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Décisions

CA Aix-en-Provence, Pôle 3 ch. 1, 2 mai 2019, n° 16-14291

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Orchestra Premaman (SA)

Défendeur :

Du Pareil au Même (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

Mes Maynard, Camoin

TGI Marseille, du 30 juin 2016

30 juin 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Le 5 novembre 2010, la société Du Pareil au Même a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque verbale " C'est bien fait pour les enfants " dans les classes 18, 24, 25 et 35 (catalogues, coffrets, vêtements, jouets pour le bain et publicité).

Le 16 avril 2013, la société Orchestra Premaman a déposé auprès de l'OHMI la marque communautaire semi figurative " Bien fait pour nous ! " en classe 3 (produits cosmétiques et hygiéniques).

Constatant l'utilisation par la société Orchestra Premaman du signe " Bien fait pour nous " pour désigner une gamme de produits pour enfants, notamment des produits de beauté pour le bain, la société Du Pareil au Même l'a fait assigner par acte en date du 3 février 2015 devant le tribunal de grande instance de Marseille en contrefaçon et en concurrence déloyale, demandant notamment l'interdiction d'utilisation du signe sous astreinte et la condamnation de la défenderesse au paiement des sommes de 150 000 € au titre de dommages intérêts, outre 15 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Suivant jugement en date du 30 juin 2016, le tribunal a dit que l'utilisation du signe 'Bien fait pour nous' constituait une contrefaçon de la marque " C'est bien fait pour les enfants ", a interdit sous astreinte l'utilisation de ce signe ainsi que la commercialisation des produits le portant, a ordonné la publication du dispositif dans 5 journaux et a condamné la société Orchestra Premaman au paiement d'une somme de 40 000 € au titre de dommages intérêts, outre 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la société Du Pareil au Même étant déboutée de ses demandes formées au titre du parasitisme.

La société Orchestra Premaman a interjeté appel par déclaration enregistrée au greffe le 2 août 2016.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 11 février 2019 et a renvoyé l'affaire à l'audience du 14 mars 2019.

A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe par voie électronique le 11 février 2019, la société Orchestra Premaman excipe du caractère peu distinctif des marques en présence et rappelle que celles-ci doivent être comparées de manière globale, en tenant compte de l'impression d'ensemble produite afin d'évaluer le risque de confusion. Selon elle, les deux signes auraient des dissemblances notables visuellement et phonétiquement et les premiers juges auraient à tort retenue que la marque invoquée par l'intimée aurait été déposée avec des lettres cursives, rappel étant fait que les conditions postérieures d'exploitation de la marque ne peuvent être prises en compte. La société Orchestra Premaman insiste sur la différence conceptuelle existant selon elle entre les deux signes, le signe " bien fait pour nous ! " S'adressant directement aux enfants et contenant une note d'effronterie absente de la marque déposée par la société Du Pareil au Même, marque perçue comme s'adressant aux parents pour vanter la qualité des produits.

La société Orchestra Premaman conclut à l'absence de similitude entre les produits, cosmétiques pour les uns et vêtements pour les autres ; et rappelle que ces produits sont dans les deux cas vendus en réseau fermé, ce qui éviterait tout risque de confusion dans l'esprit du consommateur. Elle invoque le principe de spécialité des marques et en conclut que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une contrefaçon.

La société Orchestra Premaman conclut à la confirmation de la décision ayant rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale, reprenant l'argument tiré de l'absence de faits distincts de ceux allégués à l'appui de l'action en contrefaçon de marque. Subsidiairement, elle conteste le montant du préjudice tel qu'évalué par le tribunal et notamment la masse contrefaisante et soutient qu'aucun préjudice moral n'est démontré. Au terme de ses conclusions, après avoir demandé la révocation de l'ordonnance de clôture, la société Orchestra Premaman demande à la cour de :

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'utilisation par la société Orchestra Premaman de sa marque " Bien fait pour nous ! " constituait une contrefaçon de la marque " C'est bien fait pour les enfants " n° 10 3 779 979 dont est titulaire Du Pareil au Même

- Dire et juger que tant au plan visuel, phonétique que conceptuel, l'ensemble verbal BIEN FAIT POUR commun aux signes en présence n'est pas de nature eu égard à la faiblesse de ses caractères tant distinctifs que dominants à générer un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur moyen,

- Dire et juger que la marque communautaire n° 01 174 38 53 ne constitue pas une contrefaçon par imitation de la marque Du Pareil au Même

- Débouter en conséquence la société Du Pareil au Même de son action en contrefaçon par imitation,

- Dire et juger que la société Du Pareil au Même ne justifie d'aucun agissement parasitaire distinct de la copie servile alléguée,

- Débouter en conséquence la société Du Pareil au Même de son action en concurrence déloyale,

- Débouter Du Pareil au Même de sa demande de publication non appropriée aux faits de l'espèce et à la solution du litige,

- Débouter Du Pareil au Même de son appel incident tendant à se voir allouer 300 000 € de dommages et intérêts,

- Condamner Société Du Pareil au Même au paiement de la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Du Pareil au Même, par conclusions déposées le 5 février 2019, demande à la cour de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a retenu l'existence d'une contrefaçon. Elle rappelle notamment que pour apprécier le risque de confusion, il doit être tenu compte des modalités d'exploitation des marques, et en l'espèce particulièrement de l'utilisation de la calligraphie cursive pour la marque " c'est bien fait pour les enfants ". Elle relève l'existence de similitudes visuelles et phonétiques, mais aussi conceptuelles, les deux signes reposant sur le même jeu de mot permettant de les lire à la fois comme faisant référence à une expression enfantine, mais aussi à la qualité des produits désignés. Elle invoque la similitude entre les produits, indiquant que cette similitude est depuis longtemps admises entre les vêtements et les produits cosmétiques. Elle fait observer au demeurant que les deux parties commercialisent sous les deux marques un même produit, à savoir un " vanity case " et considère comme sans effet le mode de distribution des marchandises.

La société Du Pareil au Même soutient que la société Orchestra Premaman a commis outre une contrefaçon de la marque, des actes de concurrence déloyale en utilisant un slogan proche du sien et en commercialisant toute une gamme de produit portant ce slogan. Le jugement devrait être sur ce point infirmé.

Sur le préjudice, elle met en avant l'augmentation importante du chiffre d'affaire de la société Orchestra Premaman depuis l'utilisation par celle-ci de la marque contrefaisante et les conséquences négatives sur ses propres ventes. Elle invoque un important préjudice moral, notamment en raison de l'utilisation de la marque par la partie adverse malgré le jugement et rappelle avoir engagé des frais de promotion de sa marque importants.

Au terme de ses conclusions, la société Du Pareil au Même demande à la cour de :

- CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en ce qu'il a dit que l'utilisation par la Société Orchestra Premaman du signe " Bien fait pour nous ! " constitue une contrefaçon de la marque " C'est bien fait pour les enfants " n° 10 3779 979 dont est titulaire la Société Du Pareil au Même, interdit à la société Orchestra Premaman d'utiliser le signe " Bien fait pour nous ! " sous quelque forme et quelque support que ce soit, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la signification du présent jugement à intervenir et pendant un délai de six mois à l'issue duquel il ne pourra de nouveau être statué ; dit qu'il appartiendra à la société Orchestra Premaman de faire procéder au retrait des circuits commerciaux les produits litigieux dans un délai d'un mois à compter de la significations du présent jugement, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard courant ce délai et pendant un délai de six mois à l'issue duquel il pourra de nouveau être statué ; ordonne la publication du dispositif de la présente décision d'une part sur le site internet de la société Orchestra Premaman en page d'accueil pour une durée de deux mois à compter de la signification du jugement sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard durant ce temps, d'autre part dans cinq journaux ou revues au choix de la SAS Du Pareil au Même, aux frais avancés de la société Orchestra Premaman et dans la limite de 1 500 euros HT par insertion et et condamné la Société Orchestra Premaman à payer à X la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- DÉBOUTER la Société Orchestra Premaman de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- DIRE QUE la Société Du Pareil au Même est recevable et bien fondée en son appel incident ;

- L'EN DÉCLARAIT bien fondée ;

- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en ce qu'il a rejeté les demandes de la Société Du Pareil au Même au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

En conséquence :

- DIRE et JUGER que la Société Orchestra Premaman s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la Société Du Pareil au Même ;

- CONDAMNER la Société Orchestra Premaman à payer à la Société Du Pareil au Même la somme de 150 000 euros au titre du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

En outre,

- PORTER à la somme de 150 000 euros le montant des dommages et intérêts devant être payé par la Société Orchestra Premaman à la Société Du Pareil au Même au titre des dommages et intérêts subi par la Société Du Pareil au Même du fait des actes de contrefaçon ;

- Subsidiairement, CONFIRMER le jugement en ce qu'il a alloué à la Société Du Pareil au Même la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les faits de contrefaçon.

En tout état de cause :

- SE RESERVER la liquidation de l'ensemble des astreintes.

- CONDAMNER la Société Orchestra Premaman à payer à X la somme de 10 000€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la contrefaçon de marque

a) sur la comparaison des produits

La marque C'EST BIEN FAIT POUR LES ENFANTS a été déposée le 5 novembre 2010 en classes 16, 18, 24, 25, 28 et 35 pour désigner notamment des articles de toilettes dits " vanity cases ", du linge de maison notamment à usage de puériculture et des vêtements, chaussures et chapellerie ; il n'est pas contesté que le signe C'EST BIEN FAIT NOUS ! a été utilisé par la société Orchestra Premaman pour figurer sur des vanity cases, et donc sur un produit précisément désigné dans l'enregistrement de la marque ; ce signe figure en outre sur des produits d'hygiène et de parfumerie, produits qui peuvent être considérés comme complémentaires des articles de vêtements, la commercialisation sous une même marque et dans les même lieux des uns et des autres étant devenue une pratique très fréquente ; c'est donc à bon droit que la société Du Pareil au Même affirme qu'il existe une similitude ou une complémentarité entre les produits désignés et les produits portant le signe argué de contrefaçon, rappel étant fait que le mode de distribution de ces produits est sans effet sur l'appréciation d'une telle similitude ou complémentarité.

b) sur la comparaison des signes

Il convient de rappeler en préambule que pour apprécier l'existence d'une contrefaçon de marque, il convient de comparer le signe argué d'une telle contrefaçon non pas avec la marque telle qu'exploitée par son titulaire, mais avec la marque telle que figurant à l'acte d'enregistrement, le dit enregistrement étant seul créateur de droit pour le titulaire ; en l'espèce, il y a lieu dès lors de comparer la marque verbale C EST BIEN FAIT POUR LES ENFANTS, ce signe ne comportant aucune calligraphie particulière, avec le signe BIEN FAIT POUR NOUS ! écrit en lettres cursives.

Visuellement et phonétiquement, les deux signes diffèrent par leur entame, la marque enregistrée commençant par le son " C'est ", et le signe par le son " bien ", et par leur rythme, la marque contenant sept temps, et le signe quatre ; la finale entre les deux signes est nettement distincte, le signe utilisé par la société Orchestra Premaman finissant pas un point d'exclamation, élément inusuel pour désigner un produit, point absent de la marque telle qu'enregistrée ; enfin, visuellement, le signe utilisé par la société Orchestra Premaman se distingue nettement par une calligraphie cursive absente de la marque enregistrée.

Conceptuellement, les deux signes s'analysent comme un slogan, et donc comme un élément en soi extrêmement peu distinctif, et difficilement perçu par le consommateur comme exerçant la fonction d'une marque, à savoir désigner la provenance d'un produit ; il est certes exact que ces deux slogans renvoient à la même idée, à savoir que les produits proposés sont particulièrement adaptés à la clientèle, les enfants, explicitement pour la marque et implicitement pour le signe utilisé par Orchestra Premaman, et qu'ils sont de bonne facture ; force est de constater que cette idée est d'une banalité incontestable et qu'elle n'est manifestement pas de nature à attirer l'attention du consommateur ; il est par ailleurs tout aussi exact que comme l'ont relevé les premiers juges, les deux signes jouent sur un double sens, puisque ces slogans vantant l'adaptation du produit à la clientèle et sa qualité prennent la forme d'une formule enfantine usuelle, " c'est bien fait pour..... " ou encore " bien fait pour..... " ; à bon droit, la société Orchestra Premaman fait observer que cette reprise d'une expression enfantine est particulièrement marquée dans le signe par elle utilisé du fait de la concision de l'expression et de l'emploi d'un point d'exclamation et qu'en conséquence le consommateur sera enclin bien plus que mis en présence de la marque déposée par la société Du Pareil au Même à relever ce double sens ; en toute hypothèse, cette connotation enfantine du slogan, et ce double sens, doivent être considérés comme d'une grande banalité dès lors qu'il s'agit de désigner des produits de puériculture ; il résulte de l'ensemble de ces éléments que la marque verbale C'EST BIEN FAIT POUR LES ENFANTS, slogan ludique faisant référence au monde de l'enfance, est doté d'un tel faible degré de distinctivité que l'impression d'ensemble produite par le signe tout aussi peu distinctif BIEN FAIT POUR NOUS ! n'est pas de nature à générer chez le consommateur d'attention moyenne un risque de confusion sur la provenance des produits désignés ; il convient dès lors d'infirmer le jugement ayant retenu l'existence d'une contrefaçon.

Sur les actes de concurrence déloyale

L'action en concurrence déloyale et parasitaire peut être accueillie concurremment à une demande en contrefaçon de marque dès lors que le demandeur établit l'existence d'actes distincts de ceux constitutifs de la contrefaçon alléguée.

En l'espèce, la société Du Pareil au Même invoque l'utilisation par la société Orchestra Premaman d'un slogan similaire ou très proche du sien ; comme l'ont relevé pertinemment les premiers juges, ces faits ne sont pas distincts de ceux invoqués au soutien de la demande en contrefaçon, et le fait que le slogan ait été utilisé pour désigner toute une gamme de produit est sans effet sur ce constat ; le seul fait distinct qu'il eut été possible d'invoquer est l'utilisation d'une écriture cursive par la société Orchestra Premaman semblable à celle figurant sur les produits vendus par la société Du Pareil au Même ; il convient de relever cependant que cette écriture a été précisément utilisée par la société Orchestra Premaman pour déposer sa propre marque, que rien ne permet d'affirmer que la société Du Pareil au Même utilisait cette écriture antérieurement au dépôt de la marque concurrente et qu'enfin l'utilisation d'un tel type de graphisme pour des produits destinés aux enfants est d'une telle banalité qu'elle ne peut être interprétée comme traduisant une volonté de parasitisme ; il convient en conséquence de confirmer le jugement ayant débouté la société Du Pareil au Même de sa demande fondée sur la concurrence déloyale.

La société Du Pareil au Même succombant en cause d'appel, elle devra verser une somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR : Infirme le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Du Pareil au Même de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale. Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées, Déboute la société Du Pareil au Même de l'intégralité de ses demandes formées au titre de la contrefaçon de marque. Condamne la société Du Pareil au Même à verser à la société Orchestra Premaman la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Met l'intégralité des dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Du Pareil au Même.