CA Colmar, 1re ch. civ. A, 24 avril 2019, n° 17-00663
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissement S. (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roublot
Conseillers :
M. Ouriachi, Mme Harrivelle
Avocats :
Mes Claus, Katja
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SAS Etablissements S. est une entreprise installée à Strasbourg ou en région strasbourgeoise depuis 1932, exerçant une activité commerciale dans le domaine de la serrurerie.
Pour sa part, M. Daniel S. exerce depuis 1999 en nom personnel une activité de serrurerie, et plus précisément de dépannage à Strasbourg, d'abord sous l'enseigne 'Atout Chrono Services' puis, sous la dénomination 'AC S. Serrurerie'.
Par assignation en date du 11 septembre 2015, la SAS Etablissements S. a attrait M. Daniel S. devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, dénonçant des agissements qualifiés de concurrence déloyale et de contrefaçon.
Par jugement rendu le 15 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Strasbourg a constaté la prescription de l'action, déclaré l'action de la SAS Etablissements S. irrecevable et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, tout en rejetant la demande de M. Daniel S. en dommages-intérêts pour procédure abusive.
La SAS Etablissements S. a été condamnée aux dépens, ainsi qu'au paiement à M. Daniel S. d'une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 1 000 euros.
Le premier juge a retenu que tant l'action en concurrence déloyale que celle fondée sur la contrefaçon étaient prescrites, la SAS Etablissements S. ayant adressé le 5 octobre 2009 à M. Daniel S. un courrier mentionnant le risque de confusion entre leurs patronymes, aggravé par leurs activités respectives et estimant nécessaire de remédier à la situation par la mention, par M. Daniel S., de son prénom, ce dont il se déduisait que le demandeur avait alors connaissance des faits identiques à ceux de concurrence déloyale invoqués mais également des agissements prétendus contrefaisants.
La SAS Etablissements S. a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 9 février 2017.
Dans ses dernières conclusions en date du 30 janvier 2018, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, sauf à confirmer le rejet de la demande reconventionnelle de l'intimé et de rejeter son appel incident, et statuant à nouveau, de la déclarer recevable et bien-fondé en ses demandes et de :
- constater que les faits sur lesquels reposent les actions sont distincts,
- constater les manouvres frauduleuses de M. Daniel S. qui ont abouti à fausser le jeu de la concurrence,
- dire et juger que l'utilisation du site internet et du nom de domaine http://www.s.-serrure.com entretient la confusion avec la SAS S.,
- dire et juger que la SAS Etablissements S. est titulaire des droits d'auteur sur les œuvres originales accessibles à l'adresse http://sfr et le logo qui s'y trouve,
- dire et juger contrefaisants le logo présenté dans les pièces, ainsi que le site internet dont est responsable M. Daniel S. à l'adresse http://www.s.-serrure.com,
- interdire à M. Daniel S. :
* d'user dans son enseigne du nom 'S.' sans son prénom 'Daniel' et en tout cas de l'accompagner du vocable 'serrurier' ou 'serrure' au singulier ou au pluriel, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, huit jours à compter de la signification du présent arrêt,
* toute représentation contrefaisant les droits d'auteur de l'appelant, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, huit jours à compter de la signification du présent arrêt,
* d'utiliser le nom de domaine http://www.s.-serrure.com, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, huit jours à compter de la signification du présent arrêt,
- condamner M. Daniel S. à lui payer :
- la somme de 50 000 euros de préjudice d'image et de dépréciation de l'enseigne S.,
- la somme de 98 000 euros en réparation du préjudice matériel du fait de ses actes fautifs en concurrence déloyale,
- la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et celle de 25 000 euros au titre du préjudice matériel du fait de ses actes de contrefaçon,
- ordonner la publication d'un extrait de l'arrêt à intervenir dans trois publications au choix de la SAS Etablissements S. et aux frais de M. Daniel S., dans la limite de 2 000 euros HT par publication,
- condamner M. Daniel S. aux dépens et au paiement à son profit d'une indemnité de procédure de 10 000 euros.
À l'appui de ses demandes, si elle précise avoir constaté en 2009, à la suite de réclamations de clients mécontents, qu'il existait une confusion avec la partie adverse, qui exerce en son nom personnel tout en se prévalant d'une inscription au RCS correspondant en réalité à celle d'une SCI ' l'intimé invoquant une erreur qu'il dit avoir corrigée- et ajoute qu'elle a alerté l'intéressé sur cette confusion, lui demandant d'ajouter un prénom à son enseigne, elle indique que cette confusion se poursuit depuis lors. Aussi conteste-t-elle que la prescription soit acquise au titre des actions qu'elle a entreprises, tout en renonçant à se prévaloir des agissements antérieurs au 2 juin 2010. À cet égard, elle relève l'ouverture de différents établissements successifs en 2010 et 2013, constitutive de faits nouveaux, les actes litigieux de concurrence déloyale et de contrefaçon de ses logo et site internet étant, en outre, postérieurs à cette dernière installation. Elle précise encore que les deux actions intentées en l'espèce pour contrefaçon et concurrence déloyale reposent sur un fondement et des faits distincts, commis à des dates ou à partir de dates différentes, la première relevant de l'existence d'un droit privatif et se fondant sur la reproduction d'œuvres de l'esprit originales, la seconde relevant de la violation du devoir de loyauté et résultant de l'imitation et la désorganisation du concurrent du fait d'un jeu sur leur quasi homonymie et la reproduction de ses couleurs.
S'agissant de la concurrence déloyale, elle affirme tout d'abord se trouver en situation de concurrence avec l'intimé, elle-même exerçant de fort longue date une activité de serrurerie, affiliée à la corporation des métiers du métal et réalisant des interventions à domicile sur planning. Elle évoque une recherche de confusion de la part de la partie adverse, qu'elle qualifie d'évidente à la vue de leurs sites internet respectifs, qui présentent une identité de couleur du fond, avec une place importante de la couleur orange, ainsi qu'un même positionnement du logo et une présentation identique des rubriques, la lettre 'r' différenciant les deux noms étant en outre intégrée dans le logo sous forme d'une clé de nature à accentuer l'identité visuelle des deux logos. À cela s'ajoute, selon elle, la présence sur le site internet de l'intimé de photographies anciennes et d'une mention traduisant une volonté d'afficher une longue histoire d'entreprise, ainsi qu'un nom de domaine entretenant également la confusion. Elle estime que ces pratiques commerciales trompeuses et déloyales, définies par le Code de la consommation, peuvent constituer une faute de concurrence déloyale invocable entre concurrents. Elle précise par ailleurs ne pas agir contre la société Brico S. car celle-ci a une activité radicalement différente, outre que le préfixe 'Brico' évite toute confusion. Elle fait également valoir que l'argumentation de la partie adverse quant au caractère minime de l'activité de cette dernière dès lors insusceptible de générer un préjudice constitue un commencement d'aveu judiciaire quant à ses agissements. Et quant à l'absence d'intérêt de la concluante, invoqué par M. S., à défendre son nom, qui n'est plus porté par ses dirigeants, elle qualifie en substance cette argumentation d'inopérante, réfutant par ailleurs toutes ses allégations relatives à un prétendu blocage du marché de sa part, qui ne sont pas étayées. Concernant le préjudice qu'elle revendique au titre des agissements litigieux, elle estime avoir subi un préjudice non seulement en termes de désorganisation durable, compte tenu des démarches induites par la confusion litigieuse envers les clients et fournisseurs, mais également en termes d'image, avec pour conséquence la dépréciation de son enseigne. Elle ajoute que le caractère actuel et certain de ce préjudice ne s'oppose pas à son évaluation forfaitaire, un acte de concurrence déloyale impliquant du reste nécessairement un préjudice moral indemnisable sans besoin de le détailler. Bien que ne sollicitant pas la nullité de la marque déposée à l'INPI par M. S., elle estime cependant justifié d'en interdire l'usage sans mention de son prénom, et en tout état de cause de prohiber la mention 'serrure' ou 'serrurier'.
S'agissant de la contrefaçon de droits d'auteur, elle invoque la reproduction non autorisée d'œuvres de l'esprit originales, avec des ressemblances qualifiées de frappantes entre le logo créé par M. M. pour son compte en 2014, dont la forme est protégée, sans considération de son mérite dès lors qu'elle présente des caractéristiques propres à son auteur, et dont elle est titulaire du droit d'auteur, et celui de M. S. créé en 2015, et qu'il a utilisé jusqu'en janvier 2016 avant de recourir au nouveau logo avec la lettre 'r' sous forme de clé. Il en résulte, à ses yeux, un préjudice moral tant que patrimonial au regard du travail de création qu'a nécessité la réalisation du logo dans le cadre d'une démarche de rénovation de son identité visuelle par un professionnel de l'image.
Elle conclut enfin au caractère infondé de l'appel incident reposant, selon elle, sur des spéculations sans fondement quant à une volonté de rachat de sa part de l'activité adverse, dont la surface commerciale et la pérennité sont sans rapport avec les siennes.
M. Daniel S. s'est constitué intimé le 20 février 2017.
Dans ses dernières écritures déposées le 25 octobre 2017, il conclut à titre principal à la confirmation de la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a écarté sa demande en dommages-intérêts et sollicite à ce titre l'octroi d'une somme de 15 000 euros, outre condamnation de l'appelante aux dépens et à lui payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 10 000 euros.
Subsidiairement au fond, il entend voir constater, sur les actes, invoqués par l'appelante, de concurrence déloyale :
- qu'aucune preuve n'est versée aux débats pour justifier de la demande de la SAS Etablissements S.,
- l'absence de fondement en droit,
- l'absence de tout acte de concurrence déloyale de sa part,
- au besoin, l'absence de preuve d'un préjudice actuel et certain.
Et sur les actes de contrefaçon invoqués par la partie adverse, il entend également voir constater qu'aucune preuve n'est versée aux débats pour justifier de la demande de la SAS Etablissements S., outre qu'il soit jugé que les logo et site internet de l'appelante ne sont pas éligibles à la protection au titre du droit d'auteur, et au besoin, qu'ils ne présentent aucune ressemblance constitutive d'actes de contrefaçon.
Il sollicite en conséquence que la SAS Etablissements S. soit déboutée de ses demandes de ces chefs.
Plus subsidiairement, il conclut à l'absence de preuve d'un préjudice ainsi que de preuve à l'appui du chiffrage avancé par la SAS Etablissements S. et sollicite en tout état de cause la condamnation de l'appelante aux dépens.
Exposant exercer son activité sous un patronyme qui est le sien depuis 2003, puisqu'il a été contraint de renoncer à l'usage de son ancien nom, il reproche notamment à l'appelante une volonté de nuire à son fonds de commerce, qu'il a décidé de vendre en mars 2015, pour le contraindre à le lui céder à vil prix et acquérir ainsi son fichier client, tout en épargnant d'autres sociétés comme Bricos., et ce alors même que son volume d'activité n'apparaît pas de nature à causer un préjudice à l'appelante.
En ce qui concerne l'action en concurrence déloyale, il soutient tout d'abord qu'elle est prescrite, dès lors que l'appelante avait connaissance de sa modification d'enseigne en 2003 de 'AC Serrurerie' en 'AC S. Serrurerie' et qu'en 2009 le conseil de la partie adverse lui reprochait ce changement et la confusion qui en résulterait, et ce alors qu'aucun des dommages ultérieurs invoqué n'est prouvé. Subsidiairement, il fait valoir que l'action n'est fondée ni en droit, la société adverse, de nature commerciale, ne pouvant s'appuyer sur les dispositions protectrices du Code de la consommation qui ne s'appliquent pas entre professionnels, ni en fait, en l'absence de situation de concurrence entre les parties, l'une exerçant une activité de dépannage à horaires élargis, l'autre une activité de fabrication de serrure soumise à des horaires classiques et qui ne pratique le dépannage qu'en sous-traitance. Il ajoute sur cette question que :
- il ne peut lui être reproché l'usage de son nom patronymique, qu'il n'a pas choisi délibérément de modifier,
- l'imitation alléguée de logo, comme de la charte graphique du site internet, ne peut être invoquée à la fois sous l'angle du droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence déloyale, les logos et les chartes graphiques étant en tout état de cause distincts et l'usage de la clé fréquent dans le domaine de la serrurerie ou de la quincaillerie, et l'accent étant mis sur la lettre " r " distinctive,
- aucune pratique commerciale trompeuse, que seul un consommateur pourrait invoquer, ne saurait caractériser un acte de concurrence déloyale,
- l'absence d'identité d'activité exclut qu'il soit interdit au concluant de faire usage de son nom patronymique, et ce au demeurant alors qu'aucun dirigeant de la société S. ne porte ce nom, le nom du concluant étant en revanche déposé à l'INPI ce qui fait obstacle à toute interdiction d'usage dans le cadre de la présente instance.
Concernant la désorganisation alléguée par l'appelante, il l'estime non fondée compte tenu à la fois de la différence d'activité exercée et de l'absence d'éléments probants de nature à la démontrer, pas plus que ne lui apparaissent prouvés un manque à gagner, un préjudice d'image ou un temps de démarches vis-à-vis de clients mécontents, et ce alors que la SAS Etablissements S. se prévaut d'un préjudice équivalent à son chiffre d'affaires, dont elle a eu connaissance lorsqu'elle s'est intéressée à l'acquisition de son fonds de commerce. Aucun préjudice actuel et certain, ni aucun lien de causalité avec les agissements invoqués ne lui apparaissent enfin caractérisés.
Et sur les faits de contrefaçon, il conteste toute éligibilité tant du site internet que du logo de l'appelante à la protection au titre du droit d'auteur, faute pour elle d'établir leur originalité, à savoir l'empreinte personnelle de leur auteur, s'agissant de créations qu'il qualifie de banales, et de surcroît de logos de clé très fréquents pour les activités en cause. Subsidiairement, si la protection devait être retenue, il exclut toute ressemblance entre les sites internet, pas plus que des logos, le logo mis en cause n'étant au demeurant plus en usage depuis de nombreux mois. Quant au nom de domaine, il affirme qu'il n'entre pas dans le champ de la contrefaçon, dès lors qu'il possédait le sien avant le dépôt du nom adverse.
Enfin, il souligne en substance la disproportion des dommages-intérêts sollicités et le caractère abusif de l'action adverse au regard des intentions réelles qu'il lui prête.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
La clôture de la procédure a été prononcée le 12 octobre 2018 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 13 février 2019, puis mise en délibéré à la date du 24 avril 2019, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS :
Sur la concurrence déloyale reprochée à M. Daniel S. :
Sur la prescription :
Le premier juge a retenu que l'action entreprise sur ce fondement à l'encontre de M. S. était couverte par la prescription, dès lors que l'assignation à cette fin avait été délivrée le 11 septembre 2015, alors même que la demanderesse, désormais appelante, avait eu connaissance à partir de mars 2009 de faits de concurrence déloyale identiques à ceux allégués, et avait fait adresser par son conseil en date du 5 octobre 2009 un courrier par lequel elle relevait un risque de confusion entre les deux patronymes, aggravé par leurs activités respectives, et estimait nécessaire de remédier à cette situation.
Si cette solution est approuvée par l'intimée, l'appelante, sans contester ces circonstances et tout en renonçant à invoquer des faits antérieurs au 2 juin 2010, entend se prévaloir de faits nouveaux ultérieurs de nature selon elle à fonder son action.
Cela étant, si le premier juge a justement rappelé que l'action en concurrence déloyale était fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, en leur version applicable au présent litige, le régime de la prescription obéissant par conséquent aux règles définies par l'article 2224 dudit Code, il y a lieu de relever, tout en écartant les faits que l'appelante renonce à invoquer, que l'action ne saurait être considérée comme prescrite pour ceux des actes accomplis par l'intimé dont l'appelante n'a pas eu connaissance depuis plus de cinq ans au jour de la demande en justice.
Or en l'espèce, la SAS Etablissements S. met en cause, à hauteur de cour, des agissements précis imputés à M. Daniel S., à savoir l'ouverture successive de deux établissements sous l'enseigne 'AC S. serrurerie' en 2010 et 2013 et la mise en ligne de son site internet http://www.s.-serrure.com en 2015, lesquels, s'ils s'inscrivent dans la continuité de l'activité exercée par l'intimé au moins depuis 2006 sous l'enseigne précitée, n'en constituent pas moins des faits distincts caractérisant un renouvellement du comportement que l'appelante entend voir qualifier de fautif.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en concurrence déloyale.
Sur le fond :
L'intimé conteste d'abord toute situation de concurrence entre les parties, comme intervenant au titre d'activités différentes. À cet égard, il y a lieu tout d'abord de rappeler que le bien-fondé d'une action en concurrence déloyale est uniquement subordonné à l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice, et non nécessairement à l'existence d'une situation de concurrence directe et effective entre les sociétés considérées.
Cela étant, il convient néanmoins de relever que, certes la SAS Etablissements S. exerce-t-elle une activité de quincaillerie, tandis que M. Daniel S. revendique une activité de dépannage serrurerie, encore que son extrait d'immatriculation au registre des entreprises mentionne une activité principale déclarée de serrurerie, et plus précisément de blindage de portes, installations de portes blindées et montage de porte coupe-feux. Il apparaît toutefois que M. S. intervient au titre de prestations de dépannage sur des plages horaires étendues. Pour sa part, la SAS Etablissements S. indique avoir une activité établie de longue date de serrurerie, affiliée à la corporation des métiers du métal et réalisant des interventions à domicile sur planning. C'est d'ailleurs l'activité de serrurerie qui est mentionnée sur le certificat d'immatriculation de la société, datant de 1932. Par ailleurs, l'appelante verse aux débats un extrait de l'annuaire 'pages jaunes', certes non daté, mais que la SAS Etablissements S. déclare daté de 2007, période certes antérieure aux faits, mais sans qu'il n'apparaisse que son activité ait évolué de manière substantielle depuis lors, alors même qu'elle l'exerce depuis plusieurs dizaines d'années. Ce document révèle que la société appelante se présente comme un professionnel de la sécurité proposant notamment portes blindées, blocs portes, blindages, serrures multipoints ou cylindres et ce avec le slogan 'pour votre sécurité, frappez à la bonne porte.'
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la situation de concurrence entre les deux entités, qui exercent toutes deux une activité de serrurerie, et en particulier de fourniture de serrures et matériel assimilé, M. Daniel S. revendiquant notamment une activité de vente dont atteste l'extrait du site internet des 'pages jaunes' qu'il produit lui-même, apparaît pleinement établie, et ce d'autant que les deux parties qui effectuent toutes deux, fût-ce selon des modalités différentes, des interventions à domicile, exercent leur activité dans le même secteur géographique, à savoir la ville de Strasbourg et la région proche.
À cela s'ajoute une proximité certaine de dénomination entre les deux parties. Certes M. Daniel S. fait-il valoir qu'il a effectivement lui-même changé de patronyme non volontairement mais à la suite de l'intervention d'une décision de justice en 2003 ; toutefois il ne peut qu'être relevé que son enseigne, quand bien même son activité fût exercée individuellement, ne portait initialement pas son nom, ce changement en faveur de la dénomination 'AC S. serrurerie' et la réitération de celui-ci lors de l'ouverture d'établissements durant la période litigieuse procédant d'un choix nécessairement délibéré de sa part, sur lequel il n'a fourni aucune explication particulière, alors que ce choix n'apparaît pas concomitant avec sa modification d'état civil. Si par ailleurs M. Daniel S. invoque un patronyme répandu en Alsace, y compris dans le domaine économique, il n'en reste pas moins que la quasi-homonymie des parties se conjugue avec l'exercice d'une activité similaire, ainsi que cela a été établi précédemment, dans un secteur géographique identique. Ainsi l'exemple de la société Brico-S. n'apparaît-il pas comparable, dès lors que cette dernière, même si elle apparaît fournir des serrures et clés sans toutefois qu'il ne soit établi qu'elle réaliserait des prestations d'installation, exerce une activité plus large que la SAS Etablissements S., outre que l'ajout du préfixe 'Brico' ne renvoie pas spontanément à la serrurerie et apparaît plus de nature à prévenir toute confusion plutôt qu'à l'entretenir. Cette société est par ailleurs installée à Benfeld, certes dans le département du Bas-Rhin mais non dans la proximité immédiate de Strasbourg.
Au contraire, les agissements de M. Daniel S. apparaissent-ils de nature à démontrer que celui-ci entend développer son activité en s'appuyant sur la notoriété de la SAS Etablissements S. et la réputation acquise par cette société au fil de nombreuses années d'activité dans la région strasbourgeoise, peu important du reste, que ses dirigeants ou associés n'en portent désormais plus le nom, et en jouant de la confusion possible, et en l'espèce entretenue entre leurs patronymes.
Ainsi au-delà du choix répété, déjà évoqué, de ce dernier d'ajouter son nom à son enseigne, sans mention de son prénom ou autre signe distinctif alors de surcroît que son attention avait été attirée en 2009 sur la possibilité d'une confusion avec la société appelante, il y a lieu de relever que cette confusion est manifestement accentuée par le site internet de M. Daniel S. ouvert sous la dénomination 's.-serrure' elle-même source de confusion et ce alors qu'un site internet constitue désormais, notamment par le biais des moteurs de recherche un vecteur privilégié de communication et d'attraction de la clientèle. Outre l'usage de Codes couleur rappelant sans ambiguïté ceux des établissements S., tel que le fond gris ou un recours, dans les captures d'écran produites, à la couleur orange également privilégiée par l'appelante sur son site, doit être relevé le logo, qui occupe une place importante sur la page d'accueil. Indépendamment d'une éventuelle violation des droits d'auteur de la SAS Etablissements S. sur son propre logo, qui sera abordée dans le cadre de l'examen de l'action en contrefaçon et apparaît relever de l'usage par M. Daniel S. d'un précédent logo, il convient d'observer que le logo qui apparaît sur la capture d'écran en date du 15 juin 2015 révèle une stylisation de la seule lettre 'r' sous forme de clé, laquelle confine à la dilution de cette lettre qui ne peut qu'accentuer le risque de malentendu que la mention 'A.C. S. serrurerie' figurant à côté de manière neutre ne saurait suffire à dissiper. À cela s'ajoute la mention 'votre artisan serrurier depuis toujours', qui véhicule l'idée d'une implantation de longue date, caractéristique précisément de la SAS Etablissements S., et cela d'autant plus que le site consacre une page à 'l'histoire de la serrurerie', terme ambigu puisqu'il peut à la fois se référer à l'activité de serrurier en général comme à un établissement précis. En outre, cette page fait apparaître des clichés photographiques en noir et blanc dont celui d'un véhicule ancien sur lequel a été plaquée la dénomination 'AC S. serrurerie', celui d'un homme vêtu comme au début ou au milieu du XXème siècle, qui peut s'interpréter comme une référence au caractère familial de l'activité, et enfin celui d'une quincaillerie ' serrurerie, laquelle ne peut que renvoyer à l'activité traditionnelle de la société Etablissements S. dont la boutique est installée depuis plus de 80 ans dans le centre de Strasbourg.
Les agissements reprochés à M. Daniel S. s'inscrivent ainsi à la fois dans le cadre d'une concurrence de nature parasitaire en ce qu'ils s'inspirent s'inspirant de la valeur exploitée par la société appelante, et dans celui de pratiques commerciales de nature à tromper la confiance du consommateur et qui peuvent tout à fait s'inscrire dans le cadre d'actes de concurrence déloyale.
Par conséquent, l'existence d'une faute résultant d'agissements déloyaux de M. Daniel S. apparaît caractérisée.
Sur la contrefaçon reprochée à M. Daniel S. :
Sur la prescription :
Si le premier juge a retenu, à juste titre, et sans d'ailleurs contestation des parties sur cette question de principe, l'application de la prescription de droit commun, laquelle régit les actions en paiement des créances nées des atteintes portées au droit d'auteur, il a en revanche également retenu que c'était à partir du courrier précité, datant de l'année 2009, que la société demanderesse, désormais appelante, avait eu connaissance des agissements prétendus contrefaisants.
Or la SAS Etablissement S. vise, au titre des agissements qu'elle reproche à M. Daniel S., les droits d'auteur sur les 'œuvres originales que seraient son site internet accessible à l'adresse http://s..fr et, en réalité, plus particulièrement le logo s'y trouvant, créé en 2014, en l'absence de développements particuliers et distincts de ceux envisagés sous l'angle de la concurrence déloyale concernant le surplus du site internet.
Le jugement déféré à la cour sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de la SAS Etablissements S. en contrefaçon.
Sur le fond :
Il résulte des articles L. 112-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle que sont protégés les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, la protection du droit de propriété intellectuelle exclusif attaché à l'œuvre supposant cependant l'existence d'une création, l'œuvre devant de surcroît être originale, ce qui implique qu'elle révèle une réelle activité créatrice.
En l'espèce, la SAS Etablissements S. entend revendiquer une originalité résultant des 'lignes épurées et modernes de la clé orange dont l'angle aigu marque le mouvement de gauche vers la droite'. À cet égard, l'examen du logo litigieux fait apparaître une clé de couleur orange, l'usage de ladite couleur ne présentant pas en soi un caractère original, comme en témoignent les images de logos produites par l'intimé, pas plus que l'orientation horizontale de la clé, la pointe à droite qui apparaît également très courante, tout comme l'insertion du nom de la société dans la clé. Quant au caractère stylisé ou schématisé de la clé, il s'agit également d'un procédé répandu en matière de logo, étant au demeurant observé qu'il n'est pas reproché à M. Daniel S. d'avoir emprunté ces caractéristiques, seules présentées comme de nature à caractériser l'originalité de l'œuvre.
En conséquence, au regard de la relative banalité des caractéristiques ainsi décrites à titre individuel, sans que leur agencement n'apparaisse traduire un effort personnel de création qui permettrait d'en reconnaître l'originalité, et en l'absence pour le surplus d'argumentation distincte de celle précédemment développée dans le cadre de l'action en concurrence déloyale concernant le site internet, il y a lieu de débouter la SAS Etablissements S. de ses demandes tendant à voir reconnue sa titularité de droits d'auteurs sur son site internet et le logo y figurant, déclarés contrefaisants le site internet et le logo de M. Daniel S., et de sa demande en dommages-intérêts fondée sur une atteinte à ses droits d'auteur.
Sur le préjudice subi par la SAS Etablissements S. :
Il convient de rappeler que s'infère nécessairement d'actes de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, à charge pour la victime des actes déloyaux d'apporter les éléments de nature à établir l'étendue du préjudice dont elle demande réparation.
En l'espèce, la société appelante fonde sa demande en dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale sur plusieurs chefs de préjudice, à savoir :
- un préjudice moral, à savoir un préjudice d'image et de dépréciation de son enseigne,
- un préjudice matériel résultant de la désorganisation de son activité résultant des actes fautifs en concurrence déloyale.
Le préjudice moral subi par l'appelante s'infère nécessairement des actes déloyaux de concurrence commis, dans la mesure où M. Daniel S., a profité de la notoriété et de la réputation de la société Etablissements S. sans avoir à réaliser les investissements pour promouvoir son commerce et attirer la clientèle, la cour disposant d'éléments suffisants pour fixer à 20 000 euros le montant des dommages-intérêts dus à ce titre, eu égard à la fréquence, à la répétition et à la durée des agissements litigieux, et sans que l'appelante ne caractérise, pour le surplus, d'autres éléments, plus spécifiques, caractéristiques d'une atteinte à son image.
Pour le surplus, si la société invoque une désorganisation de son activité, les éléments versés aux débats, au demeurant en nombre limité sur ce point, ne sauraient suffire à établir la réalité du préjudice matériel allégué à ce titre, celui-ci ne pouvant résulter de la seule confusion créée par M. S. dans l'esprit d'une certaine clientèle, voire de fournisseurs.
Sur les autres demandes formées par la SAS Etablissements S. :
Eu égard à la nature et à la répétition des agissements imputables à M. Daniel S., ainsi qu'au préjudice en résultant, tel qu'il a été caractérisé ci-dessus, il convient de faire droit aux demandes tendant à voir interdire M. S. de faire usage dans son enseigne du nom 'S.' sans son prénom 'Daniel' sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, huit jours à compter de la signification du présent arrêt, tout comme du nom de domaine http://www.s.-serrure.com, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, huit jours à compter de la signification du présent arrêt, ces demandes n'apparaissant pas de nature à porter atteinte au droit dont bénéficie M. Daniel S. au titre de la marque déposée auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle, mais uniquement d'en encadrer l'usage dans une mesure compatible avec les droits dont dispose la SAS Etablissements S. de se voir préservée d'agissements concurrentiels de nature déloyale. Cela étant, dans la mesure où M. Daniel S. exerce bien une activité de serrurier, les interdictions faites apparaissent de nature à préserver suffisamment les droits de l'appelante sans qu'il soit nécessaire, de surcroît, de faire interdiction à M. Daniel S. de faire usage dans son enseigne du vocable " serrurier " ou " serrure ", que ce soit au singulier ou au pluriel.
En outre, en l'absence de caractérisation de faits de contrefaçon, il convient de débouter l'appelante de sa demande d'interdiction faite à ce titre.
Par ailleurs, au regard de l'atteinte portée aux droits de la SAS Etablissements S., il convient de faire droit à la demande tendant à voir ordonner la publication d'un extrait du présent arrêt dans deux publications au choix de la SAS Etablissements S. et aux frais de M. Daniel S., dans la limite de 2 000 euros HT par publication.
Sur la demande de M. Daniel S. en dommages-intérêts pour procédure abusive :
M. Daniel S. sollicite la condamnation de l'appelante à lui verser des dommages-intérêts pour procédure abusive. Il ne démontre cependant aucune mauvaise foi ou erreur grossière de la partie adverse, laquelle obtient, au demeurant, satisfaction pour une partie de ses prétentions, de sorte que M. Daniel S. doit être débouté de sa demande de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
M. Daniel S. succombant pour l'essentiel sera tenu des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du Code de procédure civile, la solution retenue commandant également l'infirmation de la décision entreprise sur cette question et la mise à la charge de M. S. des dépens de première instance.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de M. S. une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2 500 euros au profit de la SAS Etablissements S., sans qu'il n'y ait lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de M. S., tout en réformant le jugement déféré de ce chef et en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 15 décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, Et statuant à nouveau des chefs de demande infirmés, Condamne M. Daniel S. à payer à la SAS Etablissements S. la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi au titre de la commission d'actes de concurrence déloyale, Fait interdiction à M. Daniel S. :
- d'user dans son enseigne du nom 'S.' sans son prénom 'Daniel', sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la signification du présent arrêt,
- d'utiliser le nom de domaine http://www.s.-serrure.com, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la signification du présent arrêt,
Déboute la SAS Etablissements S. du surplus de ses demandes en réparation du préjudice moral et du préjudice matériel invoqués au titre de la commission d'actes de concurrence déloyale, Déboute la SAS Etablissements S. de ses demandes tendant à voir reconnaître la titularité de droits d'auteur sur son logo et son site internet et la commission par M. Daniel S. d'actes de contrefaçon, Déboute la SAS Etablissements S. de sa demande en dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et du préjudice matériel invoqués au titre de la commission d'actes de contrefaçon, Déboute la SAS Etablissements S. de sa demande tendant à voir interdire toute représentation contrefaisant les droits d'auteur de l'appelant, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, huit jours à compter de la signification du présent arrêt, Déboute la SAS Etablissements S. de sa demande tendant à faire interdiction à M. Daniel S. d'accompagner, dans son enseigne, sa dénomination du vocable 'serrurier' ou 'serrure' au singulier ou au pluriel, Ordonne la publication d'un extrait du présent arrêt dans deux publications au choix de la SAS Etablissements S. et aux frais de M. Daniel S., dans la limite de 2 000 euros HT par publication, du texte suivant : " Par arrêt de la cour d'appel de Colmar du 24 avril 2019, M Daniel S. a été condamné à verser à la SAS Etablissements S. la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par des actes de concurrence déloyale ; il lui a été fait interdiction sous peine d'astreinte d'user dans son enseigne du nom 'S.' sans son prénom 'Daniel' et d'utiliser le nom de domaine http://www.s.-serrure.com " Condamne M. Daniel S. aux dépens de première instance, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance, Confirme le jugement entrepris pour le surplus, Y ajoutant, Déboute M. Daniel S. de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne M. Daniel S. aux dépens de l'appel, Condamne M. Daniel S. à payer à la SAS Etablissements S., la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de la SAS Etablissements S...