CA Aix-en-Provence, 3e ch. sect. 1, 2 mai 2019, n° 16-15836
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Electrogest (SARL)
Défendeur :
Cash Systèmes Industrie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
MM. Prieur, Fohlen
FAITS et PROCÉDURE
Suivant acte en date du 22 janvier 2002, la société Cash Systèmes Industrie (CSI), fabricant de caisses enregistreuses, a conclu avec la société Electrogest un contrat de distribution de ses produits sur le territoire de la Tunisie.
Par lettre en date du 19 février 2007, la société CSI a notifié à la société Electrogest la résiliation de ce contrat.
Par acte en date du 5 avril 2007, la société Electrogest a fait assigner la société CSI devant le tribunal de commerce de Fréjus en paiement de la somme de 373 634 en réparation du préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce, outre 42 308 au titre de stocks invendus et 150 000 au titre de dommages intérêts.
Suivant jugement en date du 10 octobre 2011, le tribunal de commerce de Fréjus a jugé nul pour irrégularité de fond l'acte introductif d'instance et a renvoyé la société Electrogest à mieux se pourvoir.
Par acte en date du 23 décembre 2014, la société Electrogest a fait assigner à nouveau la société CSI devant le tribunal de commerce de Fréjus aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 373 634 , 42 308 et 150 000 .
Suivant jugement en date du 29 juillet 2016, le tribunal a déclaré irrecevable l'action comme étant prescrite, et a condamné la société Electrogest à verser à la société CSI la somme de 4 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Electrogest a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 30 août 2016.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 11 février 2019 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 11 mars 2019.
A l'appui de son recours, par conclusions déposées au greffe le 15 mars 2017, la société Electrogest rappelle que l'assignation délivrée le 5 avril 2007 a été déclarée nulle pour irrégularité de fond et sur le fondement des articles 2241 et 2242 du Code de procédure civile en déduit que son action introduite le 23 décembre 2014 n'était pas prescrite, le délai de cinq ans expirant dans les cinq ans du jugement ayant déclaré l'acte introductif d'instance, soit le jugement du 10 octobre 2011. Sur le fond, elle invoque la rupture abusive du contrat en excipant notamment du caractère exclusif du contrat de distribution et du caractère défectueux de la marchandise livrée par la société CSI à la société CTN et en affirmant que la rupture des relations contractuelles par la société CSI était dictée par une intention de nuire. Elle soutient que cette rupture abusive a eu pour conséquence la nécessité de fermer son fonds de commerce et elle demande la condamnation de l'intimée à réparer les préjudices en découlant, soit la perte du fonds mais aussi de la marchandise invendue et périmée, ainsi qu'un préjudice moral. Sur la demande reconventionnelle, elle assure avoir réglé l'intégralité des factures, sauf une correspondant à du matériel en réalité invendable du fait de la présence d'un nouveau concurrent.
La société Electrogest conclut en conséquence à l'infirmation de la décision et demande à la cour de :
Dire et Juger que l'assignation du 5 avril 2007, déclarée nulle pour irrégularité de fond, a interrompu le délai de prescription jusqu'au jugement du 10 octobre 2011, qui prononcé ladite nullité, qui devait donc expirer 5 ans plus tard, soit le 10 octobre 2016.
Dire et Juger que l'action introduite par acte du 23 décembre 2014 n'est pas prescrite et est donc recevable.
Débouter la société Cash Systeme Industrie de l'ensemble de ses demandes relatives à toutes les exceptions notamment la prescription, fins et conclusions, et de son appel incident.
Dire et Juger que la société Cash Systèmes Industrie a résilié de façon abusive le contrat de distribution exclusive du 22 janvier 2002 au préjudice de la société Electrogest.
Dire et Juger que la société Cash Systèmes Industrie a ainsi engagé sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la société Electrogest.
Condamner la société Cash Systèmes Industrie à indemniser la perte du fonds de commerce de la société Electrogest et la condamner au paiement de la somme de 373 634 euros.
Condamner la société Cash Systèmes Industrie à indemniser le stock invendu et périmé de la société Electrogest et la condamner au paiement de la somme de 42 338 euros.
Condamner la société Cash Systèmes Industrie à verser à la société Electrogest la somme de 150 000 à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Débouter la société Cash Systèmes Industrie de toutes ses demandes fins et conclusions pour les motifs sus exposés.
La Condamner au paiement de la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société CSI, par conclusions déposées au greffe le 22 mai 2017, conclut à la confirmation de la décision ayant déclaré l'action prescrite. Selon elle, le premier acte introductif d'instance n'aurait plus eu d'effet interruptif dès lors que le jugement l'aurait déclaré nul pour irrégularité de fond. Elle fait observer qu'en toute hypothèse, le nouveau délai de prescription aurait couru à compter de l'assignation, soit le 5 avril 2007, et la seconde assignation en date du 23 décembre 2014 serait intervenue hors le délai de cinq ans applicable à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ayant réduit le délai de prescription.
Subsidiairement, la société CSI affirme que le contrat a été résolu du fait de la société Electrogest, celle-ci ayant cessé le paiement des factures et ayant unilatéralement interrompu les commandes à compter du 9 octobre 2006. Elle invoque en outre les modifications intervenues dans la désignation des dirigeants et des associés et la violation par la société CSI de ses obligations à l'égard de ses propres clients.
Reconventionnellement, la société CSI demande à la cour de condamner la société Electrogest à lui régler le montant non encore versé de deux factures, soit la somme de 56 724 60. En réponse aux conclusions adverses, elle conteste être à l'origine des difficultés rencontrées par la société Electrogest et invoque la propre carence de celle-ci. Au terme de ces conclusions, elle conclut à la confirmation de la décision déférée et à titre subsidiaire, en cas d'infirmation sur la prescription, demande à la cour de :
Constater au besoin Dire et Juger que la présente action de la société Electrogest initiée par acte extrajudiciaire du 23 décembre 2014 est prescrite ;
Juger en conséquence irrecevable l'action de la société Electrogest initiée selon acte introductif d'instance en date du 23 décembre 2014 ;
A titre subsidiaire
Si par extraordinaire et par impossible la cour déclarait recevable l'action de la société Electrogest
Vu les dispositions des articles 1147 et 1184 du Code civil ;
Juger que la société Electrogest a manqué de façon grave et répétée à ses obligations contractuelles en ne payant pas les factures des matériels acquis auprès de la société CSI en violation de l'article 6 du contrat malgré les nombreux échéanciers proposés, en cessant brutalement à compter du mois d'octobre 2006 toute commande auprès de la société CSI en violation de l'article 5 du contrat, et cessant à compter de cette date, toute relation commerciale et contractuelle, ne donnant plus la moindre nouvelle,
Juger qu'une modification de la personne des dirigeants et associés de la société Electrogest est intervenue en 2005 sans que la société CSI en soit informée, en violation de l'article 11 du contrat ;
Juger que la société Electrogest a abusivement mis un terme à compter du mois d'octobre 2006 à l'exécution du contrat, constituant ainsi une résiliation unilatérale et injustifiée à ses torts exclusifs dudit contrat à compter de cette date, engageant sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société CSI ;
Condamner la société Electrogest à payer à la société CSI la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice ainsi subi ;
Juger que la société Electrogest ne rapporte pas la preuve des faits nécessaires au succès de ses prétentions, en méconnaissance des dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile, ensemble les dispositions de l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil ;
Constater au besoin Dire et Juger que les pièces n° 6 et 7 versées aux débats par la société Electrogest rapportent la preuve de l'existence d'un conflit interne intervenu dès 2005 entre Monsieur A et Monsieur B, son beau-frère, faisant l'objet d'une procédure pénale devant le tribunal de Tunis, ayant entrainé, dès cette date, une paralysie totale du fonctionnement de la société Electrogest conduisant à des résultats déficitaires importants de la société Electrogest et au licenciement début 2005 de certains membres de son personnel ;
En tout état de cause
Condamner à titre reconventionnel la société Electrogest à payer à la société CSI la somme en principal de 56 724 60 euros au titre des factures F0020046, F0020468, F0020480, F0029879, F0030154, F004166, F008873, F0011437, F0011438, F0012668, FF0015402, F0015403, F0015613, F0017397, F0018559 selon extrait de compte versé aux débats en pièce n° 24, échues impayées, outre intérêt au taux légal à compter du 9 octobre 2006;
Débouter la société Electrogest de l'ensemble de ses demandes notamment celles tendant à la condamnation de la société CSI à lui payer une somme de 373 634 euros, une somme de 42 338 euros et une somme de 150 000 euros ;
Débouter la société Electrogest de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la société Electrogest à verser à la société CSI une indemnité de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société Electrogest aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription de l'action
L'article 2241 du Code civil dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ; il ajoute en son alinéa 2 qu'il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ; ce deuxième alinéa ne distinguant pas entre vice de procédure de fond ou de forme, il convient d'en déduire que l'assignation même affectée d'un vice de fond a un effet interruptif.
En l'espèce, si l'assignation délivrée le 5 avril 2017 a été annulée pour vice de fond par le tribunal de commerce de Fréjus le 10 octobre 2011, il n'en demeure pas moins qu'en application de l'alinéa 2 de l'article 2241 cet acte a interrompu le délai de prescription ; cette interruption a produit ses effets, conformément aux dispositions de l'article 2242, jusqu'à l'extinction de l'instance, soit jusqu'au jugement du 10 octobre 2011 mettant fin à l'instance en déclarant nul l'acte introductif ; à cette date, le délai de prescription applicable était le délai de cinq ans instauré par la loi du 17 juin 2008 modifiant l'article L. 110-4 du Code de commerce ; la société Electrogest avait donc un délai de cinq ans à compter du 10 octobre 2011 pour introduire une nouvelle instance ; c'est dès lors à tort que les premiers juges ont déclaré prescrite l'action diligentée par assignation en date du 23 décembre 2014 et le jugement sera en conséquence infirmé.
Sur le fond
L'article 11-1 du contrat signé le 22 janvier 2002 prévoit une résiliation de plein droit en cas de violation ou d'inexécution par le distributeur d'une des obligations prévues, et ce 8 jours après mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception restée infructueuse, et en particulier en cas de non-respect des délais de paiement.
Il résulte des pièces du dossier que dès le 22 février 2005, la société CSI a demandé à la société Electrogest le paiement de cinq factures pour un montant de 95 994 ; il se déduit d'un courriel émanant de la société Electrogest daté du 24 juin 2005 que cette société a reconnu l'existence d'au moins une facture, qu'elle s'est engagée à payer ; cet engagement de régler une facture d'un montant de 50 656 90 a été réitéré par courriel daté du 9 novembre 2005 ; enfin, une mise en demeure a été adressée le 24 janvier 2006 par la société CSI sous forme de lettre recommandée afin d'obtenir le règlement de la somme de 50 656 90 ; la société Electrogest n'apportant pas la preuve du paiement de la somme, ou d'un accord avec son créancier, il convient de constater dès lors que la société CSI était en droit de résilier le contrat par lettre recommandée en date du 19 février 2007 ; il y a lieu dès lors de débouter la société Electrogest de l'intégralité de ses demandes formées au titre de la rupture abusive.
La société Electrogest conteste devoir régler la facture invoquée en raison du caractère selon elle invendable du matériel dû à l'existence d'un nouveau distributeur ; force est de constater qu'aucune contestation n'a été émise lors de la demande en paiement, ainsi qu'il a été rappelé au paragraphe précédent, ni qu'aucun document ne vient étayer l'hypothèse selon laquelle le matériel serait invendable ou défectueux ; il convient dès lors de condamner la société Electrogest au paiement de la facture réclamée, soit 50 656 90, et de débouter la société CSI du surplus, les factures invoquées n'étant pas reconnues expressément par la société appelante.
La société Electrogest succombant à la procédure d'appel, elle devra verser une somme de 2 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR : - Infirme le jugement du tribunal de commerce de Fréjus dans l'intégralité de ses dispositions, Statuant à nouveau, - Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action. Au fond, - Déboute la société Electrogest de l'intégralité de ses demandes. - Condamne la société Electrogest à verser à la société Cash Systèmes Industrie la somme de 50 656 90 au titre de facture impayée avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2006. - Condamne la société Electrogest à verser à la société Cash Systèmes Industrie la somme de 2 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile. - Condamne la société Electrogest aux entiers dépens, dont distraction au profit des avocats à la cause.