Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-17.366
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Garage Jean-Charles Nacci (SAS)
Défendeur :
Autos diffusion Saint-Etienne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Spinosi, Sureau, SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Garage Jean-Charles Nacci que sur le pourvoi incident relevé par la société Autos diffusion Saint-Etienne ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Garage Jean-Charles Nacci (la société Garage Nacci), "agent Renault" depuis le 2 janvier 1981 en vertu de contrats successifs, a conclu notamment, le 5 septembre 2003, un "contrat d'agent service acheteur revendeur (ASAR) avec la société Renault France automobiles, et est en outre devenue "agent Dacia" ; que le 18 mai 2009, la société Garage Nacci a conclu avec la société Autos diffusion Saint-Etienne (la société ADSE), concessionnaire Renault France et Dacia, laquelle avait acquis les actifs de la succursale Renault de Saint-Etienne incluant son réseau d'agents, de nouveaux contrats d'ASAR, dont la teneur était identique à celle des contrats précédemment conclus entre la société Garage Nacci et la société Renault France automobiles, devenue Renault Retail Group ; que par lettre du 14 décembre 2011, la société Renault SA, à la suite de l'expiration du règlement d'exemption par catégorie 1400/2002, a notifié à la société ADSE, comme à l'ensemble de ses concessionnaires Renault et Dacia, la résiliation des contrats de concession en cours, moyennant, un préavis de deux ans prévu contractuellement ; que, le 22 février 2012, la société ADSE a notifié à la société Garage Nacci la résiliation des contrats Renault et Dacia à l'échéance de décembre 2013, correspondant à celle à laquelle la société Renault avait dénoncé ses propres contrats de concession ; que, le 10 décembre 2013, la société ADSE a rejeté la candidature de la société Garage Nacci en qualité de réparateur agréé Renault et Dacia ; que, lui reprochant la mauvaise exécution du contrat, le caractère irrégulier et abusif de la rupture des contrats d'agent ainsi que du refus d'agrément, et la rupture brutale de la relation commerciale établie depuis trente-deux ans, la société Garage Nacci l'a assignée en réparation de ses préjudices ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Garage Nacci fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande de dommages-intérêts formée au titre de la résiliation des contrats d'agent et du refus d'agrément alors, selon le moyen : 1°) que l'usage d'un droit est sanctionné lorsqu'il revêt un caractère abusif ; que l'abus est caractérisé lorsqu'une personne a pu légitimement croire qu'un contrat allait être conclu ; qu'en jugeant que la résiliation et le non-renouvellement des contrats d'agent n'étaient pas fautifs, en s'abstenant de rechercher si le comportement de la société ADSE avait pu légitimement faire espérer à la société Garage Nacci une prolongation de la relation contractuelle au-delà de la résiliation du 10 décembre 2013, et ce notamment parce que la volonté de la société ADSE de mettre fin aux relations contractuelles des parties n'a été portée à la connaissance de la société Garage Nacci que six semaines avant la résiliation, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1240 du Code civil ; 2°) que dans le domaine de la distribution sélective, les critères de sélection doivent être objectifs, tenir aux qualités respectives des contractants potentiels et ne pas être mis en œuvre de façon discriminatoire ; qu'en jugeant que la résiliation et le non-renouvellement des contrats d'agent n'était pas fautifs, sans rechercher si ces derniers n'étaient pas discriminatoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1240 du Code civil et L. 420-1 du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel de la société Garage Nacci que celle-ci ait demandé réparation d'un préjudice né d'un abus de la société ADSE de son droit de ne pas renouveler les contrats ;
Et attendu, d'autre part, qu'il résulte des conclusions de la société Garage Nacci que celle-ci se bornait à soutenir que la sélection des réparateurs était purement qualitative sans limite quantitative et qu'en conséquence, sauf si la candidature était formulée de mauvaise foi, le candidat devait normalement être agréé s'il respectait les critères qualitatifs de sélection requis, sans élever de discussion sur l'application discriminatoire des critères ; d'où il suit que le moyen est, en ses deux branches, nouveau et mélangé de fait, comme tel irrecevable ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; - Attendu que pour retenir que la relation commerciale entre la société Garage Nacci et la société ADSE avait débuté le 18 mai 2009 et non en 1981 comme le soutenait la première, qui faisait valoir que la société ADSE avait succédé au constructeur Renault et en particulier à sa filiale commerciale dans l'exploitation de son point de vente de Saint-Etienne, l'arrêt se borne à énoncer que, si la cession du fonds de commerce de la société Renault Retail Group a transféré à son profit la propriété des éléments du fonds cédé, elle n'a pas substitué de plein droit la société ADSE, cessionnaire, à la société Renault Retail Group, cédant, dans les relations contractuelles et commerciales que le cédant entretenait envers la société Garage Nacci ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la société ADSE n'avait pas entendu poursuivre avec la société Garage Nacci la relation qui unissait celle-ci à la société Renault Retail Group, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; - Attendu que pour retenir que la société Garage Nacci n'a bénéficié que d'un préavis effectif de six semaines et retenir la responsabilité de la société ADSE pour rupture brutale de la relation commerciale établie, l'arrêt retient que si cette dernière a notifié à la société Garage Nacci, le 22 février 2012, la résiliation de ses contrats d'agent Renault et Dacia à effet du 13 décembre 2013, ce qui représente un préavis théorique de 21 mois et 20 jours, ce n'est que les 25 et 30 octobre 2013 qu'elle l'a informée de sa volonté de ne pas renouveler les contrats d'agent et, ainsi, de mettre fin aux relations contractuelles ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la société ADSE avait informé son partenaire de sa volonté de rompre la relation ou de ne pas la poursuivre aux conditions antérieures et que la circonstance que les parties avaient poursuivi leurs échanges en vue de la conclusion de nouveaux contrats ne pouvait, à elle seule, faire échec aux effets d'une telle notification, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts de la société Garage Nacci, qui se prévalait d'inexécutions contractuelles, entre le 22 février 2012 et le 13 décembre 2013, en reprochant à la société ADSE d'avoir tenté de ne pas payer la prime AMJ 2012 due au titre du deuxième trimestre 2012, d'avoir surévalué les objectifs de vente à compter du dernier trimestre 2012, d'avoir modifié unilatéralement les délais de paiement des aides commerciales et d'avoir fortement diminué ses marges, l'arrêt se borne à relever que la société Garage Nacci a indiqué qu'elle avait dû intensifier ses approvisionnements en véhicules Dacia, de façon tout à fait légale et régulière, auprès d'autres fournisseurs que la société ADSE, qui lui ont permis de dégager des marges autrement plus rentables par véhicule vendu, ce dont il déduit qu'elle ne justifie pas de la réalité du préjudice qu'elle aurait subi et qui serait la conséquence directe des comportements invoqués ;
Qu'en statuant ainsi, en se référant à des marges obtenues à l'occasion d'approvisionnements effectués auprès d'autres fournisseurs, impropres à exclure l'existence d'un préjudice résultant directement des agissements reprochés à la société ADSE, qu'elle n'a pas examinés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de dommages-intérêts formées par la société Garage Jean-Charles Nacci au titre du caractère fautif des conditions d'exécution du contrat, en ce qu'il condamne la société Autos diffusion Saint-Etienne à payer à la société Garage Jean-Charles Nacci la somme de 115 148,15 euros en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale établie et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 27 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.