir immédiatement recherché une solution partielle de remplacement, pour sauver l'entreprise et ses salariés, ne peut être opposé aux demandes de la société Cargo Lines,

- dire et juger, par ailleurs, qu'il est établi que la société Mainfreight a apporté un concours actif et anticipé à la société Carotrans International, et ce avant même la notification de la rupture brutale des relations commerciales, en adoptant, comme nom commercial, "Carotrans" et en hébergeant, immédiatement, la société Carotrans International dans ses bureaux du Havre, comme mentionné dans la compagne de presse concomitante et en lui fournissant la logistique nécessaire, y compris pour le recouvrement de ses factures,

- dire et juger que le jugement entrepris ne peut qu'être également réformé totalement sur ce point,

En conséquence,

- condamner conjointement et solidairement, ou tout du moins in solidum, les sociétés Carotrans International et Mainfreight à payer à la société Cargo Lines les sommes de :

720 000 euros à titre d'indemnisation du fait de la rupture brutale et sans préavis d'une relation commerciale établie depuis dix-sept années,

92 382,09 euros au titre des frais de licenciement,

15 000 euros HT au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance, d'appel et de cassation dont distraction pour ceux-là concernant au profit de la SCP AFG en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 20 novembre 2018 par la société Carotrans International Inc. intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- débouter la société Cargo Lines de son appel,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 7 mai 2014 en toutes ses dispositions,

- condamner la société Cargo Lines au paiement de la somme de 10 000 euros à la société Carotrans International sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Cargo Lines aux entiers dépens, dont distraction au profit de Fieldfisher France LLP, Avocats.

Vu les dernières conclusions signifiées le 30 avril 2018 par la société Mainfreight, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article 564 du Code de procédure civile,

Vu l'ancien article 1165 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- déclarer irrecevable la société Cargo Lines en sa prétention nouvelle de voir la société Mainfreight condamnée à payer la somme de 92 382,90 euros au titre de licenciements non visés en première instance,

- dire et juger que la société Mainfreight n'a commis aucune rupture brutale de relation commerciale établie, ni aucun acte de concurrence déloyale, ni aucune " complicité " de tels actes ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- débouter la société Cargo Lines de toutes ses demandes,

Y ajoutant,

- condamner la société Cargo Lines au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner en tous dépens de première instance et d'appel, dont recouvrement au profit de Maître Mohammed Naït Kaci, CNK Associés AARPI, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Cargo Lines fait valoir que la société Carotrans International a rompu de façon brutale leur relation commerciale qui durait depuis plus de 17 ans, qu'elle a notifié la rupture par simple appel téléphonique puis l'a confirmée par courriel en ne respectant pas le délai de préavis de 30 jours fixé à cet effet, que le fait qu'elle ait pris acte de cette rupture ne constitue pas une approbation de celle-ci ni une renonciation à ses droits, que la baisse du chiffre d'affaires, aussi continue soit elle, n'exclut pas le caractère brutal de la rupture dans la mesure où la société Carotrans International n'a adressé aucune mise en garde et aucune mise en demeure mais a au contraire manifesté sa reconnaissance dans un courrier en date du 1er février 2011, de sorte que la société Cargo Lines ne pouvait s'attendre à une rupture des relations commerciales, qu'enfin, le fait d'avoir trouvé un partenaire de remplacement postérieurement à la rupture et d'avoir fait une proposition afin de maintenir une relation d'affaires, outre le fait de ne pas être pertinent, est sans incidence sur le préavis et son indemnisation ; de sorte que la société Cargo Lines est bien fondée à demander la réparation de son préjudice dans la mesure où la durée du préavis aurait dû être fixée à deux ans et où elle a subi une perte de marge brute à hauteur de 720 000 euros, et où elle a dû procéder au licenciement de trois salariés.

La société Cargo Lines met également en cause la responsabilité de la société Mainfreight en ce que cette dernière a été complice des agissements de la société Carotrans, ces deux sociétés étant liées. Elle indique qu'elles opéraient une confusion, faisant payer les factures de la société Carotrans à double entête directement à l'ordre de la société Mainfreight, cette dernière utilisant le nom commercial " Carotrans " depuis le mois de janvier 2012, et la société Carotrans International faisant figurer sur ses factures les noms des deux sociétés.

En réponse, la société Carotrans, qui ne conteste pas la relation nouée entre les deux sociétés, chacune effectuant des prestations de commissionnaire de transport l'une pour l'autre, rappelle que le contrat signé entre elles date de 2008, qu'il était rédigé en anglais, ne contenant ni clause attributive de juridiction ni clause de loi applicable, qu'il prévoyait un préavis de 30 jours, qu'il s'agissait d'un contrat de commissionnaire de transport de nature internationale soumis à la loi d'autonomie, qu'aucune preuve n'est rapportée d'un lien plus ancien, la relation établie n'étant que de quatre ans et six mois. Elle soutient que ce contrat international n'est pas soumis aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui relève de l'ordre public interne français et non de l'ordre public international, et que la durée d'un mois prévue au contrat est donc valide. La société Carotrans précise que, même si les dispositions du Code de commerce relatives à la rupture brutale étaient applicables audit contrat, il n'en demeurerait pas moins que le délai d'un mois serait toujours valide puisque ce délai serait conforme aux dispositions du contrat type en matière de transport de marchandises fait par un sous-traitant applicable en l'espèce, les parties pouvant y déroger par une clause stipulée au contrat, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'ayant qu'un caractère supplétif en matière internationale, et référence étant faite en outre aux usages du commerce.

La société Carotrans fait valoir que la rupture n'a pas été brutale au sens de l'article L. 422-6, I, 5° du Code de commerce puisque d'une part, elle était prévisible, l'examen des relevés de facturations des prestations de commissionnaire en transport établis annuellement par les parties permettant de constater que les flux financiers avaient diminué au fil des ans, la circonstance que la société Carotrans International ait félicité la société Cargo Lines et n'aurait pas pris la peine de prévenir cette dernière ne pouvant suffire à priver la rupture de son caractère prévisible - le courrier mentionné étant bien antérieur à la rupture - et la société Cargo Lines ayant par ailleurs pris acte de la rupture à effet du 30 juin sans réserve ou protestation; la société Carotrans précise à ce titre que malgré la rupture, elle souhaitait poursuivre une relation d'affaires avec la société Cargo Lines et a fait des propositions en ce sens qui ont toutes été refusées par cette dernière pour des motifs non fondés ; et puisque d'autre part, outre le fait que le préavis a été notifié par écrit et confirmé par oral, la durée de ce dernier était contractuellement prévue par les parties, conforme au secteur - à savoir le transport international de marchandises dans lequel il est généralement d'usage de laisser un très court préavis au partenaire commercial que l'on quitte - , et a été respectée par l'auteur de la rupture - la preuve du contraire n'étant pas rapportée par la société Cargo Lines qui a au surplus contracté une semaine plus tard avec une importante société américaine : la société Troy Container Lines Limited.

La société Carotrans International fait valoir à titre subsidiaire que la société Cargo Lines ne rapporte la preuve d'aucun préjudice indemnisable en lien de causalité direct avec la brutalité alléguée, et notamment qu'elle aurait effectivement perdu une marge brute dans les mois qui ont suivi la rupture, que les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2012 indiquent que les produits d'exportation n'ont diminué par rapport à 2011 que de 13,75 % et que le bénéfice de la société Cargo Lines a au contraire progressé à hauteur de 36 %, de sorte qu'aucun préjudice ne peut être établi, les frais de licenciement invoqués par la société Cargo Lines ne pouvant être remboursés dans la mesure où la société Cargo Lines ne démontre pas que les deux salariés étaient affectés au travail né de la relation entre les deux parties ; la société Carotrans International précisant, à titre surabondant, que la société Cargo Lines n'a engagé aucune action à l'encontre de la société CTW Globelink, ex commettant de la société Cargo Lines, dont la situation est identique à celle de la société Carotrans International.

Enfin, la société Carotrans International précise que la société Mainfreight n'est pas une société soeur de la société Carotrans International, faute pour les deux sociétés d'être contrôlées par la même société mère, de sorte que si la cour devait entrer en voie de condamnation contre la société co intimée, aucune condamnation in solidum ne devrait être retenue.

La société Mainfreight fait valoir tout d'abord que la demande de la société Cargo Lines portant sur la condamnation solidaire des sociétés Carotrans International et Mainfreight à hauteur de 92.382,90 euros constitue une demande nouvelle et doit en conséquence être déclarée irrecevable.

La société Mainfreight fait valoir en outre que, même si cette demande était jugé recevable, elle est en tous les cas mal fondée puisque d'une part, même si les sociétés intimées font partie du même groupe international, elles n'ont aucun lien capitalistique, n'ont pas de dirigeants communs, agissent dans des territoires distincts et n'ont pas la même activité; puisque d'autre part, le fondement d'une prétendue complicité de la société Mainfreight avec les agissements de la société Carotrans International n'est pas prévue par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et ne peut donc servir de fondement à cette demande, la société Mainfreight ajoutant à cela que non seulement la société Carotrans International a pu démontrer dans ses écritures l'absence de brutalité dans la rupture mais en outre que les éléments sur lesquels se base la société Cargo Lines pour caractériser cette prétendue complicité, à savoir avoir hébergé la société Carotrans International sur le site du Havre, avoir participé à une réunion entre les parties contractantes et avoir facturé Cargo Lines en juillet 2012, ne peuvent entraîner aucune conséquence contre la société Mainfreight, qu'il est courant au sein d'un même groupe de mettre à disposition d'une entité des bureaux appartenant à une autre.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce LA COUR,

Sur l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce

Considérant que pour soutenir que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s'applique pas en l'espèce, la société Carotrans estime que le contrat litigieux est un contrat de commissionnaire de nature internationale soumis à la loi d'autonomie, et qu'en l'absence de choix des parties sur le droit applicable, c'est la loi du for qui régit le choix de la loi applicable, sous réserve des règles d'ordre public international dont ne fait pas partie l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce;

Mais considérant que l'internationalité du litige, pour être établie, doit résulter d'un faisceau d'éléments pertinents d'extranéité régissant la situation des parties ;

Que la seule nationalité étrangère d'une des parties ne suffit pas à conférer à un litige un caractère international, lorsque les autres éléments du litige se rattachent tous à un seul Etat et que ledit contrat ne met pas en cause les intérêts du commerce international ;

Qu'en l'espèce, nonobstant la langue anglaise utilisée, le contrat a été conclu avec une société française pour s'exécuter en France, aux fins d'effectuer les diverses tâches de commissionnaire en France lors de transport de marchandises vers ou en transit au Havre ;

Que la rupture du contrat, faite par courriel le 1er juin 2012, à la suite de la décision de Carotrans d'ouvrir un bureau au Havre et de faire effectuer en interne les opérations de commissionnement lors de l'arrivée des marchandises en France ne comporte aucun élément d'extranéité qui mette en cause les intérêts du commerce international ;

Que l'internationalité du litige au regard du commerce international n'est dès lors pas établie, le litige ne relevant pas de l'ordre public international français, mais de l'ordre public interne du for saisi, à savoir la France, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce étant dès lors applicable au litige ;

Sur la durée du préavis et le caractère brutal de la rupture :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers: ... 5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...)";

Qu'il soit constant que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis ;

Que lorsque les parties sont convenues d'une durée contractuelle du préavis, même si le juge n'est pas lié par la durée du préavis ainsi fixée, celle-ci peut néanmoins constituer une base à prendre en considération ;

Qu'en outre, la durée du préavis s'apprécie au regard de la nature des relations commerciales, de la dépendance économique, de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires et de la progression du chiffre d'affaires, des investissements spécifiques effectués et non amortis, des relations d'exclusivité et de la spécificité des produits et services en cause ;

Que les circonstances économiques conjoncturelles peuvent également être prises en considération pour apprécier les conditions et les conséquences de la rupture, notamment lorsque les tendances du marché ont changé ou que les baisses régulières et significatives des commandes justifient un changement dans l'organisation des relations contractuelles ;

Que le délai de préavis doit s'entendre également du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile et préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement, notamment au regard des usages de la profession ;

Que le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture ;

Considérant qu'en l'espèce, la durée du préavis fixée contractuellement était de 30 jours ;

Que ce préavis ait été respecté puisque la notification du préavis par écrit a été faite le 1er juin 2012 par courriel, faisant suite à un appel téléphonique, la rupture prenant effet le 30 juin soit trente jours plus tard, la prise d'acte par Cargo Lines intervenue en cours de préavis et l'annonce publique faite par Carotrans auprès de la clientèle le 16 juin 2012 étant sans effet sur l'imputabilité de la rupture et sur la durée effectivement allouée ;

Qu'il n'est pas contesté que les parties étaient liées par un contrat signé en 2008, mais que les relations commerciales entre elles ont débuté de façon informelle en 1995, le caractère établi et régulier desdites relations ne faisant pas litige, même si Carotrans entend éluder la période antérieure à la signature du contrat sans sérieusement réfuter l'existence de relations stables et continues ;

Que la durée des relations s'entend par conséquent non seulement des relations ayant fait l'objet d'un contrat écrit, mais également des relations antérieures dont la régularité et l'importance sont établies par les pièces versées aux débats, soit en l'espèce dix-sept ans ;

Que contrairement à ce qu'allègue la société Carotrans, le caractère prévisible de la rupture ne peut résulter de la seule diminution du chiffre d'affaires qui aurait pu constituer une rupture partielle, et qui en outre, était totalement conjoncturelle, compte tenu notamment de la baisse du dollar par rapport à l'euro, qui avait déjà occasionné des fluctuations dans le passé ;

Qu'en outre, par courriel du 1er février 2011, la société Carotrans avait remercié la société Caro Lines pour son assistance et son partenariat, soulignant que l'année 2010 avait été positive comparée à 2009 et 2008, et s'engageant à travailler avec Cargo Lines "encore plus dur cette année", afin d'accroître leurs performances en 2011 et de réaliser de meilleurs résultats au travers de leur coopération ;

Qu'à aucun moment il n'a été indiqué qu'une rupture était envisagée ;

Que ce n'est que quand Carotrans a décidé de s'implanter au Havre dans les locaux de la société Mainfreight que la rupture a été décidée, lui ôtant ainsi toute prévisibilité qui serait rattachée à la baisse du chiffre d'affaires ;

Qu'au regard de la durée des relations commerciales pendant plus de dix-sept ans et de l'absence de tout caractère prévisible à la rupture, le préavis contractuel de trente jours qui a été notifié était insuffisant pour permettre à la société Caro Lines de se réorganiser, quand bien même elle n'allègue aucun état de dépendance économique et que les usages de la profession fixent des préavis de courte durée ;

Que même si la société Carotrans a proposé à la société Cargo Lines de continuer momentanément à travailler pour elle et s'il n'y a eu aucune difficulté particulière pour se réorganiser dans ce secteur très dynamique où les préavis sont habituellement courts, il y a lieu de tenir compte de l'ancienneté certaine des relations établies entre les parties et de fixer à trois mois le préavis qui aurait dû être accordé ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° susrappelé, le préjudice réparable ne résulte pas de la rupture, mais du caractère brutal et sans préavis de cette rupture ;

Considérant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge brute que la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé ;

Que la circonstance que la société Cargo Lines ait dû procéder à des licenciements, ce qui n'est pas une conséquence de la brutalité de la rupture mais de la rupture elle-même, est indifférente à l'indemnisation de son préjudice ;

Que s'agissant de la marge brute, la société Cargo Lines verse aux débats des tableaux récapitulatifs des marges mensuelles réalisées sur les dossiers Carotrans (du 1er janvier 2011 au 30 juin 2012), dont son commissaire aux comptes atteste que ces informations sont cohérentes avec la comptabilité de la société de laquelle il résulte que la marge brute moyenne résultant de la différence entre les achats et les ventes sur les dossiers Carotrans est de 20 000 euros par mois en moyenne et non de 30 000 euros par mois comme allégué ;

Que la méthode de calcul de la marge brute ainsi retenue ne soit pas contestée par la société Carotrans qui se réfère uniquement à l'augmentation des résultats de Cargo Lines en 2012, soit postérieurement à la rupture, ce qui est inopérant pour le calcul du préjudice à la date de la rupture ;

Qu'en l'absence de tout autre élément, le montant de 20 000 euros de marge brute moyenne par mois sera retenu ;

Que le préjudice de la société Cargo Lines lié à la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Carotrans doit dès lors être fixé à la somme correspondant à deux mois de marge brute, soit 40 000 euros (20 000 X 2) ;

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point ;

Sur les demandes contre la société Mainfreight

Considérant que c'est par des motifs précis et pertinents que la cour adopte que les premiers juges n'ont pas retenu la responsabilité de la société Mainfreight ;

Qu'outre le fait qu'il n'est pas établi que la société Mainfreight ait un lien capitalistique avec la société Carotrans, la société Cargo Lines n'indique pas en quoi la société Mainfreight serait intervenue dans la conclusion du contrat litigieux et/ou dans la rupture des relations commerciales entre Cargo Lines et Carotrans et en quoi elle aurait pu engager sa responsabilité à ce titre ;

Que le fait qu'elle utilise le nom commercial de Carotrans ou qu'elle héberge la société Carotrans dans ses locaux et que l'un de ses représentants ait été présent à une réunion ou encore que les factures comportent son nom à côté de celui de Carotrans ne démontre pas que la société Mainfreight se serait rendue coupable d'une complicité de la rupture brutale du contrat auquel elle n'est pas partie, ni qu'elle aurait commis des actes illicites ou fourni l'appui logistique de son personnel justifiant sa condamnation in solidum au paiement des sommes allouées ;

Que c'est à raison que les premiers juges l'ont mise hors de cause ;

Qu'il y a lieu de lui allouer une indemnisation complémentaire en appel au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que la société Carotrans succombant en appel, il y a lieu de mettre à sa charge les entiers dépens, outre une indemnisation de la société Cargo Lines au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes fixés au dispositif ci-après ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, sur renvoi après cassation, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a mis la société Mainfreight hors de cause et condamné la société Cargo Lines à lui payer la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,Statuant à nouveau,Condamne la société Carotrans International à verser à la société Cargo Lines la somme de 40 000 euros à titre d'indemnisation pour la rupture brutale de la relation commerciale établie, Déboute la société Cargo Lines du surplus de ses demandes, Y ajoutant,Condamne la société Carotrans International à payer à la société Cargo Lines une indemnité de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,Condamne la société Cargo Lines à payer à la société Mainfreight la somme de 2 000 euros supplémentaire au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Carotrans International aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et de cassation, lesquels pourront être recouvrés par la SCP AFG selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.